Boîte à jeux/Bridge cinquante ans après

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Ambitions de l'auteur

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En raison du but avoué pédagogique de Wikilivres, et après avoir commis plusieurs opuscules techniques ainsi qu'un autre très sèchement historique sur le jeu de bridge-contrat, j'ai cette fois l'ambition de rédiger un texte qui puisse être accessible aux non-bridgeurs. En effet, ne pratiquant pas le jeu d'Échecs, ou si peu, j'en ai pourtant dévoré les rubriques dans différents journaux ou magazines grand public. Mon but serait atteint si une bonne partie de mes lecteurs se révélaient être des ludomanes généralistes capables, comme moi avec les Échecs, d'en zapper les quelques passages techniques obligés sans que la philosophie de l'ensemble leur échappe.

Paraphrase : Comme on le rencontrera souvent par la suite, je me suis inspiré des deux principaux ouvrages autour du canapé d'Albarran ; on verra plus loin celui signé par Garrozzo, toujours vivant, et qui a remporté une dizaine de championnats du monde en jouant le Canapé.

Il s'agit ici du plus ancien, Souvenirs et Secrets, édité en 1947 par Le Triboulet - Monaco et qui débutait ainsi : En 1936, j'ai commis, de complicité avec mon ami, Robert de Nexon, un premier crime envers les bridgeurs. J'ai écrit un livre de pure technique de bridge. L'année dernière, j'ai récidivé et aggravé mon cas en écrivant 200 pages rébarbatives et ennuyeuses sur les seules nominations des jeux bicolores. Cela suffit amplement pour le moment. Ainsi vais-je essayer aujourd'hui de vous faire profiter de ma longue expérience sans trop vous ennuyer .../... (page 5, S&S, op. cit.)

Introduction

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Pierre Jaïs, Roger Trezel, Bertrand Romanet, Robert Lattès, Pierre Ghestem, René Bacherich, Gérard Bourchtoff et Claude Delmouly sont les huit joueurs qui menèrent, en 1956 puis en 1960, la France vers la plus haute marche du podium. À la première page de l'Encyclopédie du Bridge Moderne (Fayard), w:Pierre Albarran les nomme dans cet ordre et avec cette orthographe (notamment Trezel et Bourchtoff), parmi une pléiade de vingt passionnés du jeu, de José Le Dentu (le collaborateur le plus intime) jusqu'à Jean-Marc Roudinesco (le prodige) ; il les appelle l'honneur d'une génération de jeunes joueurs qui me sont très proches et dont quelques-uns sont parmi mes plus chers amis.

Bientôt cinquante ans... et le recul permet d'autant mieux de prendre conscience de l'importance historique de cette génération Albarran que la mort du maître a été suivie, de 1960 à 1980, d'une longue éclipse durant laquelle la France n'a jamais pu reconquérir le titre suprême ; il a fallu, vers la fin des w:années 1970, qu'un nouveau standard émerge pour que la France retrouve un tel rang.

Dans le présent ouvrage, mi-historique, mi-théorique, l'on se servira des bases du Canapé créé par Albarran pour essayer de faire progresser la théorie des enchères jusqu'à favoriser l'éclosion d'un nouveau standard français, plus proche des idées d'Albarran que du standard actuel occupé par la Majeure Cinquième. Passer d'un paradigme à l'autre semble de toute façon inéluctable car, tout comme au moment de l'apogée des standards précédents, l'on ne peut que constater une Babélisation, une féodalisation par la multitude de variantes et de gadgets greffée au fil des ans sur cette Majeure Cinquième.

Vu la place envisagée pour la partie historique, l'on a choisi de ne pas faire un traité complet d'enchères : lorsque des situations ne sont pas répertoriées, il suffira de se référer à des cas semblables dans le système de La Longue d'Abord devenu, entre-temps, la Majeure Cinquième. C'est au fur et à mesure qu'apparaîtront les particularités distinctives de ce Canapé. Il suffit de dire dès maintenant que ce qui le distingue le plus c'est qu'à l'ouverture de un à la couleur chaque couleur est vraiment naturelle (par quatre cartes) et dans une fourchette assez étroite de 14 à 18 points.

La revue française de bridge

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Maître du bridge français jusqu'à sa mort, Pierre Albarran est présent, en 1958, pour aider à trouver un organe d'expression à la FFB (Fédération Française de Bridge) qui dépendait alors des lobbies pharmaceutiques pour la diffusion de ses communiqués.

