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Guide des dialogues platoniciens | Parménide |
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Le Parménide (ou Sur les Formes, genre logique) est un dialogue de Platon qu'il écrivit dans la dernière partie de sa vie.
Personnages du prologue : Céphale, Adimante, Glaucon
Personnages du dialogue : Socrate, Pythodore, Zénon, Parménide, Aristote
Résumé
modifierCe dialogue se compose de deux parties :
- une critique de la thèorie des Formes, où Parménide montre à Socrate que si les Formes existent, d'une part il est impossible que les êtres d'ici-bas y participent, d'autre part, on ne peut les connaître ;
- un examen de toutes les conséquences de l'hypothèse : si l'Un est, qui montre que l'on peut et ne peut pas attribuer toutes les catégories de l'être au concept d'Un.
L'influence de ce dialogue est considérable ; on peut dire qu'il est la source de toute la métaphysique occidentale. Chaque embranchement de l'analyse de l'Un a donné lieu à une philosophie (néo-platonisme, idéalisme de Berkeley, etc.).
Analyse du dialogue
modifierCéphale demande à Adimante d'entendre les propos échangés par Socrate, Zénon et Parménide. C'est Antiphon qui en fait le récit.
Première partie
modifierZénon et Parménide sont à Athènes ; Socrate, tout jeune homme, désirait les entendre. Une fois la lecture de Zénon faite, il demande alors à celui-ci de relire, une fois Parménide revenu, la première hypothèse prononcée : « si les êtres sont multiples, il faut qu'ils soient à la fois semblables et dissemblables. »
Si les choses sont plusieurs
modifierSocrate objecte à cette hypothèse (si les choses sont plusieurs il s'ensuit qu'elles sont à la fois semblables et dissemblables) qu'elle est impossible car ni ce qui est semblable ne peut être dissemblable, ni ce qui est dissemblable ne peut être semblable. Par conséquent, il est aussi impossible que les choses soient plusieurs, car si elles étaient plusieurs, elles seraient affectées de ces impossibilités. L'intention de Zénon serait donc, suppose Socrate, d'établir que les choses ne sont pas plusieurs.
Ainsi, quand Parménide pose que l'univers est un, il produit des preuves ; Zénon, à l'inverse, pose que les choses ne sont pas plusieurs. Vous semblez ne pas dire la même chose, remarque Socrate, et pourtant vous dites la même chose : l'Un est, les choses ne sont pas plusieurs.
Zénon lui répond que Socrate n'a pas saisi le vrai dessein de son livre. En vérité, dit Zénon, mon livre veut secourir la thèse de Parménide : « s'il est un » (si l'un est), contre ceux qui attachent à cette thèse plusieurs conséquences ridicules qui entrent en contradiction avec elle. Certains en montrent en effet les conséquences absurdes ; donc je répond en montrant la plus grande absurdité de la thèse : « si les choses sont plusieurs. »
Il faut remarquer que l'hypothèse de Parménide historique est en réalité « si l'étant est », et non « si l'un est », ou « s'il est un », suivant les traductions.
Les Formes en soi
modifierSocrate, après avoir entendu cette réponse, et pour résoudre la difficulté de l'un et du multiple avance l'hypothèse de la Forme en soi : ne peut-il y avoir une Forme en soi de la ressemblance et une Forme contraire de la Dissemblance ? Ainsi, les choses dites multiples peuvent participer à ces deux Formes sans contradiction. Les choses qui participent à la ressemblance sont semblables ainsi ; celles qui participent à la dissemblance sont dissemblables ; et celles qui participent à ces deux Formes sont à la fois semblables et dissemblables.
Ce qui serait contradictoire et un véritable prodige, ce serait que le Semblable en soi devienne dissemblable ; en revanche les choses sont unes et multiples en participant à l'Un et à la Pluralité. Dès lors, deux affirmations peuvent être vraies d'un même être sans être contradiction. Si les mêmes genres, les mêmes Formes semblaient en soi affectés par ces mêmes caractères contraires, il y aurait de quoi s'étonner.
Ainsi, moi, dit Socrate, je suis plusieurs ; mais l'être humain que je suis est unique, en participant à l'Un. Les deux affirmations sont vraies. Montrer que les mêmes choses sont plusieurs et une, ce n'est donc pas montrer que l'Un est multiple ou que la Pluralité est une.
