Ville30/Introduction

Plan Ville30
Modifier ce modèle

Depuis les débuts de sa domestication, le cheval est un symbole de vitesse et de force. Des mythologies de l'Antiquité au Far West américain, le cheval a toujours évoqué la maîtrise de l'animal, le progrès, la puissance, la grâce, le rêve de la découverte et la liberté de déplacement. Les officiers et hauts dirigeants se faisaient représenter avec leur monture en signe de domination militaire ; la littérature et le cinéma ont encensé le cheval comme étant un facteur de changement social faisant des cow-boys, simples ouvriers agricoles, des héros libres et sans peur.

« Les armées de Napoléon se déplaçaient à la même vitesse que celles de Jules César », Paul Valery

La vitesse d'un cheval au pas avec un cavalier est de 7 à 9 km/h. Jusqu'au XIXe siècle, les véhicules attelés faisaient une moyenne de 30 km par jour et il n'y a pas eu d'autres avancées que celles établies par les Romains pour rendre cette situation plus efficiente : routes pavées, stations relais et atteler plus de chevaux. César se déplaçait à la même vitesse que Napoléon.

Cette vitesse était accessible à tous et le carrosse du seigneur n'allait pas beaucoup plus vite que la charrette à bœufs du paysan. Mais dans la seconde moitié du XIXe siècle, une poignée de nantis expérimentaient le privilège, jusque là inédit, de se déplacer plus vite que les autres. Le luxueux Orient Express, puis les premières voitures offraient à une élite un élément de plus pour se distinguer du reste de la population.

La possession d'une voiture devient une marque de réussite et un objet d'apparat. C'est une extension de la propriété privée, quelques mètres carrés de plus à occuper, à défendre jalousement et à décorer somptueusement. Ce rêve inaccessible, se démocratise par la volonté des industriels et des États voyant, dans cet objet tant convoité, une opportunité économique énorme. La production est massive, les routes se multiplient et l'automobile devient un secteur industriel prioritaire aux États-Unis et en Europe. Elle remplace rapidement le cheval et toute la symbolique qu'il représente : maîtrise de la technologie, progrès, puissance, élégance, rêve et liberté de mouvement. En l'espace d'une génération, la mécanique a substitué le principal allié de l'homme depuis des millénaires, le reléguant au rang des loisirs. Il ne reste aujourd'hui des traces de cette activité ancestrale que via une unité de mesure comparant la force équestre à celle de la machine.

Construction du métro londonien, 1861

Les grandes villes devaient déjà faire face à l’afflux des calèches gourmandes en espace. Le XIXe siècle est marqué par de nombreux efforts entrepris pour améliorer la circulation : aménagement de grands boulevards et création des réseaux de métro (Londres inaugure le premier en 1863, Paris en 1900 mais y pense depuis 1845, New York dès 1868, Budapest en 1896, Berlin en 1902, etc). Cet espace dégagé en surface pour le transport hippomobile contribue grandement à l'essor de la voiture auto-tractée. Plus on crée de routes, plus les automobiles sont nombreuses. Pourtant, on ne pense pas à diminuer le trafic mais à lui donner, au contraire, un maximum de place. Partout, on augmente les voies de circulation et dès les années 1930, les réseaux de tramways accusés de ralentir le trafic sont démantelés. Le métro est préféré pour, dit-on, améliorer la vitesse commerciale du transport public. En réalité, il légitime surtout l'arrêt des tramways au profit de l'automobile en surface.

Cette évolution, quelque peu freinée par les conflits mondiaux, reprend de plus belle à partir des années 1950. La voiture est encore plus accessible et ne cesse de se répandre entraînant des politiques d'aménagement du territoire qui lui sont favorables. La Belgique y prend pleinement part et l'espace occupé par la route augmente de 63 %[1] entre 1970 et 2008 alors que, sur la même période, les voies de chemins de fer diminuent de 20 % et le nombre de gares ferroviaires de 46 %. En 2012, les wallons disposent de 23 mètres de route par habitant. Une conséquence de la forte densité de population dans notre région ? Pourtant, aux Pays-Bas où cette densité est plus forte, la proportion est seulement de 8 mètres par habitant ; un chiffre comparable à ceux d'autres pays européens comme l'Allemagne où le Royaume-Uni. Entre 1977 et 2011, le parc automobile belge a doublé, passant de 3 à 6 millions de véhicules alors que sur la même période, la population du pays n'a augmenté que de 8 %. Désormais ne pas posséder de voiture relève du défi pour certains et d'un handicap insurmontable pour d'autres. Et que ce soit par choix ou pour des raisons financières, cet handicap défavorise le citoyen sur le marché de l'emploi, et réduit l’accès à la culture et aux services. Le « tout à l'auto » a encouragé une dispersion de l'habitat, des activités professionnelles, des commerces et des services, entraînant avec lui un développement intensif et toujours plus coûteux du réseau routier. Alors que les gares ont la capacité de concentrer autour d'elles activités et logements, la route divise et dissémine l'urbanisation.

