Psychologie cognitive pour l'enseignant/Le mythe des styles d'apprentissage
Certains proclament que les élèves ont des points forts et des points faibles, des méthodes d'apprentissage différentes ou des particularités autres auxquelles l'enseignement doit s'adapter. Cette hypothèse les pousse à adapter l'enseignement aux différentes manières d'apprendre, histoire de donner un enseignement plus personnalisé, individualisé. L'enseignement est alors plus varié, plus diversifié, chaque élève ayant accès à un grand nombre d'approches différentes. Cette spécialisation de l'enseignement aux différentes manières d'apprendre est ce qu'on appelle la différentiation pédagogique. Reste que les théories qui se cachent derrière les différentes tentatives de différentiation sont souvent assez bancales, scientifiquement parlant.
La théorie des styles d'apprentissage
modifierCertains chercheurs et pédagogues ont supposé l'existence de préférences liées au processus d'apprentissage : certains apprendraient mieux d'une certaine manière, manière qui ne conviendrait pas à d'autres. C'est ce qu'on appelle la théorie des styles d'apprentissage : chaque personne aurait des styles d'apprentissage préférés.
Les différentes variantes de la théorie des styles d'apprentissage
modifierLa première théorie du genre a été conçue par Kolb, puis redécouverte indépendamment par Peter Honey et Alan Mumford's. Celle-ci classe les élèves sur deux paramètres. Le premier fait la différence entre les élèves qui préfèrent les choses concrètes et ceux qui aiment l'abstraction. Le second fait la différence entre ceux qui préfèrent apprendre en expérimentant et ceux qui préfèrent observer. Ces deux paramètres peuvent se combiner pour former quatre type d'élèves.
- Assimilateurs : aiment expérimenter et préfèrent l'abstrait ;
- Accomodateurs : aiment expérimenter et préfèrent le concret ;
- Convergents : aiment la théorie et préfèrent l'abstrait ;
- Divergents : aiment la théorie et préfèrent le concret.
Le modèle d'Anthony Gregorc est assez similaire. Il conserve la distinction entre abstrait et concret mais change l'autre dimension. Celle-ci classe les élèves selon qu'ils aiment apprendre les choses dans un ordre précis ou de manière plus ou moins aléatoire. Là encore, on trouve quatre combinaisons d'élèves.
Selon d'autres théories, certains élèves auraient une mémoire auditive tandis que d'autres seraient plus visuels ou tactiles. Cette théorie a été lancée en 1979 par Barbe, Swassing et Milone, dans l'article « Teaching Through Modality Strengths: Concepts and Practices », et on peut trouver des théories similaires, comme la théorie VAK/VARK de Neil Fleming. Celle-ci est déjà ancienne et reste assez populaire,elle est même souvent conseillée par certains enseignants. Mais on a vu dans le chapitre sur les supports pédagogiques que de nombreuses constatations expérimentales la contredisent formellement.
D'autres pensent qu'il faut faire une différence entre élèves sériels et holistes : certains élèves préféreraient voir les informations les unes après les autres, en appréhendant les parties individuellement avant de comprendre le tout, tandis que d'autres préfèrent se concentrer sur l'ensemble, sur le tout plutôt que la somme des parties. Évidemment, ce genre de choses est largement incompatible avec une mémoire de travail limitée, qui ne peut gérer simultanément qu'une quantité restreinte d'idées et de connaissances.
Le bilan
modifierOn pourrait rajouter d'autres théories, comme le MBTI, la théorie de Sternberg et bien d'autres encore. En tout, il doit exister plus d'une centaine de théories des styles d'apprentissage. Mais dans tous les cas, toutes les théories des styles d'intelligence ont de gros problèmes aussi bien théoriques qu’expérimentaux. Premièrement, on voit mal quel est le mécanisme qui ferait que les élèves ont des styles d'apprentissage différents. Il n'y a tout simplement aucune explication théorique derrière les théories des styles d'apprentissage, aucun mécanisme explicatif, aucune cause à ces styles d'apprentissage. Pourquoi un élève apprendrait-il mieux à partir de supports concrets qu'à partir de concepts abstraits ? Pourquoi certains profiteraient-ils de supports visuels et pas d'autres ?
En second lieu, ces théories sont souvent rarement solides du point de vue expérimental : le nombre d'expériences qui montrent une efficacité des pédagogies basées sur ces styles d'apprentissage est très faible, voire inexistant pour certaines théories. En 2009, l'Association For Psychological Science, une grande institution scientifique étasunienne, a publié un rapport sur l'efficacité des théories fondées sur les styles d'apprentissage. Ce rapport, nommé « Learning styles: concepts and evidence » a conclu à un manque de preuves évident de ces théories sur le plan expérimental. En somme, les théories des styles d'intelligence sont des théories dont l'efficacité en classe a de très fortes chances d'être totalement nulle.