Par ses encouragements, par quelques articles qu'il parvenait à soustraire à l'influence de la maladie (compagne de plus en plus présente) , Albarran fut l'âme de la RFB (revue française de bridge) naissante ; le concours d'enchères n'y était pas encore tenu par Le Dentu mais par les Suisses Besse-Reichenbach ; sans la RFB, que de témoignages de cette époque auraient été perdus à jamais.

C'est ainsi, parmi les huit champions du monde français cités en frontispice, qu'il demeure facile de retrouver suffisamment de photos, d'articles, ou, tout simplement, de donnes jouées... pour tous... sauf pour Lattès, le partenaire de Romanet en Bermuda Bowl .

Pourtant, tel Fischer aux échecs en 1972, Lattès est à cette époque un phénomène du bridge français : il est le seul à avoir délaissé la compétition peu de temps après avoir remporté la seule finale mondiale qu'il ait jamais disputée ; d'après l'arbitre Savary, c'est à lui que l'on doit d'avoir fait admettre de compter 20 et non 30 le quatrième Sans-Atout en tournoi par paires même si cet essai ne fut pas transformé : trop peu de pays européens en acceptèrent la logique et cette modification de la marque fut abandonnée après une vingtaine d'années d'existence. Enfin, Lattès fut le promoteur des réponses dites toulousaines à l'ouverture du deux forcing manche.

Afin que le siècle suivant se souvienne un peu mieux de Lattès, le plus méconnu de huit, voici, tiré du numéro quatre de la RFB, paru sous le titre Dialogues à la table, un extrait du style de Lattès. Tout l'article démontre une rare capacité d'analyse, un humour très fin, et, surtout, une imagination fertile car Roudinesco, des années après, témoignait, sur cette donne pittoresque, que le contrat avait été réussi et non chuté... même s'il est vrai que Jaïs, après son entame, s'était permis de manipuler le mort comme Lattès le décrit.

A R D V 8 5 2 Nord
6
D 4
10 5 4

4 Sud
A R D V 8 7 5 4
A R 2
8

Il y a au bridge plusieurs sortes de dialogues, ceux entre partenaires, violents, méprisants, ironiques, parfois plein de condescendance (pour les cloches qui viennent d'infliger un zéro à des champions), ceux entre adversaires, diplomatiques ou cassants, souvent insolents, très souvent pontifiants, parfois ironiques sur le dos des partenaires respectifs (une des rares occasions de s'entendre entre adversaires).

Partie d'argent. Ouest a violemment nommé les Trèfles et Sud joue six Cœurs ; Ouest entame le 7 de trèfle ; le mort s'étale, cartes à l'envers, le 10 de trèfle sur le dessus. Ouest redresse le mort, disant à Sud :

--- excusez-moi je n'y vois rien.

Et le 4 de trèfle est alors joué pour le 9 de trèfle d'Est, ahuri de faire la levée. Tellement ahuri qu'il retourne le 6 de trèfle, alors Sud se retournant vers Ouest :

--- Vous ne m'aurez pas avec vos psychics

et il produisit triomphalement le Valet de Cœur. Une de chute. Explication générale.

Le Passe-Sumo (Conclusion)

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L'on avait déjà fait un tableau des réponses sur toutes les ouvertures sauf celles de un à la couleur ; il est temps de le faire maintenant sachant qu'il ne restera plus ensuite qu'à en commenter les dernières particularités :

Un simple soutien sur l'ouverture indique donc très précisément 9-10 points, mais vous direz-vous cela n'exclue-t-il pas une manche face à un ouvreur 17-17 . En effet, un répondant doté de sept beaux points et, a fortiori de 8 points H (rappelons que seul l'ouvreur compte les DH dits oints Albarran

.../...

Lattès avait fait imprimer toutes les mains au début de son article mais, pour ménager le suspense, voici maintenant seulement maintenant celles des flancs.

--- Ouest
10 9 3 2
7 5
A R D V 7 3 2

10 9 7 6 3 Est 
---
V 10 9 8 6 4
9 6

Le 7 entamé par Jaïs, sous A R D V en espérant le 10 chez le partenaire, était une préférentielle pour les piques alors que l'entame du 2 de trèfle aurait pu inciter Est à rechercher plutôt la coupe carreau chez Jaïs.

Plaidoyer anti majeure cinquième

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Ce qui ressortira pour les quelques lecteurs qui auront le courage de lire jusqu'au bout cet essai, voire ce pamphlet, c'est que la méthode proposée, par définition hors norme, amènera ipso facto des résultats vraiment hors champ. Au lieu de faire à deux pour cent près 55%, on fera tantôt 65% tant tôt 45... Et alors... Si on s'amuse ainsi.

