Le domaine public/L'identification du domaine public/L'appartenance au domaine public

À cet égard deux grandes doctrines ont successivement prévalu. Les deux sont à l’origine des critères actuels.

Le domaine public
L'appartenance au domaine public
L'appartenance au domaine public
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  • C’est dans la doctrine principalement qu’il faut rechercher les critères de la distinction du domaine public et du domaine privé car il n’existe ni énumération, ni définition législative des deux domaines.

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la doctrine (Berthélemy) réservait le régime de la domanialité publique aux biens affectés à l’usage de tous et non susceptibles de propriété privée par leur nature.

Mais il a été objecté à cette conception qu’il n’existe pas de bien qui ne puisse faire l’objet d’une appropriation par l’homme ; que par conséquent, la domanialité publique ne peut résulter de la nature des choses mais seulement de leur affectation à l’usage de tous.

Puis progressivement, ce critère d’affectation a été précisé par celui d’affectation aux services publics.

Cette évolution a conduit les auteurs du projet de réforme du code civil en 1947 à retenir une définition du domaine public qui inspire largement la jurisprudence : elle rattache au domaine public l’ensemble des biens des collectivités publiques qui sont, soit mis à la disposition directe du public usager, soit affectés à un service public, pourvu que, dans ce cas, ils soient, par nature ou par des aménagements particuliers, adaptés exclusivement ou essentiellement au but particulier de ces services.

Cette définition retient donc concurremment les critères d’affectation à l’usage du public et aux services publics.

En droit positif, pour qu’un bien fasse partie du domaine public, il faut qu’il remplisse des conditions de fond, c’est-à-dire qu’il réponde à certains critères.

Ces conditions sont les plus importantes et, elles sont généralement suffisantes pour entraîner l’application du régime de la domanialité publique (§1er).

Il arrive par ailleurs que des exigences formelles (décision de classement) viennent s’ajouter, ce qui justifie leur étude. C’est la question de l’incorporation au domaine public (§3).

Mais avant de les étudier, il faudra rendre compte de solutions particulières qui déterminent un élargissement de l’application de la domanialité publique (§2).

§ 1er : Les critères du domaine public

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Ces critères constituent la condition de base, celle sans laquelle un bien ne peut appartenir au domaine public et fait nécessairement partie du domaine privé.

Précision : Mais avant de les analyser, il faut apporter une précision.

L’identification du domaine public ne pose aucun problème lorsque le législateur s’est prononcé explicitement sur la nature de certains biens. Dans ce cas, la qualification légale s’impose sans qu’il soit nécessaire de chercher au-delà. De telles qualifications existent :

Certains biens sont ainsi qualifiés par le législateur de dépendance du domaine public. Il s’agit du sol et du sous-sol de la mer territoriale (loi du 28 novembre 1963) ; des rivages de la mer (ordonnance de 1681 ;CE, Ass., 12 octobre 1973, Kreitmann, RD publ. 1974, p. 1150, concl. Gentot) ; les cours d’eau navigables et flottables ; les autoroutes (loi du 18 avril 1955) ; les voies communales (ordonnance de 1959).

À l’inverse, certains biens sont rangés dans le domaine privé des collectivités publiques : ainsi en va-t-il des chemins ruraux (ordonnance de 1959).

- Mais ces qualifications sont d’un intérêt assez limité :

• D’abord, parce qu’elles sont parfois inutiles. Ainsi pour les autoroutes, leur qualification légale était inutile pour les inclure dans le domaine public ;

• Ensuite, et surtout, parce qu’elles ne concernent qu’un petit nombre de biens. La plupart ne font l’objet d’aucune qualification.

Pour savoir s’ils font ou non partie du domaine public, il faut donc se reporter aux critères dégagés par la jurisprudence judiciaire à l’origine et administrative aujourd’hui.

Présentation des critères jurisprudentiels : ils sont au nombre de trois :

• Propriété d’une personne publique ; • Affectation du bien ; • Aménagement spécial.

Mais auparavant, il faut dire quelques mots des éléments inopérants dans l’identification des biens du domaine public :

Il s’agit ici d’indiquer les éléments qui n’exercent aucune influence sur la domanialité publique d’un bien afin d’éviter certaines confusions. Ces éléments inopérants sont au nombre de trois.


1) L’origine du bien

Un bien du domaine public peut avoir indifféremment une origine publique ou privée. Cette considération importe peu. Elle est sans influence.

De même est sans influence, le fait que le bien résulte de l’exécution d’un travail public et constitue un ouvrage public. Il y a, en effet, autonomie des notions de travaux ou d’ouvrages publics et de celle de domaine public:!

  • Ainsi, certains ouvrages publics appartiennent à des particuliers et ne font pas partie du domaine public (branchements d’eau, de gaz …) ;


  • Les immeubles du domaine privé peuvent être des ouvrages publics dès lors qu’ils sont affectés à l’utilité publique et aménagés.

En particulier les chemins ruraux sont classés dans le domaine privé communal, mais sont néanmoins des ouvrages publics pour les raisons précitées et les travaux dont ils font l’objet sont des travaux publics (1) ;

(note 1) : V. aussi : CE, 28 septembre 1988, ONF c/ Melle Dupouy, AJDA 1989, p. 47, note J.-B. Auby : une route forestière située dans une forêt domaniale faisant partie du domaine privé de l’État, constitue néanmoins un ouvrage public parce qu’elle était affectée à la circulation générale dans la mesure où elle permettait durant l’été l’accès aux touristes à une plage landaise et qu’elle était aménagée à cet effet.

Encore faut-il que cette condition d’affectation à la circulation générale soit remplie : v. TC, 5 juillet 1999, Mme Marcelle Menu, Rec., p. ; RD imm. 2000, p. 31, note Ch. Lavialle : le TC juge qu’une route forestière ne constitue pas un ouvrage public mais un ouvrage privé, alors même qu’elle n’avait pas une utilisation exclusivement domaniale mais était empruntée régulièrement par la population locale pour aller en forêt, voire pour relier divers villages. Mais TC décide ainsi parce que cette route était « ouverte à la circulation du public » et non « affecté à la circulation publique ». Ch. Lavialle préfère la distinction « ouverture au public » et « affectation au public » esquissée par l’arrêt Dupouy (avec aménagement spécial dans ce dernier cas

  • Les travaux sur le domaine privé peuvent avoir le caractère de travaux publics (1)

(note 1) : TC, 8 février 1965, Martin, Rec. p. 811 ; Cass. 1ère civ., 16 juillet 1998, Commune de Clermont-L’Hérault, RD imm. 1998, p. 78, obs. Ch. Lavialle : infirme un arrêt de CA Montpellier qui s’était estimée compétente pour ordonner des travaux de remise en état d’une chapelle à une commune propriétaire dans la mesure où elle les avait considérés comme des actes de gestion du domaine privé qui sont effectivement, en principe, considérés comme strictement patrimoniaux et donc comme des actes de gestion relevant de la compétence des juridictions judiciaires (TC, 25 juin 1973, ONF c/ Beraud, AJDA 1974, p. 30, note F.M). Mais, en l’espèce, les travaux concernés répondaient aux critères posés par la jurisprudence pour identifier un travail public : travaux immobiliers exécutés pour le compte de la commune propriétaire de la chapelle pour des raisons d’intérêt général.

