Philosophie/Aliénation
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Une brève introduction
Philosophie Une brève introduction |
Résumé
modifierDans ce livre, nous poursuivrons les deux objectifs suivants : présenter l'activité que l'on nomme « philosophie » et dissiper certains des préjugés les plus répandus à son sujet.
Ce court texte est volontairement scolaire dans sa forme et n'a pas vocation à être un manuel ou une étude approfondie de la philosophie. Ses objectifs assez modestes seront atteints en fournissant aux lecteurs qui ne possèdent pas de connaissances préalables quelques-uns des éléments indispensables pour se diriger dans l'étude de la philosophie.
Sommaire
modifier- Introduction
- Chapitre I. Le mot « philosophie » et ses usages
- Chapitre II. Spécificité de la philosophie
- Chapitre III. Trois conceptions de la philosophie
- Chapitre IV. Origine de la philosophie
- Critiques de la philosophie
- Bilan
- Annexes
- Pour travailler, des sujets de dissertation et des textes
- Bibliographie et ressources
Philosophie de l'esprit
La philosophie de l'esprit est une branche de la philosophie analytique qui cherche à rendre compte de l'ensemble des réalités mentales (pensée, volonté, désirs, sentiments, etc.) par une théorie qui tiendrait compte à la fois des informations sur le cerveau que nous fournissent les sciences et des intuitions que nous avons de notre propre esprit, intuitions qui peuvent s'avérer en contradiction avec les explications scientifiques.
Sommaire
modifier- Introduction
- La Métaphysique de l'esprit
- Le dualisme (article)
- Le monisme
- Le physicalisme (article)
- Objections contre le physicalisme :
- Ce que Marie ne savait pas (article)
- Argument de la connaissance (définition)
- Quel effet cela fait-il d'être une chauve-souris ?
- Les différentes théories physicalistes
- Béhaviorisme
- Fonctionnalisme
- Chambre chinoise
- Le spectre inversé
- Les États mentaux
- L'attention
- Les croyances
- Les émotions
- L'imagination
- La pensée
- La mémoire
- Philosophie de la conscience : Études sur la conscience (livre à traduire)
Histoire de la philosophie
Introduction
modifierCe livre proposera l'apprentissage par les textes et les commentaires de la pensée des philosophes.
Table des matière
modifierPhilosophie antique
modifierPhilosophie moderne
modifier- René Descartes
- Baruch Spinoza
- Blaise Pascal
XVIIIe siècle
- David Hume (1711-1776)
- Emmanuel Kant (1724-1804)
Philosophie contemporaine
modifierXIXe siècle
XXe siècle
- Martin Heidegger
Courants
Bibliographie
modifier- François Châtelet, Histoire de la philosophie, 8 tomes, Paris, Hachette-Pluriel, 1999-2000
- Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, PUF, Quadrige, 2004, (ISBN 2-13054-396-0) ([1])
- Jean-Pierre Zarader (dir.,), Le vocabulaire des philosophes, 5 tomes, grand format, 4500 pages, Paris, Ellipses, 2002-2006
Commentaire du passage à propos de l'Homme esclave du divertissement
Blaise Pascal |
Commentaire de « Ainsi l'homme est si malheureux » jusqu'à « parce que personne ne les empêche de penser à eux » extrait de Les Pensées de Blaise Pascal.
Introduction
modifierLes Pensées, rédigées par Pascal entre 1656 et 1662 se présentent sous la forme d'un recueil de notes destinées à une apologie de la religion chrétienne qu'il n'eut pas le temps de mener à bien.
Après avoir démontré que la position de l'homme dans l'Univers ne peut que le conduire à l'angoisse et au désespoir, Pascal s'en prend à l'aveuglement humain qui cherche dans le divertissement un moyen d'échapper à cette situation tragique au lieu d'en tirer les conséquences et d'envisager son salut. Comme toujours chez Pascal, l'organisation logique s'appuie sur des procédés rhétoriques dans le but non seulement de convaincre mais de persuader son interlocuteur.
