Apprendre à lire est une chose importante, et ceux qui n'y arrivent pas sont souvent promis à un avenir sombre. De nos jours, l’analphabétisme et l’illettrisme sont relativement rares, et ne concernent que 5% de la population, selon les études réalisées lors de la Journée d'Appel de Préparation à la Défense. Selon les études PIRLS, la majorité des difficultés portent essentiellement sur la compréhension de texte. Cependant, quiconque est familier avec le domaine de l'éducation sait que d'interminables débats sont toujours en cours concernant l’efficacité des différentes méthodes de lecture. Cette querelle sur les méthodes de lecture est relativement caricaturée dans les débats grand public, ainsi que dans la majorité des productions sur le sujet, en une confrontation entre deux camps : les méthodes globales (et semi-globales), et syllabiques. Ce chapitre vise à faire une synthèse des faits avérés sur l'apprentissage de la lecture. Cet article n'est pas totalement exhaustif, même si l'auteur cherche à rendre celui-ci le plus complet possible.

Les mécanismes de la lecture

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Lire est un processus qui fait intervenir diverses zones de notre cerveau, et qui se base sur plusieurs processus : comprendre le sens d'un texte demande l'usage de la mémoire, de nos capacités intellectuelles, d'automatismes liés à la syntaxe, etc. Dans les grandes lignes, comprendre un texte ou un discours implique deux types de processus relativement bien séparés : un processus purement perceptif de reconnaissance des mots et lettres et de nombreux processus grammaticaux, syntaxiques et sémantiques.

La reconnaissance des mots

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L'ensemble des connaissances sur le vocabulaire forme ce qu'on appelle le lexique mental, ou mémoire lexicale. Celui-ci permet de savoir comment prononcer un mot ou comment l'écrire. Il contient aussi les symboles comme les lettres, les syllabes, les sons d'une langue (maternelle ou non), les chiffres, certains nombres, et toutes les notations possibles et imaginables (comme les notations mathématiques, par exemple). Vision et audition sont des portes d'entrée qui permettent d’accéder à ce lexique mental, afin de comprendre respectivement l'écrit et l'oral. Ce lexique mental ne serait pas unique : il serait composé de plusieurs lexiques mentaux spécialisés. On trouverait ainsi :

  • un lexique pour la compréhension orale, qui stocke la prononciation des mots.
  • un lexique pour la lecture, qui stocke la représentation visuelle et/ou orthographique des mots ;
  • un lexique de sortie, qui stocke comment articuler pour prononcer un mot, et éventuellement comment l'écrire ;
  • et la mémoire sémantique, qui stocke le sens des mots, les concepts qui y sont associés.

Le processus de reconnaissance des mots, est la première compétence travaillée par les méthodes de lecture : si l'enfant ne sait pas reconnaître les mots d'un texte, il ne peut évidemment pas comprendre celui-ci. Donc, l'apprentissage de la lecture doit forcément travailler la reconnaissance de mots isolés en premier lieu. Chez la personne qui a appris à lire, la reconnaissance des mots connus est un processus automatique. Pour le prouver, on peut utiliser l'effet Stroop, qui nous dit que réprimer des automatismes a tendance à allonger les temps de réaction. Et c'est ce qu'on observe dans le cas de la reconnaissance des mots. Par exemple, si on vous demande de donner la couleur d'un mot, vous prendrez beaucoup plus de temps si jamais le mot en question est un adjectif de couleur qui ne correspond à la couleur de l'encre. Essayez par vous-même :

Vert Rouge Bleu Jaune Bleu Jaune

Bleu Jaune Rouge Vert Jaune Vert

Les autres processus de lecture

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Les processus sémantiques, syntaxiques et grammaticaux sont impliqués dans la compréhension d'un texte ou d'un discours oral, la mémorisation et le raisonnement. Ceux-ci impliquent fortement la mémoire sémantique, une sous-portion de la mémoire qui stocke les connaissances conceptuelles, la signification des mots. Pour faire très simple, comprendre un texte ou un discours consiste à former un modèle mental de la situation décrite dans le texte/discours. Cela demande juste de former des relations entre connaissances présentes en mémoire sémantique, et à utiliser ces connexions pour récupérer l'information adéquate.

