Précis d'épistémologie/Qu'est-ce que la raison ?
(en cours de réécriture)
La preuve d'Anselme
modifierNous ne savons pas très bien ce qu'est Dieu mais nous savons que nous ne pouvons lui attribuer aucun défaut. S'il avait une imperfection il ne serait pas Dieu. Il réunit en lui toutes les perfections. Sa sagesse est parfaite. Il choisit toujours le meilleur des possibles. Sa puissance n'est limitée par aucun adversaire. Il en va de même pour toutes les qualités qu'on peut songer à lui attribuer. Il est toujours le meilleur, ou la somme de toutes les perfections.
Un être fictif est atteint d'une imperfection, justement qu'il est seulement fictif, qu'il n'est rien de plus qu'un produit de l'imagination. Puisque Dieu réunit en lui toutes les perfections, il ne peut pas être fictif, donc il existe.
Tel est l'argument (Anselme d'Aoste 1078) de Saint Anselme, archevêque de Canterbury, pour prouver l'existence de Dieu.
On accuse parfois Anselme de commettre une faute de logique, surtout depuis Kant (1781). Mais si on la comprend bien, la preuve d'Anselme est tout à fait logique et rationnelle.
Pour un libre penseur rationaliste, l'affirmation initiale, qu'on ne peut attribuer à Dieu aucun défaut, est simplement une hypothèse avec laquelle on peut raisonner, comme avec n'importe quelle hypothèse. Rien ne nous interdit de faire des hypothèses et de voir, par le raisonnement, si elles peuvent nous enseigner quelque chose.
L'argument d'Anselme prouve avec une logique impeccable, parfaitement rigoureuse, que penser à un Dieu fictif est comme penser à un cercle carré. On raisonne mal sur Dieu, sur l'être sans défaut, si on le conçoit seulement comme un produit de notre imagination. Un être sans défaut ne peut pas être purement imaginaire, parce qu'être seulement imaginaire est un défaut. La logique, notre faculté naturelle de raisonner, suffit pour le prouver.
Comme toutes les preuves mathématiques, la preuve d'Anselme révèle une vérité tautologique. La conclusion, que Dieu existe, est déjà affirmée dans la prémisse, puisqu'elle fait l'hypothèse qu'il existe un être sans défaut. Mais ce caractère tautologique n'invalide pas la preuve, au contraire. Tous les raisonnements révèlent des vérités tautologiques, sauf s'ils commettent des erreurs de logique.
La preuve d'Anselme ne suffit pas pour convaincre un sceptique. Elle montre seulement qu'on peut raisonner correctement sur un être sans défaut, et qu'il doit être plus qu'une fiction pour être vraiment sans défaut. Mais cela ne suffit pas pour prouver que cet être sans défaut n'est pas une fiction, puisqu'on peut raisonner correctement sur des fictions.
Que nous puissions raisonner correctement sur un être sans défaut est le point important. La lumière naturelle suffit pour connaître le meilleur. Tout se passe comme si Dieu nous avait donné la faculté de raisonner et l'idée d'un être sans défaut pour que nous puissions le connaître. Un sceptique peut toujours répondre qu'un tel savoir est hypothétique, ce qu'il est, mais cela n'empêche pas de le développer. Si c'est vraiment un bon savoir, il suffit de découvrir par le raisonnement tout ce qu'il peut nous enseigner pour s'en rendre compte. Un bon savoir porte des fruits.
Anselme prouve l'existence de Dieu à partir de l'idée d'un être sans défaut, mais dire que Dieu existe, ce n'est que savoir très peu de Lui. La prémisse, que Dieu est sans défaut, le meilleur, la somme de toutes les perfections, est beaucoup plus importante que la conclusion, qu'il existe, parce qu'elle est beaucoup plus riche de conséquences, parce qu'elle nous apprend tout ce que nous avons besoin de savoir sur Dieu.
Il y a de nombreuses façons d'exister. Quand on affirme l'existence de Dieu, on ne parle pas de n'importe quelle façon d'exister, on veut surtout dire qu'il existe en tant que Créateur, qu'il nous a prouvé son existence en créant l'Univers, que la Création est la révélation de sa vérité. L'existence de Dieu, c'est la Création, c'est la matière et la lumière dans lesquelles nous vivons.
