Les essais en vol des missiles balistiques sont de véritables défis. L’obligation de résultat n’est jamais négociable pour le pouvoir politique. Peu avant le vol la tension est énorme qui s’empare d’un dispositif collectif où tous, opérationnels, industriels, centre d’essais, équipes de programme sont également tendus vers un même but dont les contraintes techniques sont sans commune mesure avec toutes celles d’autres réalisations quelles qu’elles soient.

Les essais de simulation au sol ont permis de valider les hypothèses faites au stade de la conception. Mais ils sont insuffisants pour clore la phase de développement car les phénomènes rencontrés en vol n’y sont représentés que de façon simplifiée et incomplète. Il est extrêmement difficile de les prévoir parfaitement.

Les essais en vol constituent donc la dernière mais la principale étape du développement. Avec pour finalité la validation du missile balistique dans les conditions réelles, irréalisables sur terre. Ces essais, seuls, peuvent garantir performances et fiabilité.

On ne peut procéder par étapes comme on le ferait pour un aéronef en obtenant ainsi des assurances successives fournies par une progression préalablement étudiée des vols. Vols qui se suivent en autorisant petit à petit l’élargissement du domaine à explorer. Avec le missile balistique, c’est tout ou rien. Il est consommable par nature et ne peut bien évidement être réutilisé pour l’essai suivant. Les montants financiers en jeu et les dangers potentiels ne permettent ni improvisation ni droit à l’erreur.

Prévoir l’imprévisible avant le vol est la règle pour tous les acteurs.

Le centre d’essai

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La fonction du centre d’essai est d’assurer que le lancement puis le vol qui va suivre s’effectuent en toute sécurité tandis que doit être reçu un maximum d’informations sur le déroulement du tir en provenance du missile balistique spécialement pré-équipé de télémesures en vol pour ce faire.

Il comporte:

  • un poste de commandement du champ de tir (salle d’opération, calculateurs, horloge assurant la synchronisation de l’ensemble des moyens d’essai, gestion des liaisons radioélectriques, prévisions météorologiques);
  • des stations techniques (radars, interféromètres, équipements optiques, télémesures, stations de mesures aérologiques et commande de télé-destruction).

La sauvegarde et donc la capacité de détruire le missile balistique qui sortirait du domaine de vol est la mission fondamentale du centre d’essai. Une mission historiquement d’abord un peu passée sous silence de par la disposition des centres d’essai dans des endroits désertiques (Névada pour les États Unis ou Hammaguir pour la France par exemple au début des développements).

Une mission qui devient fondamentale lorsque les centres d’essais ne sont plus éloignés des zones d’habitation, le cas de la France avec le centre d’essai de Biscarosse dans les Landes notamment.

Le réceptacle

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La fonction du réceptacle, placé au plus près de la cible, est de collecter toutes les informations sur la rentrée des armes. La dernière phase du vol de l’arme placée dans le corps de rentrée implique un suivi particulier de l’ogive à sa rentrée dans l’atmosphère sous l’effet de conditions très sévères (accélération, vibrations, échauffement). On déduira de ce suivi la précision du point d’impact et donc la valeur opérationnelle du système d’armes.

Cette fonction est assurée :

  • soit par des radars situés sur une île quand le champ de tir le permet ;
  • soit par un navire dédié.

Le champ de tir

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Tous les États disposant de missiles balistiques utilisent des champs de tir leur permettant de les essayer à toutes portées, si possible dans les conditions de sécurité requises. Pour ce faire l'océan est privilégié. L'Atlantique Nord sert de champ de tir à la France et aux États Unis (pour les sous-marins basés sur la côte Est, ceux de la côte Ouest tirant dans le Pacifique).

 

Les États-Unis — et le Royaume-Uni dont les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins Vanguard sont dotés de missiles balistiques Trident américains — bénéficient de la base de lancement de Cap Canaveral qui joue le rôle de centre d'essai dont les sous-marins sont proches avant de lancer. La situation de cette base autorise naturellement les plus grandes portées. La cible des tirs peut être l’île de l'Ascension, convenablement dotée de moyens radars particulièrement performants pour apprécier la trajectoire à des milliers de kilomètres dans l'espace d’objets très petits qu'ils découvrent (rotondité de la Terre) jusqu'à leur point d'impact dont ils sont proches.