Le véritable problème ne se situe donc pas au niveau des choses visibles, comme Zénon s'en est contenté ; la question serait plutôt de savoir si cette difficulté se rencontre au niveau des objets que saisit la raison.
Réfutation de la participation
modifierQuelle ardeur pour l'argumentation ! s'exclame Parménide. Mais toi, demande-t-il alors à Socrate, as-tu fait cette distinction, mettant d'un côté les Formes en soi, d'un autre les choses qui en participent ? Y a-t-il pour toi une Ressemblance en soi distincte de celle que nous avons en nous ? Et pour l'Un, le Beau, le Bien, etc. Et une Forme de l'être humain distincte de chaque être humain, une du Feu, de l'Eau ? Et des choses grotesque (comme le cheveu, la boue, la crasse) et sans valeurs, y a-t-il une forme séparée ?
Socrate l'affirme mais hésite, car c'est trop grotesque pour certaines choses.
Parménide lui répond qu'il est encore jeune :
- « la philosophie ne t'a pas encore saisie, de cette ferme emprise qui fera que tu ne mépriseras plus aucune de ces choses. En raison de ton âge, tu restes fasciné par l'opinion des gens. »
Difficultés de la théorie des réalités en soi
modifierParmènide poursuit son interrogation : te semble-t-il qu'il y ait des Formes dont, parce qu'elles y participent, les autres choses, celles d'ici-bas, reçoivent le nom qui est le leur ? Socrate l'affirme. Dans ce cas, est-ce à la Forme en totalité, ou à l'une de ses parties que participe chaque chose ? Ou y a-t-il une autre façon de participer, à part ces deux ? Il n'y en pas répond Socrate. Donc, la Forme, en sa totalité, se trouve en chacune des choses qui sont plusieurs, tout en restant une et identique ; elle sera en totalité dans plusieurs choses distinctes, et en même temps elle se trouvera elle-même distincte d'elle-même.
À cette forte objection, Socrate répond : le jour reste un et identique, en plusieurs endroit en même temps, sans être distinct de lui-même. De même, les Formes sont en même temps une et identique en toutes choses.
Mais, dans ce cas, ce n'est pas en totalité, comme un voile sur plusieurs personnes. Les Formes sont donc divisibles, et les choses qui en participent ont part à une partie de ces Formes. On ne peut donc dire que la Forme, qui est une, se trouve divisée entre nous, en restant encore une. Ainsi serait-il absurde de diviser la Grandeur en soi, l'Égal, le Petit : le Petit deviendrait plus grand que sa partie !
D'où cette question : comment les choses participeront-elles aux Formes, si ce n'est ni en parties, ni en totalité ?
Difficultés de la connaissance des réalités en soi
modifierMais les objections ne s'arrêtent pas là : cette hypothèse, pour définir quelque chose, étant posée comme quelque chose à part, une grande difficulté surgit : il ne convient même pas que les Formes soient connues. En effet, s'il y a une réalité en soi de quelque chose, aucune de ces réalités ne se trouve dans notre monde : une réalité en soi ne peut être dans ce monde.
Résumé des objections contre la théorie des Formes
modifierParménide montre l'impossibilité de la théorie de la participation, en soulevant deux séries de difficultés :
- difficultés relatives à la participation :
- une chose doit participer à une Forme en sa totalité ou à l'une de ses parties ; dans les deux cas la Forme perd son unité.
- quand une chose paraît grande, c'est par la Grandeur en soi ; mais si on regarde la Grandeur et cette chose, une autre Forme apparaît à laquelle elles participent, et ainsi de suite à l'infini.
- si la Forme est une pensée n'existant que dans l'âme,
- si la Forme est un modèle dont les choses sont des images, il y a encore une régression à l'infini.
- difficultés de la connaissance par la théorie des Formes :
- la science en soi n'est pas la science du monde sensible. Ni les hommes ne peuvent posséder la science en soi, ni les dieux ne peuvent posséder la science de ce monde-ci.
