Ville30/Analyse de cas : Graz et Strasbourg
Deux villes européennes de tailles similaires (entre 250 000 et 270 000 habitants) ont fait le pari d'une politique modérant la vitesse du trafic. Graz (sud-est de l'Autriche) a su rendre cette mesure populaire aux yeux de ses habitants et de ses visiteurs qui reconnaissent y gagner aujourd'hui en qualité de vie. Pourtant, à Strasbourg (Alsace, France), la population a voté contre le projet d'un centre-ville à 30km/h. Ce chapitre relate l'histoire de ces deux événements et analyse les raisons qui ont mené le projet de Graz au succès et celui de Strasbourg à l'échec.
Le succès de Graz
modifierGraz est une ville enclavée dans la chaîne alpine où la pollution atmosphérique se coince entre les flancs de montagne. Là plus qu'ailleurs, les questions environnementales préoccupent la population depuis les années 1970. L'automobile, alors mode de transport largement majoritaire dans la cité, y est tenue pour responsable de la mauvaise santé des habitants et de la dégradation de l'environnement. Face à cette situation, la Ville met en application, dès 1988, un plan de développement intermodal comprenant une nouvelle ligne de tram, la rénovation de la principale gare ferroviaire, l'élargissement des piétonniers, la création d'aménagements favorisant la pratique du vélo et un programme de covoiturage. Elle nomme des gestionnaires de mobilité pour l'hôpital d'État de Graz, le Centre Hospitalier Universitaire, les écoles et demande aux grandes entreprises de créer ce poste au sein de leurs établissements. Ce plan ambitieux impliquait également la mise en place d'une vaste zone 30 entourant la vielle ville devenue intégralement piétonne. Par le passé, la population grazoise s'était déjà exprimée en faveur d'une politique centrée sur la qualité de vie au détriment du développement du trafic automobile (voir encadré).
Franz Hasiba, candidat ÖVP[1] à la mairie de Graz en 1988, avait fait de la zone 30 un élément clé de sa campagne électorale. À l'issue des élections, il devient Premier Adjoint au Maire et son parti représente la majorité au Conseil communal. Le maire SPÖ[2] Alfred Stingl affiche son soutien au projet de zone 30, laissant ainsi penser que sa mise en place est une certitude. Pourtant la presse locale est fort réticente et les défenseurs du projet doivent faire face à une vive opposition de la Chambre de Commerce et des clubs automobiles. Certains élus, à l'intérieur des deux partis au pouvoir, se montrent également peu convaincus. Il faut dire que la mesure est inédite, aucune autre grande ville européenne ne l'a appliquée jusque là. Rien n'indique d'ailleurs qu'elle soit applicable, la législation autrichienne ne faisant pas mention de la possibilité d'une limitation de vitesse inférieure à 50km/h dans les zones urbaines.
Afin de légitimer son idée, Mr Hasiba met en place différents groupes de travail comprenant des représentants du Conseil communal, des services de l'urbanisme et de la voirie, des riverains, de la Police locale, des juristes, des experts en sécurité routière, en transport et en marketing. Ces groupes travaillent jusqu'en 1992 sur le vide juridique en matière de zone 30, l'acceptation du projet par la population, le rôle de la Police, les enjeux sociaux, environnementaux, économiques et l'impact sur la mobilité.
Pour satisfaire les législateurs et rassurer la population, on décide alors d'instaurer une période d'essai de deux ans. Le plan d'aménagements, rendant 802km de rues urbaines limitées à 30km/h et 194km de routes prioritaires à 50km/h et devant pour ce faire étudier 1200 carrefours, est confié à un bureau d'études extérieur. Ce dernier recommande la mise en place d'une signalisation adéquate aux entrées de la ville. Les aménagements physiques tels que des rétrécissements de voiries ou l'installation de ralentisseurs sont jugés inutiles dans le cas d'une zone 30 aussi vaste.