  • Certains biens du domaine public ne sont pas des travaux publics car ils ont un caractère mobilier.

2) La nature du bien

C’est une question plus délicate. On s’est demandé en effet, si des biens meubles pouvaient faire partie du domaine public. Certains auteurs ont répondu par la négative. Mais la jurisprudence judiciaire a toujours admis que des meubles puissent être considérés comme des dépendances du domaine public : ouvrages de la bibliothèque royale ; tableaux de musées.

Le Conseil d’État ne s’est jamais prononcé de manière expresse sur la question. On peut se demander cependant s’il n’existe pas en cette matière l’amorce d’une évolution :

  • TA PARIS, 3 mars 1981, SNCF c/ RATP : en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires, le matériel roulant des chemins de fer ne peut être regardé comme une dépendance du domaine public, bien qu’il soit affecté à un service public et destiné faire retour à la collectivité publique concédante.
  • De même, dans la loi du 30 décembre 1982 sur les transports intérieurs (LOTI), seuls les biens mobiliers sont transférés au nouvel établissement public issu de la SNCF. Les biens immobiliers c’est-à-dire ceux qui sont liés directement à l’État ne sont pas transférés.

NB : l’argument ne semble cependant pas décisif. Car il paraît normal de n’inclure dans le domaine public que les biens présentant une certaine spécificité.

En réalité, il ne fait guère de doute qu’il existe un domaine public mobilier. Mais reste la question de savoir si le domaine mobilier doit être compris comme incluant tous les biens meubles qui satisfont par eux-mêmes aux critères généraux de la domanialité publique (propriété d’une personne publique et affectation à une utilité publique) ou si, au contraire, il est limitatif ou énumératif.

Il semble que la seconde solution corresponde mieux au droit positif. Cela recouvre les objets d’art et collections déposés dans les musées ou les églises et les ouvrages des bibliothèques et archives publiques.

3) Le classement du bien

L’existence d’une décision formelle d’affectation d’un bien au domaine public est, en principe, sans influence sur son appartenance audit domaine.

Cette précision est importante dans la mesure où nous avons dit que l’appartenance au domaine public résultait aussi bien de conditions de fond que de conditions de forme.

Il faut donc préciser qu’un bien qui serait classé par l’administration dans le domaine public mais qui ne répondrait pas aux critères jurisprudentiels ne pourrait en aucun cas être considéré comme une dépendance du domaine public. La décision de classement serait d’ailleurs jugée illégale.

À l’inverse, un bien classé dans le domaine privé alors qu’il remplit les critères de la domanialité publique est néanmoins soumis au régime de la domanialité publique (CE, Sect. 22 avril 1977, Michaud, Rec. 185 ; AJDA 1977, p. 441, concl. Franc : Halle Centrale Lyonnaise affectée à un service public avec des aménagements spéciaux).

Il reste que pour certains biens (mais pour ceux là seulement), la réalisation de l’ensemble de ces deux conditions est nécessaire pour déterminer leur appartenance au domaine public. Il reste à examiner les critères déterminants l’appartenance au domaine public, à savoir, la propriété ; l’affectation ; et l’aménagement spécial.

A - La propriété d’une personne publique

Pour qu’un bien fasse partie du domaine public, il faut qu’il appartienne à une personne publique.

Ainsi, une personne privée ne peut posséder un domaine public :

  • Il en est ainsi des biens du domaine des entreprises publiques sauf s’ils doivent faire retour à une collectivité publique. Ainsi lorsque France Télécom, établissement public, a été transformée en en une société nationale, personne privée, par la loi du 26 juillet 1996, les biens du domaine public ont été déclassés et transférés, en tant que biens privés, dans le patrimoine de la nouvelle société.
  • Un pont propriété privée qui permet d’enjamber une rivière qui fait partie du domaine public ne constitue pas une dépendance domaniale : CE, 27 mai 1964, Chervet, Rec. CE, p. 300) ;
  • Un autre cas est classique : celui de voies privées ouvertes à la circulation générale.

Cette condition ne fait aucun problème pour les collectivités publiques : Etat, communes, départements et régions. Leurs biens peuvent relever du domaine public.

Elle soulève cependant difficulté dans deux cas : en ce qui concerne les établissements publics, d’abord, à propos des immeubles détenus en copropriété avec des personnes privées, ensuite.

1) La question de la domanialité publique des biens appartenant aux établissements publics.

  • Principe. Pendant longtemps, la doctrine majoritaire a dénié aux établissements publics le droit de posséder un domaine public.

Ses arguments étaient qu’il faut un pouvoir de police pour protéger le domaine public ou encore que les établissements publics sont soumis au principe de spécialité. Ces deux arguments étaient peu convaincants.

Aujourd’hui la tendance est à l’admission d’un domaine public des établissements publics.

- On peut retracer l’évolution du droit positif de la manière suivante.

Dans un arrêt du 12 mars 1965, la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage, le Conseil d’État refuse de reconnaître la domanialité publique d’une canalisation aux motifs que celle-ci n’avait jamais appartenu en partie ou en totalité à une collectivité publique. Autrement dit, seuls les biens des établissements publics ayant précédemment appartenu à l’État ou à une collectivité territoriale peuvent faire partie du domaine public.

Dans un avis du 28 avril 1977, la section de l’intérieur du Conseil d’État admet la domanialité publique des biens des établissements publics hospitaliers dès lors qu’ils répondent aux critères jurisprudentiels. Même solution à propos des aérodromes (avis du 31 janvier1978).

Pourtant, moins d’un an plus tard, dans un arrêt d’Assemblée, Lecoq du 3 mars 1978 (AJDA 1978, p. 581), le Conseil d’État dans ses formations contentieuses refuser de suivre son commissaire du gouvernement Daniel Labetoulle qui lui proposait de consacrer le principe d’un domaine public des établissements publics.

