Psychologie cognitive pour l'enseignant/Aborder une notion : définitions et exemples

Dans les chapitres précédents, nous avions abordé la distinction entre mémoire sémantique et procédurale, et nous avions expliqué que la mémoire sémantique est organisée sous la forme d'un gigantesque réseau d'informations interconnectées. Les informations en question sont très variés et vont d'unités de connaissances très précise à des concepts plus généraux. Dans ce chapitre, nous allons voir comment aborder des concepts et les catégories, qui sont des unités de connaissance comme les autres dans ce réseau.

Les concepts abstraits sont généralement un défi pour les professeurs, beaucoup de professeurs ont certainement eu l'impression que les connaissances concrètes sont plus faciles à apprendre/comprendre que les concepts abstraits. La recherche en sciences cognitives semble confirmer cette observation, dans dans une certaine mesure seulement, avec des résultats très disparates. Malgré tout, la recherche donne quelques clés pour faciliter l'acquisition des concepts abstraits.

L'idée est d'aider à connecter les concepts abstraits à des connaissances plus concrètes, plus faciles à apprendre. Dit autrement, il faut compléter les explications abstraites avec des exemples concrets. En clair, il faut utiliser des exemples et contre-exemples. Dans ce chapitre, nous allons voir non seulement pourquoi les exemples permettent d'aider l'apprentissage, mais aussi comment les utiliser efficacement. Mais pour cela, il faut commencer par voir comment le cerveau gère les concepts abstraits, comment il les représente dans sa mémoire sémantique.

De la représentation mentale des concepts

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Les concepts abstraits appris en milieu scolaire sont souvent ce qu'on appelle des catégories. Une catégorie regroupe ce qui est commun à un ensemble d'individus ou d'entités, appelés des exemples. Avec cette terminologie, un concept est quelque chose qui regroupe ce qui est commun à un ensemble d'exemples, c'est un regroupement de points communs.

Pour toute catégorie, on peut en donner une définition claire et non-ambiguë. Celle-ci prend la forme d'une liste de propriétés que tous les exemples possèdent (ou non, dans certains cas, l'absence d'une propriété quelconque est partagée par tous les exemples). Pour donner un exemple de catégorie, on peut prendre l'exemple du concept de carré. On peut en donner la définition suivante : "quadrilatère convexe dont les côtés ont la même longueur et à quatre angles droits". La définition se décompose en plusieurs propriétés :

  1. quadrilatère, à savoir polygone à quatre côtés ;
  2. dont les côtés sont égaux ;
  3. dont les quatre angles sont des angles droits.

Cependant, nous utilisons beaucoup de catégories dans la vie courante, sans pour autant en connaitre la définition exacte. Par exemple, essayez de me donner la définition du concept "Chat". Vous aurez certainement du mal : peut-être direz-vous que c'est un mammifère de l'ordre des félins, qu'il a des poils, une queue, une petite taille, etc. Mais vous ne fournirez pas une définition complète de ce qu'est un chat. À vrai dire, l'idée intuitive qu'on se fait d'un chat comprend les propriétés principales de la définition, mais certaines sont en trop (le fait d'avoir des poils : que penser des chats de la race sphynx ?), alors que d'autres pourraient manquer. Mais sans avoir une définition parfaite, vous remarquez quand même que tous les chats se ressemblent, qu'ils ont un air de famille, des points communs difficilement formalisables et tacites mais que vous comprenez malgré tout. Vous avez dans votre cerveau, non pas une définition mentale du concept "chat", mais des connaissances concrètes très diverses : une représentation visuelle (vous voyez à quoi ressemble un chat), des informations sur son comportement, sur le fait que c'est un animal/mammifère.