Le plus dur reste à faire : convaincre les élus et la population. Ce projet a la chance d'être porté par des politiciens issus des deux partis au pouvoir. Mr Hasiba et Mr Stingl font donc du lobbying en faveur de la zone 30 à l'intérieur de leurs partis et au sein d'institutions importantes pour la cité, le premier en insistant sur l'aspect sécuritaire, le second sur l’apaisement des quartiers. Une campagne de promotion sera ensuite menée à l'attention des grazois reprenant les mêmes arguments. La communication est basée sur les effets à court terme (sécurité routière et convivialité renforcées), reconnus comme plus porteurs et appropriables que les effets à long terme (qualité de l'air et diminution de la congestion).
De janvier à mai 1992, quatre assemblées publiques permettent au citoyen de s'approprier le projet. Il ne s'agit pas d'une réelle participation citoyenne, la plupart des décisions ayant déjà été prises, mais les habitants se rendent ainsi mieux compte des différentes évolutions à venir dans leur quartier. On diffuse également des brochures adaptées en fonction des différents publics (familles, commerçants,...). En mai 1992, le Conseil communal vote officiellement l'application de la zone 30.
De mai à septembre de la même année, la Police est sollicitée pour informer les automobilistes des nouvelles règles qui rentreront en vigueur le 1er septembre 1992.
Un vaste et intensif programme de sensibilisation, contrôle et répression est mis en place par la Police. En moyenne, 180.000 infractions par an sont constatées, soit un peu plus de la moitié des contrôles effectués. On note toutefois une réduction globale de la vitesse et une baisse significative lorsque les contrôles sont annoncés.
Un sondage de juillet 1992 indique que seulement 30 % des habitants étaient favorables aux zones 30 avant de lancer le projet. 8 mois plus tard, le taux de satisfaction passe à 52 % pour arriver à 81 % en 2002. En 1994, à la fin de la période d'essai, le Parlement autrichien amende le Code de la route[3] pour y ajouter la notion de zone 30, permettant ainsi à Graz de pérenniser sa politique et à d'autres villes d'appliquer la mesure. 20 ans plus tard, les accidents, le bruit et la pollution ont diminué en ville et 80 % du trafic est redirigé vers les voies de transit. Le succès de cette expérience est en grande partie due à une forte personnalité politique, qui croyant fermement à son projet, a su le faire accepter largement.
Le 13 mai 1970, le Conseil communal de Graz s'apprête à voter en faveur d'un projet d'autoroute traversant la ville. La veille, les urbanistes et architectes, Hubert Hoffmann, Friedl Groß, Eilfried Huth et Heimo Widtmann organisent une conférence interpellant les citoyens à ce sujet. Ils y présentent des contre-arguments et des solutions alternatives convaincantes. La presse locale s'empare du sujet et mobilise la population contre ce projet. La décision du Conseil est suspendue et le maire perdra les élections communales de 1973. Des groupes de travail - dans lesquels citoyens et urbanistes sont représentés – étudieront, par la suite, des itinéraires alternatifs pour aboutir à la construction d'un tunnel entre les quartiers de Gösting à Straßgang. C'est la première fois dans l'Histoire autrichienne qu'un petit groupe de citoyens réussit à stopper un projet désiré par l'administration et les politiques en place (ÖVP, 2005). |
L'échec de Strasbourg
modifierStrasbourg dispose actuellement du réseau de tramways le plus étendu et le plus dense de France et une excellente desserte de son agglomération par une fréquence élevée de bus. La part modale du vélo est, avec 8,9 % de cyclistes quotidiens[4], la plus importante du pays. La Ville en a fait son image de marque par le slogan « Strasbourg, un vélo d'avance », la différenciant des autres grandes villes françaises[5]. Avec 40 % des déplacements effectués à pieds, les voitures sont minoritaires à Strasbourg. C'est donc au bénéfice de la majorité de la population que la Ville souhaite étendre ses zones 30 sur 70 % de son territoire, le reste étant des voiries limitées à 50km/h.