On observe ainsi trois étapes dans cette démonstration du rôle fondamental du divertissement dans l'existence humaine. Tout d'abord dans les lignes 1 à 5, l'énoncé de la thèse selon laquelle l'homme n'est pas libre mais asservi au divertissement, puis un premier exemple qui l'illustre « Avec le divertissement il n'y a point de tristesse » suivi d'un deuxième exemple plus inattendu axé autour du thème « Sans le divertissement, point de joie ».
Examen de l'énoncé de la thèse qui met en évidence la vanité humaine et les effets surprenants du divertissement
modifierLes deux caractéristiques de la condition humaine : le malheur lié à l'ennui et la vanité, c'est-à-dire le vide et l'inconsistance vont être développés pour montrer à quel point l'homme s'ennuierait sans cause d'ennui. Le paradoxe en ce qui concerne la vanité est appuyé sur l'antithèse qui fait l'état d'une part de « nulles causes essentielles d'ennui » et d'autre part de la distraction futile qu'il trouve pour y porter remède (« la moindre chose »). Le thème du jeu est intentionnellement présenté par une synecdoque (il parle de la balle pour parler du jeu) renforcée par l'allitération (« billard, balle ») et par l'emploi du verbe « pousser » qui dévalorise cette activité.
L'homme est d'emblée présenté comme une créature irrationnelle qui tourne à tout vent. Pascal va s'employer à en apporter des preuves en développant deux exemples pour soutenir sa thèse.
L'homme accablé sur le plan familial et financier
modifierÉtude de cas
modifierPascal va utiliser un système questions-réponses, caractéristique du style oratoire. Dans la question il nous présente le cas extrême de l'homme qui a perdu son fils unique depuis deux mois, qui est accablé de procès et qui semble cependant ne plus y penser. Pascal amène la réponse en entretenant le suspense : « ne vous en étonnez point ». Avant d'apporter une solution à peine convenable, il est tout occupé par une partie de chasse. Le commentaire de Pascal est bref et ironique : « il n'en faut pas davantage ».
L'auteur reprend le paradoxe de la première partie qui semble pleinement démontré : « l'homme quelque plein de tristesse qu'il soit »
modifierCette reprise s'accompagne d'une ironie qui se traduit par l'évolution vers un style oral et plus familier (« le voilà heureux pendant ce temps-là ». L'auteur annonce alors le thème de la seconde partie (« Et l'homme, quelqu'heureux qu'il soit, s'il n'est diverti... ») avant de passer à un cas probant, Pascal reprend sous la forme d'une antithèse marquante le thème de la vanité humaine qui ne trouve son bonheur que dans le divertissement. Pascal a à nouveau recours à un exemple : celui des « grands » (les ministres, ceux qui occupent des charges importantes).
Comment Pascal considère-t-il les grands personnages du royaume ?
modifierSelon Pascal, les personnes importantes de l'État (les ministres) sont heureux, non parce qu'ils remplissent une tâche utile, mais ils sont heureux car ils sont dans une situation privilégiée du divertissement étant donné le grand nombre de personnes qui les entourent et qui se consacrent à les divertir.
Pascal, pour développer son point de vue, a de nouveau recours au dialogue fictif
modifierCeci sous la forme d'une phrase injonctive « prenez-y garde » qui entretient le suspense comme dans le premier exemple, suivi d'une interrogation oratoire, ironique, qui démasque l'hypocrisie sociale en exprimant le point de vue janséniste de Pascal sur la politique, qui n'est qu'une forme de divertissement. Pour Pascal, en effet, les activités politiques et sociales n'ont pas plus d'importance que le jeu de paume ou de billard. La société n'est pas susceptible d'améliorations, seule la vanité humaine peut s'en persuader car pour le chrétien pessimiste qu'est Pascal, « Le royaume n'est pas de ce monde » (Évangile de Jean qui rapporte une parole du Christ).
L'hypocrisie de Pascal se vérifie pleinement grâce à un changement de contexte
modifierAu sein de l'abondance et de la sérénité, notions sur lesquelles Pascal insiste malignement, « les grands » éprouvent un malheur intense car ils sont livrés à eux-mêmes et au sentiment de leur néant « ils ne cessent pas d'être misérables et abandonnés ») car ils sont privés de divertissement.