Plusieurs arrêts ont reconnu l’existence d’un domaine public des établissements publics à caractère territorial :

  • CE, 21 mars 1984, Mansuy, Rec. p. 616-645 ; RD publ. 1984, p. 1065, note Y. Gaudemet ; D 1984, p. 510, note F. Moderne ; CJEG 1984, p. 274 et 258, note Ph. Dondoux et note P. Sablière : à propos de la dalle centrale d’un immeuble du quartier de La Défense.
  • En fait la reconnaissance de l'existence d'un domaine public appartenant en propre à des établissements publics émane des juridictions administratives du premier degré, et ce, près de quarante ans avant le conseil d’État : Voir T.A.de Marseille, 19 novembre 1954, Administration de l’Assistance Publique à Marseille, D., 1955, j, 624, conclusions André Heurté; TA Paris, 18 septembre 1979, EPAD, AJDA 1979, 12, p. 36, note Y. Gaudemet ; CE, 6 février 1981, EPP, Rev. Adm. 1982, p. 36, note F. Moderne : à propos d’un collège d’enseignement secondaire appartenant à un syndicat de communes ;

Aujourd’hui, il paraît donc acquis que tous les établissements publics, y compris ceux qui n’ont pas un caractère territorial peuvent être propriétaires d’un domaine public :

  • À propos du Museum national d’histoire naturelle, CE, 23 juin 1986, Thomas, Rec. CE, p. 167 ; AJDA 1986, p. 599 : RFD adm. 1987, p. 194, concl. Stirn : sur la question de savoir si la convention en cause portait sur l’occupation du domaine public.
  • À propos d’EDF, CE, Ass. 23 octobre 1998, EDF, Rec. CE, p. 365 ; Droit adm. mai 1999, chron. J. Dufau, p. 4 ; AJDA 1998, p. 1017, concl. Arrighi de Casanova, note Delpirou ; RD imm. 1999, p. 75, obs. Ch. Lavialle : le principe est que les biens appartenant à un établissement public, qu’il soit administratif ou industriel et commercial, font partie de son domaine public lorsqu’ils sont affectés au service public dont cet établissement public a la charge et spécialement aménagé.
  • Exception. Il n’en va autrement que lorsque les dispositions législatives applicables à l’établissement public et à ses biens ne sont pas compatibles avec la domanialité publique ; Cas d’EDF dans la mesure où l’article 24 de la loi de nationalisation du 8 avril 1946 l’autorise à acquérir, louer, gérer et aliéner des biens de toute nature dans les conditions applicables aux personnes privées (CE, Ass. 23 octobre 1998, EDF, précit.).

Cela étant le juge peut se contenter de dispositions plus ou moins explicites de la loi lorsque notamment viennent interférer des considérations pratiques évidentes. Ainsi les immeubles des OPHLM qui sont des établissements publics ne font pas partie de leur domaine public (CE, 23 février 1979, Vildart, Droit adm. 1979, n° 121 et 125 ; RD publ. 1979, p. 1763 ; v. aussi, CAA Paris, 3 mars 1992, CROUS de Créteil, Droit adm. 1992, n° 238).

  • La question de la domanialité publique des biens des personnes publiques spéciales, comme par exemple, les groupements d’intérêt public, n’est pas tranchée à ce jour.

2) La condition de propriété publique a soulevé un nouveau problème à propos des immeubles détenus en copropriété avec des personnes privées.

Dans une décision du 11 février 1994; Compagnie d’assurances La Préservatrice Foncière (1), le CE a considéré qu’un niveau d’immeubles (en l’espèce, un local d’archives fiscales) appartenant à l’État en copropriété ne faisait pas partie du domaine public à raison des limites que la copropriété inflige à l’exercice du droit de propriété et du fait que les parties privatives sont indissociables des parties communes, lesquelles sont la propriété indivise des copropriétaires (possibilité pour une majorité de copropriétaires d’imposer des travaux même sur des parties privatives) (Confirmation de CAA Paris, 20 juin 1989, Société La Préservatrice Foncière, RD publ. 1990, p. 545, note F. Llorens ; CJEG 1989, p. 362, note Sablière).

(note 1) : Rec. CE, p. 65 ; CJEG 1994, p. 197, chron. P. Sablière et concl. M. Toutée ; AJDA 1994, p. 548, note Dufau ; D 1994, p. 493, note J.-F. Davignon ; JCP 1994, II, 22338, note M.-Ch. Rouault : « Les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu’elles sont fixées par la loi du 10 juillet 1965, et notamment la propriété indivise des parties communes – au nombre desquelles figurent, en particulier, outre le gros œuvre de l’immeuble, les voies d’accès, passages et corridors – la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, l’interdiction faite aux copropriétaires de s’opposer à l’exécution, même à l’intérieur de leurs parties privatives, de certains travaux décidés par l’assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l’encontre d’un copropriétaire par une hypothèque légale sur son lot, sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu’avec les caractères des ouvrages publics. Par suite, des locaux, acquis par l’Etat, fût-ce pour les besoins d’un service public, dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n’appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public ».

Il faut en déduire que la domanialité publique exige une pleine et entière propriété de la personne publique sur le bien en cause.

Ainsi un droit démembré du droit de propriété ne suffirait pas : cas du bail emphytéotique qui confère un droit réel qui ne peut être assimilé au droit de propriété (v. Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, Droit administratif des biens, LGDJ 2002, n° 67, p. 49).

3) Le contentieux de la propriété du bien

L’appartenance d’un bien au domaine public est une question qui relève de la compétence administrative. Mais la solution passe par l’appartenance du bien à une personne publique. Or il arrive que cette question fasse difficulté. Si la difficulté est sérieuse, le juge administratif devra poser une question préjudicielle au juge judiciaire et surseoir à statuer.

On assiste souvent à un jeu de renvoi entre tribunaux judiciaires et juridictions administratives : CE, 29 juin 1990, Consorts Marquassuzaa, Petites Affiches, 9 novembre 1990, p. 21, note B. Pacteau : en 1977 : une murette servant d’assise à une rue menaçait de désordres, d’où une action devant le TGI aux fins d’imposer au propriétaire privé la réalisation de travaux. Mais au cours de la procédure, la commune se dit qu’après tout la murette lui appartient peut-être, d’où une question préjudicielle que pose le juge judiciaire au tribunal administratif (1983 : le TA répond en 1986 que la murette fait bien partie du domaine public en tant qu’accessoire. Appel devant le Conseil d’État qui juge de même à condition qu’elle soit propriété de la commune. S’agissant d’une difficulté sérieuse, il y a lieu de renvoyer au juge judiciaire.

B - L’affectation du bien

C’est la deuxième condition de la soumission au régime de la domanialité publique : le bien doit être affecté à l’intérêt général, à l’utilité publique.

Mais que faut-il entendre par là ? Dans un premier temps, seuls les biens affectés à l’usage du public étaient considérés comme dépendance du domaine public. En revanche, les biens affectés au service public ne l’étaient pas.