Les paramètres qui influencent l'apprentissage de la lecture

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Il existe divers paramètres qui font que la lecture est plus ou moins facile. Nous allons commencer par voir quels sont ces paramètres, avant de voir les modèles qui permettent d'expliquer pourquoi ces paramètres ont une influence. La reconnaissance des mots est surtout influencée par les liens entre oral et écrit, là où la compréhension est influencée par l'élaboration des réseaux mnésiques. Dans les grandes lignes, nous prononçons les mots et percevons la parole en la décomposant en composants élémentaires, les phonèmes, sortes de sons élémentaires qui sont assemblés ensembles pour former des syllabes. Pour simplifier, le principe alphabétique stipule que chaque lettre est attribuée à un ou plusieurs phonèmes : chaque phonème est un son qui correspond à une lettre. Par exemple, dans la syllabe "mo", il y a un phonème qui correspond au "m", et un autre au "o" : essayez de décomposer cette syllabe, vous verrez que vous y arriverez (du moins, vous en aurez l'impression…). On peut noter qu'il existe des cas où un son correspond à un groupe de plusieurs lettres, auquel on donne le nom technique de graphème. Dans la suite de cet article, j'utiliserais le terme "lettre" pour faire référence à ces graphèmes, et le terme "son" et lieu et place de phonème, par souci de vulgarisation.

La transparence linguistique

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Il existe des langues transparentes, où il n'existe qu'une seule lettre par phonème, et réciproquement : c'est le cas du serbe et du croate, par exemple. Mais manque de chance, ce n'est pas le cas du français ou de l'anglais. En français, il existe 44 phonèmes pour 26 lettres : cela s'explique par le fait qu'une lettre peut correspondre à plusieurs phonèmes, suivant le mot ou la syllabe, et réciproquement. Par exemple, la lettre "g" ne se prononce pas de la même manière dans "jauge" et dans "gueule" : dans le premier cas, elle se prononce plutôt à un "j", alors qu'elle se prononce comme un "g" dans le second. De même, on pourrait citer les lettres muettes, et autres situations du même genre.

Le fait qu'une lettre puisse correspondre à plusieurs phonèmes pose problème pour la lecture. Le cas inverse, à savoir la transcription d'un phonème en lettre/groupe de lettre, n'influence pas la lecture, mais joue un grand rôle pour l'écriture. En effet, le non-respect du principe alphabétique fait que l'on ne peut pas déduire facilement la prononciation d'un mot à partir de ses lettres dans une langue non-transparente, ce qui rend l'apprentissage de la lecture plus laborieux. L'apprentissage de la lecture est plus long pour les pays qui utilisent une langue inconsistante, comparé aux pays à langue transparente. De plus, il faut savoir que les locuteurs des langues transparentes sont moins concernés par la dyslexie : elle existe bien dans ces pays, et dans des proportions similaires à ce qu'on trouve en France, mais les dyslexiques de ces pays ont nettement moins de mal à lire et sont nettement moins handicapés que les petits Français ou Anglais.

La conscience phonologique

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Les études sur le sujet sont très claires : il existe une bonne corrélation entre la capacité à reconnaitre des mots isolés, et la capacité à analyser les différentes unités du langage. Les études en question ont été relativement bien résumées dans une synthèse du National Reading Panel, publié dans les années 2000. Cette capacité à segmenter les mots prononcés en unités plus petites, que l'on peut manipuler, s'appelle la conscience phonologique.

