Psychologie cognitive pour l'enseignant/Transfert d'apprentissages

Si l'on apprend, c'est avant tout pour que les connaissances apprises soient réutilisables dans des contextes variés, relativement différents de celui d'apprentissage. Cette problématique du transfert de connaissances est absolument cruciale pour l'apprentissage.

Les types de transfert d'apprentissage

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Ce transfert de connaissances peut prendre diverses formes, et les classifications des différents types de transferts sont nombreuses : transfert proche/lointain, vertical/horizontal, spontané/assisté, etc. Dans ce chapitre, nous allons passer en revue ce phénomène de transfert, dans les diverses situations où celui-ci se présente, qu'il s'agisse de la résolution de problèmes, d'apprentissages verbaux ou scolaires.

Transfert proche contre transfert lointain

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Une première distinction serait celle du transfert qui a lieu dans les limites d'un domaine de connaissance (discipline scolaire, par exemple), comparé au transfert plus large, qui transcende les bornes des domaines de connaissances usuels. La première est essentiellement basée sur des savoirs liés à une discipline scolaire, ou tout du moins à un ensemble de disciplines fortement imbriquées (mathématiques et physique, par exemple). La seconde est une forme de transfert plus générale, entre domaines très différents. Ces deux formes de transfert sont appelées respectivement transfert proche (dans un domaine ou entre disciplines proches) et transfert lointain (entre domaines sans rapports).

Notons que la notion de transfert lointain a un lien, bien qu'indirect, avec la notion de compétences. Par compétences, on veut parler du concept tel qu'il est utilisé dans le domaine de l'éducation, pas dans le sens commun. Par définition, l'acquisition de compétences générales a des conséquences au-delà des limites d'une discipline, ce qui permet le transfert lointain. Mais attention : tout transfert lointain n'est pas forcément lié à l'acquisition d'une compétence générale. La question principale, pour certains auteurs, serait de favoriser l'acquisition de compétences générales. Leurs interrogations visent à savoir comment développer certaines compétences, de manière indirecte. Par exemple, certains de ces auteurs peuvent supposer que faire des mathématiques ou du latin forme à la logique et au raisonnement. Beaucoup de spécialistes en psychologie cognitive en doutent, comme on le verra plus loin.

Transfert vertical contre transfert horizontal

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Une autre distinction utile est celle entre transfert vertical et horizontal. Le premier fait référence aux transferts à l'intérieur d'une même discipline, d'un même domaine, l'acquisition d'une connaissance/compétence de haut niveau étant facilité par la maîtrise de connaissances/compétences de plus bas-niveau. Le second fait référence aux transferts de connaissances d'un domaine de connaissance à un autre, et correspond au cas où une connaissance est réutilisée dans une autre discipline. Pensons notamment aux connaissances mathématiques, fortement utilisées en physique et dans d'autres sciences naturelles. Il est important de noter que les deux formes de transfert se retrouvent conjointement dans les systèmes scolaires, à tous les niveaux de pratique, du simple exercice à la structure scolaire, en passant par l'organisation des séquences.[1]

Le transfert horizontal correspond à des situations où les connaissances transférées ne sont pas nécessaires pour résoudre la nouvelle situation, mais ne sont qu'une aide facultative. Par exemple, les analogies entre deux situations sont une forme de transfert horizontal.

Le transfert vertical s'illustre quand la connaissance d'un concept facilite la compréhension d'un autre. Par exemple, maîtriser les fractions facilitera la compréhension des pourcentages, de même que connaître les symboles des différents éléments chimiques est un pré-requis pour pouvoir écrire des équations stœchiométriques. Pour illustrer ce transfert vertical, on peut citer l'étude de Uprichard (1970), qui montre que les notions d'infériorité ou de supériorité nécessitent d'avoir maîtrisé le concept d’égalité avant de pouvoir être apprises. De même, la maitrise de l’algèbre a pour pré-requis de maîtriser les opérations arithmétiques de base et l’égalité (Gagné, 1962). Et ces résultats peuvent se généraliser à de nombreux autres domaines, comme la trigonométrie (Winkles, 1986), l’écologie (Griffiths et Grant, 1985), la chimie (Griffiths, Kass, et Cornish, 1983), l’économie (Hurst et al. 1978), etc. Mais on peut aussi citer les cas où une connaissance est réutilisable dans un autre domaine. Par exemple, on peut citer l'exemple classique des mathématiques et de la physique : les connaissances mathématiques peuvent être utilisées dans des cours de physique, dans des formules, des démonstrations, etc. Ce transfert vertical est la conséquence de l'existence de pré-requis et de connaissances propédeutiques. Il implique que l'acquisition de connaissances ou compétences complexes est plus facile si l'élève a maîtrisé des habiletés et connaissances plus simples et que les pré-requis sont maîtrisés.

