Psychologie cognitive pour l'enseignant/Les stratégies de répétition



On a vu dans les chapitres précédents que mémoriser une information consiste à la relier avec des connaissances antérieures. Ce processus ne laisse aucune place à la "répétition par cœur". D'ailleurs, les expériences faites sur le sujet ont montré que cette forme de répétition, comme la relecture ou le par cœur, n'a aucun effet à long terme. Pour être précis, elle améliore les performances de reconnaissance mais pas de rappel.

Pour vérifier sa mauvaise efficacité, des chercheurs ont demandé à des volontaires de décrire du mieux qu'ils pouvaient une pièce d'un penny, un centime américain. De plus, ils leur ont posé quelques questions simples sur cette pièce. Bilan : les volontaires ne se souvenaient pas des détails de la pièce. Par exemple, ils ne savaient pas si le visage était tourné vers la droite ou la gauche. Pourtant, ces personnes voient cette pièce tous les jours et y sont exposés en permanence. Dans le même genre, on peut demander à des cobayes quelle est la disposition des chiffres (les touches) sur leur téléphone : le taux de fausses réponses est particulièrement élevé. Pourtant, les sujets font attention à la disposition des touches quand ils utilisent le clavier, pour ne pas faire d'erreurs de frappe. Mais cela ne permet que de faire passer l'information en mémoire à court terme, la répétition ne permettant que de l'y maintenir. Cela n'a aucune influence sur l'encodage. Répéter mentalement un numéro de téléphone permet de le garder à l'esprit, dans la mémoire à court terme mais aucunement de l'encoder en mémoire à long-terme.

La relecture/révision

modifier

Cette constatation a naturellement des conséquences pour les apprentissages scolaires. Par exemple, relire ses cours sur un faible intervalle de temps n'a pas vraiment d'influence, les connaissances étant encodées lors de la première présentation (sauf cas de surcharge de la mémoire à court terme). Cela ne signifie pas que relire ses cours est inutile, vu que de nouvelles associations peuvent se former à chaque relecture. Mais l'efficacité de cette stratégie est alors rapidement décroissante. Ce cas est non seulement possible, mais aussi extrêmement fréquent, au point qu'il peut s'observer avec une simple liste de mots ! Cela se voit très bien dans les expériences de rappel libre répété, où des sujets doivent apprendre une liste d'items, avant de devoir les rappeler dans l'ordre de leur choix, plusieurs fois de suite, avec des intervalles de pause entre chaque rappel. On observe alors qu'au fil des rappels, les sujets réorganisent les items suivant leurs connaissances antérieures (les items sont de plus en plus classés par catégorie, par exemple). De manière générale, l'effet de la relecture se limite à l'élaboration de nouvelles inférences, à quelques exceptions près. C'est très utile si on a pas très bien compris le cours, ou si on veut l'approfondir. Mais pour qui a bien compris le cours, pas besoin de relire une dizaine de fois son cours dans la même soirée. Quelques relectures devraient suffire à un bon élève.

Les études sur l'efficacité de la relecture sont légion et on peut notamment citer un article de 2008, paru dans le journal "Comtemporary educationnal psychology", qui a étudié l'impact de la relecture sur la mémorisation/compréhension d'un texte en prose. Cet article visait à répliquer diverses études précédentes, aux résultats hétérogènes. Celles-ci montraient que la relecture était relativement inefficace, sauf dans deux cas précis.

  • Dans le premier cas, les relectures sont nombreuses et le test a lieu immédiatement après les relectures. Malheureusement, l'effet s'estompe rapidement, retarder le test de quelques heures ou jours suffisant à faire disparaître l'effet.
  • Dans le second cas, les relectures étaient espacées de plusieurs heures ou plusieurs jours. Cette fois-ci l'effet était durable.

En somme, la relecture est utile, mais seulement si on relit quelque chose que l'on a pas lu depuis longtemps. Bachoter n'a strictement aucune efficacité à long terme. Cela permet juste d'avoir de bonnes notes à un examen ayant lieu le lendemain, mais vous avez des chances de tout oublier quelques jours ou semaines après. Nous reviendrons plus loin sur le cas des relectures espacées, qui est plus intéressant qu'il n'y paraît.