La connaissance de chaque unité du langage a une grande importance pour la lecture. Certaines études semblent montrer que la conscience phonologique mesurée avant l'apprentissage de la lecture est positivement corrélée à l'apprentissage de la lecture, ce qui semble indiquer une relation causale de la conscience phonologique. Mais les différentes consciences n'ont pas la même utilité dans l'apprentissage de la lecture. Au début de l'apprentissage, toutes les consciences phonologique semblent corrélées à de bonnes capacités de lecture. Par contre, au-delà de la seconde année de primaire, la conscience phonémique joue un rôle plus important que les autres. Cela s'expliquerait par le fait que ces différentes consciences n'apparaissent pas au même moment chez l'enfant. Le développement de la conscience phonologique commence tout d'abord par la détection des mots, puis est suivi d'un développement de la conscience syllabique, suivi lui-même par la conscience des rimes et syllabes, puis enfin par la conscience phonémique.

Cependant, il faut savoir que les phonèmes ne sont pas l'unité de base du langage, du moins pour un sujet qui n'a pas reçu un entrainement spécifique. Des expériences faites par Savin et Becker (1970) ont montré que des élèves reconnaissent plus rapidement les syllabes que les phonèmes. Et c'est sans compter que l'on n'a pas pu observer de capacité à découper le langage en phonémes avant 6 ou 7 ans, l'âge auquel l'enfant apprend à lire. Et enfin, les illettrés n'ont généralement pas de conscience phonémique, alors que leur conscience syllabique est presque identique à celle de personnes qui ont appris à lire. Par contre, les études ont clairement montré que le développement de la conscience phonémique était particulièrement bien corrélé à la capacité à reconnaitre des mots : plus l’illettré apprendre à lire, plus sa conscience phonologique se développe. Reste à savoir si c'est le développement de la conscience phonémique qui aide à l'amélioration de la capacité à reconnaitre des mots, ou l'inverse. Le fait qu'entrainer la conscience phonémique semble améliorer les performances de reconnaissance des mots semble attester d'un rôle causal de la conscience phonémique (Ehri, 2001). Par contre, il existe de nombreux cas d'enfants qui ont une très faible conscience phonémique, mais qui savent parfaitement bien lire (Bradley & Bryant, 1985; Stuart-Hamilton, 1986), sans compter que le même phénomène est observé chez des adultes (Campbell & Butterworth, 1985).

La mémoire de travail

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Au début de l’apprentissage de la lecture, la mémoire de travail est fortement mise à contribution. Il faut dire que la mémoire de travail verbale est utilisée pour mettre en attente les phonèmes/rimes/syllabes lus et les conserver pour les fusionner en unités plus grandes, ce qui très utile pour déchiffrer les mots. Cela explique que la capacité à répéter des pseudo-mots est fortement corrélée à l'acquisition ultérieure du vocabulaire. Plus la mémoire de travail verbale est grosse, plus l'élève pourra facilement répéter de nouveaux mots. On peut citer le cas d'une patiente, étudiée par Baddeley, dont la mémoire de travail phonologique/articulatoire est atteinte à la suite d'un accident vasculaire cérébral. La patiente n'avait aucun problème pour lire des mots familiers ou qui ressemblaient à des mots connus, mais l'apprentissage de nouveaux mots d'une autre langue était laborieux, quand il était seulement possible. On voit donc que l'apprentissage de nouveaux mots dépend de la mémoire de travail auditive, du moins dans les premières étapes de l'apprentissage de la lecture. Par la suite, cette influence diminue, l'élève apprenant de nouveaux mots en les reliant à des mots déjà présents en mémoire à long terme, par analogie.

De plus, la compréhension de texte utilise aussi la mémoire de travail. Automatiser la lecture permet évidemment de libérer de la mémoire de travail, au profit des processus de compréhension. Les expériences sur les élèves montrent que plus l'élève apprend à lire, plus la lecture devient économe en mémoire de travail. Cela a un effet assez positif sur la vitesse de lecture, mais aussi sur la compréhension de texte. Ainsi, les mauvais décodeurs ont des difficultés pour comprendre un texte. Plus un enfant sait déchiffrer vite et bien, plus il sera capable de comprendre le texte qu'il lit[1][2].