La définition que vous avez d'un chat est imparfaite, voire inexistante, et on peut en dire autant de beaucoup des concepts que vous avez appris durant votre vie. Par exemple, essayez de me définir ce qu'est un ordinateur, un pays, un continent, un médicament, etc. Pour résumer, nous avons appris des concepts qui, soit peuvent être définis mais pour lesquels nous ne connaissons pas la définition exacte, soit pour lesquels la définition est impossible. Beaucoup des concepts que nous manipulons au quotidien sont des connaissances difficiles à verbaliser, peu codifiés, que l'on a appris par la force de l'habitude. Nous avions vu dans le chapitre précédent qu'il s'agit de connaissances dites objectuelles, de connaissances tacites, aussi appelées connaissances induites, qui sont séparées des connaissances verbales et ne s’apprennent pas de la même manière. On a donc un mécanisme dans notre cerveau qui nous permet de former des concepts, sans pour autant passer par des définitions, ni même pas une transmission verbale. Et ce mécanisme de transmission des connaissances tacite est important à comprendre.

Les deux systèmes de catégorisation : règles verbales et similarité

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Exemple de la généralisation du prototype du concept d'arbre.

Depuis les années 2000, de nombreuses observations semblent indiquer que les concepts peuvent s'apprendre par plusieurs mécanismes, localisés dans des régions distinctes du cerveau. Mais cela ne veut pas dire que tous les systèmes d'apprentissage des catégories sont utiles en contexte scolaire. Pour les concepts et catégories, il existerait deux grands mécanismes de catégorisation et d’apprentissage des catégories :

  • un système qui gère des règles verbalisables ;
  • un système qui se base sur la similarité avec des exemples connus.

Le premier système va simplement induire et appliquer des définitions, des règles mentales qui permettent de dire avec certitude si un item appartient ou non à une catégorie. Apprendre de nouvelles catégories avec ce système demande d'induire une règle à partir d'exemples ou de recevoir une définition claire et précise via un apprentissage, les deux sont possibles.

Le second système va mémoriser des exemples et potentiellement utiliser leur similarité pour abstraire un concept. Ce calcul de similarité entre deux entités est souvent très rapide et inconscient, contrairement à l'utilisation de définitions et de règles. L'apprentissage de catégories avec ce système se fait par l'étude d'exemples. Tout cela appuie l'idée que définitions et exemples sont complémentaires et non opposés.

Le système de calcul de similarité : exemples et prototypes

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Le second système mémorise les catégories de deux manières : soit sous la forme d'un ensemble d'exemples distincts, soit sous la forme d'un "résumé" qui conserve les points communs des exemples connus.

Si l’élève a vu peu d’exemples d'un concept, le cerveau le représentera comme un simple ensemble d’exemples qui contient les exemplaires déjà rencontrés. Il n’y a aucune abstraction, ce qui fait que la catégorisation est peu performante.

À force de voir des exemples, le cerveau va progressivement dégager leurs propriétés communes et en abstraire une catégorie. À ce stade, les catégories sont représentées par un représentant idéal, appelé le prototype. Ainsi, une chaise sera un meilleur exemple de meuble qu'un rideau, vu qu'il est plus proche de ce prototype idéal. Une armoire sera assez proche du prototype et sera considérée comme un meuble, mais moins qu'une chaise.

Notons que le prototype n'est pas une définition. En effet, le cerveau va extraire des exemples toutes les propriétés fréquentes, qu'on retrouve chez les plupart des exemples. Mais il ne va pas éliminer une propriété du prototype juste parce qu'elle manque chez un petit nombre d'exemples. Le prototype comprend les propriétés essentielles, partagées par tous les membres de la catégorie et qui sont la définition proprement dite, mais il contient aussi des propriétés facultatives qui sont fréquentes chez certains membres de la catégorie mais pas chez tous. En somme le prototype est vu comme le représentant idéal de la catégorie.

Lors de la catégorisation, l'entité à classer est comparée aux exemples et/ou aux prototypes mémorisés. Elle est classée dans la catégorie liée à l'exemple ou le prototype le plus similaire. Et ce processus de comparaison peut facilement induire en erreur. Par exemple, posez la question suivante à une de vos connaissance :

Est-ce que les dauphins et les baleines sont des poissons ?