Le centre spatial de tir des missiles balistiques français se situant lui au sud de Biscarosse-Plage présente un inconvénient géographique. La sécurité en cas de destruction ou explosion du missile balistique implique une trajectoire éloignée de l'Espagne tandis que cette trajectoire doit s'approcher de ce pays pour ne pas trop se diriger vers le Canada, ce qui limiterait très fortement la portée. Le tir se fait vers les États-Unis, la portée ne pouvant toutefois guère dépasser quatre mille kilomètres.

Aussi un centre secondaire a-t-il été créé en Bretagne pour autoriser le lancement en plongée à partir d'un sous marin lanceur de missile balistiques (Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins, SNLE). Ce centre assure essentiellement la fonction de sauvegarde tant que le centre de Biscarosse n'a pas pris en compte le missile balistique (effet de la rotondité de le Terre dans les premières secondes de vol). L'Espagne ne représente plus alors une contrainte forte pour la trajectoire qui n'est plus limitée que par le Brésil, en présentant ainsi une portée déjà significative.

 

La France ne disposant pas d'îles convenablement placées, le suivi des armes à la fin de leurs trajectoires de rentrée dans l'atmosphère est assuré par le Bâtiment d'Essais et de Mesures Monge (à droite).

Appartenant à la Marine Nationale, ce navire est mis à disposition de DGA Essais de missiles. Il est doté de très grandes antennes paraboliques dont le diamètre est imposé par leur fonction : détecter très loin un objet très petit.

Il reste que la portée du champ de tir de la France [note 1] est inférieure aux portées maximales du missile balistique français aujourd'hui en service, le M 51.

 



Ce missile balistique est donc tiré à des portées volontairement limitées. La trajectoire de l'arme (ou des armes) est dite alors "plongeante".


L'arme va plus haut qu'elle n'irait si elle était tirée à portée maximum et sa trajectoire de rentrée est plus "verticale".

Elle est soumise à des efforts plus importants (cf.ci-dessous).


Cette contrainte est bien plus sensible encore pour les tirs effectués par la Corée du Nord.

Cas particulier: Corée du Nord

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La géographie de la Corée du Nord ne lui laisse qu'un champ de tir très restreint à pouvoir être reconnu comme tel par la communauté internationale.

 


Pour la Corée du Nord, augmenter la portée n’implique sans doute pas la violation de l'espace aérien du Japon nonobstant la limite supérieure de l'espace aérien qui n’est pas légalement définie. Mais on peut considérer que l'arme à 1000 km environ du point de lancement du missile balistique va bien se trouver, seule, dans ce qui est reconnu comme l'espace extra-atmosphérique où tout État est libre de placer des objets.

Mais, pour autant, une avarie au lancement peut faire retomber cette arme - ou des éléments du missile balistique - dans l’espace aérien puis sur le territoire japonais. Ceci peut expliquer que les Nord-Coréens, quand ils souhaitent s’inscrire dans les règles de sécurité qui s’imposent à la communauté internationale aujourd’hui, effectuent leurs tirs balistiques avec une portée maximale limitée par la géographie, d’environ - et de seulement mille kilomètres.


Avec une conséquence. Les apogées [note 2] deviennent très hauts. De nombreux articles de journal mentionnent par erreur l’apogée comme la hauteur atteinte par le missile balistique. On a vu qu’il n’en était rien. L’altitude maximale atteinte par les derniers étages des missile balistiques les plus puissants juste avant de lancer leurs armes est de l’ordre de 500 km.

 


Ce sont bien les armes et elles seules qui passent par l'apogée. Cet apogée est, à portée constante, d'autant plus haut que le missile balistique est plus puissant et donc d'une portée maximale plus lointaine.


Ceci conduit à faire rentrer dans l’atmosphère les ogives qui protègent les armes de plus en plus « verticalement » et à des vitesses de plus en plus grandes, atteignant 20 000 km/h et plus [note 3].


Pour les apogées les plus élevés, l’ogive est soumise à d’énormes pressions dynamiques. Sa constitution doit être tout spécialement prévue et particulièrement robuste.

  1. La France dispose d'un autre site de lancement de missiles sur l’Île du Levant. Toutefois, la disposition géographique du champ de tir et le trafic en méditerranée interdit les essais à longue portée des missiles balistiques qui sont par conséquent tous uniquement tirés depuis les Landes.
  2. Les points les plus haut des trajectoires elliptiques de l’arme dont on rappelle que le centre de la Terre est l’un des foyers des ellipses (chapitre "Trajectoire balistique").
  3. Plus le missile balistique porte loin, plus l’arme va vite (mais à une vitesse inférieure à 8km/s soit 29 000 km/h, vitesse au-delà de laquelle l’arme serait satellisée ce qui est interdit par le traité de l’ONU).