Tribologie/Guidage par roulement/Lubrification des roulements


TRIBOLOGIE

Science et technologie du frottement, de l'usure et de la lubrification.

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Notions générales

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La recherche constante de meilleures performances et l'apparition de nouvelles techniques permet d'obtenir une meilleure productivité des équipements, un meilleur rendement énergétique, etc. Bien que la lubrification ne constitue pas à proprement parler un composant mécanique, il convient d'agir comme si elle en était un et donc de la considérer avec autant d'attention et de soin que les autres, faute de quoi elle constituera un « maillon faible », source de défaillances, de faible productivité, de gaspillage d'énergie, etc. Les roulements font partie, au même titre que les engrenages, des composants mécaniques particulièrement sensibles de ce point de vue.

Contrairement à une idée fausse mais bien ancrée dans les esprits, le but premier de la lubrification des roulements n'est pas de réduire les frottements ; il s'agit avant tout de préserver le mécanisme concerné et plus particulièrement, ici, de prévenir le grippage. Le lubrifiant doit aussi participer au refroidissement des roulements et favoriser un état d'équilibre thermique laissant généralement un jeu positif. Il doit enfin servir de protection contre la corrosion.

La lubrification se fait en régime limite au niveau des contacts et autant que possible en régime hydrodynamique dans les zones de centrage des cages. Les cages en plastique ne nécessitent pas une grande lubrification, contrairement à celles en alliages cuivreux. Le lubrifiant doit impérativement créer à la surface des pièces, corps roulants, pistes et cages, des films adhérents très solides, interdisant tout contact métal contre métal, afin d'éviter l'usure adhésive. Dans ce but, très peu de lubrifiant suffit, un excès de produit provoque généralement une augmentation des frottements et un échauffement qui peut être très préjudiciable à la durée de vie du composant.

La lubrification est toujours délicate lorsque les vitesses sont très faibles ou très fortes. Dans le premier cas, le lubrifiant se trouve chassé de la zone de contact, de sorte que seules les couches quasi monomoléculaires fixées par adsorption sur les surfaces peuvent jouer un rôle. Dans le second, le lubrifiant n'a pas le temps de s'évacuer suffisamment et les éléments roulants ont tendance à glisser au lieu de rouler, ce qui crée des phénomènes d'usure anormaux.

Même si la lubrification a été bien pensée, il est nécessaire de savoir reconnaître les symptômes d'éventuelles dégradations. Un échauffement anormal, des bruits inhabituels, l'apparition de vibrations, un lubrifiant qui se colore ou s'assombrit, doivent être considérés comme des alertes sérieuses. Les avaries des roulements sont dues dans au moins 40 % des cas à des défauts de lubrification, leur étude permet souvent de déterminer la nature du problème et, dans un certain nombre de cas, de savoir comment y remédier.

On utilise principalement pour lubrifier les roulements des graisses et des huiles, éventuellement chargées en lubrifiants secs tels que le graphite ou le bisulfure de molybdène.


Ne jamais oublier deux règles essentielles
  • On ne saurait trop souligner l'importance d'une propreté méticuleuse pour la longévité des roulements.
  • Il est recommandé de ne jamais laver les roulements neufs avec un solvant sans une raison impérative.

Lubrification à la graisse

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La graisse est le lubrifiant le plus commode et le plus utilisé, il faut la choisir dans tous les cas où elle est possible.

La graisse protège mieux contre la corrosion que l'huile car elle reste en place. Outre ses qualités lubrifiantes, elle rend les roulements plus ou moins étanches et les protège contre l'entrée de produits contaminants sans qu'il soit nécessaire d'utiliser des joints ou des soufflets ; c'est toutefois une « arme à double tranchant » car en cas de contamination, comme la graisse ne circule pas, les contaminants sont maintenus à l'intérieur du roulement et peuvent y exercer leurs nuisances. Dans certains cas, les graisses peuvent aussi attirer et capter des produits indésirables comme la vapeur d'eau qui, en se condensant, peut avoir un effet particulièrement néfaste.

Avec de la graisse, il n'est pas nécessaire d'entretenir un niveau constant et le renouvellement du lubrifiant est moins fréquent que dans le cas d'une lubrification à l'huile. Certains roulements sont d'ailleurs « graissés à vie ».