Convient-il vraiment de préférer le bridge du fonctionnaire au bridge de la jungle? C’est un choix personnel. Je joue mon système parce qu’il me rapporte énormément de bons coups.

Par exemple, si je jouais le contre punitif, faudrait-il dire, pour paraphraser Sargos, qu'il est incroyable, enfin, farfelu au point de nécessiter une justification.

Exemple (ni rare, ni tendancieux) : je détiens X Ax x b RV9 x c D10 x ' x x x. Mon partenaire ouvre d'un en mineure et l’adversaire intervient à 1 cœur. D’après quel critère le contre punitif peut-il être qualifié de « farfelu »? Y a-t-il objectivement une enchère plus descriptive, plus économique et plus naturelle?

Penses-tu que le Standard Français est inadapté à la haute compétition, voire dépassé? (suite de l'interview de Sargos)

Le système est parfaitement adapté aux mains de cinq Piques chez l’ouvreur, surtout si le répondant a un soutien de trois cartes, et il est très efficace dans ce cas. Tout le reste est à jeter. Le système d’interventions dites compétitives — et qui ne le sont pas du tout — est pitoyable ; l’ouverture en mineure poubelle, dénuée d’information utile, est une provocation aux interventions adverses les plus audacieuses, d’autant qu’elle est assortie d’une garantie d’impunité (le contre au palier de 1 étant... farfelu !) ; le SA fort est désastreusement incompatible avec la majeure cinquième ; le 2 faible n’est utile qu’à l’adversaire, à qui on explique aimablement tout ce qu’il n’aurait jamais dû savoir ; que sais-je encore....

Et les rapiéçages effectués au fil des ans sur la coque de ce rafiot en perdition sont pires encore. Des dizaines d’obligations et d’interdits, qui tiennent de la fatwa plus que de la raison pure : « pas avec un bicolore », « pas avec deux As », « pas sans deux Honneurs », « les 5–5 noirs s’ouvrent toujours de 1' », « pas avec un honneur annexe », etc. En vérité, pourquoi ne puis-je ouvrir de 3SA avec sept Trèfles maîtres et le Roi de Pique sans passer au bûcher pour hérésie?

Parce que ça risque de gêner le flanc? Je suis frappé que beaucoup de joueurs talentueux (et encore plus de joueuses) ne manifestent rigoureusement aucun esprit critique au sujet de toutes ces sottises. Cela me rappelle le temps (lointain) où j’apprenais par cœur au catéchisme les sept vertus cardinales que confère la Confirmation. C’était débile, mais il n’était pas question de le mettre en question. J’ai grandi et je m’accorde le droit de critiquer les soixante-dix-sept vertus cardinales que confère la M5MM.

Ce ne sont pas « certains systèmes » qui sont interdits, ou au moins pénalisés, ce sont tous les systèmes autres que la sacro-sainte (Super, Nouvelle...) Majeure Cinquième : des cinq systèmes officiels de la FFB il y a vingt ans, elle est le seul survivant (les autres ont été rayés des fiches standard dans la plus grande discrétion). C’est un système hautement naturel en vérité, 4e couleur forcing et le toutim à l’appui. Est également parfaitement naturel le Texas sur 1 et 2SA. Est honteusement artificiel le Texas sur une ouverture à la couleur.

Logique, n’est-ce pas ? Si l’on souhaite continuer à laisser les joueurs professionnels qui s’entraînent huit heures par jour plumer les pigeons amateurs perdus dans les méandres de ce système de fous, il ne faut surtout rien changer au règlement : c’est d’ailleurs la doctrine constante depuis longtemps. Si l’on souhaite donner enfin une maigre chance de gagner de temps en temps (ou, au moins, de s’amuser !) aux petits expérimentateurs individualistes, c’est une autre affaire. J’allais oublier les raisons si noblement philanthropiques qui motivent officiellement cette réglementation obscurantiste : il ne faut pas perturber les petits joueurs. Tartuffe, ma référence préférée en la matière, l’eût mieux dit : « Par de pareils objets les p’tits joueurs sont blessés... La justice finit toujours par se venger :

Évaluation des mains

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Les points H (honneur) étaient connus dès 1915 grâce à l'inventeur du Contre d'Appel : Bryant McCampbell et ensuite par Milton Work et w:Harold Vanderbilt, mais, bien avant que Charles Henry Goren ne les répande, Albarran fut l'inventeur des points DH, et, rien que pour ça, il mériterait de ne pas tomber dans l'oubli ; l'on appellera donc tout au long de ce livre points Albarran cette combinaison, à l'ouverture à la couleur (en réponse, seuls les points H sont additionnés) des points H : As=4, Roi=3, Dame=2, Valet=1 et des points D (distribution) : chicane=3, singleton=2, doubleton=1.