 
Vitesse de lecture en fonction de l'âge. L'augmentation de la vitesse de lecture est le signe que la lecture s'automatise, devenant de moins en moins consommatrice en ressources attentionnelles.

Le vocabulaire

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L'influence du vocabulaire se manifeste essentiellement sur les processus de compréhension, et plus marginalement sur le processus de reconnaissance des mots. En effet, qui dit vocabulaire développé dit mémoire sémantique développée, remplie de connaissances, de concepts, et d'idées. Les personnes avec beaucoup de vocabulaire, et donc beaucoup de connaissances antérieures, pourront former plus de relations en mémoire lors de la lecture, leur donnant un avantage en terme de compréhension de texte. C'est ce qui explique que plus le vocabulaire d'un enfant est développé, plus ses capacités de compréhension sont bonnes. Avec l'âge, le lexique mental se développe progressivement et s'enrichit de mots. Pour pouvoir parler de manière fluide, que ce soit sa langue maternelle ou une langue étrangère, un élève doit connaitre environ 4000 à 5000 mots dans la langue étrangère à apprendre. Mais évidemment, les pratiques pédagogiques et contenus d'enseignement ont aussi un rôle extrêmement important à jouer.

 
Acquisition du vocabulaire.

L'acquisition du vocabulaire

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La reconnaissance des mots écrits est un processus qui se met en place progressivement. Selon le docteur Linnea Ehri, l'apprentissage de la lecture s'effectue en trois grandes phases.

La toute première étape de l'apprentissage de la lecture a lieu avant même la scolarisation en primaire et l'apprentissage explicite de la lecture. Lors de cette étape, les enfants peuvent reconnaître des mots, qu'ils interprètent comme des dessins : ils peuvent ainsi reconnaître des mots vus régulièrement, comme Carrefour ou Auchan. On parle d'étape logographique. Cette reconnaissance ne se fait pas dans le détail des lettres : à la place, les enfants analysent l'image en se basant sur la forme générale du mot, sa couleur, la couleur des lettres, et divers indices visuels. Sans ces indices visuels, les enfants ne peuvent pas reconnaître le mot : il n'y a aucune intervention du langage oral dans la reconnaissance des mots.

Lors de l'étape alphabétique, les enfants prennent conscience de l'existence de lettres, et se basent sur le langage oral pour reconnaître des mots : ils font le lien entre lettres et phonèmes. Ces correspondances entre lettres et sons sont utilisées lors de la lecture : l'enfant va alors traduire les lettres en sons, et reconstruira le mot sous forme auditive : c'est là que le mot "entendu" sera reconnu. Au tout début de l'apprentissage, les enfants se basent non sur une prononciation complète des mots, mais se contentent d'une traduction partielle : ils traduisent certaines zones du mot, qui leur servent d'indices pour identifier le mot complet. Par exemple, les enfants peuvent traduire les lettres du début et de fin de mot, et en déduisent quel est le mot. Ce processus est utile, mais pas efficace : les enfants commencent à savoir lire, mais le font lentement, et ont du mal à reconnaître un grand nombre de mots. Par la suite, les enfants lisent lettre par lettre, et fusionnent les sons individuels pour former de mots complets. Cette capacité à fusionner les sons progresse et devient de plus en plus rapide avec le temps, sans pour autant devenir automatique : l'enfant doit faire les conversions lettres -> sons consciemment.

Puis, progressivement, les enfants font de moins en moins appel à un déchiffrage des lettres et commencent à reconnaître visuellement des portions de mots. Au lieu de traiter les mots lettre par lettre, ils sont capables de reconnaître des groupes de plusieurs lettres, qui correspondent à des syllabes. La lecture est alors de plus en plus rapide, et devient de plus en plus automatique. L'enfant qui a atteint ce stade a mémorisé l'orthographe des mots, qu'il peut alors reconnaître plus ou moins indirectement. L'enfant peut aussi utiliser ces connaissances orthographiques pour effectuer des analogies entre mots, et en déduire la prononciation de mots nouveaux en se basant sur des mots connus similaires. Cependant, les correspondances entre sons et suites de lettres sont encore utilisées dans certains cas particuliers, notamment pour les mots inconnus. L'enfant a alors atteint l'étape orthographique.