Mais alors pourquoi l'intuition nous dit-elle que bachoter et relire ses cours est une méthode efficace ? Deux raisons à cela. Premièrement, il existe un effet positif à court terme, qui peut induire en erreur. Mais sur le long terme, l'effet du bachotage se réduit très rapidement et n'a pas d'effet durable, contrairement à d'autres méthodes de révision. Ensuite, il faut savoir que relire, apprendre par cœur, améliore la familiarité avec le matériel. Sa reconnaissance est donc plus facile. Cette familiarité avec le matériel à apprendre n'augmente pas ses performances de rappel, mais donne l'illusion d'avoir appris. Cette illusion de connaissance est à l'origine de notre foi dans l'apprentissage par cœur pour la mémorisation. Notre évaluation d'un apprentissage se base en effet beaucoup sur ce sentiment de familiarité, là où les performances de rappel sont plus difficiles à connaître. Le seul moyen pour avoir une bonne idée de ce que l'on sait, à savoir ce que l'on peut rappeler, est de se tester, de se faire évaluer avec un test ou une interrogation. On verra plus tard que cette technique a de nombreux autres avantages.

Comme on le devine, l'efficacité de la répétition varie suivant différents paramètres, qu'il vaut mieux optimiser le plus possible : les élèves doivent répéter efficacement. Or, leurs méthodes de travail ont leur importance dans ce processus de répétition. Il existe ainsi de nombreuses stratégies de révisions qui permettent d'optimiser les révisions au maximum.

La répétition de rappel

modifier

Les informations qu'on retient le mieux ne sont pas forcément celles qu'on a vues le plus souvent, mais celles dont on s'est souvenu régulièrement. À chaque fois que vous vous rappelez quelque chose, ce quelque chose en question va être consolidé un peu plus à la suite du rappel. Par exemple, si vous recevez un nouveau numéro de carte bleue, il va vous falloir un certain temps avant de le connaître par cœur. Au tout début, vous aurez du mal à vous en souvenir, et il se peut que vous utilisiez des procédés mnémotechniques pour vous faciliter la vie. Par contre, à force de vous rappeler de le code de carte bleue, vous finirez par vous en souvenir de mieux en mieux. Chaque rappel successif fait de moins en moins appel à votre concentration et demande de moins en moins d'efforts. Ainsi, des rappels répétés consolident la connaissance en mémoire à long terme, ce qui immunise la connaissance rappelée contre l'oubli.

La retrieval practice

modifier

Diverses résultats suggèrent d'utiliser une méthode de révision appelée retrieval practice, terme que j'ai décidé de traduire par répétition de rappel. Elle consiste à forcer l'élève à se rappeler l'information plutôt que de la relire plusieurs fois de suite. Celle-ci est plus efficace que la simple relecture/révision. Pour donner un exemple, je vais prendre une expérience effectuée par Roediger & Karpicke. On demandait à des étudiants de lire des textes scientifiques relativement courts. Le premier groupe devait lire le texte 4 fois, le second groupe lisait le texte trois fois et se faisait tester une fois, tandis que le troisième groupe avait droit à une seule lecture et trois interrogations. Une semaine plus tard, les trois groupes étaient testés : plus un groupe avait été testé, mieux c'était.

Comme autre exemple, nous allons prendre une étude réalisée dans un collège américain (dans l'Illinois). Dans celle-ci, des chercheurs ont organisé un cours d'histoire-géographie de manière que les divers points du cours fassent l'objet d'interrogations régulières. Les élèves subissaient ainsi des interrogations régulières, à faible coefficient, plusieurs fois par semestre. Le rythme d'interrogation était nettement plus important comparé à la situation avant l'expérience. Lors d'une évaluation un mois après l'expérience, les élèves obtenaient la note moyenne de A- sur les notions apprises et testées lors de l'expérience, alors que les autres notions recevaient une note moyenne de C+. Autant dire qu'une telle différence est particulièrement appréciable.