Conclusion
modifierPascal s'efforce de convaincre son interlocuteur par la rigueur d'une analyse qui envisage méthodiquement les différents cas de figure en s'appuyant sur une observation complète. Mais, emporté par sa conviction, il ne se fait pas de scrupules de le séduire en proposant comme évidents des exemples discutables et en l'attirant dans ses vues par un discours fictif. Le destinataire se fait alors complice de l'ironie développée par l'auteur à l'égard des hommes esclaves du divertissement, ce qui devrait logiquement l'amener à y renoncer.
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- Aliénation -
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Aliénation
Étymologiquementmodifier1. 1265 : « transport d'une propriété » 2. a) aliénation d'entendement « égarement » (Oresme, Œuvres morales, fo117 a, ibid. : ceux qui sont tombez en une frenesie ou alienation d'entendement); 2. b) 1811 aliénation mentale au sens médical; 1847 id. « id. » (H. de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, éd. Bouteron, La Pléiade, t. 5, p. 1004 ds Fr. mod., t. 23, p. 298 : Selon quelques grands médecins aliénistes, le suicide, chez certaines organisations, est la terminaison d'une aliénation mentale...); 3. 1541 « éloignement, hostilité des esprits, désaccord » (Calvin, Saincte Cene, V, 459 ds Hug. : Combien qu'ilz ayent une fois conféré ensemble, neantmoins, il y avoit telle alienation, qu'ilz s'en retournerent sans aucun accord).[1] |
L'aliénation a ainsi des liens avec la maladie.
en latin : alienus : qui appartient à un autre.
Problématique
modifierSi l'aliénation est un moment négatif où la conscience ne s'appartient pas, encore faut-il saisir ce que signifie cette négation. C'est le but de ces textes réunis ici que de construire le concept et d'en montrer la diversité des approches. Cette étrangeté à soi est peut-être un moment nécessaire à une ressaisie et une réalisation de soi. Pas de "soi" sans d'abord un moment de perte.
Détour par la poésie : l'aliénation, un moment de négation de soi
modifier- Henri Michaux relate dans Connaissance par les Gouffres[2], l'expérience de l'aliénation dans l'usage des stupéfiants :
«Les drogues nous ennuient avec leur paradis.
Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir.
Nous ne sommes pas un siècle à paradis.
Toute drogue modifie vos appuis. L'appui que vous preniez sur vos sens, l'appui que vos sens prenaient sur le monde, l'appui que vous preniez sur votre impression générale d'être.
Ils cèdent. Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tout bizarre, une complexe, continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici, et davantage là. Où "ici" ? Où "là" ? Dans des dizaines d'"ici", dans des dizaines de "là", que vous ne connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas. Zones obscures qui étaient claires. Zones légères qui étaient lourdes. Ce n'est plus à vous que vous aboutissez, et la réalité, les objets même, perdant leur masse et leur raideur, cessent d'opposer une résistance sérieuse à l'omniprésente mobilité transformatrice.
Des abandons paraissent, de petits (la drogue vous chatouille d'abandons), de grands aussi. Certaines s'y plaisent. Paradis, c'est-à-dire abandon. Vous subissez de multiples, de différentes invitations à lâcher... Voilà ce que les drogues fortes ont en commun et aussi que c'est toujours le cerveau qui prend les coups, qui observe ses coulisses, ses ficelles, qui joue petit et grand jeu, et qui, ensuite, prend du recul, un singulier recul.
L'aliénation c'est l'abandon, la perte de soi Ce terme désigne le fait de se séparer de soi, de devenir étranger à soi, de s'extérioriser dans l'autre (latin alias). Il y a perte au profit de quelqu'un d'autre. L'aliénation exprime une chute dans l'altérité. Elle implique l'impossibilité de se reconnaître soi-même dans une chose ou une réalité extérieures.