L’évolution s’est produite au milieu des années 50 à la faveur de la politique de revalorisation du service public : CE, 19 octobre 1956, Société Le Béton (GAJA) (v. infra).

Depuis lors, deux types d’affectations : usage du public et affectation au service public, ce dernier type d’affectation étant d’ailleurs devenu le critère principal. L’affectation à l’usage du public

C’est le critère le plus ancien. Il est clairement affirmé par l’arrêt CE, 28 juin 1935, Marecar, Rec. CE, p. 734 : empiètement du requérant sur le cimetière d’une commune. Celui-ci est affecté à l’usage du public, dès lors il fait donc être compris dans le domaine public.

Cette affectation peut être très diverse :

Il peut s’agir d’une affectation gratuite et libre mettant le bien à la disposition de tout le monde (ex. voie publique, fleuve…).

Mais il y a aussi des biens qui sont affectés à l’usage d’une partie du public, c’est-à-dire qui font l’objet d’une utilisation privative (ex. les cimetières ou les emplacements sur les voies publiques occupées par les titulaires de permission de voirie).

Enfin certains biens affectés à l’usage du public ne le sont que moyennant le versement d’une redevance (ex. : les autoroutes à péage).

Il ne faut donc pas assimiler « usage du public » à « usage collectif ». Le critère est en réalité l’usage direct des particuliers. 2) L’affectation à un service public

Un bien fait partie du domaine public s’il est affecté à un service public. Cette solution, nous l’avons vu, découle de l’arrêt Société LE BETON

L’Office national de la navigation, concessionnaire du port fluvial de Bonneuil-sur-Marne, avait été chargé de l’aménagement d’un port industriel avec la possibilité, dans ce but, de louer à des particuliers des terrains dépendant du port. Tel fut l’objet d’un bail consenti à la société Le Béton qui aménagea une cimenterie sur le terrain loué. Un litige s’étant élevé entre les parties, la détermination de l’ordre de juridiction compétent dépendait de la question de savoir si le terrain faisait partie ou non du domaine public :

« Considérant qu’il résulte des dispositions du décret du 4 février 1932 (décret qui concédait à l’Office national de la navigation, préposé, en sa qualité d’établissement public la gestion du service public du port de Bonneuil-sur-Marne) et du cahier des charges y annexé, notamment de celles précitées, que sous le régime de ce décret, la partie des terrains que groupe le port industriel constitue l’un des éléments de l’organisation d’ensemble qui forme le port de Bonneuil-sur-Marne ; qu’elle est, dès lors, au même titre que les autres parties de ce port, affectée à l’objet d’utilité générale qui a déterminé la concession à l’Office national de la navigation de la totalité de ces terrains et en raison duquel ceux-ci se sont trouvés incorporés, du fait de cette concession, dans le domaine public de l’État ; que la circonstance qu’à la différence des autres terrains aménagés en vue d’une utilisation commune par les usagers de ce port, les terrains dont s’agit font l’objet de contrats d’utilisation privative, au profit de particuliers ou de sociétés exerçant des activités purement privées, ne saurait avoir pour conséquence de les soustraire au régime de la domanialité publique, dès lors qu’il est dans leur nature même de ne concourir que sous cette forme au fonctionnement de l’ensemble du port et qu’il résulte, d’autre part, de l’instruction que lesdits terrains ont fait l’objet d’installations destinées à les rendre propres à cet usage par leur raccordement aux voies fluviales, ferrées ou routières dont l’aménagement et la liaison constituent le port… ».

Autre illustration, plus claire encore dans sa formulation :

- CE, Ass., 11 mai 1959, Dauphin, Rec. CE, p. 294 ; AJDA 1959, 1, p. 113, chron. Combarnous et Galabert ; D. 1959, p. 314, concl. H. Mayras : à propos de l’Allée des Alyscamps à Arles considérée comme affectée à un service public de caractère touristique et culturel.

- Voir aussi CE, 17 mars 1967, Ranchon ; Rec. CE, p. 131 ; AJDA 1967, p. 415, note J. Dufau ; D 1968, p. 247, note C. Leclercq RD publ. 1968, p. 180 : à propos de l’hôtel de ville de Saint Étienne.

L’application de ce critère suscitent plusieurs réflexions qui tournent toutes autour de l’interprétation extensive dont il a fait l’objet.

  • Le service public affectataire du bien est conçu de manière large.

Tout d’abord, le critère joue quelle que soit la nature du service. Des biens peuvent faire partie du domaine public, même s’ils sont affectés à un SPIC (ex. SNCF, EDF…).

Ensuite le critère est conçu de manière large en raison même du caractère très extensif de la notion de service public (ex. CE, 28 novembre 1981, Commune de la Roche sur Foron, Rec. CE, p. 741 : salle des fêtes considérée comme une dépendance du domaine public en raison de son affectation au service public récréatif et des loisirs).

  • L’affectation au service public est elle-même conçue de manière extensive.

Ainsi certains biens sont-ils affectés au service public alors qu’ils ne jouent qu’un rôle accessoire dans le fonctionnement dudit service, voire pas de rôle du tout : exemple : les buvettes dans l’enceinte des gares dont on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un rouage fondamental dans le fonctionnement du service public des chemins de fer.

Même solution pour un restaurant situé dans l’enceinte d’un aéroport : CE, 25 mars 1988, Consorts Demereau, JCP 1989, n°21160, note J.F. Davignon.

Autre exemple : les logements situés dans les groupes scolaires et destinés à abriter les fonctionnaires de ces groupes. Peut-on dire qu’ils sont affectés au service public ? E tout cas pas directement et en toute hypothèse pas à la manière des salles de classe ou des locaux de l’administration. Ils facilitent peut-être le fonctionnement du service public mais de façon tout à fait indirecte.

Ainsi, l’affectation peut être indirecte : C’était le cas des terrains dans l’affaire société LE BETON.

- Voir également CAA Paris, 7 novembre 1989, SARL Pardon Créations, Droit adm. 1990, n° 28 : la construction d’ateliers relais par la ville de Saint Denis est destinée à favoriser la création et l’implantation définitive d’entreprises artisanales sur le territoire de la commune ; que cette intervention a ainsi pour objet de « favoriser le développement économique de la commune » conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes ; que ces ateliers relais sont donc affectés à un service public et aménagés spécialement à cet effet : ils font partie du domaine public et la juridiction administrative est compétente pour connaître d’une demande d’expulsion, laquelle ne peut s’apprécier suivant la législation sur les baux commerciaux

Pourtant, ici l’immeuble n’est pas un moyen direct d’exécution d’un véritable service public).

Enfin, dernière manifestation du caractère extensif de l’affectation, lorsqu’un bien est susceptible d’appartenir au domaine public, soit au titre de l’affectation à l’usage du public soit au titre de l’affectation à un service public, la jurisprudence opte pour la deuxième solution.