Composition et propriétés des graisses destinées aux roulements

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Il est nécessaire de consulter les fiches techniques des fournisseurs pour choisir la formulation la mieux adaptée à tel ou tel usage. Les caractéristiques des graisses diffèrent en effet d'un fabricant à l'autre, elles dépendent principalement de celles des huiles de base qui peuvent être minérales ou synthétiques (huiles diester, silicone ou fluorocarbone, par exemple). En général, les graisses avec une huile peu visqueuse sont adaptées aux applications à basse température et haute vitesse, tandis que les graisses avec une huile de base à haute viscosité sont adaptées aux applications à forte charge. Jusqu'à 160°C, des graisses avec bentonite et huile minérale conviennent ; au-delà, on fait appel aux graisses synthétiques et aux silicones.

Les épaississants les plus utilisés sont des savons métalliques au lithium, au sodium, et au calcium. On trouve aussi des épaississants non organiques comme le gel de silicium, la bentonite et des épaississants organiques tels que les polyurées et le carbone fluoré. Les graisses au savon de sodium résistent très peu à l'eau, alors que les graisses avec épaississant non métallique tel que les polyurées ou la bentonite sont idéales pour des températures de fonctionnement plus fortes.

La consistance des graisses est déterminée par la proportion d'épaississant présent dans la graisse et par la viscosité de l'huile de base. Pour les roulements, on utilise le plus souvent des grades 0, 1, 2, 3 définis par le NLGI (National Lubricating Grease Institute). Plus le grade est élevé, plus la consistance est forte, ce qui correspond grosso modo à divers types d'applications :

  • 0. graissage centralisé
  • 1. graissage centralisé
  • 2. usage général, roulements protégés ou étanches
  • 3. usage général, axe vertical.

Les graisses au lithium sont celles que l'on recommande le plus généralement pour la lubrification des roulements. De nouvelles familles de constituants à base de lithium ont été récemment mises sur le marché, dans les graisses Shell Retinax LX par exemple, en vue d'améliorer à la fois la résistance aux températures élevées, la protection des surfaces contre la corrosion en milieu humide et les effets des vibrations. On les recommande pour de nombreux usages, en particulier pour la lubrification des roulements des roues de poids lourds.

Les graisses ayant des huiles de base ou des épaississants de natures ou de marques différentes ne devraient pas, en principe, être mélangées.

Les additifs antifatigue jouent un rôle essentiel, ils sont surtout bénéfiques dans les roulements lubrifiés à vie par la graisse, comme ceux des roues d'automobile pour lesquels la durée de vie est atteinte normalement par fatigue.

Les graisses sont généralement considérées comme des isolants électriques, ce qui constitue un défaut lorsque les roulements sont susceptibles d'être traversés par des courants électriques. Les équipements concernés sont par exemple les moteurs électriques, les convoyeurs, les photocopieurs, les machines de papeterie, les installations d'étirage de films plastiques, etc. Il peut en résulter divers phénomènes de cratérisation et d'ondulation des surfaces décrits dans le chapitre consacré à l'endommagement des roulements. Diverses sociétés comme Kluber proposent des graisses conductrices pour lutter contre ces phénomènes très destructeurs.

Bien concevoir les logements des roulements

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Au niveau du logement des roulements, il faut prévoir un espace suffisamment important pour recevoir l'excès de graisse éjecté lors de la rotation. Normalement, cet espace devrait être rempli par la graisse dans une proportion de 30 à 50 %. Un remplissage trop important provoque le malaxage de la graisse excédentaire, donc des pertes d'énergie importantes et, si la vitesse de rotation est grande, un échauffement préjudiciable à la longévité du roulement. Une bonne lubrification exige par ailleurs que la graisse excédentaire soit retenue au voisinage du roulement et non évacuée dans les autres parties du mécanisme.

Graissage initial

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Les premiers instants de fonctionnement des roulements sont souvent critiques. Des dégradations très importantes peuvent en effet se produire si la lubrification n'est pas convenablement assurée dès l'origine.

Une propreté méticuleuse est essentielle lors d'un premier graissage :
il faut donc se laver soigneusement les mains ou mieux utiliser des gants en latex à usage unique.

Procédures de premier graissage d'un roulement à rouleaux coniques

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  1. Pour un roulement de petite taille (roulement de roue de voiture par exemple, prélever une boule de graisse de la taille d'une noix et la place dans la paume d'une main.
  2. Avec l'autre main, pousser le « cône » (bague intérieure + cage + rouleaux) dans la graisse de façon que celle-ci pénètre jusqu'à la piste de roulement intérieure.
  3. Faire tourner la bague intérieure et continuer de pousser jusqu'à ce que la graisse occupe tout l'espace intérieur.
  4. Retirer l'excédent de graisse à l'extérieur du roulement.