Kant : “La translation de sa propriété à un autre est l’aliénation” (Métaphysique des Mœurs)
modifierLe seul caractère général de l'aliénation est la perte du sens commun et l'apparition d'une singularité logique; par exemple, un homme voit en plein jour sur sa table une lumière qui brûle, alors qu'un autre à côté de lui ne la voit pas ; ou il entend une voix qu'aucun autre ne perçoit. Pour l'exactitude de nos jugements en général et par conséquent pour l'état de santé de notre entendement, c'est une pierre de touche subjectivement nécessaire que d'appuyer notre entendement sur celui d'autrui sans nous isoler avec le nôtre ; et de ne pas faire servir nos représentations privées à un jugement en quelque sorte public. C'est pourquoi l'interdiction des livres qui ne visent que des opinions théoriques (surtout s'ils n'ont pas d'influence sur les formes légales de l'action et de la permission) fait tort à l'humanité. Car on nous enlève par là sinon le seul moyen, du moins le plus important et le plus utilisable qui puisse justifier nos propres pensées ; c'est ce que nous faisons en les exposant publiquement pour voir si elles s'accordent avec l'entendement d'autrui ; autrement, on prendrait facilement pour objectif ce qui n'est que subjectif (par exemple, une habitude ou une inclination)... Celui qui, sans avoir recours à ce critère, s'entête à faire valoir son opinion personnelle en dehors ou même en dépit du sens commun s'abandonne à un jeu de la pensée, où il voit, se conduit et juge non pas dans un monde éprouvé en commun avec les autres mais dans un monde qui lui est propre (comme dans le rêve). Emmanuel KANT.
Pour Kant l'aliénation réside dans une totale extériorité au monde et donc à soi
Hegel ou l'aliénation comme moment de la réalisation de soi
modifierHegel, Realphilosophie I, p. 237 : « Quand l’homme gagne sur la nature, quand il accroît sa domination sur elle, dans la même mesure il s’amoindrit lui-même. Quand il laisse la nature sous l’action de toutes sortes de machines, il ne supprime pas la nécessité de son propre travail, mais il ne fait que (...) l’éloigner de la nature ; il ne se tourne pas de manière vivante vers celle-ci en tant qu’elle est une nature vivante ; au contraire, le travail perd cette vitalité négative et le travail qui reste encore à l’homme devient même plus mécanique (...) ; plus le travail devient mécanique, moins il a de valeur et plus l’homme doit travailler de cette façon. »
Pour Hegel, à partir du moment où le travail me permet de transformer la nature, il donne à mon activité forme objective. Le « se-faire-objet » n’est donc pas pour Hegel un moment négatif, ce n’est pas une perte dans l’altérité, mais au contraire un moment positif d’accomplissement d’une activité qui, sinon, resterait abstraitement subjective et impuissante . Cela explique sa condamnation du mécanisme et de la division du travail qui nous éloigne de cette activité créatrice de soi. De même critique-t-il la consommation qui est annihilation de l'objet, sa disparition, ce qui en même temps me fait disparaître.
Le moi est la forme de l’inquiétude pure, mouvement ou nuit de la disparition. (...) Son inquiétude doit devenir le se-consolider, le mouvement se supprimant en tant qu’inquiétude, se supprimant en tant que mouvement pur. Ceci est le travail. L’inquiétude du moi devient objet en tant que multiplicité consolidée, en tant qu’ordre. C’est justement par le fait qu’elle devient objet que l’inquiétude devient ordre[3]
L'objet produit permet au moi de sortir de son inquiétude et d'introduire de l'ordre. Mais cet objet il va devoir s'en séparer. Chez Hegel, il faut deux pertes pour faire un gain : le sujet se perd dans l’objet (c’est le travail comme objectivation), puis le sujet perd son objet (c’est la séparation d’avec l’objet, l’extériorisation ou l’aliénation de l’objet). D’abord perdu dans l’objet, puis perdant l’objet dans lequel il s’est lui-même perdu : le sujet hégélien ne se conquiert ou ne se gagne lui-même qu’en se perdant, puis en perdant sa propre perte.