Ainsi, les halles et marchés sont considérés comme faisant partie du domaine public parce qu’affectés à un service public (CE, 22 avril 1977, Michaud Rec. 185 ; AJDA 1977, p. 441, concl. Franc) Mais quel service public et pourquoi pas à l’usage du public ?


De même, les stades : service public ou usage du public ? Dans un arrêt de 1961 (CE, 13 juillet 1961, Ville de Toulouse, Rec. CE, 13), le Conseil d’État a estimé que le stade municipal de Toulouse était affecté à des activités d’intérêt général. Mais il est évident qu’on pouvait avoir le choix.

NB : Dans sa décision n° 2005-513 DC, Loi relative aux aéroports, du 14 avril 2005, le CC confirme que l’appartenance au domaine public des biens affectés à un service public n’est jamais constitutionnellement obligatoire. Seule est requise la soumission de ces biens à un régime de nature à garantir le respect des exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics. Ce qui pose la question du contenu de ce régime et de la nature des pouvoirs des droits que la personne publique doit détenir sur les biens indispensables à l’exercice du service public.

L’appartenance au domaine public n’est donc obligatoire que lorsqu’une loi le décide ou, dans le silence de la loi, du fait du critère jurisprudentiel du domaine public, lorsqu’un bien affecté à un service public est propriété d’une personne publique et a fait l’objet d’un aménagement spécial.

C - L’aménagement spécial

Bibliographie : F. Hervouët, L’utilité de la notion d’aménagement spécial dans la théorie du domaine public, RD publ. 1983, p. 135 ; Christophe LAJOYE, Le critère de l’aménagement spécial dans l’acception du domaine public, Droit et Ville n° 56/2004, p. 139.

C’est une troisième condition de la domanialité publique. Mais elle est moins importante que la précédente pour plusieurs raisons : elle n’est pas générale ; elle n’est pas déterminante et elle est très facilement remplie.

Elle joue néanmoins un rôle à la fois réducteur de la domanialité publique (car il serait excessif d’appliquer le lourd régime de la domanialité publique à n’importe quel bien utilisé par le public ou le service public) et en même temps de révélateur de la volonté de l’affectation.

a) Le champ d’application de la condition de l’aménagement spécial

- L’aménagement spécial n’est pas toujours exigé : L’affectation à l’usage du public suffit.

Ainsi pour le domaine public dit naturel : rivages de la mer, sous-sols et sols, cours d’eau, lais et relais.

On peut faire la même remarque pour certaines dépendances du domaine public artificiel : notamment les voies publiques ouvertes à la circulation. La jurisprudence les considère comme partie intégrante du domaine public sans mentionner l’exigence d’un aménagement spécial.

Mais on peut se demander si, en ce qui les concerne, l’aménagement spécial n’est pas présumé.

En effet, pour toute une série de biens, leur appartenance au domaine public est si évidente qu’il n’est pas besoin de faire état de leur aménagement spécial, qu’il n’est pas relevé.

- La condition de l’aménagement spécial ne concerne en réalité que les biens du domaine public artificiel, c’est-à-dire les biens immobiliers dont l’existence ou l’état sont la conséquence de l’intervention de l’homme.

Les concernant, la condition d’aménagement spécial s’est d’abord appliquée aux biens affectés à un service public.

Cette solution découle de l’arrêt Société Le Béton et plus nettement encore de l’arrêt Dauphin. Elle joue le rôle de critère réducteur et permet d’éviter que tous les biens affectés au service public ne soient intégrés au domaine public.

Ensuite plus récemment, ce critère a été étendu à certains biens affectés à l’usage du public.

L’exemple le plus remarquable est constitué par les promenades publiques qui ont longtemps été considérées comme des dépendances du domaine privé et qui se sont vu reconnaître le caractère de dépendances du domaine public sous réserve de l’aménagement spécial : CE, Ass., 22 avril 1960, Berthier, Rec. CE, p. 264, RD publ. 1960, p. 1223, concl. Henri ; AJDA 1960, 1, 78, chron. M. Combarnous et JM. Galabert.

Même solution à propos d’une plage ou de l’aire de stationnement ouverte aux usagers d’une place : CE, 30 mai 1975, Dame Gozzoli, Rec. CE, p. 325 ; AJ 1975, p. 348 et chron. Franc et Boyon.

Et pour les Bois de Vincennes et de Boulogne : CE, 14 juin 1972, Eidel, AJDA 1973, p. 495, note J. Dufau ; CE, 23 février 1979, Gourdain, Rec. CE, p. 78 ; AJDA 1979, n° 10, p. 40.

Au total, l’exigence de l’aménagement spécial concerne indistinctement les biens affectés à l’usage direct du public et ceux qui le sont à un service public, ce qui relativise l’intérêt de la distinction.

b) La consistance de l’aménagement spécial

  • Lorsqu’il est exigé, il est interprété de manière extrêmement souple, tellement extensive en vérité que l’on peut se demander s’il joue véritablement un rôle réducteur et s’il présente une utilité quelconque.

Par exemple, dans l’affaire Société Le Béton, l’aménagement spécial consistait uniquement dans l’emplacement des terrains litigieux. Parce qu’il faisait partie du périmètre du port industriel en voie d’aménagement, ils ont été considérés comme spécialement aménagés à cet effet. Il y avait en outre le raccordement des terrains aux voies de communication et lignes d’électricité.

Autre exemple : CE, Sect., 17 mars 1967, Ranchon, Rec. CE, p. 131 ; AJDA 1967, p. 415, note J. Dufau ; D 1968, p. 247, note C. Leclercq ; RD publ. 1968, p. 180 : l’Hôtel de Ville de Saint Étienne a été considéré comme affecté à un service public (on suppose que c’est celui de la gestion des affaires communales) et spécialement aménagé à cet effet. Mais en quoi consistait cet aménagement ? On ne le sait pas. Les locaux ne se distinguaient en rien de ceux de n’importe quelle grosse entreprise commerciale.

Et l’on peut citer ainsi bien d’autres exemples :

- Ainsi du garage d’un hôtel situé à proximité de la gare de Lyon-Perrache et destiné plus spécialement aux usagers de la SNCF : CE, Sect., 5 février 1965, Société Lyonnaise des Transports, Rec. CE, p. 76 ; RD publ. 1965, p. 493, concl. Y. Galmot : c’est le seul fait que le garage a été construit à proximité de la gare pour offrir des commodités particulières aux voyageurs qui constitue l’aménagement spécial ;

- Une salle des fêtes municipale : CE, 25 novembre 1981, Commune de La Roche-sur-Foron, Rec. CE, p. 741 ; RD publ. 1982, p. 1713 ;

- Une plage : CE, Sect., 30 mai 1975, Gozzoli, Rec. CE, p. 325 ; AJDA, 1975, p. 348, chron. M. Franc et M. Boyon : le simple entretien constitue un aménagement spécial ;

- Un dépôt d’autobus en raison de ses dimensions et de son emplacement.

