Le domaine public/L'identification du domaine public/La composition du domaine public
Deux questions :
- Quelle est la nature des biens composant le domaine public ?
- Comment délimite-t-on le domaine public ?
§1 : la nature des biens composant le domaine public
modifierNous retrouvons ici les deux grandes catégories de dépendances domaniales : le domaine public naturel et le domaine public artificiel.
A - Le domaine public naturel
modifierC’est le domaine public constitué par des biens naturels, constitués sans intervention de l’homme.
Deux manifestations essentielles : le domaine public maritime et le domaine public fluvial.
1) Le domaine public maritime
Le domaine public maritime est composé de divers éléments :
a) Traditionnellement, le domaine public maritime naturel est constitué des « rivages de la mer » affectés à l’usage direct du public.
Font partie du domaine public les rivages que la mer couvre et découvre, jusqu’à la limite atteinte par le plus grand flot de mars, en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles.
Le critère est donc le point atteint par les plus hautes mers. Il s’agit là d’une application de l’ordonnance de Colbert de 1681 que l’arrêt Kreitman du Conseil d’Etat du 12 octobre 1973 étend à toutes les mers (RDP publ. 1974, p. 1150, concl. Gentot).
1) Ordonnance de Colbert : « Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ».
Auparavant cette ordonnance ne s’appliquait qu’à l’Atlantique. En Méditerranée, on appliquait le code justinien c’est-à-dire le plus haut flot d’hiver.
Sont toutefois soustraits au domaine public, les droits que les particuliers tiennent des mesures antérieures à l’édit de Moulins (1566) ou de mesures édictées à l’époque révolutionnaire (1790) ou encore des concessions d’endigage antérieures à 1979.
b) En vertu de la loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime, le domaine public maritime a été étendu à diverses dépendances immédiates des rivages :
- Le sol et le sous-sol de la mer territoriale (largeur de 12 miles marins depuis la loi du 24 décembre 1971).
Limites : L’eau de la mer territoriale ne fait pas partie du domaine public. Simplement objet de police administrative. Même chose pour le plateau continental sur lequel l’Etat exerce cependant des droits d’exploitation et d’exploration.
- Les lais et relais (loi du28 novembre 1963)
C’est la partie du rivage qui par suite de l’alluvionnement ou des bouleversements du sol émergent au dessus des plus hautes eaux et ne sont plus par suite couvertes et découvertes par la mer.
Avant 1963, les lais et relais entraient dans le domaine privé de l’Etat dès qu’ils étaient constitués.
Ceux constitués après la loi de 1963 font partie de plein droit du domaine public.
Comme on l’a dit, les lais et relais existants ne peuvent être intégrés au domaine public qu’en vertu d’une décision spéciale. Cette disposition peut servir à intégrer au domaine public ce que l’on appelle les plages privées.
- Incorporation au domaine public des terrains artificiellement soustraits à l’action des flots en exécution de concessions d’endigage, sauf dispositions contraires de l’acte de concession.
Ajouter les rades, les havres, les étangs salés en communication avec la mer.
2) Le domaine fluvial et lacustre
a) Le domaine public fluvial
En ce qui le concerne, une évolution s’est produite :
À l’origine, seuls faisaient partie du domaine public les cours d’eau navigables et flottables.
Cette restriction a été supprimée par plusieurs mesures législatives dont la loi du 16 décembre 1964. Désormais font partie du domaine public les cours d’eau navigables et flottables qui figurent dans la nomenclature (1) officielle mais aussi les cours d’eau qui, rayés de la nomenclature, ont été néanmoins maintenus dans le domaine public (décrets 1926 et 1955).
Relèvent aussi du domaine public les cours d’eau classés par décret en Conseil d’Etat dans le domaine public en vue d’assurer les besoins en eau des voies navigables, de l’agriculture, de l’individu, ainsi que des populations.
1) La nomenclature a été établie par une loi de finances de 1910 prévoyant que désormais devraient être considérés comme navigables et flottables les cours d’eau ou lacs figurant sur la nomenclature. Le juge ne pouvait plus apprécier leur caractère.
b) Le domaine public lacustre
Il obéit très exactement aux mêmes règles que le domaine public fluvial :
- Lacs de la nomenclature ; - Lacs classés ; - lacs rayés de la nomenclature mais maintenus par décision expresse dans le domaine public. Ceci est valable aussi pour le domaine public fluvial.
3) Le domaine aérien
Il s’agit de celui qui surplombe le territoire national.
Le problème de son appartenance au domaine public a été discuté.
Le Conseil d’Etat avait semblé l’admettre dans l’arrêt « Société Radio Atlantique » du 6 février 1948 (RD publ. 1948, p. 244, concl. Chenot).
Et une partie de la doctrine se prononçait dans ce sens (A. de Laubadère, Réflexions sur la propriété du dessus, Mélanges Marty, 1979, p. 762).
Mais une autre partie de la doctrine considérait cet espace comme res nullius.
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication modifiée par celle du 17 janvier 1989 a partiellement résolu le problème en disposant que : « l’utilisation d’autorisation de fréquences radio-électriques disponibles sur le territoire de la république constitue un mode d’occupation privatif du domaine public de l’État ».
