Ville30/Opinion publique : du bon usage du processus démocratique
La consultation populaire, arme à double tranchant
modifierOutre l'expérience de Strasbourg, on constate que divers relevés de l'opinion publique, à un stade où le projet est encore peu avancé, reflètent un sentiment défavorable des citoyens par rapport aux zones 30.
Ainsi, le 16 mars 1999, l'Association suisse Transports et Environnement (ATE) dépose l'Initiative populaire[1] « Pour plus de sécurité à l'intérieur des localités grâce à une vitesse maximale de 30 km/h assortie d'exceptions (Rues pour tous) ». Elle propose d'amender la constitution fédérale par : « La vitesse maximale générale autorisée à l'intérieur des localités est de 30 km/h. L'autorité compétente peut accorder des dérogations dans les cas justifiés. Elle peut en particulier relever la vitesse maximale sur les routes principales pour autant que la sécurité des usagers de la route et la protection des riverains, notamment contre le bruit, soient respectées. » Soumise au vote le 4 mars 2001, la proposition est rejetée à 79,7 % des voix.
On observe cependant que l'opinion des citoyens peut changer radicalement lorsque les effets positifs du projet se font ressentir. Si le pari semble risqué, il peut se révéler gagnant pour autant que les élus fassent preuve de courage politique. Ainsi à Graz (voir § Le succès de Graz), la ville a pris soin de dialoguer avec la population dès les débuts de réflexion autour du projet de zone 30. Sur le graphique ci-dessous, on constate une forte recrudescence de l'impopularité du projet peu avant son lancement. Il faut nuancer ces éléments avec le fait que le projet n'a commencé à faire parler largement de lui qu'à partir du mois de mai 1992. Le nombre, la diversité et le contexte dans lequel les gens ont été interrogé est donc différent. On peut toutefois être confiant dans la précision des sondages postérieurs à la mise en place du projet représentant sa popularité croissante.
Est-ce un échec et pourquoi ?
modifierLorsqu'un groupe de personnes est consulté sur une idée, l'objectif est généralement unique et chiffré, l'opinion dominante doit rejoindre celle de celui qui pose la question. C'est oublier ou minimiser l'intérêt de deux autres objectifs : obtenir un indicateur d'approbation en faveur de cette idée pour agir en conséquence et surtout, en parler et susciter le débat autour de cette idée. En politique, par exemple, il est courant que de petites listes se portent candidates aux élections. Elles seraient sans doute bien moins nombreuses si le seul objectif était d'obtenir la majorité des voix. Le réel enjeu pour ces partis – comme pour l'électeur accusé à tort de voter inutilement – est en fait de porter une idée, un message qui pourrait être repris par les partis au pouvoir.
Il est certain que l'obtention de résultats positifs à ce type de consultation populaire légitime la décision politique et qu'au contraire, un échec, sert les détracteurs du projet et décourage d'autres élus à adopter un projet similaire. Néanmoins, Strasbourg appliquera, bien qu'autrement et moins vite, son programme de modération de la vitesse. Dans le cas suisse, il est difficile d'imaginer que l'Initiative Populaire, même s'il elle débouche à priori sur un échec, n'a eu aucune influence sur les politiques qui ont suivi en faveur des zones 30. La même année, Zurich annonce la création de 70 zones 30 (aujourd'hui, l'ensemble des quartiers est à 30 km/h) et un an plus tard, le gouvernement suisse adopte une Ordonnance sur les zones 30 et les zones de rencontre (voir § Législation). Celle-ci n'équivaut pas la demande d'un modèle 30/50 mais favorisera tout de même la création de zones 30 et à un changement de politique à la matière.
Dans le cas d'un référendum[2], tel que celui de Strasbourg, on peut regretter le caractère binaire des réponses attendues : oui ou non. Il n'y a pas de place pour le « oui, à condition de... » et on peut supposer que le citoyen qui porte une condition se tourne plus facilement vers le non, faute de pouvoir l'exprimer.
Remise en cause du processus démocratique ?
modifierDans les commentaires qui ont suivi le référendum, le maire de Strasbourg a déclaré que « la population n'était pas prête » à ce changement, remettant ainsi en cause la campagne de communication effectuée précédemment. Il faut dire que le pari était osé, car à l'image, du mot « limitation », cette mesure véhicule les notions de contraintes et de sanctions.