Conséquences de ces objections
modifierParménide indique qu'il y a encore de nombreuses difficultés, si ces Formes existent en soi. Celui qui dirait : « ces Formes n'existent pas et, si à la rigueur elles existent, elles restent de toute nécessité inconnaissables à la nature humaine», il serait très difficile de changer sa conviction. Ce serait un homme merveilleux qui pourrait comprendre qu'il y a de chaque chose un être en soi et par soi et qui pourrait l'enseigner. Mais quelqu'un qui refuse de poser à part une Forme ne saura de quel côté tourner sa pensée, car il n'y aura aucune Forme toujours même et toute dialectique sera impraticable.
Que fera-t-on alors de l'aspiration au savoir ? Où se tourner si à ces questions on n'a pas de réponse ? Continue à t'exercer, argumente, conseille Parménide à Socrate, sinon la vérité se dérobera à toi. Ne laisse pas l'enquête s'égarer dans les choses visibles, mais applique-toi aux objets de la raison par excellence, objet dont on peut estimer que ce sont les Formes.
Seconde partie : « s'il est un, s'il n'est pas un »
modifierAnalyse de l'hypothèse
modifierCette partie consiste à déduire les différentes conséquences qui découlent pour l'Un et pour les choses de l'hypothèse : ei hén esti et de sa négation : « si l'un est », « si l'un n'est pas. » On peut distinguer plusieurs sens donnés à esti dans l'ensemble de cette partie :
- copule
- existence
- identité
- appartenance et possession.
Platon examine les conséquences de cette hypothèse et à sa négation relativement à l'être et aux autres choses. Ainsi la méthode est-elle la suivante :
- une hypothèse est posée ;
- on déduit ses conséquences ainsi que les conséqences de sa négation ;
- on montre ce qui conduit à des conséquences fausses.
Le relativement à l'être suppose la définition de certains termes :
- Tout et parties ;
- Nombre ;
- Limité et illimité ;
- Figure ;
- Lieu ;
- Mouvement ;
- Identité et différence ;
- Ressemblance et dissemblance ;
- Égalité et inégalité ;
- Temps.
Articulation des deux parties
modifierLa question est de savoir ce qui lie cette seconde partie à la première. La première est essentiellement une réfutation de la théorie des Idées. Pourquoi Platon passe-t-il dans la seconde partie à cet exercice dialectique qui, à première vue, peut sembler n'avoir qu'un lointain rapport, et qui, de plus, se termine sur une aporie ?
L'Un n'est pas plusieurs choses
modifierSi l'Un n'est pas plusieurs, il doit s'ensuivre que :
- l'Un n'a pas de parties, ni est un tout ; en effet, dans le cas contraire, il serait composé de parties ; or, d'après l'hypothèse, l'Un n'est pas multiple.
- s'il n'a pas de parties, il n'a ni commencement, ni fin, ni milieu ; car ce serait là des limites, i.e. des parties qui lui feraient des déterminations. Il n'a pas non plus de limites, car il n'est pas multiple.
- l'Un n'est nulle part : ni en autre chose, ni en lui-même. S'il est en autre chose, il se trouve en contact avec ce qui l'enveloppe en plusieurs points. S'il est en lui-même, il serait deux. Donc, l'Un n'est nulle part.
- il n'est ni en repos, ni en mouvement. S'il est en mouvement, il se déplacerait ou s'altèrerait ; mais alors, il aurait un lieu et serait composé de parties. Or, ce qui n'a pas de parties et n'est pas un tout ne peut venir à être quelque part. Donc, l'Un ne change pas de place et n'a aucune espèce de mouvement. Mais s'il ne se trouve nulle part, il ne peut rester au même endroit. Donc il n'a ni tranquillité ni repos.
- l'Un n'est ni identique ni différent de lui-même ou d'autre chose. Car, s'il est différent de lui-même, il n'est pas un ; s'il est identique à autre chose, il n'est pas ce qu'il est. Il n'est différent de rien ; mais il n'est pas identique à lui-même, car devenir identique, ce n'est pas devenir un. Et s'il est identique à lui-même, il ne fera pas un avec lui-même.
- en conséquence il n'est pas non plus semblable ou dissemblable à l'égard de lui-même ou d'autre chose.
- il n'est ni égal ni inégal, sinon il aurait le même nombre d'unité de mesure que ce à quoi il est égal, ou il sera plus ou moins grand.