Précisons que le transfert horizontal a surtout été étudié par des auteurs francophones, tels Jacques Tardif et Philippe Meirieu[2], dont les travaux ont été beaucoup cités dans un débat qui a animé le Québec autour du transfert, juste avant la grande réforme scolaire lancée en 2000. De manière générale, les auteurs anglo-saxons donnent plus d'importance au transfert vertical qu'au transfert horizontal. La raison tient dans la difficulté à observer avec certitude un transfert horizontal dans les études de psychologie cognitive, basée sur l'étude de tâches assez simples, dans un contexte expérimental, qui réduit assez fortement les ambiguïtés. Autant les phénomènes de transfert vertical sont assez visibles et intuitifs (tous les enseignants savent ce qu'est un pré-requis), autant ce n'est pas le cas des phénomènes de transfert horizontal. Autant le transfert analogique est beaucoup étudié dans le domaine de la résolution de problèmes, autant les autres formes de transfert horizontaux sont moins bien connus.

Transfert positif ou négatif

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D'ordinaire, le transfert d'apprentissage a un effet positif sur l'apprentissage et la performance, d'où le nom de transfert positif qui est donné à de telles situations. Mais il arrive que ce transfert nuise à l'acquisition de nouvelles connaissances. On peut imaginer que les nouvelles connaissances soient incompatibles ou contradictoires avec des connaissances acquises. Dans une telle situation, on fait face à un transfert négatif. Néanmoins, le transfert négatif est toujours transitoire, l'apprentissage final finissant par se faire. C'est ainsi que d'anciennes connaissances erronées sont remplacées progressivement par de nouveaux savoirs, plus à jour.

La difficulté du transfert d'apprentissage

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Le transfert d'apprentissage est généralement compliqué à obtenir. Et toutes les formes de transfert ne se valent pas de ce point de vue. Le transfert est un phénomène relativement peu commun. La raison principale est qu'il n'a lieu que si le sujet dispose d'un certain niveau d'expertise. Mais il peut cependant être provoqué, avec quelques indices ou analogies bien placées.

Le transfert proche : possible avec de l'expertise

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Le transfert proche est avant tout une question de connaissances, et plus précisément de leur accessibilité. Plus une connaissance est accessible en mémoire, connectée à un riche réseau sémantique, plus elle sera accessible à partir d'indices de récupération différents, et donc de situations différentes. On retrouve encore une fois l'utilité d'un solide stock de savoirs interconnectés avec pertinence.

Le transfert proche a souvent lieu entre des tâches relativement similaires. C'est ainsi qu'un élève qui a appris à résoudre des calculs simples peut appliquer ces compétences pour résoudre des problèmes d'épicerie, ou qu'un élève qui sait appliquer ses règles de grammaire dans des exercices scolaires peut les utiliser lors de la rédaction d'un texte assez court. De manière générale, deux situations doivent avoir quelque chose en commun pour qu'il y ait transfert entre elles. Ce quelque chose en commun peuvent être aussi bien de simples aspects perceptifs (comme le stipule la théorie des éléments identiques de Thorndike), que des connaissances abstraites comme des concepts, une catégorie, de propriétés partagées, ou autre. Ces dernières permettent de capturer un grand nombre de situations de part leur structure. À ce petit jeu, les catégories sont assez importantes. Ainsi, le but de l'apprentissage est de permettre à l'élève d'acquérir des abstractions, des concepts, des catégories qui capturent un large spectre de situations.