Introduction et renouvellement de la graisse

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La graisse peut être apportée de diverses manières :

  • renouvellement manuel périodique : il constitue une solution parfaitement viable dans de nombreux cas mais il est facile de mettre trop ou pas assez de graisse. Il faut forcer le lubrifiant à bien pénétrer entre les éléments et veiller à ce qu'il n'occupe pas plus de la moitié de l'espace libre dans le roulement. Cet apport peut se faire lors d'opérations de démontage ou en fonctionnement normal par l'intermédiaire de pompes manuelles et de graisseurs. Cette méthode est également indiquée lorsque les différents points à lubrifier nécessitent des produits différents.
  • graissage centralisé : des installations automatisées et parfois complexes permettent d'apporter périodiquement de petites quantités de graisse dans les différentes zones d'un mécanisme qui en ont besoin. Il faut évidemment que chacun de ces points de graissage soit muni d'un dispositif permettant l'évacuation de la graisse usée.
  • graissage à vie : il est utilisé pour de nombreux roulements, qui sont alors munis de dispositifs d'étanchéité intégrés.

Précautions d'emploi

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Trop de graisse freine la rotation, provoque un échauffement anormal et des glissements entre les billes et les bagues qui peuvent détériorer leur état de surface. Il ne faut pas remplir plus de la moitié de l'espace libre ; pour les gros roulements, on fait couler un peu d'huile minérale avant de mettre la graisse pour assurer la lubrification dès la première mise en mouvement des pièces.

Il est important, lorsque l'on réalise des introductions périodiques de graisse, qu'il subsiste de l'espace pour recevoir la graisse usée et que la graisse neuve soit toujours la même.

D'une manière générale, la lubrification à la graisse n'est pas recommandée dans le cas de vitesses de rotation très élevées ou si les roulements doivent fonctionner à haute température. L'huile convient alors beaucoup mieux.

Lubrification à l'huile

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L'huile a l'avantage de pouvoir circuler, ce qui favorise l'élimination des calories et surtout des débris d'usure. Cependant, elle donne souvent un échauffement plus fort que la graisse car il est difficile de limiter la quantité de fluide qui participe effectivement à la lubrification. Il faut aussi veiller à ce qu'elle soit convenablement filtrée, faute de quoi elle peut introduire des substances polluantes dans les roulements.

L'huile qui lubrifie les roulements sert aussi très souvent pour d'autres organes enfermés dans le même carter, comme par exemple les engrenages des réducteurs de vitesse. Les paliers indépendants lubrifiés à l'huile sont plus onéreux que ceux qui sont graissés car ils doivent être dotés d'un système d'étanchéité approprié. Généralement, la mise en œuvre et la maintenance d'une lubrification à l'huile sont plus coûteuses que celles d'une lubrification à la graisse.

L'huile ne protège pas autant que la graisse contre l'oxydation, surtout si les roulements sont à l'arrêt. Elle doit posséder des propriétés anti-rouille et extrême-pression, et ne doit ni s'émulsionner ni être miscible avec l'eau.

Compositions et propriétés des huiles pour les roulements

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La plupart des huiles pour roulements sont à base de produits minéraux ou synthétiques. Les premiers sont tirés du pétrole et peuvent contenir diverses impuretés susceptibles d'influencer la tenue en service, les seconds sont en principe beaucoup plus purs et on peut les concevoir spécialement pour certaines applications, par exemple pour un fonctionnement à température élevée. Dans pratiquement tous les cas, il faut ajouter divers additifs pour améliorer les propriétés.

La viscosité doit être choisie avec soin car l'huile doit circuler dans les roulements. Il faut qu'elle soit assez élevée pour faciliter la formation de films d'huile mais pas trop pour que l'écoulement soit facile et, le cas échéant, pour que les calories soient convenablement évacuées. Cette dernière propriété fait que dans la plupart des cas l'huile sera préférée à la graisse pour les applications à température élevée. La viscosité doit être d'autant plus faible que la vitesse de rotation est plus grande et d'autant plus forte que la température d'utilisation est plus élevée.

Des huiles du genre SAE 10 avec divers additifs conviennent pour les températures ordinaires, les produits synthétiques couvrent une gamme plus large de -50 à 200°C. Au-delà de 260°C le craquage des huiles synthétiques les fait abandonner au profit des lubrifiants solides ou de l'éther polyphényle.