Les théories de la différenciation pédagogique soi-disant basées sur le fonctionnement du cerveau
modifierLe courant de la neuroéducation est composé de chercheurs qui utilisent les recherches sur le cerveau pour utiliser l'apprentissage. En soit, rien de mal. Certaines recherches sont d'ailleurs d’excellents indicateurs qui permettent de confirmer les recherches en psychologie. En revanche, il arrive souvent que certaines théories pseudo-scientifiques utilisent l'aura des neurosciences pour se faire accepter. C'était le cas de la méthode Brain Gym, une méthode totalement invraisemblable sur le plan scientifique, qui a tenté de se faire passer pour une méthode fondée sur les neurosciences. On pourrait aussi citer le cas de la programmation neuro-linguistique, une pseudo-science qui est la base de la pédagogie PNL. De même, d'anciennes théories totalement réfutées continuent de faire des ravages chez certains enseignants, comme c'est le cas avec la distinction cerveau gauche, cerveau droit. De tels neuro-mythes doivent donc être combattus avec vigueur. Mais ces pseudo-théories de la différenciation n'ont pas encore reçu de confirmations expérimentales et sont souvent fondées sur des théories totalement fausses.
La disitnction entre cerveau gauche et cerveau droit
modifierPar exemple, la soi-disant différence entre cerveau gauche et cerveau droit est parfois utilisée dans le milieu éducatif. L'idée reçue qui veut que les deux côtés du cerveau ne traitent pas des mêmes tâches (le cerveau gauche serait plus rationnel et l'autre émotionnel) est encore tenace. Mine de rien, l'étude "Neuroscience and education: myths and messages" de Paul A. Howard-Jones montre que près de 90% des professeurs anglais croient à ces théories. Certains pensent que certains élèves seraient plus cerveau droit que cerveau gauche et qu'il faut adapter le style d'apprentissage en fonction. J'ai d'ailleurs personnellement lu des cours de formation sur les cartes mentales, destinés à des professeurs, qui faisaient référence à cette idée reçue. Mais dans la réalité, cette spécialisation des deux hémisphères est très limitée et n'a rien à voir avec l'apprentissage.
La théorie des intelligences multiples
modifierÀ côté des styles d'apprentissage, on trouve d'autres théories similaires qui stipulent l'existence de différentes formes d'intelligences. La littérature grand public mentionne souvent la théorie des intelligences multiples de Gardner, qui fournit une classification des différentes formes d'intelligences : logico-mathématique, spatiale, interpersonnelle, intrapersonnelle, corporelle, linguistique, musicale et naturaliste. Cette théorie est souvent utilisée pour défendre une certaine forme de différenciation pédagogique. D'ordinaire, l'école se focaliserait surtout sur les intelligences linguistique et logico-mathématique. Mais si un élève n'arrive pas à apprendre, on peut se baser sur une autre forme d'intelligence, qui lui serait plus adaptée. Manque de chance, Gardner lui-même n'est pas d'accord avec cette forme de différenciation et se révèle plutôt contre. De plus, les confirmations expérimentales sont rares, voire inexistantes. En 2004, une revue de la littérature, effectuée par Sternberg, n'a trouvé aucune étude sur le sujet.
De plus, les connaissances actuelles nous disent clairement que la théorie de Gardner a de bonnes chances d'être fausse. Cette théorie est notamment incompatible avec les observations effectuées sur les tests de QI, qui testent plusieurs intelligences à la Gardner : linguistique, logico-mathématique, naturaliste et spatiale (sans compter qu'elles mesurent aussi d'autres paramètres comme la capacité de la mémoire de travail). Or, statistiquement, ces épreuves ne sont pas indépendantes : la réussite à une de ces épreuves est fortement reliée à la réussite de n'importe quelle autre épreuve du test. La réussite à une épreuve prise au hasard dans un test de QI a une corrélation très élevée avec la réussite à n'importe quelle autre épreuve. Ces corrélations statistiques font que toutes les épreuves semblent reliées à un facteur général, qui est appelé le facteur g. Les suppositions vont de bon train sur l'origine de ce facteur, mais il semblerait clairement que celui-ci soit relié aux fonctions exécutives, des capacités cognitives qui s'occupent de gérer la mémoire de travail : planification, inhibition, mise à jour de la mémoire de travail, etc.
Lire aussi
modifier- Stop propagating the learning styles myth, par krishner, 2016.
- Do Learners Really Know Best? Urban Legends in Education, par Kirschner et van Merrienboer, 2013.
- Learning Styles: Concepts and Evidence, Pashler, 2008.