Il semblerait que la répétition de rappel soit plus efficace si elle demande des efforts. Si une information met du temps à être rappelée, si elle est difficile à se remémorer, son rappel la consolidera d'autant plus. Il s'agit d'un bon exemple de ce que l'on appelle une difficulté désirable. En somme, apprendre n'est pas quelque chose de facile, qui ne demande pas d'efforts. Il est des difficultés qui, loin de nuire à l'apprentissage, le facilitent.

Les interrogations et évaluations sont donc des techniques d'apprentissage et non un moyen de vérifier les connaissances de l'élève : elles doivent être fréquentes. De même, s'auto-tester ou se faire tester par un pair est une méthode de révision efficace. Si vous allez travailler chez un ami, essayez de vous poser des questions à tour de rôle. Si vous révisez seul, vous pouvez essayer de ré-expliquer le cours avec vos propres mots. Cela demande d'écrire des résumés de cours, sans regarder ses notes de cours, ou d'utiliser la technique du canard en plastique : prenez un objet quelconque (typiquement, un canard en plastique), et faites comme s'il s'agissait d'un humain auquel vous expliquez votre cours. Le bilan de cette technique semble être vraiment positif[1][2][3][4][5][6][7][8][9].

Les flashcards

modifier

La répétition de rappel peut aussi s’implémenter avec des flashcards, des cartes sur lesquelles on marque une question d'un côté et la réponse à mémoriser de l'autre côté. Le but est, à chaque carte tirée, de répondre à la question posée, avant de retourner la carte pour voir si la réponse donnée est correcte. Cette technique peut s'utiliser pour beaucoup de choses, comme des listes de mots, des définitions, des formules mathématiques, des dates, etc.

Pour utiliser ces flashcards, un psychologue du nom de Leitner a inventé un système assez simple. Ces cartes sont classées en groupes numérotés, qui sont visités à des intervalles de temps différents : les premiers groupes sont plus souvent visités que les derniers. Au tout début, toutes les cartes sont placées dans le premier groupe. Ensuite, si on réussit à se souvenir de ce qu'il y a sur la carte, on la met dans le groupe suivant, si on échoue, on remet celle-ci dans le premier groupe. Par la suite, on traite tous les groupes un par un.

 
Système de Leitner.

Bien sur, d'autres variantes existent : en cas d'échec, on peut simplement rétrograder la carte d'un rang.

 
Variante du système de Leitner.

La distribution de l'apprentissage

modifier

Un exemple similaire de difficulté désirable, fortement lié à la répétition de rappel, va là aussi à l'encontre de notre intuition. Beaucoup d'entre vous ont passé des soirées à bachoter et à réviser sans relâche avant un examen important ou une interrogation quelconque. Ce faisant, vous avez certainement révisé vos cours ou refait des exercices durant une heure, peut-être plus, sans vous arrêter. Mais cette méthode, appelée apprentissage massé est en réalité assez mauvaise pour mémoriser. Ses effets sont similaires à ceux de l'apprentissage par cœur : efficace à court-terme, mais sans effet notable au bout de quelques jours ou semaines. Autant dire que les illusions de savoir vues plus haut jouent encore une fois à plein. La recherche montre qu'il est beaucoup plus efficace de distribuer ses révisions dans le temps, dans plusieurs sessions espacées dans le temps. Cet effet est connu sous le nom de distribution de l'apprentissage

On a vu auparavant que relire ses cours est une mauvaise méthode de révision. Elle fonctionne lors des premières relectures, mais son effet s'estompe rapidement après 2 à 4 relectures, une fois que toutes les élaborations possibles ont été faites. Au-delà, la relecture n'a que peu d'influence sur la mémorisation ultérieure, vu qu'elle n'implique ni élaboration, ni rappel répété. Mais il faut cependant nuancer un peu les choses. La relecture peut être efficace sous certaines conditions bien précises. Il faut dire qu'elle est le plus souvent utilisée sous la forme de révisions massées, à savoir des révisions condensées sur une période unique, généralement importante. Une étudiant va ainsi relire ses cours plusieurs fois durant une heure ou deux, sans s'arrêter. C'est moins efficace que de distribuer les révisions, à savoir étaler les révisions dans le temps, découper le travail en petits morceaux séparés par des intervalles de temps assez longs, à faire de nombreuses pauses assez longues entre chaque répétition.