Il y a de bonnes chances qu'il vous réponde que oui. Alors que ce n'est pas la bonne réponse. Si vous réfléchissez bien vous vous souviendrez que dauphins et baleines sont des mammifères marins. Mais le second système, qui catégorise en fonction de la similarité, aura répondu Oui. Le second système, qui mémorise les définitions, est passé au second plan. Mais ce n'est pas une fatalité : dans cet exemple, la similarité l'a emportée sur la définition, mais les exemples où c'est l'inverse sont nombreux. Simplement, le fait que les dauphins et baleines sont des mammifères marins n'était pas très frais, ce qui a rendu la similarité plus forte. Mais pour beaucoup de concepts, la définition est plus forte, plus ancrée dans la mémoire, et passe en premier. En clair, la catégorisation par similarité et par définition entrent en compétition et c'est la plus forte qui l'emporte. D'où l'importance de bien travailler les deux types de représentations : exemples pour la similarité, définitions pour les règles verbales.

Du bon usage des exemples : les difficultés de l'abstraction

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Lorsqu'on lui présente plusieurs exemples d'un même concept, le cerveau va extraire les propriétés communes des exemples présentés. Le problème est que le cerveau ne peut pas vraiment faire la différence entre les propriétés qui font partie de la définition et celles qui ne le font pas. Il se peut que les points communs extraits ne correspondent pas exactement à la définition. Cela arrive quand on ne choisit pas correctement les exemples présentés. Dans ce cas, il se peut que des points communs soient en trop, à savoir que l'élève les a extrait alors qu'ils ne font pas partie de la définition. Cela entraîne des sur-généralisations, dans lesquelles l'élève croit que certaines propriétés sont valides pour une classe de phénomènes ou d'objets alors que ce n'est pas le cas. À l'inverse, il peut arriver à l'élève de croire que certaines propriétés ne sont valables que pour une classe restreinte de concepts alors que ce n'est pas le cas : de telles sous-généralisations sont assez courantes.

Prenons l'exemple d'un élève à qui on souhaite apprendre ce qu'est un carré. D'ordinaire, on présente les carrés à l'horizontale, les carrés des exemples étant rarement penchés. La conséquence est que le prototype formé sera un carré à l'horizontale. Si on présente un carré penché à un élève, il se peut qu'il ne le classe pas comme un carré : l'élève considérera que la propriété "pas penché" est une propriété essentielle du concept de carré. La faute à un prototype trop strict, qui contient des propriétés en trop.

Une situation familière a été mise en évidence par l’expérience de Lupyan (2012). Dans celle-ci, il a demandé à un premier groupe de cobayes de dessiner un triangle, tandis qu'un second groupe devait dessiner une figure à trois côtés. Dans le groupe triangle, le triangle a été dessiné avec une base horizontale dans 82% des cas et il était isocèle dans 91% des cas. Mais dans le groupe "trois côtés", ces deux proportions sont de 50% seulement ! De même, les participants ont tendance à surévaluer l'inclinaison d'un triangle quand on leur dit qu'il s'agit d'un triangle, comparé à un groupe test dans lequel on dit aux participants que la figure est un polygone à trois côtés. Pourtant, les élèves connaissaient la définition d'un triangle, mais leur prototype de triangle était faussé.

Tout le défi de l'abstraction à partir d'exemples est là : il faut choisir les exemples présentés de manière à ce que leurs points communs collent le plus possible à la définition. Intuitivement, cela demande d'utiliser des exemples variés, qui partagent peu de points communs, qui sont très différents, très peu similaires. L'usage de contre-exemples variés est aussi une bonne chose. Toujours est-il que cela demande d'utiliser une suite d'exemples et de contre-exemples bien conçue. Si elle ne l'est pas, l'abstraction du concept à partir d'exemple donnera un résultat imparfait. Une autre manière de le dire que deux élèves ne doivent pas construire des compréhensions différentes d'un même concept à partir d'exemples identiques.

Par exemple, essayez de déduire quelle est la règle à partir des exemples suivant : 1, 3, 7, 5, 9, etc. Vous avez certainement pensé qu'il s'agissait des nombres impairs, mais cette suite est aussi cohérente avec les règles comme "nombres à un chiffre", "nombres impairs à un chiffre", ou "nombres entiers impairs", ou bien d'autres encore. C'est tout le problème de l'induction à partir d'exemples : un ensemble d'exemples est souvent compatible avec plusieurs interprétations, mais une seule de ces interprétations est compatible avec le concept à communiquer. Ces fautes de communication proviennent d'exemples mal choisis et ont peu de chances d'arriver avec des définitions. Les définitions ne sont ni plus ni moins que des ensembles de propriétés essentielles et elles n'engendrent donc pas ce problème. Mais elles ne mettent pas en œuvre le processus inconscient de catégorisation par similarité, qu'il est important de travailler.