Le processus de lecture chez l'adulte

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L'accès au lexique mental, à savoir le processus de reconnaissance des mots, est activement étudié de nos jours. Une chose est certaine, ce processus ne voit pas des mots entiers , mais des morceaux de mots. En effet, notre œil ne peut voir précisément que sur une portion très limitée du champ de vision, la vision étant totalement floue en dehors de cette zone.

 
Illustration du champ de vision au cours de la lecture.

Pour voir une image en entier, notre œil doit bouger sans cesse, balayer une portion plus ou moins importante de l'image. De telles saccades oculaires sont fréquentes, et nous n'en avons souvent pas conscience. C'est la mémoire sensorielle qui se charge de combiner les résultats des différentes prises de vue effectuées par l’œil en une image plus ou moins complète. Ces saccades oculaires durent environ 250 millisecondes, avec des variations suivant la personne. Ce point suffit à réfuter définitivement les méthodes de lecture globale, qui cherchent à faire reconnaitre des mots dans leur totalité. Cela permet aussi de réfuter définitivement les méthodes de lecture rapide.

 
Illustration de la trajectoire du point de fixation lors de la lecture.

Le modèle à deux voies

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Reste qu'une fois perçus, les groupes de lettres doivent être traités, et activer un mot dans le lexique mental. Le modèle psychologique le plus utilisé à ce jour est le modèle du double codage. Ce modèle dit que les mots familiers sont reconnus par un processus visuel, tandis que les mots inconnus sont décodés phonologiquement. Le lecteur expert dispose ainsi d'une voie d'adressage visuelle et d'une voie d'assemblage phonologique. D'après la version la plus récente de ce modèle, les deux voies s'activent en parallèle lors de la lecture d'un mot, et c'est la plus rapide ou la plus adaptée qui l'emporte. Les observations sur des patients ayant des lésions au cerveau a montré qu'une voie peut être touchée sans que l'autre ne le soit.

 
Modèle à deux voies.

Lorsque notre cerveau fait face à un mot peu fréquent ou inconnu, c'est la voie d'assemblage qui doit prendre le relai. Celle-ci consiste en un décodage conscient du mot à lire, basé sur une utilisation des correspondances entre graphèmes et phonèmes. Les expériences qui attestent l'existence de cette voie portent sur des mots dont la prononciation ne varie que d'un seul phonème : on parle de voisins orthographiques. Dans ces expériences, on présente un mot indice durant un temps très court (quelques millisecondes), avant de présenter un mot cible. L'indice va s'activer et pré-activer les mots avec lesquels il est relié en mémoire, facilitant leur reconnaissance. Or, le mot cible est reconnu beaucoup plus rapidement avec un indice qui est un voisin phonologique, et les mesures des temps de réaction sont assez intéressantes. Cependant, cet effet n'a lieu que pour les mots relativement rares, et pas pour les mots fréquents. C'est la preuve que la lecture des mots fréquents se base sur un processus indépendant de la phonologie. De plus, les sujets qui ont de faibles résultats aux épreuves de reconnaissance de mots écrits ont plus souvent tendance à avoir un effet d’amorçage prononcé avec des voisins phonologiques : les moins bons lecteurs déchiffrent les mots avec des processus phonologiques, ce que ne font pas les bons lecteurs.