On a le sentiment dans toutes ces affaires que l’aménagement spécial est présumé (voir concl. Labetoulle sur CE, Lecoq) et qu’il découle automatiquement de la destination du bien. Du reste, le juge n’indique que très rarement en quoi consiste cet aménagement.

    • Il y a cependant des limites à cette interprétation extensive de l’aménagement spécial.

C’est le cas où la consistance des travaux est insuffisante pour qu’ils soient considérés comme caractérisant l’aménagement spécial

CE, 8 février 1989, Leparoux, RD publ. 1989, p. 1516 ; CJEG 1989, p. 366, Étude P. Sablière : Une commune achète un château. Elle veut en revendre une partie qui a fait l’objet de quelques travaux de réfection et de dégagement de sentiers ainsi que de débroussaillage. « Compte tenu de leur objet et de leur caractère limité », ces travaux n’ont pas constitué un aménagement spécial de nature à faire entrer le bien dans le domaine public.

      • Surtout le critère n’est pas toujours déterminant : les forêts

Font partie du domaine public celles qui sont aménagées et font en quelque sorte partie d’un réseau urbain (CE, 14 juin 1972, Eidel, AJDA 1973, p. 495, note J. Dufau : à propos du Bois de Vincennes : CE, 23 février 1979, Gourdain et CA Paris, 6 juin 1989, Le Pavillon Royal : à propos du Bois de Boulogne) ;

Mais non les forêts plus lointaines et plus largement laissées dans leur état naturel

CE, Sect. 20 juillet 1971, Consorts Bolusset, AJDA 1971, p. 527, chron. : à propos de la Forêt de Fontainebleau ;

CE, Sect. 28 novembre 1975 Abamonte, Rec. p. 602 : à propos de la Forêt du Banney à Luxeuil, le Conseil d’État lui refuse la qualité de dépendance du domaine public. Pourtant, l’ONF avait ouvert la forêt au public, pris des mesures dans ce sens et réalisé des aménagements spéciaux.

Toutes les conditions de la domanialité publique étaient donc réunies. De plus des forêts, comme celle de Boulogne ou le Bois de Vincennes répondant aux mêmes critères avaient été considérées comme des dépendances domaniales. Il s’agit donc d’une solution de pure opportunité. Les Bois de Boulogne et de Vincennes sont intégrés au tissu urbain de Paris alors que ceux de Luxeuil étaient plus éloignés du tissu urbain. L’ONF tient à rester sous l’empire du droit privé.

§2 : L’élargissement de la domanialité publique

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Il résulte de l’application de solutions particulières dérogatoires (A) et de la mise en œuvre, dans certaines circonstances particulières, de la domanialité publique « par anticipation » ou encore d’une théorie de la « domanialité publique virtuelle » (B).

A - Les solutions particulières dérogatoires

On est ici en présence de biens considérés comme dépendance du domaine public sans que l’on s’interroge sur le point de savoir s’ils répondent aux critères de la domanialité publique. Il s’agit donc de biens qui ne devraient pas faire partie du domaine public mais y sont intégrés parce qu’ils constituent l’accessoire nécessaire et indispensable, mais aussi simplement utile des dépendances du domaine public.

L’idée générale est ici que les biens faisant partie d’un ensemble font globalement partie du domaine public dans la seule limite de la divisibilité.

M. Chapus note ainsi une tendance du juge à adopter des qualifications globales. La condition d’affectation à l’utilité publique est considérée comme globalement satisfaite pour toutes les parties ou parcelles de biens qui constituent statutairement des ensembles unis.

M. Chapus ajoute qu’il ne peut en aller autrement que si un ensemble immobilier a statutairement une structure complexe.

Même tendance à la qualification globale en matière d’aménagement spécial : « L’aménagement spécial d’une dépendance constituant un ensemble statutairement uni a un effet global. Ainsi, quand une promenade publique est spécialement aménagée, il n’y a pas lieu de faire un sort particulier à une parcelle incluse dans cette promenade et qui pourrait apparaître comme non spécialement aménagée » (CA Paris, 6 juin 1989, SA Le Pavillon Royal, CJEG 1989, p. 366, note Sablière).

Trois applications de cette solution :

a) Les biens indissociables ou indispensables des dépendances du domaine public dont on ne peut pas les séparer matériellement, parce qu’ils font corps avec elles.

Exemple : Sous-sol des voies publiques, nécessaires à leur solidité (CE, 28 mai 1971, Dame Gautheron, Rec. CE, p. 402) ; murs de soutènement d’une route.

b) Les biens indissociables parce qu’ils constituent avec le domaine public un tout homogène. Appréciation globale de la domanialité publique.

Exemple :

- Les aménagements réalisés dans les enceintes des gares : CE, Sect., 5 février 1965, Société Lyonnaise de Transports, précit. ;

- L’aéroport d’une Chambre de Commerce est affecté à la circulation aérienne publique et donc à l’utilité publique. Dès lors, il n’y a pas lieu de s’interroger sur le point de savoir s’il ne faudrait pas faire un sort particulier à la parcelle de cet aéroport occupée par un restaurant : CE, 25 mars 1988, Demereau, Rec. CE, p. 778 ; JCP 1989, II, 21160, note J.F. Davignon.

- Les logements de fonction aménagés à l’intérieur de bâtiments publics (lycées, hôtel de ville).

Voir cependant :; CE, 24 janvier 1990, Mme Boulier, CJEG 1990, p. 238, note P. Sablière : assistante sociale refusant ayant cessé d’exercer ses fonctions et refusant de quitter son logement de fonction. Le CE juge que le logement n’est pas une dépendance du domaine public pour plusieurs raisons : D’abord, si le rez-de-chaussée de l’immeuble concerné est affecté au service public de la protection maternelle et infantile, le logement de la requérante est situé dans une autre partie de cet immeuble composé exclusivement de logements d’habitation. Ensuite, cette partie est divisible ; c’est la première fois que le critère de divisibilité est explicitement utilisé. Auparavant, le CE utilisait toutefois le critère voisin de la dissociabilité, mais selon des directions difficiles à synthétiser. Il en résulte que le logement de la requérante qui n’a d’ailleurs jamais occupé un emploi dans le service installé dans son immeuble, ne saurait être regardé comme un accessoire du centre de protection maternelle (v. aussi, TC, 7 juillet 1975, Debans, Rec. CE, p. 796).