Dans cet ouvrage prospectif mais d'abord commémoratif, il serait maladroit de modifier de façon trop significative les points Albarran d'autant que les chapitres sur l'évaluation des mains, présents dans nombre de livres de bridge, sont allègrement sautés par la majorité des joueurs.

Certes, un lecteur pressé pourrait se permettre, ici aussi, de ne pas le lire jusqu'au bout sans risquer de graves incompréhensions. Il convient juste de noter qu'à l'ouverture, quelle que soit la position, il faut au moins 14 points Albarran pour ouvrir et, hors des cas classiques de barrage, les mains plus faibles seront donc toujours passées.

Cette variante des points Albarran ne prétend pas pour autant surclasser la dernière mouture du maître ; elle est simplement basée autrement pour une raison qui échappe, non seulement à beaucoup de joueurs, mais également à nombre de bâtisseurs de système : habituellement, la somme des points des deux partenaires, le seuil où il est indifférent de demander ou non la manche en majeure ou à Sans-Atout, n'est pas un nombre entier mais compris entre 25 et 26.

Delmouly avait rédigé une bonne partie de l'Encyclopédie d'Albarran ; maintenant qu'il nous a quitté quelques jours avant le début des Olympiades de Turin où il avait brillé en 1960, c'est le moment de faire le point sur la plus récente version du Canapé.

Comme ceux pratiqués avec succès par les Italiens, ce néo-canapé est un système zoné, c'est à dire où les ouvertures sont circonscrites dans des fourchettes plus étroites que les 12-23HL de la w:Majeure Cinquième. et utilisant les comptes par levées perdantes et non par point d'honneur classiques.

- quatre levées perdantes et moins correspondent au deux forcing manche classique et sont ouvertes de deux Carreaux,

- cinq levées perdantes correspondent au deux fort indéterminé du standard français actuel et sont ouverets de deux Trèfles,

- six ou sept levées perdantes, avec donc des fourchettes plus étroites (rarement plus de 17H) correspondent aux ouvertures de un classiques mais où toutes les couleurs, même les mineures, sont au moins par quatre,

- neuf levées perdantes ou pire sont des mains habituellement toujours passées sauf dans certaines situations compétitives.

- huit levées perdantes ne permettent pas d'ouvrir mais permettent de s'exprimer très fréquemment en réponse ou en intervention avec cette autre innovation qu'est le canapé en défense et son corollaire : la notion d'enchère rétro-forcing à ne pas confondre avec les situations auto-forcing.

Une enchère auto-forcing oblige à la fois l'auteur à reparler et au répondant à répondre.

Une enchère rétro forcing permet au répondant de passer mais, si l'enchère revient à son auteur après deux Passe, il y a alors obligation de reparler tant que le palier n'a pas atteint deux Piques.

Canapé en défense soixante ans après

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À vrai dire, j'avais déjà dans la tête de titrer ce chapitre quarante ans après car c'est dans le milieu des années soixante que j'avais découvert les interventions des Italiens avec quatre cartes dans le cadre de leur système plus de dix fois champion du monde.

En fait, si je savais déjà que le canapé en attaque remontait à plus de soixante-dix ans (page 48 du livre d'Ognianovich aux Éditions De Cluny), ce n'est que très récemment que j'ai été attiré par cet autre passage d'Albarran :

V

A 9 4

A D 10 9 2

D 10 9 8

où il s'agit de trouver la meilleure intervention contre Un Sans-Atout sachant, nous sommes en partie libre et qu'il n'est pas question de passer car les adversaires sont marqués à soixante.

Albarran préconise alors 2T, canapé défensif, enchère de protection permettant de se replier, tout en restant au même palier, dans une couleur plus solide, si un contre adverse montre que le partenaire n'a pas de fit dans la première couleur annoncée .../... (page 152, S&S, op. cit.)

Autant Albarran avait préféré cantonner un tel Canapé à des situations plutôt conjoncturelles, autant ma propre expérience d'une pratique généralisée' de ce canapé défensif m'incite à publier ce qui suit.

En effet, une rapide statistique, portant sur les vingt-quatre premières donnes du dernier simultané du Roi René, montre qu'il est très fréquent de rencontrer des situations comportant une majeure sans que le partenaire en soit aussitôt informé dans le système classique.