Pour éviter les problèmes mentionnés dans la section précédente, il existe diverses techniques qui visent à diminuer l’ambiguïté inhérente à l'abstraction à partir d'exemples. Le professeur peut faciliter l'abstraction des points communs et différences en choisissant des suites d'exemples qui n'ont qu'une seule interprétation possible. Il existe une méthode pédagogique à la pointe de ce genre de procédés : le Direct Instruction d'Engelmann (à ne pas confondre avec les autres formes de direct instruction, comme la pédagogie explicite, qui n'utilisent absolument pas ces techniques d'apprentissage des concepts). Cette méthode se fonde sur des scripts pédagogiques qui décrivent les exemples et contre-exemples à donner aux élèves, ainsi que leur ordre de présentation. L'existence de ces scripts tient au fait que créer soi-même une séquence d'exemples qui ne donne pas lieu à de telles confusions est très difficile et demande souvent des années de travail : les créateurs du Direct Instruction ont préféré créer eux-mêmes de telles séquences. Dans ce qui va suivre, nous en verrons surtout les grandes lignes et les recommandations les plus importantes.

Varier les exemples

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Plus on donne d'exemples et de contre-exemples variés, plus l'élève aura une représentation fidèle de la catégorie. Donner un grand nombre d'exemples est une bonne chose, mais l'important est surtout que ces exemples soient variés, dans le sens où les exemples ne doivent pas beaucoup se ressembler. En effet, rappelons que l'élève va abstraire les points communs des différents exemples et va les regrouper dans une catégorie (soit pour former une définition implicite, soit pour former un prototype mental, soit les deux). Moins les exemples ont de points communs, plus on est sûr que la catégorie formée collera de près à la définition, dans le sens où elle contiendra moins de propriétés facultatives. Par variés, on veut dire que les exemples donnés doivent être le moins similaires possibles. En effet, plus deux exemples d'une même catégorie sont similaires, plus ils partagent de propriétés facultatives. La similarité minimale entre deux membres d'une même catégorie est obtenue quand les deux exemples ne partagent que des propriétés essentielles.

Dans une de ses expériences datée de 1979, John Bransford et ses collègues de la Vanderbilt University au Tennessee ont cherché à savoir si varier les exemples avait un effet sur la capacité à transférer la catégorie dans de nouvelles situations. Un premier groupe devait apprendre des concepts avec des exemples similaires, tandis que l'autre groupe recevait des exemples très différents. Dans un test ultérieur, portant sur un contexte d'utilisation jamais vu auparavant lors des exemples, les chercheurs ont vérifié quel était le pourcentage de réussite des deux groupes : 84% dans le second groupe contre 64% dans le premier.

Une autre méthode pour varier l'apprentissage est d'utiliser des contre-exemples. Ici, la stratégie est différente qu'avec les exemples. Avec des exemples, les points communs peuvent faire partie de la définition ou être des propriétés facultatives. Pour éliminer une propriété facultative, il faut présenter au moins un exemple qui ne l'a pas. Avec des contre-exemples, la stratégie est de présenter un contre-exemple qui possède la propriété facultative. Quand un exemple et un contre-exemple partagent une même propriété, il y a de fortes chances qu'elle ne fasse pas partie de la définition. Dit autrement, les contre-exemples permettent de réfuter les règles ou prototypes malformés, induits par erreur. Si l'élève a induit une règle ou un prototype qui prend à tort un contre-exemple comme un membre de la catégorie, il sait qu'il devra le réviser lors de la présentation d'un contre-exemple. Expérimentalement, on constate que l'apprentissage est nettement meilleur quand les exemples et contre-exemples sont mélangés. Là encore, les contre-exemples doivent le plus variés possible.