En conséquence de cette circulation accrue, les villes sont devenues invivables. La classe moyenne lui préfère la campagne et le confort d'une maison quatre façades pendant que les centres urbains se paupérisent. La voiture permet un exode rural sans précédent. Paradoxalement, le temps gagné par le progrès mécanique est perdu dans des trajets plus longs et des routes embouteillées[2].


Extrait du texte d'Ivan Illich « Énergie et Équité » paru dans le journal Le Monde en 1973

«L’Américain moyen consacre plus de mille six cents heures par an à sa voiture. Il y est assis, qu’elle soit en marche ou à l’arrêt; il la gare ou cherche à le faire; il travaille pour payer le premier versement comptant ou les traites mensuelles, l’essence, les péages, l’assurance, les impôts et les contraventions. De ses seize heures de veille chaque jour, il en donne quatre à sa voiture, qu’il l’utilise ou qu’il gagne les moyens de le faire. Ce chiffre ne comprend même pas le temps absorbé par des activités secondaires imposées par la circulation : le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage, le temps passé à étudier la publicité automobile ou à recueillir des conseils pour acheter la prochaine fois une meilleure bagnole. Presque partout on constate que le coût total des accidents de la route et celui des universités sont du même ordre et qu’ils croissent avec le produit social. Mais, plus révélatrice encore, est l’exigence de temps qui s’y ajoute. S’il exerce une activité professionnelle, l’Américain moyen dépense mille six cents heures chaque année pour parcourir dix mille kilomètres; cela représente à peine 6 kilomètres à l’heure. Dans un pays dépourvu d’industrie de la circulation, les gens atteignent la même vitesse, mais ils vont où ils veulent à pied, en y consacrant non plus 28 %, mais seulement 3 à 8 % du budget-temps social. Sur ce point, la différence entre les pays riches et les pays pauvres ne tient pas à ce que la majorité franchit plus de kilomètres en une heure de son existence, mais à ce que plus d’heures sont dévolues à consommer de fortes doses d’énergie conditionnées et inégalement réparties par l’industrie de la circulation.»


L'évolution constante du nombre de véhicules en circulation a produit dans les années 1970 un nombre d'accidents et un taux de mortalité qui en découle jamais égalé en Belgique. Des mesures portant sur l'amélioration des infrastructures et des véhicules en termes de sécurité ont, depuis, largement inversé cette tendance[3]. Cependant, les chiffres restent bien au delà de la moyenne européenne et des objectifs fixés lors des États Généraux de la Sécurité Routière en Wallonie. Au niveau mondial, l'OMS estime que « si les tendances actuelles se poursuivent, le nombre des tués et des blessés sur les routes du monde augmentera de 60% entre 2000 et 2020 ». Outre le coût humain, l'impact des accidents de la route sur les finances est estimé par l'Union européenne à 130 milliards d'euros par an en Europe (UE, 2009). Si les équipements ont évolué, la masse et la puissance des voitures n'ont cessé d'augmenter malgré leur importante part de responsabilité dans ces accidents. Une régulation de ces deux éléments influencerait fortement la sécurité routière de façon positive. Le sentiment d'insécurité routière amène les usagers à renoncer aux modes doux pour la protection individuelle de l'habitacle d'une voiture. Paradoxalement, la route sera ainsi plus dangereuse car encore plus fréquentée par des automobiles.