La voie d'adressage est celle du processus de reconnaissance des mots fréquents. L'existence de cette voie est attestée par deux effets expérimentaux, nommés effet de lexicalité et effet de fréquence. Le premier tient au temps de réaction suite à la présentation d'un mot ou d'une suite de lettres inconnue (un pseudo-mot). Il est observé que le temps de lecture est supérieur pour les pseudo-mots. Par exemple, nous reconnaîtrons plus rapidement le mot "pluriel" que "prugarmif". On parle d'effet de lexicalité. Le second stipule que les mots fréquents sont reconnus plus rapidement, ce qui indique un traitement non-phonologique des mots. On peut citer l'expérience de Catherine Martinet, de l'université de Grenoble, effectuée sur une classe de première année de primaire. Elle a commencé par étudier la fréquence des mots présents dans le manuel de lecture utilisé, et a sélectionné 36 mots : 18 mots fréquents, et 18 mots rares. Le résultat est clair : les mots fréquents sont bien orthographiés dans 78% des cas, contre seulement 55% avec les mots rares.

Dans le cas des dyslexies, au moins une des deux voies serait endommagée. Si la voie d'assemblage est lésée, le patient a du mal à décoder les mots de manière phonologique : la reconnaissance des mots et des pseudo-mots (des assemblages de syllabes comme grabeurg, fama, crata, etc) réguliers est alors mauvaise. Lors d'atteinte de la voie d'adressage, le cobaye a du mal à lire les mots irréguliers, qui ne se prononcent pas comme ils s'écrivent (femme, par exemple).

 
Dyslexie et modèle à deux voies.

Le modèle à double voie en cascade

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La version la plus récente du modèle à deux voies postule que les deux voies s'activent en parallèle lors de la lecture d'un mot, la plus rapide ou la plus adaptée l'emportant sur l'autre. Il est stipulé dans le modèle que la voie d'adressage va plus vite que la voie d'assemblage. Cela expliquerait pourquoi les mots fréquents sont reconnus plus rapidement ou pourquoi les vrais mots sont lus plus rapidement : les mots fréquents et vrais mots sont reconnus par la voie d'adressage, qui est plus rapide.

Cependant, on peut se demander si l'accès à la phonologie a lieu avant ou après l'identification visuelle des mots : est-ce que la voie d'adressage est vraiment plus rapide ? Et d'un point de vue expérimental, cette supposition est assez bien vérifiée : l'accès à la phonologie d'un mot a clairement lieu après l'identification visuelle pour les mots fréquents, et même après l'accès au sens des mots. Dans leur étude de 1995, Daneman, Reingold, et Davidson, ont donné à des sujets des phrases dans lesquelles certains mots étaient remplacés par des homophones. Si la lecture procédait comme ceci : mot écrit -> prononciation -> sens, alors le sens des homophones serait immédiatement disponible à partir de la traduction auditive du mot, sans influence de l'orthographe. Par contre, s'il existe bien deux voies, avec une voie visuelle plus rapide que l'auditive, les homophones seraient plus longs à lire : il faudrait attendre que la voie auditive fasse son travail avant de pouvoir accéder à la bonne signification, qui permet de comprendre la phrase.

Cette étude a montré que des sujets avaient des temps de lecture plus longs pour les homophones mal orthographiés que pour ceux correctement orthographiés : on lit plus vite quand le mot correct est utilisé que quand celui-ci est remplacé par un homophone. Cela suggère que le sens des mots est accédé avant leur prononciation. La voie d'adressage est donc bien plus rapide que la voie d'assemblage.

Les modèles connexionnistes

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De nos jours, les modèles les plus aboutis sont des modèles basés sur des réseaux de neurones. Au début de l'apprentissage, ces réseaux de neurones lisent en passant par la phonologie : ils attribuent des groupes de lettres à des unités du langage et lisent les mots en combinant ces unités orales. Puis, au fil du temps, les liaisons directes entre groupes de lettres et unités de sens sont utilisées pour reconnaître les mots. Chez le bon lecteur, qui a des années d'expérience, les deux processus fonctionnent : reconnaissance visuelle de groupes de lettres, et traduction phonologique.

Références

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  1. Perfetti, 1988
  2. Yuill et Oakhill, 1991