Puisque Dieu est le meilleur, il a la meilleure des existences. Être le meilleur et ne pas nous en faire profiter est de la faiblesse ou de l'égoïsme et ne peut donc pas être le meilleur. Dieu a créé le monde parce qu'il est généreux. Il ne serait pas le meilleur sans cette générosité.
L'affirmation que Dieu est la somme de toutes les perfections est une hypothèse ouverte. À elle seule elle reste très indéterminée. Elle nous invite à raisonner. Il faut la compléter en affirmant quelles sont ces perfections que nous pouvons attribuer à Dieu. Quand on affirme qu'il est le meilleur on ne sait pas d'avance ce que c'est qu'être le meilleur, on doit l'apprendre.
Anselme est le saint des penseurs rationalistes (Descartes, Spinoza, Leibniz, Hegel ... mais pas Kant, parce qu'il se faisait des illusions sur la raison) et de tous les croyants, chrétiens ou non, qui croient que la science est un don de Dieu.
La théologie rationnelle est la connaissance rationnelle de Dieu. Mais comment Dieu peut-il être connu rationnellement ? À partir de son œuvre, y compris la raison. Toute la création, sans exception, peut être interprétée comme la parole de Dieu. Tout parle, tout dit la parole de Dieu. En donnant la création, Dieu a donné sa parole et les êtres capables de l'entendre. La raison est le savoir et la sagesse qu'il nous fait partager.
Les épidémies, la famine, la misère, la torture, les massacres et toutes les horreurs, font partie de la création. Si Dieu est le meilleur, pourquoi laisse-t-il exister toutes les horreurs ? L'existence du mal n'est-elle pas une preuve que tous les discours sur les perfections divines sont vains et insensés ? (Voltaire 1759)
On ne peut pas toujours raisonner sur les perfections divines comme sur les perfections humaines (Spinoza 1677). Pour un être humain, laisser le mal exister dans sa demeure n'est sûrement pas une perfection. Mais transposer ce raisonnement à l'Univers et à son créateur ne semble pas légitime. Nous ne savons pas ce que pourrait être un univers qui ne laisserait pas exister le mal, parce qu'il nous priverait de notre liberté, et parce que la privation de liberté est un mal. Mais surtout nous ne sommes pas en position de juger ce que Dieu aurait dû faire et qu'il n'a pas fait. Croire que nous pouvons savoir mieux que Dieu ce qu'il aurait dû faire est vain et insensé. Évidemment nous ne pouvons pas lui apprendre ce que c'est qu'être le meilleur, c'est lui qui nous l'apprend.
Du point de vue de certains athées (pas tous) l'expression théologie rationnelle est contradictoire, comme un cercle carré. Ils ne font pas la différence entre la religion et la superstition et considèrent que les croyances religieuses ne sont que des fantasmes. Le développement des sciences et de la raison est supposé nous ouvrir les yeux et nous débarrasser de ces vaines illusions. Mais cette prétendue opposition entre la raison et les religions est contredite par l'histoire du développement des savoirs. De très nombreux savants ont fait progresser les sciences en cherchant à connaître Dieu à partir de son œuvre. Et l'existence même de la raison, de notre capacité à la développer, peut être interprétée comme une preuve de la générosité divine. Athées ou croyants, nous ne savons pas par avance ce qu'est la raison, nous le découvrons tous les jours, et nous devons l'apprendre. Les athées ne sont pas les seuls à s'opposer à la déraison, les croyants aussi. Et il n'est pas nécessaire d'être athée pour être scientifique. Si l'athéisme conduit à ignorer tout ce que les religions enseignent sur la raison, il devient aveuglant.
- Ah bon, tu ne sais pas que Dieu existe ?
- Je ne l'ai jamais vu. Pourquoi je croirais qu'il existe ?
- On ne peut pas le voir. Pour le reconnaître dans sa création, il faut le connaître par la pensée. Si tu le cherches dans ta pensée, et si tu veux le trouver, tu le trouveras. Il n'abandonne jamais personne, surtout pas ceux qui le cherchent.
« Dieu, personne ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons, Dieu habite en nous et son amour se réalise en nous. Nous savons que nous somme en lui et qu'il est en nous grâce au Souffle qu'il nous a donné. » (1 Jean 4, 12-13, traduit par Florence Delay et Alain Marchadour)
La bague de mariage entre Dieu et la vie (Genèse 9, 8-17) :