Distribuer les exemples

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Mais outre le fait de varier les exemples, il faut aussi les voir dans un certain ordre. Durant longtemps, les scientifiques pensaient cependant qu'amasser les exemples était une bonne solution, dans le sens où cela permettait de juxtaposer des exemples similaires, facilitant ainsi l'extraction de leurs similarités/points communs. Par exemple, supposons que je dispose de neuf exemples d’une même catégorie, qui peuvent être groupés en trois paquets A, B et C selon leurs similarités. Intuitivement, on pourrait penser qu’il vaut mieux présenter les exemples dans cet ordre : A1, A2, A3, B1, B2, B3, C1, C2, C3.

Mais dans le chapitre précédent, on a vu que l'apprentissage des concepts devait mettre l'accent sur leurs différences, ce que le séquencement vu plus haut ne permet pas de faire, car il met l'accent sur les similarités entre exemples. De plus, on a vu au chapitre précédent que la distribution de l'apprentissage permettait un meilleur apprentissage. Or, dans le type de séquencement précédent, les exemples similaires sont amassés les uns après les autres et non distribués. Cela va plutôt dans le sens d'une distribution des exemples, des exemples similaires devant être le plus éloignés possibles (dit autrement, des exemples consécutifs soient les plus dissemblables possibles). Par exemple, dans l'exemple ci-dessus, il vaudrait mieux utiliser un ordre du style A1, B1, C1, A2, B2, C2, A3, B3, C3. Tout l'enjeu est de mettre l'accent sur les différences entre exemples, pour faciliter l'induction d'une catégorie.

Quelques études récentes vont dans le sens de la deuxième possibilité. On peut notamment citer l'étude "Learning concepts and categories : is spacing the ennemy of induction ?" de Kornell et Bjork. Dans cette étude, des étudiants devaient apprendre à reconnaître le style de peintures de divers artistes peu connus. Cette étude a comparé deux groupes. Le premier voyait les tableaux appartenant à un même peintre les uns à la suite des autres, tandis que l'ordre des tableaux était complètement mélangé pour le second. C'est ce dernier qui avait les meilleurs résultats à long terme. Cette étude a été reproduite depuis, notamment par Kang et Pashler dans leur étude "discriminating painting styles : Spacing is advantageous when it promotes disciminative contrast". D'autres études du même genre ont montré que l'apprentissage distribué favorisait l'apprentissage de classifications d'oiseaux.

Quand on fait intervenir des contre-exemples, les choses deviennent plus compliquées. Il est ainsi déconseillé de voir tous les exemples ensembles, suivis par les contre-exemples : les prototypes ou règles mal induits seront alors réfutés plus tôt ou n'auront pas le temps de se former. Plutôt que de présenter les exemples par blocs, suivis des contres-exemples, il vaut mieux alterner exemples et contre-exemples, intercaler chaque contre-exemple entre deux exemples : il ne faut pas que les contre-exemples soient regroupés. De plus, chaque contre-exemple doit être le plus semblable aux exemples qui l'entourent : cela permet à l'élève de nettement mieux distinguer les propriétés essentielles des propriétés facultatives.

Résumé de la section

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Pour résumer, une bonne utilisation des exemples et contre-exemples demande de respecter les conseils suivants autant que nécessaire :

  • présenter une série d'exemples les uns à la suite des autres à un rythme assez rapide ;
  • intercaler des contre-exemples entre les exemples ;
  • varier le plus possible les exemples et contre-exemples présentés ;
  • rendre les plus dissimilaires possible des exemples consécutifs ;
  • rendre les plus similaires possible un exemple et un contre-exemple consécutifs ;
  • construire une suite d'exemples/contre-exemples qui n'a qu'une seule interprétation possible et ne peut permettre d'induire qu'une seule et unique règle ;
  • faire précéder les exemples par une définition, une règle ou une procédure quand c'est possible : celle-ci permet de donner des indications sur ce qui est pertinent dans la série d'exemples, ce qui est commun aux différents exemples, facilitant l'abstraction d'une règle.

