Philosophie/Philosophie de l'esprit/Dualisme
En philosophie de l'esprit, le dualisme est l'idée que l'esprit et la matière (ou le corps) sont deux réalités complètement différentes : l'esprit n'est pas une réalité matérielle, ou n'est pas une propriété simplement physique de la matière, ou ne peut être décrit comme une réalité matérielle.
Il existe une assez grande variété de dualismes. Nous proposons de rendre compte de cette diversité en posant les deux questions suivantes :
- En quoi consiste cette différence de réalité ?
- Quelle est la relation entre ces deux réalités ?
Nous considérerons ensuite dans le détail les différentes théories possibles, puis nous exposerons les arguments en faveur du dualisme, ainsi que les objections que l'on peut lui opposer.
Les différentes théories dualistes
modifierEn quoi consiste cette différence de réalité ?
modifierOn peut distinguer différentes manières pour ces deux réalités que sont l'esprit et le corps de ne pas être d'une même sorte (ou de ne pas être réductible l'une à l'autre — point qui concerne surtout la question de la réductibilité de l'esprit au physique) en suivant grosso modo le vocabulaire métaphysique et logique d'Aristote : une réalité quelconque (un arbre, une couleur, une croyance, etc.) est ou une substance ou une propriété d'une substance, et elle est ou bien un substrat auquel on attribue quelque chose, ou bien elle est cet attribut lui-même.
Ces indications très succinctes permettent de rendre compte de l'existence de trois formes de dualisme. Ces trois formes sont, de la version la plus forte à la plus faible :
- le dualisme des substances soutient que l’esprit et la matière sont des genres de substance radicalement différents qui ont des propriétés également radicalement différentes ;
- le dualisme des propriétés soutient qu'il n'y a qu'une seule substance (physique), et que les états mentaux, comme la conscience, sont des propriétés mentales de cette substance physique qui ne sont pas réductibles à des propriétés physiques ;
- le dualisme des attributs soutient qu'il n'y a qu'une sorte de substance et de propriétés, et donc que tout état mental est un état de la matière (du cerveau), mais que les attributs dont on se sert pour décrire des états mentaux ne peuvent être décrits en termes d'attributs physiques sans perte de sens.
Les possibilités exclues de cette liste sont 1) que l'esprit et la matière sont une seule substance, ont les mêmes propriétés et sont décrits en termes d'attributs de la même manière, puisque cela revient à ne pas les distinguer ; 2) que l'esprit et la matière sont décrits en termes d'attributs de la même manière pour des substrats différents, car, dans ce cas, on ne voit pas la nécessité de les distinguer réellement, en plus du fait qu'il est contradictoire de parler de deux choses différentes dans les mêmes termes.
Quelles sont les relations de causalité entre les réalités distinguées ?
modifierLa section précédente montre de quelle manière l'esprit et la matière peuvent être des réalités différentes, voyons maintenant ce qui peut les relier, puisque c'est un fait intuitivement perçu que l'esprit agit sur le corps, et inversement. Cette relation peut apparaître de nature causale, puisque nous voyons que d'un certain état mental découle un certain effet physique, et réciproquement. Mais nous n'avons pas l'intuition de cette relation en elle-même, autrement il n'y aurait sans doute pas de difficulté à expliquer les relations de l'esprit et du corps. Il faut donc que l'esprit et la matière soient considérés ou bien comme cause ou comme effet, ou bien remplacer la relation causale par un autre type d'interaction. Ceci permet d'isoler quatre théories :
- l'interactionnisme admet que l'esprit et le corps s'affectent causalement l'un l'autre ;
- l'épiphénoménalisme soutient que l'esprit est un effet du corps, mais qu'il ne possède aucun pouvoir causal ;
- l'occasionalisme et le parallélisme nient toute relation de causalité entre l'esprit et le corps.
La quatrième théorie possible est rarement prise en compte dans ce genre de classifications, mais elle est pourtant nécessaire pour donner une liste d'hypothèses aussi complète que possible. C'est l'idée, soutenue par Plotin, que le corps (ou la matière) émane de l'esprit, ce qui fait que le physique est une propriété du mental et un effet de l'âme, ou en tout cas quelque chose qui en dérive. C'est une théorie marginale qui eut son heure de gloire dans l'idéalisme allemand.
Exposés détaillés
modifierLe dualisme des substances
modifierDans cette forme de dualisme, dont Descartes est le représentant le plus connu, l'esprit et la matière sont deux substances différentes. Ce que l'on désigne par le terme de substance, c'est la réalité permanente qui sert de substrat aux attributs changeants. La substance est ce qui existe en soi, en dessous des accidents, sans changements : de ce fait l'esprit existe de manière indépendante de la matière.
Le dualisme des substances porte à la fois sur les propriétés que possèdent chacune de ces deux réalités, mais aussi sur leur nature même, c'est-à-dire sur ce qu'elles sont. Ainsi l'esprit est-il défini par Descartes comme réalité pensée et la matière comme étendue. L'esprit n'est pas lui-même étendu et il est à proprement parler immatériel et indépendant des lois de la nature, car il n'a aucune propriété matérielle : taille, forme, lieu, solidité, mouvement, etc. La matière ne pense pas et ne possède aucune propriété mentale.
Défense du dualisme
modifierDans l'introduction, nous avons eu l'occasion de formuler des objections très fortes contre le dualisme, au point qu'il est apparu difficile de le considérer comme une théorie sérieusement défendable. À présent, pour rééquilibrer la balance, nous allons essayer de montrer que cette théorie n'est pas sans ressource et qu'il existe des réponses parfois solides à certaines de ces objections.
Arguments subjectifs en faveur du dualisme
modifier- Voir : Ce que Marie ne savait pas
Un argument en faveur du dualisme est que nous percevons intuitivement des différences entre l'esprit et la matière, et que nous ne sommes pas capables de comprendre comment les propriétés de l'esprit pourraient être expliquées en termes matériels. Ainsi les évènements mentaux ont-ils de manière évidente une qualité subjective, alors que les évènements physiques n’en ont pas. Par exemple, que ressent-on lorsqu’on se brûle le doigt ? À quoi ressemble le ciel bleu ? À quoi ressemble une musique agréable ? Les philosophes appellent qualia ces aspects subjectifs de l’esprit. Il y a quelque chose à quoi ressemble une couleur, une brûlure, et ainsi de suite ; les qualia interviennent dans ces évènements mentaux. L’argument est alors que ces qualia sont particulièrement difficiles à ramener à quoi que ce soit de physique.