Début 2011, le maire socialiste Roland Ries annonce officiellement son projet. Souhaitant intégrer les citoyens à cette démarche et lever la rumeur de l'impopularité de cette mesure, il propose un référendum afin que l'ensemble des strasbourgeois se prononcent pour ou contre cette grande zone 30. Ainsi les 139 389 inscrits sur les listes électorales sont interrogés en mai 2011 par courrier comprenant l'explication du projet et un coupon réponse à remettre. 54,9 % ont dit non pour un taux de participation de 44,56 %.
Les membres de « Rue de l'Avenir » - association française faisant la promotion d'une ville plus sûre, plus solidaire et plus agréable à vivre par le 30km/h - expliquent ce phénomène, lors de leur assemblée générale du 18 juin 2011, par un lobbying important de l'Automobile Club Association - dont le siège est à Strasbourg - rejoint par la Chambre de Commerce et d'Industrie et les compagnies de taxi. Ceux-ci ont principalement dénoncé une politique autophobe et utilisé l'impopularité des radars pour rappeler que les répressions administratives et financières seront conséquentes pour ceux qui ne respecteraient pas la nouvelle norme.
Le dossier de presse diffusé par la Communauté urbaine de Strasbourg fait amplement référence aux efforts réalisés pour développer les transports en commun, le vélo et la marche dans l'agglomération. L'adjoint au maire Olivier Bitz (PS) déclare, dans ce contexte : « Avec ce projet, il s'agit de faire de la rue autre chose qu'un espace de stationnement ou de circulation mais aussi un lieu de promenade, de détente ». Doit-on en déduire que la finalité du projet de zone 30 strasbourgeoise avait pour objectif de bannir la voiture de la ville ? Non. Si cette mesure a été prise dans le cadre d'une vaste politique de développement d'une mobilité durable, la zone 30 – comme ceci est démontré dans ce dossier - n'exclut pas mais remet les usagers à égalité sans les défavoriser. On peut donc penser qu'une communication d'avantage axée sur le partage aurait pu avoir des effets plus favorables sur ce scrutin. Il est également regrettable, que les principaux bénéficiaires de cette mesure, les enfants, n'aient pas eu l'occasion de participer à ce processus démocratique.
Bien que le nombre de votes favorables n'ait pas été suffisant, il s'en est fallu de peu et on peut se réjouir que près d'une personne sur deux se soit exprimée en faveur d'un projet aussi ambitieux et novateur. Conscient de ce fait et du bien fondé de sa politique, Mr Ries a déclaré que « le choix des habitants sera respecté » mais que les zones 30 existantes seront progressivement élargies en fonction des besoins ressentis par les habitants. Ainsi « la municipalité ne modifiera pas systématiquement les zones de limitation de vitesse à 30 km/h mais elle le fera de façon progressive à un rythme bien plus lent chaque fois que cela s’avérera pertinent. » La vaste zone 30 strasbourgeoise verra donc le jour mais le coûts des aménagements nécessaires à l'instauration de multiples petites rues sera sans doute beaucoup plus important.
Notes et références
modifier- ↑ L'Österreichische Volkspartei (Parti du Peuple Autrichien) est un parti politique de centre-droit, conservateur et d'orientation chrétienne-démocrate.
- ↑ Le Sozialdemokratische Partei Österreichs (Parti Social-démocrate Autrichien) est un parti politique de centre-gauche.
- ↑ « Änderung der Straßenverkehrsordnung 1960 », BGBl. Nr. 518/1994
- ↑ Conseil général du Bas-Rhin, « Enquête ménage déplacements », 2009
- ↑ La FUB, Fédération Française des Usagers de la Bicyclette (anciennement « FUBicy ») a son siège à Strasbourg. Fondée en 1980 pour réunir les associations cyclistes locales (180 associations et 23 000 membres en 2012), elle tient également le rôle d'interface avec les services publics et autres mouvements associatifs.