La solution ne concerne cependant que l’espace hertzien, c’est-à-dire les longueurs d’ondes radio-électriques que l’État français s’est vu attribuer par des accords internationaux (1).
1) Sur la question : voir : R. Drago, Nature juridique de l’espace hertzien, Mélanges De Juglart, LGDJ 1986 ; Lavialle, La condition juridique de l’espace aérien, RFD adm. 1986, p. 848 ; sur la loi de 1989 : Delcros et Truchet, controverse, RFD adm. 1989, p. 251
Le Conseil Constitutionnel a confirmé que l’utilisation de l’espace hertzien constitue un mode d’occupation du domaine public et peut donner lieu à perception d’une redevance (CC, 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001, Droit adm. 2001, n° 41 : à propos de la redevance due par les titulaires d’une autorisation d’établissement et d’exploitation de réseau mobile de troisième génération).
À propos des couloirs aériens, le Conseil d’État refuse d’y voir des ouvrages publics en raison de leur caractère immatériel (CE, 2 décembre 1987, Air Inter, RD publ. 1988, p. 278, concl. Massot et p. 551, note F. Llorens : mais cet élément s’oppose-t-il vraiment à leur appartenance au domaine public ?).
B – Le domaine public artificiel
modifierIl s’agit simplement de donner quelques exemples choisis dans le domaine public affecté à l’usage du public et dans celui affecté au service public.
a) Les biens du domaine public affecté à l’usage du public
- Les voies de circulation : routes, autoroutes, chemins, canaux, ports fluviaux et maritimes avec leurs accessoires (jetées, quais, phares, balises), aérodromes ; - Également : cimetières, promenades publiques, plages, églises, halles, marchés et d’autres encore : lavoirs publics, parkings aménagés, salle des fêtes (CE, 25 novembre 1981, Commune de la Roche sur Foron, précit.).
b) Les biens du domaine affectés à un service public
Les plus importants sont :
- Le domaine public ferroviaire : voies ferrées, ponts, passages, gares et bâtiments situés dans leurs enceintes ou leurs dépendances ;
- Le domaine public militaire : fortifications, chemins, routes. En revanche, il semble que les casernes, camps militaires, champs de tir fassent partie du domaine privé en vertu d’un décret de 1953. Mais la solution apparaît discutable ;
- Les très nombreux biens affectés aux services publics culturels et artistiques ;
- Hôpitaux, abattoirs, palais de justice, hôtels de ville, dépôts d’autobus ;
- Stades : appartenance au domaine public quand ils sont affectés à un service public à la fois sportif et d’éducation (CE, 1961, Ville de Toulouse).
Mais le Conseil d’État a refusé de se prononcer sur la nature d’un stade affecté uniquement à l’organisation de spectacles sportifs, malgré les conclusions de son commissaire du gouvernement qui proposait d’y voir une dépendance du domaine public (CE, 26 février 1965, Société du Vélodrome du Parc des Princes, RD publ. 1965, p. 506, concl. Bertrand).
§2 : La délimitation des biens composant le domaine public
modifierNous savons quand et comment un bien entre dans le domaine public, quels sont les biens qui composent le domaine public ; il faut voir à présent comment se fixent leurs limites.
En droit privé, le système de délimitation applicable est celui de l’accord amiable dit aussi bornage, et à défaut une décision du tribunal d’instance.
Le domaine public est délimité selon des règles très particulières. Ici encore, il faut distinguer entre le domaine public naturel et le domaine public artificiel.
A - La délimitation du domaine public naturel
modifierElle résulte des phénomènes naturels, ceux-là même que nous avons étudiés et qui déterminent l’incorporation des biens au domaine public (pour la mer, c’est le plus grand flot de mars en-dehors de toute perturbation exceptionnelle ; pour les fleuves et lacs domaniaux, la domanialité publique s’étend aux lits et aux berges recouvertes par les eaux coulant à pleins bords avant de déborder, c’est-à-dire la règle du plenissium flumen).
Parallèlement à ces phénomènes naturels, pour certains biens, des décisions juridiques formelles doivent intervenir.
Ces décisions sont importantes en ce qu’elles permettent d’éviter des litiges. Elles sont unilatérales. Mais à la demande des propriétaires riverains, l’administration est tenue de délimiter son domaine.
Elles n’ont cependant qu’un caractère déclaratif. Elles se bornent à constater les limites tracées par les phénomènes naturels.
Il en résulte deux conséquences :
- Si la décision de délimitation ne respecte pas ces limites naturelles, elle sera annulée pour inexactitude matérielle ;
- Si à la suite d’un acte de délimitation, les limites naturelles du domaine public viennent à se modifier, l’acte de délimitation perd toute valeur.
C’est donc la délimitation naturelle qui l’emporte.
B - La délimitation du domaine public artificiel
modifierSon régime est très divers.
Pour certains biens, il n’y a pas de règles de délimitation spécifiques. Elles seraient d’ailleurs inutiles la plupart du temps (ex. délimitation d’un tableau du musée).
