Psychologie cognitive pour l'enseignant/Motivation
Enfin, nous arrivons au dernier passage obligé dans toute pratique pédagogique qui se respecte : la motivation. Il existe diverses théories de la motivation, les premières provenant des expériences sur le conditionnement.
Conditionnement opérant
modifierTout commença dans les années 1920, Thorndike, un chercheur en psychologie, fi quelques observations sur des chats, qui l’amenèrent à créer une théorie de l'apprentissage que l'on nomme la loi de l'effet. Cette loi dit simplement que les comportement suivis d'émotions agréables sont renforcées, tandis que les comportements suivis de réponses désagréables ont tendance à s'estomper. Rien de bien neuf : il s'agit de la loi de la carotte et du bâton, bien connue de certains parents plus ou moins déficients. La conséquence, c'est que la source de la motivation serait la recherche de gratifications matérielles ou sociales : l'estime de ses professeurs, de ses parents, des amis, etc.
Seul problème : expérimentalement, cette loi était partiellement fausse. Dans une de ses expériences, des collégiens devaient passer un QCM d'espagnol. Chacun d'entre eux était interrogé séparément. À chaque réponse, l'expérimentateur disait si la réponse donnée par l'élève était vraie ou fausse, en disant simplement Vrai OU Faux. Il nota les réponses données à chaque passage. Il observa que les réponses positives étaient bien renforcées, tandis que les réponses fausses n'étaient pas vraiment diminuées.
Les conséquences peuvent renforcer un comportement si elles sont plaisantes, tandis que les conséquences négatives vont mener à l'apparition de comportements d'évitement sans pour autant diminuer la fréquence d’occurrence du comportement.
Cette loi de l'effet a été généralisée, pour tenir compte du fait que les réponses qui augmentent la fréquence ou l’occurrence d'un comportement ne sont pas forcément des récompenses émotionnelles ou matérielles. Un animal ou un humain ne vont pas forcément juger le côté gratifiant du résultat du comportement, mais son adaptation à la situation. En somme, un comportement va être renforcé ou réprimé suivant ses conséquences : les comportements adaptés deviendront plus fréquents, alors que les comportements inadaptés disparaîtront. La loi de l'effet ainsi révisée, plus générale, s'appelle le conditionnement opérant.
Retour sur performance
modifierBien sûr, cela ne fonctionne que si quelque chose vient faire prendre conscience au cobaye des conséquences du comportement : il faut bien juger si le comportement est adapté ou non. Ce quelque chose est un retour sur performance, que l'on appelle un renforçateur. Les behavioristes considèrent que les élèves sont nettement plus motivés quand ils ont un retour sur performance précis et précoce : ils peuvent ainsi associer les conséquences d'un comportement avec celui-ci, augmentant leur motivation à reproduire ce comportement. Idéalement, l'effet est maximal quand la réponse intervient juste après le comportement, dans un délai temporel très court.
Généralement, le timing du feedback a son importance : il faut qu'il ait lieu le plus tôt possible. Ainsi, les corrections des différentes évaluations doivent avoir lieu le plus tôt possible : idéalement, il vaut mieux faire la correction immédiatement après l'interrogation.
De plus, le retour sur performance idéal doit être précis, et doit permettre à l'élève d'associer une réponse à un comportement bien identifié. À ce petit jeu, les notes ne sont pas assez précises, et ne sont pas facilement associables à un comportement particulier. Et les autres formes d'évaluation sommative ont globalement le même défaut : elles donnent une note globale, qui est associée à tout un travail, et non à un comportement. Pour cela, on peut utiliser l'évaluation formative, aussi appelée évaluation diagnostic.
Impuissance acquise
modifierUne petite observation vient toutefois gêner l'utilisation de renforçateurs négativement chargés en classe : le phénomène d'impuissance acquise. Dans certains cas, si un sujet n'a de cesse de recevoir des conséquences négatives à partir de ses comportements, il finit par ne plus rien faire pour éviter les conséquences négatives du renforçateur. En quelque sorte, l'animal ou l’humain concerné finit par prédire qu'un retour sur performance négatif, ou les "punitions", arriveront tout le temps, peu importe son comportement.
Cela a une conséquence sur les élèves faibles. Ces élèves, qui reçoivent des punitions et des mauvaises notes pendant de longues durées, ont tendance à perdre l’intérêt et la motivation de travailler à force de mauvaises notes : ils croient qu'ils ne réussiront jamais, quoiqu'ils fassent. Bilan : ils se désengagent de toute forme de travail scolaire dans la matière concernée et finissent par détester les matières dans lesquels ils sont mauvais.
Par exemple, en milieu scolaire, Stéphane Ehrlich et Agnès Florin ont montré que ce phénomène d'impuissance acquise se manifestait pour des enfants soumis à des dictées ou des exercices d'arithmétiques trop difficiles pour eux : ils se décourageaient, et pensaient qu'ils ne pouvaient rien faire. Alain Lieury a aussi observé le même phénomène dans une de ses expérience sur l'apprentissage de cartes et la mémoire à court terme.
Anticipation du renforcement
modifierNéanmoins, les spécialistes du conditionnement avaient travaillé sur des sujets animaux pour élaborer leurs théories. Chez l'humain, un autre processus entre en jeu : du fait de leur intelligence, les humains peuvent anticiper les conséquences d'un comportement. Cela a des conséquences : la simple anticipation des conséquences d'un comportement peut suffire à servir de renforcement en soi.
Mais pour cela, il faut que le sujet puisse prédire les conséquences de son comportement. Pour cela, il doit avoir vu ou vécu des situations similaires à celle dans laquelle il est.