Une connaissance accessible uniquement dans des contextes limités, identiques à celui d'apprentissage, est une connaissance très concrète. Daniel Willingham qualifie ces apprentissages de connaissances inflexibles. Néanmoins, ces connaissances peuvent, suite à un apprentissage bien conçu, évoluer en connaissances flexibles, plus abstraites et générales. L'acquisition de connaissances inflexibles est vue, dans la vision de Willingham, comme une première étape de l'apprentissage, les connaissances se flexibilisant de plus en plus avec la pratique, ou des acquisitions ultérieures[4]. Cette forme de transfert, par abstraction progressive de connaissances concrètes, contextuelles, est une forme puissante de transfert, qui se base sur des processus de généralisation, comme la formation de catégories, l'analogie.

Pour en donner un exemple, on peut citer la fameuse étude de Chi et al. (1981). Dans celle-ci, les expérimentateurs ont observé comment des experts (des professeurs de physique), et des novices (des étudiants en début de cursus), catégorisaient et se représentaient mentalement des exercices de physiques. Leur étude a montré que les novices ont tendance à baser leurs analyses sur des détails présents dans l'énoncé (coefficients numérique, vocabulaire utilisé, etc), alors que les experts ont tendance à penser en fonction d'idées générales et de principes abstraits (la loi de conservation de l'énergie, la quantité de mouvement, etc). Au fur et à mesure que les étudiants progressent dans leurs études, ils classent de plus en plus ces exercices en fonction des caractéristiques générales.

Le transfert lointain : une quasi-utopie ?

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De manière générale, de telles capacités de transfert lointain sont douteuses.

Les études de Thorndike semblent montrer que la même chose vaut pour le latin, qui ne permet pas de favoriser la mémoire ou de structurer l’esprit, contrairement aux idées reçues. Différents programmes éducatifs ont aussi tenté d'enseigner le raisonnement en mettant fortement l'accent sur la logique mathématique, avec ses implications, modus tollens, etc. On pourrait citer les programmes "Head Start" américains, par exemple. Malheureusement, les résultats de ces programmes furent décevants : les élèves n'avaient pas vraiment appris à mieux raisonner, et les améliorations étaient au mieux marginales. Comme autre exemple, les études faites sur l'apprentissage de la programmation[3][4] montrent que celui qui apprend à programmer apprend juste à programmer, et n'acquiert pas de méthodes de résolution de problèmes, de capacité à raisonner ou à abstraire, ni quoique ce soit d'autre. Ces expériences ne furent pas les seules tentatives pour entraîner des élèves ou des adultes à mieux raisonner. Mais les résultats concernant ce genre d’entraînement sont clairs : cela ne permet pas d'acquérir des compétences de raisonnement transférables dans des situations différentes de celles abordées lors de l'apprentissage.

Dans un tout autre registre, William James a effectué une étude assez simple sur l'apprentissage de poèmes, en 1890. Il commença par apprendre un premier poème, et mesura le temps et la fiabilité de son apprentissage. Par la suite, il continua à apprendre de nouveaux poèmes, et refit les mêmes mesures sur un poème totalement inédit, après avoir appris un grand nombre de poèmes en guise d’entraînement : aucune différence en termes de vitesse ou de fiabilité après entraînement.

Les études sur l'expertise montrent que les compétences générales transdisciplinaires sont de peu d'utilité, l'expertise dans un domaine étant surtout dépendante du stock de connaissances spécifiques à un domaine de l'apprenant[5].

Lire aussi :

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  • Le transfert des apprentissages et la réforme de l’éducation au Québec : quelques mises au point., par Normand Péladeau, Jacques Forget, et Françoys Gagné.
  • Domain-specific knowledge and why teaching generic skills does not work., par Tricot, A. & Sweller, daté de 2014.
  • Transfer of learning, par Perkins et Salomon, daté de 2010.

Références

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  1. https://fairecours.com/2019/12/27/le-transfert-dapprentissage/
  2. http://w3.uqo.ca/moreau/documents/Tardif1996.pdf
  3. Pea and Kurland 1984
  4. Salomon and Perkins 1987
  5. La cécité aux connaissances spécifiques, par André Tricot et John Sweller