Le Soi avant l’aliénation ou sans l’aliénation est ainsi un Soi vide, un Soi « sans substance », c’est-à-dire sans contenu. Pourquoi ? Parce que, ne sachant pas ce qu’il n’est pas, il ne peut pas non plus savoir ce qu’il est, ni qui il est. Ce sont donc l’aliénation, le devenir-étranger à soi et la négation de soi qui permettent au Soi de conquérir son contenu et donc son identité propre : seul est substantiel, riche en contenu, le Soi qui s’est aliéné, qui en est passé par l’aliénation et qui l’a endurée. Et c’est pourquoi, aux yeux de Hegel, il ne peut rien y avoir de négatif, au sens non hégélien et courant du terme, dans l’aliénation, dans le devenir-autre que soi, dans le devenir-étranger à soi, puisqu’il n’y a pas d’autre manière de s’affirmer.[4]
Hegel emploie à ce propos un exemple assez clair pour expliquer cette réalisation de soi par le travail :
« Les choses naturelles ne sont qu’immédiatement et pour ainsi dire en un seul exemplaire, mais l’homme, en tant qu’esprit, se redouble, car d’abord il est au même titre que les choses naturelles sont, mais ensuite, et tout aussi bien, il est pour soi, se contemple, se représente lui-même, pense et n’est esprit que par cet être-pour-soi actif. L’homme obtient cette conscience de soi-même de deux manières différentes: premièrement de manière théorique, dans la mesure où il est nécessairement amené à se rendre intérieurement conscient à lui-même, où il lui faut contempler et se représenter ce qui s’agite dans la poitrine humaine, ce qui s’active en elle et la travaille souterrainement, se contempler et se représenter lui-même de façon générale, fixer à son usage ce que la pensée trouve comme étant l’essence, et ne connaître, tant dans ce qu’il a suscité à partir de soi-même que dans ce qu’il a reçu du dehors, que soi-même. Deuxièmement, l’homme devient pour soi par son activité pratique, dès lors qu’il est instinctivement porté à se produire lui-même au jour tout comme à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement et s’offre à lui extérieurement. Il accomplit cette fin en transformant les choses extérieures, auxquelles il appose le sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve dès lors ses propres déterminations. L’homme agit ainsi pour enlever, en tant que sujet libre, son âpre étrangeté au monde extérieur et ne jouir dans la figure des choses que d’une réalité extérieure de soi-même. La première pulsion de l’enfant porte déjà en elle cette transformation pratique des choses extérieures; le petit garçon qui jette des cailloux dans la rivière et regarde les ronds formés à la surface de l’eau admire en eux une oeuvre, qui lui donne à voir ce qui est sien. Ce besoin passe par les manifestations les plus variées et les figures les plus diverses avant d’aboutir à ce mode de production de soimême dans les choses extérieures tel qu’il se manifeste dans l’œuvre d’art’. Or l’homme ne procède pas seulement ainsi avec les objets extérieurs, mais tout autant avec lui-même, avec sa propre figure naturelle qu’il ne laisse pas subsister en l’état, mais qu’il modifie intentionnellement ». 'Friedrich Hegel, Cours d’esthétique (1818-1829), t. I, introduction,texte établi en 1842, trad J.-P. Lefebvre et V. von Schenk, Aubier, colt. «Bibliothèque philosophique», 1995, p. 45-46.
Feuerbach : l'aliénation n'est pas réalisation de soi. Elle n'en est que le premier moment.
modifier« L’objet de l’homme n’est rien d’autre que son essence objective elle-même. Telle est la pensée de l’homme, tels ses sentiments, tel son Dieu : autant de valeur possède l’homme, autant et pas plus, son Dieu. La conscience de Dieu est la conscience de soi de l’homme, la connaissance de Dieu est la connaissance de soi de l’homme. A partir de son Dieu tu connais l’homme, et inversement à partir de l’homme son Dieu : les deux ne font qu’un. Ce que Dieu est pour l’homme, c’est son esprit, son âme, et ce qui est le propre de l’esprit humain, son âme, son cœur c’est cela son Dieu : Dieu est l’intériorité manifeste, le soi exprimé de l’homme ; la religion est le solennel dévoilement des trésors cachés de l’homme, l’aveu de ses pensées les plus intimes, la confession publique de ses secrets d’amour.