Imitation
modifierDans cette conception, l'imitation a une grande importance : on peut anticiper les conséquences d'un comportement, si on a déjà vu quelqu'un d'autre produire ce comportement dans une certaine situation. Dans ces conditions, l'apprentissage serait vu comme un processus social, dans lequel on apprend en regardant les autres. La motivation proviendrait donc de la reproduction du comportement de modèles : le professeur, des amis, etc. Cette théorie prédit que la motivation proviendrait donc de l'interaction avec les autres, et que celle-ci serait décuplée dans les environnements coopératifs.
Sentiment d'efficacité
modifierUn autre paramètre joue fortement dans l’anticipation du renforcement : le sentiment d'estime, l'égo. Un renforcement peut être plaisant quand celui-ci nous flatte, quand nous sommes contents de notre résultat. Rien de tel qu'un renforcement qui sert de preuve de notre compétence pour progresser. Dans cette vision de la motivation, réussir les buts que nous nous sommes donnés toucherait notre égo : plus on réussit ce que l'on entreprend, plus on est motivé. La motivation serait donc la poursuite de buts précis.
En somme, un bon renforçateur doit améliorer le sentiment d’auto-efficacité personnelle, le sentiment dans notre capacité à réussir les buts qui nous sont donnés. En clair, pour motiver les élèves, il faut leur donner l'impression qu'il réussissent. On est motivé parce que l'on est bon dans la matière, pas l'inverse.
Cela passe évidemment par l'usage de pédagogies adaptées, qui font réussir les élèves. Mais on peut aussi sortir l'artillerie lourde : l'usage massif de retour sur performance est une arme de motivation massive. Ce retour sur performance permet de savoir si l'on est plus ou moins proche du but à atteindre, et permet ainsi de voir notre progression. Savoir que l'on progresse rapidement permet ainsi de développer un sentiment d'efficacité, qui permet de perdurer dans l'effort.
Selon certaines expériences, plus le but est proche, mieux c'est[1] : un but proche nous amène à nous rendre plus rapidement compte de nos progrès, favorisant ainsi l'apparition d'un sentiment d'auto-efficacité personnelle.
De même, on constate que les élèves sont plus motivés par des taches difficiles que par des taches très simples[2] : des buts plus complexes donnent le sentiment d'être plus efficace, d'avoir une compétence importante. Et je vous interdis de faire la moindre réflexion sur le nivellement vers le bas à partir de cette remarque, merci d'avance.
Motivation intrinsèque
modifierCette vision de la motivation, basée sur les conditionnements serait à remettre en cause d'après les travaux des spécialistes en psychologie sociale. Selon les théories actuelles, il existe deux grands types de motivation. La motivation extrinsèque est celle qui pousse à faire quelque chose en échange d'une récompense, d'un renforcement positif. Elle est à opposer à la motivation intrinsèque, qui est celle de nos intérêts, de nos passions, etc. Celle-ci est clairement meilleure en terme d'apprentissage, et est plus robuste sur le long terme.
Effet des renforcements
modifierLes renforcements basés sur des conditionnements augmentent la motivation extrinsèque, et non la motivation intrinsèque. Or, expérimentalement, la psychologie sociale semble indiquer que la motivation extrinsèque disparaît dès que les récompenses ne sont plus données : on observe des phénomènes d'extinction lors de la suppression des récompenses. Par contre, la motivation intrinsèque perdure longtemps, sous certaines conditions. Mais, manque de chance, la motivation extrinsèque peut rapidement remplacer la motivation intrinsèque. Exemple : un élève intéressé par une matière ou un sujet finira par perdre son intérêt pour celle-ci en fonction de ses notes. Grosso-modo, tout ce qui est perçu comme une contrainte, comme une obligation, ou une récompense a tendance à diminuer la motivation intrinsèque, et à augmenter la motivation extrinsèque.
Cet effet permet aussi de prédire que les contraintes, qui sont une forme de renforcement punitif, ont tendance à diminuer la motivation intrinsèque, et à augmenter la motivation extrinsèque. Pour le prouver, on peut citer l'étude d'Alain Lieury et Fabien Fenouillet, datée de 1997. Dans cette étude, deux groupes d'élèves d'un centre de formation pour apprentis étaient comparés, concernant leurs résultats dans un module sur les sociétés. Un premier groupe était acteur de son apprentissage : le cours commençait par une sorte de jeu de rôle, certains élèves acteurs (choisis au hasard) jouant le rôle des actionnaires d'une société, tandis que l'autre groupe d'élèves spectateurs ne prenait pas part aux décisions. Bilan : les acteurs avaient des résultats nettement meilleurs comparé aux spectateurs.
Attribution
modifierSi on veut motiver les élèves, il faut agir à la source de la motivation intrinsèque. L'origine de la motivation intrinsèque vient du fait que l'on puisse s'attribuer nos réussites. On est plus motivé quand on sait que notre réussite provient de nos efforts, de notre talent, etc. Diverses analyses statistiques ont montré que plus un élève croit que l'intelligence et la réussite scolaire ne sont pas innées, plus il progresse. Après tout, rien de plus évident : plus on dit à un élève qu'il peut progresser et que sa situation n'est pas une fatalité, plus il progressera... Il fallait bien des études statistiques de haute volée pour en être sûr ! En conséquence, certains se sont dit qu’ « entraîner » les élèves à croire en la non-innéité de l'intelligence, à croire qu'ils peuvent progresser et s'attribuer leurs réussites, leur permettrait de progresser. C'est le principe de l' attribution training.