Introduction et renouvellement de l'huile

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L'huile peut être apportée de diverses manières :

  • le simple bain d'huile est réservé aux applications peu sévères et aux faibles vitesses.
  • les graisseurs au goutte-à-goutte permettent de vérifier visuellement le débit de l'huile.
  • l'alimentation par capillarité grâce à une mèche trempant dans un réservoir est possible pour des applications peu sévères.
  • l'alimentation par projection est considérée comme suffisante dans les boîtes de vitesses, où l'huile est projetée par les engrenages.
  • les divers types de pompes de circulation assurent un débit constant et s'appliquent aux mécanismes fonctionnant dans des conditions sévères.
  • l'alimentation par jet d'huile permet de forcer l'huile à atteindre les zones sensibles mais elle nécessite un drainage efficace pour éviter les accumulations d'huile qui pourraient créer des pertes d'énergie importantes,
  • le brouillard d'huile est réservé à des applications particulières.

Lubrification par brouillard d'huile

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La lubrification brouillard d'huile est théoriquement la solution idéale pour les roulements tournant à grande vitesse, car elle donne les coefficients de frottement les plus bas en raison des faibles doses de produit introduites dans le roulement. En effet, dès que la quantité de lubrifiant introduit dans un roulement excède le strict nécessaire pour éviter le grippage, il se produit une mise en mouvement inutile de fluide et donc des pertes d'énergie.

Des pulvérisateurs spéciaux alimentés en air comprimé fournissent de l'air huilé à raison de 2 à 5 g/m3 qui, en traversant les roulements, garantit la formation et le maintien d'épilames résistantes à la surface des pièces tout en minimisant les frottements internes. On obtient par la même occasion un bon refroidissement et, grâce à la surpression, une protection efficace contre l'entrée de poussières abrasives ou de gaz nocifs. Cette solution relativement compliquée est intéressante pour des applications particulières et presque toujours fixes comme les machines-outils, les broches de rectifieuses, les concasseurs, les broyeurs, les paliers de fours rotatifs ou de laminoirs, etc. Naturellement, il faut prévoir une installation de traitement de l'air qui sort des organes à lubrifier afin que l'huile non utilisée ne soit pas dispersée dans l'atmosphère, ce qui serait nuisible à la propreté de l'atelier et surtout aux personnes qui seraient amenées à respirer le brouillard résiduel.

Précautions d'emploi

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Dans la mesure où l'huile est capable d'entraîner les débris d'usure, il faut éviter que ceux-ci soient introduits à nouveau dans les roulements. Une épuration est donc indispensable, elle peut se faire par décantation ou mieux par filtrage.

L'huile étant mobile, contrairement à la graisse, elle ne peut jamais assurer l'étanchéité par elle-même. Il faudra donc presque toujours prévoir des joints, des soufflets ou tous autres dispositifs capables d'empêcher à la fois la sortie intempestive du lubrifiant et l'introduction de corps étrangers. À cet égard, il faut se méfier de certains roulements, en particulier des roulements à rouleaux coniques, qui peuvent constituer de très efficaces pompes centrifuges et engendrer facilement l'apparition de pressions très importantes capables de provoquer des fuites et/ou d'endommager les joints d'étanchéité.


Fonctionnement « à sec »

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La lubrification à sec concerne essentiellement les satellites et les sondes spatiales, mais aussi certaines applications sous vide ou à haute température. L'efficacité des lubrifiants solides est conditionnée par la stabilité du film de transfert.

Au début, on a utilisé du bisulfure de molybdène déposé par brunissage, des dépôts d'or ou d'argent mais les résultats n'ont pas été très convaincants. Des dépôts de plomb de 0,1 µm se sont montrés assez fiables. Des cages autolubrifiantes permettent d'établir un film de transfert indirect et sont généralement constituées de composites à base de fibres de verre chargés de PTFE ou de bisulfure de molybdène, elles sont utilisables de -185 à 300°C. Des matériaux composites MoS2/Cobalt/Argent, MoS2/Tantale/Fer, MoS2/Tantale/Molybdène ont été développés par Boeing et ont donné des résultats moyennement encourageants.

Toutes les solutions intéressantes passent aujourd'hui par le bisulfure de molybdène.

Le fonctionnement sans lubrification est envisageable dans certains cas avec des roulements réalisés dans des matériaux appropriés, comme certains polymères (Igus).