Pour d’autres biens, tel le domaine public ferroviaire ou militaire, la délimitation est régie par des règles particulières.
En fait, l’aspect le plus important et le plus remarquable de la délimitation du domaine public artificiel concerne la voirie terrestre.
Cette délimitation obéit au régime dit de l’alignement. C’est un régime fort ancien qui remonte à un édit de 1607 et qui permet à l’administration de délimiter les voies publiques, en empiétant sur les propriétés privées riveraines et en s’en appropriant certaines parties.
Cet alignement est le résultat de deux mesures successives :
- L’élaboration d’un plan d’alignement ; - L’édiction de mesures individuelles d’alignement.
Le plan d’alignement
C’est la délimitation générale d’une voie ou d’un ensemble de voies.
Le plan d’alignement est établi selon des procédures qui varient suivant la nature des voies. Par exemple, pour ce qui est des voies communales : adoption par le conseil municipal après enquête publique. En toute hypothèse, il ne devient opposable qu’à partir de sa publication.
Effets du plan d’alignement
Lors du plan d’alignement, l’administration peut décider d’incorporer à la voie publique des propriétés riveraines.
Les conséquences sont en les suivantes :
- S’il s’agit d’un terrain nu non clos, il est incorporé immédiatement à la voie publique ; - S’il s’agit de terrains bâtis, leur incorporation n’est pas immédiate. Elle n’interviendra que lorsque les immeubles seront démolis pour une cause quelconque.
Donc le particulier-propriétaire conserve la propriété de son bien. Mais celui-ci se trouve frappé d’une servitude de reculement, c’est-à-dire sur la partie du bien qui est comprise dans l’alignement, le propriétaire ne peut effectuer ni travaux de construction, ni travaux confortatifs, sous peine de sanction pénale. Les travaux confortatifs sont ceux qui prolongent la durée de vie de l’immeuble : crépissage des murs, mais non badigeonnage ou élargissement d’ouvertures.
En résumé, le propriétaire est seulement autorisé à entretenir l’immeuble, de sorte que quand l’immeuble donnera signe de ruine, l’administration pourra ordonner la démolition.
Limites et contreparties
L’alignement constitue une prérogative exorbitante, d’où la nécessité de ses limites et contreparties.
- Les contreparties
- D’ordre financier : qu’il s’agisse de terrains nus ou de bâtiments, le propriétaire a un droit à une indemnité évaluée comme en matière d’expropriation. Mais dans le second cas, la situation est choquante car l’immeuble risque d’être une ruine quand il sera évalué.
- D’ordre matériel : il arrive que l’alignement fasse sortir de la voie publique certaines portions de terrains qui en faisaient antérieurement partie. N’appartenant plus au domaine public, leur aliénation est donc possible. Dans ce cas, les propriétaires ont un droit de préemption. Si l’administration refuse d’aliéner le bien, l’intéressé peut réclamer un alignement individuel qui réalisera la cession.
- Les limites
La procédure d’alignement est inapplicable dans deux cas :
- Ouverture d’une voie nouvelle et redressement ou élargissement très important d’une voie ;
- Atteinte excessive à l’immeuble existant, soit en largeur, soit en profondeur. Exemple : un immeuble qui deviendrait insalubre ou dont la partie restant ne pourrait être utilisée (CE, 1958 PASQUEREL : largeur d’une voie portée de 10 à 14 m).
On s’efforce ainsi de concilier la gestion du domaine public avec le respect de la propriété privée et d’éviter que l’administration ne se serve de cette procédure pour éviter le recours à l’expropriation.
- Toutefois, ces limites cèdent quand l’alignement est prévu dans le cadre d’un plan d’urbanisme. Dans ce cas, les contraintes pesant sur la propriété privée sont plus strictes que celles de l’alignement.
Notamment l’alignement joue sans limite, quelle que soit l’importance de l’atteinte à l’immeuble qui en fait l’objet, sauf pour le propriétaire à réclamer une expropriation si la superficie restante est insuffisante pour bâtir un immeuble salubre.
L’alignement concerne même la création de voie nouvelle et les propriétaires ont le droit d’exiger de l’administration qu’elle procède à l’acquisition des immeubles dans les trois ans.
b) Les décisions individuelles d’alignement
Ce sont généralement des actes d’application du plan d’alignement mais pas forcément.
Le propriétaire a toujours la faculté de demander l’alignement individuel.
Parfois, il y est obligé : c’est notamment le cas lorsqu’il envisage de réaliser des travaux confortatifs de construction.
Dans ce cas, la demande d’alignement individuel est obligatoire, même si l’immeuble se trouve en retrait par rapport à la voie.
L’administration est obligée de délivrer l’alignement individuel. À défaut, elle engage sa responsabilité.
Cet alignement a un caractère déclaratif.
Il se borne :
- Soit à appliquer le plan général,
- soit à constater les limites de fait de la voie, quand il n’y a pas de plan.
Conséquence : il ne crée par de droit. Cela signifie que, s’il est inexact, il peut être retiré ou modifié à tout moment.
Il ne remet pas en cause le droit de propriété des personnes privées.