Expérimentalement, on constate que l’apprentissage distribué surpasse l’apprentissage massé, quelle que soit la situation d’apprentissage ou le matériel à apprendre. Cette supériorité de la distribution de l’apprentissage a été démontrée par une quantité absolument incroyable d’études [10]. Cette supériorité de la distribution sur l'apprentissage massé s'appelle le spacing effect. Les études sur le sujet ont aussi montré que cet effet vaut pour une large gamme de matériel : les faits ne sont pas les seuls concernés. Cela marche aussi pour la révision de cours magistraux, l’acquisition de procédures cognitives et même l’apprentissage moteur. Un élève aura donc tout intérêt à répartir ses devoirs sur la semaine de façon à en faire un petit peu à chaque fois. De même, faire de longues pauses tous les deux-trois exercices aidera fortement l’élève. De même, les professeurs gagnent à étaler les devoirs dans la semaine ou le mois. De ce point de vue, les statistiques montrent clairement qu’il y a du chemin à faire : les élèves ont souvent tendance à utiliser l’apprentissage massé.

 
Effet de la distribution de l'apprentissage, comparé à l'apprentissage massé dans l'apprentissage d'une liste de mots.

L’intervalle de temps idéal entre deux répétitions n’est pas encore connu avec certitude. Les chercheurs recommandent toutefois des intervalles très longs, de plusieurs jours. Des intervalles de 4 à 5 jours donneraient de bonnes performances, même si les chercheurs s’autorisent à penser à des intervalles plus longs pour certains types de matériel. Il semblerait que la durée entre deux révisions dépende de la facilité d'apprentissage du matériel. Du matériel facile à retenir se marie bien avec des intervalles longs entre deux révisions, là où du matériel complexe peut gagner à avoir des temps inter-révisions de l'ordre du quart d'heure.

La distribution de l'apprentissage peut aussi s'implémenter en prenant en compte le fait que l'élève n'a pas qu'une seule matière à réviser. Par exemple, un élève peut avoir des devoirs de mathématique et de biologie à faire dans la même soirée. D'ordinaire, les élèves ont tendance à travailler par blocs : ils font tous leurs devoirs de mathématiques d'abord, puis passent à la biologie. En réalité, il est préférable de distribuer les apprentissages entre les matières. Ainsi, il vaut mieux faire quelques exercices de mathématique, avant de passer à la biologie, puis de revenir aux mathématiques, et ainsi de suite. Cette méthode, qui consiste à remplir les vides dus à la distribution avec les révisions d'une autre matière, s'appelle l'interleaving.

Lire aussi

modifier

Pour aller plus loin, je vous conseille deux lectures :

  • l'article nommé Improving Students’ Learning With Effective Learning Techniques: Promising Directions From Cognitive and Educational Psychology ;
  • et le livre nommé "Mets-toi ça dans la tête !", par Brown, Roediger et McDaniel.

Références

modifier
  1. Bielaczyk, Pirolli, & Brown, 1995
  2. Chi, Bassok, Lewis, Reimann, & Glaser, 1989
  3. Chi, de Leeuw, Chiu, & LaVancher, 1994
  4. Mwangi & Sweller, 1998
  5. Renkl, 1997
  6. Renkl, Stark, Gruber, & Mandl, 1998
  7. Roy & Chi, 2005
  8. VanLehn, Jones, & Chi, 1992
  9. Renkl, 1999
  10. Using Spacing to Enhance Diverse Forms of Learning : Review of Recent Research and Implications for Instruction