Le transport tient également une part importante de responsabilité dans la dégradation de l'environnement. Environ 20 % des émissions de gaz à effets de serre proviennent de ce secteur[4]. Au total, nous produisons en Wallonie 15,9 tonnes de CO² par personne et par an[5]. Or le niveau d'absorption supportable pour la planète est seulement de 1,7 tonne de CO² par personne et par an. Pour respecter l'objectif du GIEC de limiter le réchauffement de la température terrestre à 2°C, au delà de laquelle les conséquences seraient désastreuses, la Wallonie devrait diminuer ses émissions de gaz à effets de serre de 90 % par rapport à 1990 d'ici 2050.

Autres certitudes : la principale source d'énergie utilisée pour les transports, le pétrole, n'est pas inépuisable et ne sera plus jamais aussi bon marché que ce qu'il n'a été[6]. Les agrocarburants ont présentés des conséquences négatives avant de figurer comme une alternative fiable. Et l'énergie électrique, seule option plausible restante, ne peut supporter une croissance sans limite du parc de véhicules et engendre d'autres formes de dépendances et d'incidences[7].

Enfin, tout le monde n'est pas à égalité dans le modèle actuel de mobilité. La dispersion de l'habitat contraint une part importante de la population à utiliser une voiture. Celle-ci pèse sur le budget des familles et bien plus encore sur celui des collectivités. De plus, ce moyen de transport, a la particularité de s'imposer et de contraindre les autres. Pourtant, les politiques budgétaires favorisent toujours ce moyen de transport au détriment des autres modes. En terme de mobilité, les décideurs concentrent généralement leurs efforts pour diminuer le temps d'un trajet mais il serait bien plus efficace d'améliorer l'accessibilité de la destination en maximisant le nombre d'opportunités pour rejoindre ce lieu dans la même période de temps.

Notes et références

modifier
  1. Les infrastructures routières représentaient 4 % du territoire belge en 1998, soit l'emprise la plus élevée de l'UE-15. Seuls les maltais battent ce triste record dans l'UE-27 dont la moyenne est de 1,2 % (European Environment Agency).
  2. Le nombre de kilomètres parcouru par voiture belge a augmenté de 233,1 % entre 1970 et 2008. Actuellement, la distance moyenne des déplacements des belges (tous transports confondus) augmente de 5 % par an. (SPF Économie, 2010 & CPDT, 2012).
  3. Le nombre d'accidents de la route a diminué de 72,9 % entre 1970 et 2006 en Belgique (OSR, 2008).
  4. En 2008, le secteur des transports émettait 23,5 % des émissions de CO² en Belgique alors que l'impact était mesuré à 14 % en 1990, soit une augmentation de 31,1 %. Il représente le seul secteur qui n'a pas réussi à diminuer ses émissions de gaz à effets de serre.
  5. Selon l’inventaire provisoire de janvier 2012, les émissions de gaz à effet de serre de la Wallonie en 2010 étaient de 43,0 millions de tonnes de CO2-équivalents, soit 32,6 % des émissions annuelles de la Belgique. Les émissions anthropiques de GES en Wallonie ont diminué de 21,4 % entre 1990 et 2010. Cette évolution dépasse actuellement l’objectif de réduction de la Région dans le cadre du Protocole de Kyoto (diminution de 7,5 % durant la période 2008-2012). Source : SPW
  6. Pour bon nombre de scientifiques, le pic pétrolier – c'est-à-dire, le moment où la production de pétrole décline en raison des ressources disponibles – s'est déjà produit ou se produira bientôt. S'il est impossible d'en définir la date exacte (certains pays producteurs de pétrole refusent en effet de donner cette information par choix politique), nous pouvons être sûrs que les principales personnes intéressées prennent ce problème très à cœur en s'appropriant d'ultimes ressources telles que l'exploitation des sables bitumineux. Celle-ci, en plus d'un impact énorme sur l'environnement – qui a forcé le Canada a se désengager des accords de Kyoto – est d'un faible intérêt économique : il faut compter 1 litre de pétrole pour en produire 1,5.
  7. L'engouement pour la voiture électrique est nuancé dans le dossier de Pierre Courbe « Véhicules électriques ? Changez de mobilité, pas de voiture ! » (IEW, 2010). Les priorités établies sont : diminuer la demande en mobilité, réduire la masse des véhicules et électrifier en priorité les véhicules légers