- Les locaux attribués dans une mairie à une bourse de travail : CE, 30 octobre 1987, Commune de Levallois-Perret, AJDA 1988, p. 43, concl. S. Hubac

- ou les constructions accolées à une église.

c) D’autres enfin sont le complément utile du domaine public : mobilier urbain, bornes kilométriques, arbres, colonnes de publicité (CE, 20 avril 1956, Ville de Nice, RD publ. 1956, p. 575, concl. M. Long).


Cette jurisprudence connaît cependant des limites :

- CE, 4 novembre 1987, CCI de Bordeaux, CJEG 1988, p. 321, concl. M. Laroque ; Rev. adm. 1987, p. 548, note P.T. : Les locaux situés au rez-de-chaussée du Palais consulaire et loués à des courtiers en vins n’en sont pas l’accessoire ;

- CE, 17 décembre 1971, Véricel : galerie creusée sous la colline de la Croix Rousse à Lyon à plus de 10 m de profondeur ne présente pas de lien indissociable avec le domaine public.

- CE, 28 janvier 1972, Bissinger, AJDA 1972, p. 97 : égout, voûte de l’égout plus dalles posées sur la voûte n’appartiennent pas au domaine public, mais le contrat en vertu duquel la maison a été construite constitue un contrat d’occupation du domaine public ;

Dernière remarque : la question des volumes

Il faut signaler enfin que cette conception globale de la domanialité publique n’empêche pas la superposition des propriétés publiques et privées et que cela pose des problèmes délicats. Il en est ainsi notamment d’immeubles privés construits sur des dépendances domaniales. S’ils font l’objet d’un titre de propriété privée, ils ne peuvent être considérés comme partie intégrante du domaine public.

Cela résulte de la possibilité de superposition en volumes de biens de nature différente (dalles de La Défense ; immeubles construits au-dessus de la Gare Montparnasse). Il s’agit de cas où un ensemble immobilier a statutairement une structure complexe : certains niveaux de l’ensemble immobilier sont affectés à l’utilité publique mais pas les autres (commerces, logements …).

Bibliographie : Y. Gaudemet, La superposition des propriétés privées et du domaine public, D. 1978, chron. p. 293 ; Les constructions en volume sur le domaine public, CJEG 1991, p. 297.

B - Le domaine public par anticipation ou « virtuel »

La jurisprudence a semblé admettre, dans certaines circonstances, l’application du régime de la domanialité publique (en particulier l’inaliénabilité) à des biens à réaliser, en considération de l’affectation au public ou au service public qu’ils doivent ultérieurement recevoir :

- CE, Sect., 6 mai 1985, Association EUROLAT Crédit Foncier de France, Rec. CE, p. 141 ; AJDA 1985, p. 620, note Fatôme et Moreau ; RFD adm. 1986, p. 21, concl. B. Genevois ; Petites Affiches, 23 octobre 1985, p. 4, note F. Llorens : un syndicat intercommunal pour la création et la gestion de maisons de retraite avait confié à l’association EUROLAT la création et la gestion d’un foyer-logement pour personnes âgées sur un terrain qu’il lui louait par bail emphytéotique. En contrepartie de son apport foncier, l’association mettait à la disposition du syndicat un certain nombre de lits.

Le contrat conclu entre les syndicat et l’association conférait à cette dernière un droit réel (résultant du bail emphytéotique) sur le terrain qui appartenait au syndicat, qui était affecté à un service public et qui était destiné par les parties à être aménagé à cet effet.

Le CE considère donc que tous les critères de la domanialité publique étaient remplis et que, par conséquent, le contrat était nul comme comportant toute une série de clauses incompatibles avec le régime de la domanialité publique.

On peut s’interroger sur la portée de cet arrêt : l’application d’une domanialité publique « par anticipation » peut y apparaître comme la prévention d’une fraude à la loi ; il s’agissait d’interdire d’échapper au régime de la domanialité publique, et notamment à la prohibition d’accorder des droits réels sur un terrain clairement destiné à recevoir une affectation d’utilité publique devant à coup sûr entraîner un régime de domanialité publique.

Mais on peut aussi se demander si la théorie de la domanialité publique virtuelle ne va pas au-delà.

- CE, 1er février 1995, Préfet de la Meuse, Rec. CE, p. 674-782 ; Droit adm. 1995, n° 261 ; RFD adm. 1995, p. 413 ; JCP 1995,IV, 1512 : le CE juge illégale la décision de déclassement d’un immeuble anciennement affecté au service public de l’enseignement et qui était destiné à abriter le nouvel hôtel du département après travaux ; « ainsi et nonobstant la circonstance que les aménagements envisagés pour l’adaptation de l’immeuble à ce service public n’aient pas encore été réalisés, le conseil général, qui avait engagé les opérations destinées à maintenir l’affectation dudit immeuble au service public, ne pouvait légalement décider de le déclasser ».

L’idée est ici qu’un changement d’affectation ne fait pas cesser l’application de la domanialité publique dès lors que la nouvelle affectation est elle-même d’utilité publique. Le CE veut donc éviter toute solution de continuité. Idée d’une continuité de la domanialité publique.

Mais la théorie semble avoir un champ d’application plus large encore.

- CE, avis du 31 janvier 1995, Grands avis, p. 573 ; EDCE 1995, p. 407 : Le fait de prévoir de façon certaine qu’un terrain sera affecté à l’usage direct du public ou à un service implique que ce terrain est soumis dès ce moment aux principes de la domanialité publique (sur cette question, v. E. Fâtome et Ph. Terneyre, Le financement de la construction privée d’ouvrages publics, en particulier sur le domaine public, AJDA 1997, p. 126).

- CE, avis du 18 mai 2004 (EDCE 2005, p. 185 ; E. Fatôme, « À propos de l’incorporation au domaine public », AJDA fév. 2006, p. 292) : Le CE était interrogé par le ministre de la Culture sur le point de savoir si des locaux acquis par l’État pour y installer la cinémathèque française constituaient des dépendances du domaine public et si la destination qu’il était prévu de leur donner suffisait à leur conférer ce caractère. Celui-ci répond que la double considération que l’immeuble a été acquis pour y installer la cinémathèque et que la cinémathèque gère un service public suffit à le soumettre aux principes de la domanialité publique même si, en raison des travaux en cours, il n’est pas encore affecté à un service public ou à l’usage direct du public.

On relèvera que l’immeuble n’est pas incorporé au domaine public mais se trouve simplement soumis aux principes de la domanialité publique. Il ne sera incorporé au domaine public qu’à l’achèvement des travaux d’aménagement.