Du bon usage des définitions

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Si nous nous sommes intéressés à l'usage d'exemples dans la section précédente, celui-ci n'est pas exclusif, mais reste complémentaire à l'usage de définitions. Reste que définir un concept n'est pas une chose aussi simple qu'on pourrait le croire. Simplement donner une définition n'est pas suffisant pour qu'elle soit comprise, il faut aussi que les explications soient bien faites. Intéressons-nous donc à ce qui peut aider les élèves à mieux comprendre une définition.

Toutes les définitions ne sont pas égales

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Notons avant toute chose qu'une catégorie peut se définir de plusieurs manières. Dit autrement, on peut donner plusieurs définitions équivalentes d'un même concept, d'une même catégorie. Par exemple, un carré peut être défini comme étant "Un rectangle avec quatre côtés égaux", "Figure qui est à la fois un rectangle et un losange". Ou encore, comme étant "un losange avec un angle droit".

Et qui dit définitions différentes dit : pré-requis différents pour chaque définition, charge cognitive différente, etc. Toutes les définitions ne se valent pas et certaines sont plus simples que d'autres. Toujours est-il qu'il est utile, voire fortement intéressant, de présenter toutes les définitions et montrer en quoi elles sont équivalentes. C'est là un premier conseil important à connaître.

Un concept peut souvent s'expliquer de plusieurs manières différentes compréhensibles par les élèves. Ces explications ne sont pas exclusives, mais complémentaires et il est préférable, si le temps et les conditions le permettent, d'aborder un concept de plusieurs manières au lieu d'en choisir une bien précise.

Les définitions demandent des prérequis

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Dans l'exemple du carré, on peut remarquer que la définition fait appel à d'autres concepts. Par exemple, la définition "Quadrilatère dont les côtés ont la même longueur et à quatre angles droits" fait appel au concept de quadrilatère. Même chose pour la définition "Figure géométrique qui est à la fois un rectangle et un losange", qui demande de savoir ce qu'est un rectangle et un losange. Ce cas est loin d'être le seul et arrive très souvent que les propriétés utilisées dans une définition sont des concepts qui doivent être connus de l'élève au préalable. Ces définitions dérivent une catégorie en spécialisant une catégorie plus générale, en ajoutant des propriétés à un concept déjà connu. Par exemple, la définition suivante est dans ce cas : "Un carré est un rectangle avec quatre côtés égaux". On prend la catégorie plus générale "rectangle" (un carré est un rectangle) et on ajoute le fait d'"avoir ses côtés égaux".

Techniquement, les concepts utilisés dans la définition sont des prérequis, à savoir des connaissances qu'il faut obligatoirement connaître pour comprendre l'explication et/ou la définition. Dans ce cas, cela impose de voir les concepts dans un ordre bien précis : voir ce qu'est un quadrilatère avant de parler de carré, pour l'exemple précédent. On voit aussi que toutes les définitions n'ont pas les mêmes prérequis, sans compter que le nombre de prérequis n'est pas le même. Mais tout cela pose la question de l'ordre dans lequel voir les concepts, chose que nous allons aborder dans le chapitre suivant. De manière générale, on doit prendre en compte les liens que les concepts ont entre eux pour savoir dans quel ordre en parler. Mais ces relations entre concepts sont le sujet du chapitre suivant, aussi nous n'en parlerons pas plus que cela ici.

Deux approches pour aborder un concept : quels avantages et inconvénients

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Un autre point est de savoir dans quel ordre aborder exemples et explications abstraites. Il est possible de fournir une définition et ensuite de présenter une suite d'exemples. Ou on peut le faire dans le sens inverse : on peut présenter une suite d'exemples, suffisante pour que les élèves en abstraient les points communs, puis de la faire suivre par une définition formelle.

En soi, l'ordre de présentation (définition avant ou après exemples) dépend du concept en question. Beaucoup de concepts simples seront plus simples à expliquer en fournissant une définition complétée ensuite par des exemples. C'est le cas si la définition est facile à comprendre et assez intuitif. En faisant cela, la définition indique ce qui est pertinent dans les exemples qui vont suivre, rendant leur analyse plus facile. Mais pour des concepts moins intuitifs, plus compliqués, ou dont la définition n'est pas facile, l'usage d'exemples en premier lieu peut se révéler plus intéressant. L'approche à utiliser dans de tels cas est de commencer par voir des exemples concrets avant de progressivement aborder des explications de plus en plus abstraites. Les exemples vont alors fournir une base qui permet de comprendre la définition abstraite, alors que celle-ci aurait été peu intuitive ou incompréhensible sans.