Mais si la religion, consciente de Dieu, est désignée comme étant la conscience de soi de l’homme, cela ne peut signifier que l’homme religieux a directement conscience du fait que sa conscience de Dieu est la conscience de soi de son essence, puisque c’est la carence de cette conscience qui précisément fonde l’essence particulière de la religion. Pour écarter ce malentendu, il vaut mieux dire : la religion est la première conscience de soi de l’homme, mais indirecte. Partout, par suite, la religion précède la philosophie, aussi bien dans l’histoire de l’humanité que dans l’histoire de l’individu. L’homme déplace d’abord à l’extérieur de soi sa propre essence avant de la trouver en lui. La religion est l’essence infantile de l’humanité ».
Ludwig Feuerbach, L’essence du christianisme(1841), traduction Jean-Pierre Osier, Maspero 1968, pp 129-130
L’aliénation n’est plus chez Feuerbach l’oubli volontaire de soi d’un sujet dans un objet qu’il travaille à conquérir, elle est la perte involontaire, non-voulue, et donc subie, d’un sujet dans un objet qui le domine. On ne se réalise soi-même que contre l'objet. Lutter contre l'aliénation pour Feuerbach exige une démarche critique.
Pour surmonter sa perte dans son autre et s’approprier l’objet, le sujet hégélien travaille un contenu, une matière d’abord naturelle, puis historique et sociale, tandis que le sujet feuerbachien critique des représentations (religieuses, théologiques, mais aussi spéculatives et philosophiques).[5]
Il n'y a pas chez Feuerbach une critique de la religion comme opium du peuple. En se projetant en Dieu à qui il attribue sa propre infinité,l'homme objective dans ce moment d'aliénation l'essence infinie de l'espèce humaine et lui confère existence. Cette négativité de l'objectivation est aliénation, moment où l'homme prend conscience de l'infinité de l'essence humaine. Il ne s'agit plus dès lors de réduire la religion à de la superstition ou de la perte de soi, mais de reconnaître dans ce moment, le surgissement de la première figure de la conscience de soi. La religion ainsi comprise ne cesse de renvoyer l'homme à lui-même et à sa propre infinité. C'est le discours de la théologie qui va travestir cette priorité accordée à l'homme dans l'acte divin. Poser l'infinité de Dieu à l'image de l'infinité humaine, c'était faire de l'homme le but de Dieu. La théologie en dissimulant ce rapport originel au religieux fait de l'homme un être soumis et fini.
L’aliénation apparaît ici comme l’opération par laquelle un sujet transfère sa qualité de sujet à un objet, se démet de sa subjectivité propre en se transformant en objet et s’assujettit à l’objet désormais considéré comme sujet.[6]
à lire : L'essence du Christianisme de Feuerbach
Marx. Religion et aliénation. L'illusion de la philosophie du sujet
modifier« La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans c?ur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.
Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusion. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.
La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme en tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.
C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde-ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non sacrées. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique ».
Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1844), traduction A. Baraquin, dans Critique du droit politique hégélien, Éditions Sociales, 1975, p197,
Marx abandonne la question de l'essence pour celle de l'existence. Ainsi analyse-t-il les conditions d'existence des hommes, dans leur rapport à la nature. Il ressort de cette analyse une dépendance à l'égard de cette dernière. Est aliéné, selon Marx, l’être lui-même objectif qui est séparé des objets dont il dépend de façon vitale, c’est-à-dire nécessaire. L'homme n'est pas conscience de soi ni sujet du fait de cette aliénation.
- ↑ http://www.cnrtl.fr/lexicographie/ali%C3%A9nation
- ↑ http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Le-Point-du-Jour/Connaissance-par-les-gouffres
- ↑ Hegel, Realphilosophie II, p. 185
- ↑ Transformations du concept d’aliénation. Hegel, Feuerbach, Marxpar Franck Fischbach
- ↑ Transformations du concept d’aliénation. Hegel, Feuerbach, Marx par Franck Fischbach
- ↑ Transformations du concept d’aliénation. Hegel, Feuerbach, Marx par Franck Fischbach