Il semble que la seule façon de faire comprendre les aspects positifs d'un tel programme soit de l'appliquer temporairement. Les allemands l'ont bien compris puisque toutes les zones 30 de grande envergure ont toujours commencé par des expériences pilotes. Des études effectuées avant et après la période d'essai reprennent des indicateurs tels que la baisse réelle de vitesse, l'amélioration de la sécurité ou encore l'opinion des citoyens. Les résultats sont très souvent satisfaisants sur tous les points et jamais une conclusion n'a été négative au point d'arrêter un projet.
Satisfaction finale des habitants
modifierSelon une enquête menée par l'Union européenne en 2010 reprenant l'opinion de 25 629 personnes à travers les 27 États membres[3], 78 % des répondants estiment que les conducteurs dépassant les limitations de vitesse sont un problème de sécurité majeur. Dans aucun État, la proportion de ceux considérant que ce n'est pas un problème ne dépasse les 5 %. Cette même étude met en évidence que 67 % des personnes ne possédant pas de voiture (soit 31 % des citoyens de l'Union) estiment que leur gouvernement devrait faire plus pour empêcher les conducteurs de dépasser les limitations de vitesses. Un peu plus de la moitié des conducteurs (occasionnels et fréquents) partagent cette opinion.
La Ville de Bruxelles a réalisé une enquête de satisfaction à propos de la zone 30 du Pentagone deux ans après sa réalisation. 1434 personnes ont été interrogées durant 3 mois (du 5 août au 26 octobre 2010), via le site internet officiel de la campagne www.z30.be. Il faut noter que ce sont principalement des automobilistes (80%) qui ont répondu à ce sondage, malgré une majorité de piétons au centre-ville de la capitale. La moitié des votants considère que la mesure est appropriée pour améliorer la sécurité routière. Plus de 60 % constatent un trafic désormais plus fluide et des manœuvres plus faciles et sécurisées dans les carrefours. Près de la moitié du public interrogé ne voient pas de perte de temps et les trois quarts ne perçoivent qu'une légère dégradation de leur vitesse moyenne. La grande majorité ont pu citer des exemples de zones 30 réussies en Belgique ou à l'étranger. La diminution de pollution est perçue par 54 % des votants et 49 % estiment qu'il y a désormais moins de bruit en ville. Enfin, plus de 70 % estiment que le Pentagone est désormais plus convivial. Cependant, ils ne sont que 37,5 % à penser que les usagers faibles sont désormais mieux protégés et seuls un peu plus de 20 % sont réellement conscients du rapport entre vitesse et gravité d'un accident. On peut donc être agréablement surpris de constater que la zone 30 semble être si avantageuse pour un public principalement motorisé.
La réduction de la vitesse est une mesure souvent perçue par les politiciens comme impopulaire et électoralement risquée. En fait, si l'idée d'une meilleure mobilité est largement acceptée, il est plus facile de se mettre d'accord sur les objectifs que sur les moyens d'y parvenir. Plusieurs études révèlent en effet, qu'à propos de mobilité, les politiciens ont parfois une bien mauvaise perception de ce que pensent et veulent réellement leurs administrés (Héran, 2000).
À l'occasion de la Semaine de la Mobilité en 2012, Le Soir a tenu à rappeler que celle-ci n'a pas toujours existé et que se tenait en 1948 la Semaine de la Circulation dont l'objectif était d'encourager l'utilisation de la voiture : « Bruxelles, de par la conformation de la ville est plus de 50 ans en retard pour la circulation. Les tramways représentent un réel obstacle à l’écoulement normal de la circulation. Rien que pour le seul territoire de la ville, 98 lignes de tramways urbains et 14 de vicinaux s’entrecroisent… » Nous sommes encore loin d'une politique de mobilité parfaitement durable et idéale mais il est indéniable que les mentalités évoluent et plus personne aujourd'hui n'oserait tenir pareil discours. |
Notes et références
modifier- ↑ Une Initiative populaire fédérale est, selon la Chancellerie fédérale suisse, une « demande écrite par laquelle 100 000 citoyens ayant le droit de vote peuvent demander à l'Assemblée fédérale la révision totale de la Constitution ou l'adoption, l'abrogation ou la modification de dispositions constitutionnelles ou législatives ».
- ↑ Dans « Oui ou non. Le piège rhétorique du référendum » (2007), Bertrand Pirat dénonce l'impossible neutralité d'un référendum et remet en cause son caractère démocratique.
- ↑ Direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne, juillet 2010, Flash Eurobarometer, n°301, pp. 5.