Mais il faut que la volonté d’affectation soit certaine :

- V. en dernier lieu, CE, 29 novembre 2004, Sté des autoroutes du Sud de la France, Droit adm. 2005, n° 38 : Pour faire échec à une demande de rétrocession de biens expropriés en vue de la construction d’une autoroute mais non utilisés à cette fin, la société des autoroutes faisaient valoir qu’ils étaient entrés dans le domaine public par anticipation « du fait qu’ils seront nécessaires à l’élargissement de la section d’autoroute … prévue par le contrat de concession signé avec l’État ». Mais le CE juge qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les terrains litigieux aient fait l’objet de prévision les affectant de manière certaine à l’État en vue de leur mise à l’usage direct du public.

Et dans le même sens :

TC, 15 janvier 1979, Payan c/ Sté des autoroutes du Sud de la France, Rec. CE, p. 665 : jugé que les terrains apportés par l’État en vue de leur utilisation éventuelle pour l’aménagement d’une autoroute ne font pas partie du domaine public tant qu’ils n’ont été ni affectés, ni aménagés.

CAA Paris, 27 septembre 2001, Institut de France, Droit adm. 2002, n° 28, obs. V.H ; RFD adm. 2002, p. 67, note L. Marcus, et A. Perrin : jugé qu’un immeuble à usage d’habitation acquis par l’Institut de France n’est pas entré dans le domaine public par le simple fait que son changement d’affectation a été décidé et qu’un projet de travaux a été arrêté. Il semble que les décisions prises n’étaient pas suffisamment précises pour prévoir de façon certaine l’incorporation.

§3 : L’incorporation au domaine public

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Les conditions de fond que nous venons d’examiner - à savoir la propriété publique, l’affectation et l’aménagement spécial - sont nécessaires, mais elles ne sont parfois pas suffisantes.

Dans certains cas, en effet, pour que le bien entre dans le domaine public, il doit faire l’objet d’une décision formelle d’incorporation.

Dans quel cas est-elle nécessaire et dans quel cas est-elle superflue ? La réponse doit être cherchée dans une distinction importante entre le domaine public naturel et le domaine public artificiel, car le problème se pose en des termes différents à propos de l’un et de l’autre.

A - L’incorporation au domaine public naturel

Comme son nom l’indique, il est composé d’éléments naturels.

En ce qui les concerne, l’incorporation au domaine public ne devrait exiger aucun acte administratif particulier, car c’est la situation de fait (les phénomènes naturels) et ses modifications qui sont déterminantes.

Il convient pourtant d’établir une distinction entre le domaine public maritime et du domaine public fluvial et lacustre.

L’incorporation au domaine public maritime résulte en principe de phénomènes naturels qui se suffisent à eux mêmes.

Ainsi les terrains submergés par la mer et plus précisément par le plus grand flot de mars sont-ils des dépendances du domaine public, même s’ils constituaient auparavant des propriétés privées.

Mais concernant les lais et relais futurs, endroits dont la mer s’est définitivement retirée (c’est-à-dire les dépôts formés par la mer soit hors du rivage, soit le long de celui-ci) : depuis une loi du 28 novembre 1963, ils tombent de plein droit dans le domaine public.

Mais ceux qui préexistaient à l’entrée en vigueur de la loi ne deviennent dépendances du domaine public que s’ils font l’objet d’un arrêté ministériel en décidant ainsi.

L’incorporation au domaine public lacustre et fluvial procède d’un principe inverse. L’entrée des cours d’eau dans le domaine public résulte d’une décision administrative de classement.

Les phénomènes naturels jouent toutefois un rôle accessoire. Ainsi lorsqu’un fleuve change de cours ou de lit, son nouveau lit devient partie intégrante du domaine public, tandis que l’ancien entre dans le domaine privé.

B - L’incorporation du domaine public artificiel

Rappel : nous avons vu qu’un bien ne pouvait faire partie du domaine public que s’il avait fait l’objet d’une affectation matérielle,

La question est ici de savoir si l’affectation matérielle (soit à l’usage du public, soit à un service public) suffit à déterminer l’appartenance au domaine public ou si elle doit se doubler d’une affectation formelle, c’est-à-dire d’une décision dite d’affectation ou de classement par laquelle l’administration décide d’incorporer un bien au domaine public : La réponse est en principe négative.

L’absence de nécessité d’une décision de classement : Pour qu’un bien fasse partie du domaine public, il n’est pas nécessaire qu’il y ait été affecté par une décision juridique. Cette solution présente le caractère le plus général et ne se réduit pas aux rues et voies publiques.

La décision de classement n’est donc

- ni nécessaire : la seule réunion des conditions de fond que l’on connaît suffit à déterminer l’appartenance au domaine public. Plusieurs arrêts soulignent qu’un bien est incorporé au domaine public du seul fait de son affectation (CE, 14 février 1969, Sociétés des Ets Frenkel, Rec. CE, p. 100 : à propos du buffet d’une gare) et sans qu’aucune décision d’affectation soit prise (CE, 6 mars 1963, Ville de Saint Ouen, Rec. CE, p. 141 : à propos d’un dépôt d’autobus).

La solution est identique en cas de classement dans le domaine privé (CE, 22 avril 1977, Michaud, Rec. CE, p. 185 ; Rec. CE, p. 185 ; AJDA 1977, p. 441, concl. Franc).

- ni suffisante : le seul classement dans le domaine public ne détermine pas son appartenance.

Une décision d’affectation formelle n’a aucune valeur si elle ne s’accompagne pas d’une affectation matérielle au service public ou à l’usage du public (CE, 21 décembre 1956, SNCF, AJDA 1957, p. 55 : le ministre des Transports avait décidé d’incorporer un bien au domaine public. Mais en fait, ce bien n’avait jamais reçu la destination prévue. Le Conseil d’État a jugé la décision illégale).

Il résulte de ce qui précède que

- l’autorité administrative ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer la consistance du domaine public.

- et que l’irrégularité formelle de la décision de classement du bien dans le domaine public ou le refus de classement sont sans influence dès lors que les critères de domanialité publique sont remplis (CE, Sect., 20 avril 1956, Département des Hautes Alpes, Rec. CE, p. 170).

Les formes de la décision de classement. Quand elle intervient, la décision de classement peut être très diverse : il peut s’agir d’un acte unilatéral ou d’un contrat (exemple : contrat précisant que tel service public fonctionnera dans un immeuble déterminé).

La mesure concernée n’est en général assujettie à aucune forme particulière.

De même, elle peut avoir pour seul but d’incorporer le bien au domaine public : ex. art. R.1. du code du domaine : « L’incorporation au domaine public national des immeubles dépendant du domaine privé de l’État est autorisée par le Préfet ».

Parfois, elle a un autre objet. Ex. : une déclaration d’utilité publique a pour objet de permettre une expropriation, mais en même temps, elle fixe la destination du bien et détermine son affectation.