Les définitions et exemples n'ont pas la même charge cognitive

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Du point de vue de la charge cognitive, définitions abstraites et exemples ont des avantages et des inconvénients distincts. La recherche a identifié de nombreux avantages et inconvénients théoriques pour chaque approche et en faire la synthèse est quelque peu complexe.

Comparé aux définitions, l'induction à partir d'exemples est cognitivement coûteuse. La raison principale à cela est qu'analyser des exemples demande de conserver beaucoup de choses en mémoire de travail. Les exemples sont en effet riches en propriétés, que le sujet doit filtrer au fur et à mesure pour ne conserver que les plus pertinentes. Et la mémoire de travail est impliquée dans ce processus. C'est elle qui conserve les propriétés extraites au fur et à mesure de la présentation des exemples. Le problème est que la mémoire de travail a une capacité suffisamment limitée pour que quelques exemples suffisent à la faire surcharger. Dans les faits, dès qu'un concept est un peu compliqué, l'usage des exemples va surcharger la mémoire de travail et l'apprentissage va mal se passer. Alors que fournir une définition et l'illustrer par des exemples n'a pas ce problème : les propriétés pertinentes sont fournies au début de l'explication et le sujet ne doit pas mémoriser temporairement quoique ce soit de plus.

Mais attention : si les définitions ont une charge cognitive moindre comparé aux exemples, cela ne signifie pas qu'il faille remplacer les exemples par des définitions. Au contraire, on a vu dans ce chapitre que les deux méthodes sont complémentaires l'une de l'autre. L'argument sert plus à dire qu'il vaut mieux commencer par une définition que d'aborder en premier des exemples. Un autre argument qui va dans ce sens est que donner une définition en premier permet de réduire la charge cognitive des exemples. La définition indique quelles sont les propriétés pertinentes et celles qui sont inutiles. Ainsi, lors de l'étude des exemples, l'élève aura une petite idée des propriétés à filtrer ou à conserver. Même s'il ne comprend pas totalement la définition, celle-ci donne des indices qui permettent de mieux analyser les exemples. Faire l'inverse, à savoir donner des exemples avant la définition, ne permet pas cela.

Un compromis entre connectivité et distraction

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Outre la différence en termes de charge cognitive, la recherche a beaucoup étudié deux propriétés des exemples concrets, l'un étant un avantage et l'autre un inconvénient.

Le premier point est que les exemples concrets sont l'idéal pour faire des connexions avec des connaissances antérieures. Les exemples concrets sont riches en détails et sont chacun faciles à connecter à des connaissances antérieures. À l'inverse, les concepts abstraits sont pauvres en informations et en détails, ce qui les rend difficiles à connecter aux connaissances antérieures. De plus, les concepts abstraits ne se visualisent pas ou alors seulement via des analogies et des métaphores, alors que les exemples concrets se visualisent bien.

Le second point, qui est un inconvénient, est leur capacité à distraire l'attention des points essentiels. Le fait que les exemples aient beaucoup de détails rend difficile de déceler quels sont les détails pertinents et ceux qui sont des distractions à éliminer. Identifier les propriétés pertinentes des propriétés facultatives est compliqué pour l'élève, surtout si les exemples sont mal utilisés, peu variés, mal distribués. Mais nous avons abordé cela en profondeur auparavant.

Il y a donc un compromis entre la connectivité et la distractivité des exemples. Tous les exemples ne sont pas égaux de ce point de vue et certains arrivent à réduire la distraction tout en augmentant la connectivité. Bien choisir les exemples est donc primordial. Mais surtout, les définitions et exemples semblent opposés de ce point de vue : peu de connexions et de distractions pour les définitions, l'inverse pour les exemples. Autant dire qu'il vaut mieux profiter des deux approches, qui ne sont pas incompatibles, mais complémentaires.