- il n'est ni plus vieux, ni plus jeune, ni du même âge, car sinon il participerait à l'égalité et à la ressemblance. Il ne saurait donc être dans le temps, et n'a pas part au temps. En conséquence, l'Un n'est pas devenu, il ne devenait pas, il n'était pas ; il ne devient pas, il n'est pas ; il ne deviendra pas, il ne sera pas devenu, il ne sera pas.
En résumé, puisqu'il n'y a pas de moyen de participer à l'être que sous ces modes, l'Un ne participe pas à l'être et il n'est d'aucune manière. Mais dans ce cas, il n'a pas l'être qu'il faut pour être un : donc l'Un n'est pas Un, et il n'est pas.
En conséquence, il n'y a rien à lui, ni de lui ; il n'a ni nom, ni définition : il n'est l'objet d'aucune opinion, ni de connaissance par quelque être que ce soit.
Ces conséquences étant impossibles, Parménide propose de reprendre l'argumentation depuis le début.
S'il est un, il doit participer à l'être
modifierS'il est un, qu'admettent les choses ?
modifierLes choses ne sont pas l'Un, mais y participent ; en effet, elles ont des parties, sans quoi elles seraient un. Ce qui a des parties forme un tout, qui est une unité de plusieurs choses. Une partie n'est partie que d'une unité nommée tout ; donc si les autres choses ont des parties, elles peuvent participer au tout comme à l'Un. Les autres choses que l'Un forment ainsi un tout un et complet, et les parties participent chacune à l'Un.
Les choses différentes de l'Un sont unes et plus nombre que l'unité, sinon elles ne sont rien. En tant qu'elles participent à l'Un, elles ont une untité mutuelle ; mais la nature de ces choses elles-mêmes procurent l'illimitation. Elles sont donc illimités et participent à la fois à une limite comme tout ou comme partie.
S'il est un, les choses sont donc semblables et dissemblables à elles-mêmes et aux autres choses ; elles sont identiques et différentes, en mouvement et en repos, etc.
- S'il est un, il est tout et il n'est rien par rapport à lui-même et aux autre choses.
- S'il n'est pas un,
- S'il n'est pas un, il n'a aucune détermination, aucun caractère.
- S'il n'est pas un, chaque chose sera une pluralité illimité, elles paraitront semblables et dissemblables, etc.
S'il n'est pas un, il n'y a rien
modifierParménide revient encore une fois au commencement de l'argumentation : s'il n'est pas un, quelles conséquences pour les choses autres que l'Un ?
Elles ne sont pas unes, ni plusieurs, car leur totalité ne peut former un ensemble. Elles ne paraissent ni unes ni plusieurs, puisque sans unité, il est impossible d'être plusieurs. De même, elles ne seront ni semblables ni dissemblables, etc.
En bref, quand nous disons que l'Un n'est pas, nous disons qu'il n'y a rien.
Conclusion
modifierEn conclusion : « soit que l'un existe, soit qu'il n'existe pas, lui et les autres choses, relativement à eux-mêmes et les uns aux autres, sont absolument tout et ne le sont pas, paraissent et ne le paraissent pas. »
Proclus distingue deux types d'interprétations : celles qui portent sur le fond et celles qui portent sur la forme. Dans ce dernier cas, le Parménide est considéré comme un exercice de logique ; dans le premier cas, les interprètes cherchent à déterminer l'objet de ce dialogue :
- l'être un ;
- les différents degrés de l'être qui procèdent de l'Un ;
Bibliographie
modifierÉditions
modifier- Platon, Œuvres complètes, VIII, 1, Parménide, texte établi et traduit par Auguste Diès, Paris, 1923, Les Belles Lettres
- Platon, Parménide, traduit et annoté par Joseph Moreau (in Platon, Œuvres complètes, II, Paris, 1950, Gallimard)
- Platon, Parménide, traduit par Emile Chambry (in Platon, Théétète - Parménide, Paris, 1967, Garnier-Flammarion)
- Platon, Parménide, nouvelle traduction avec notes de Luc Brisson, Paris, 1999, Garnier-Flammarion
Commentaires
modifier- Procli commentarium in Platonis Parmenidem, Proclus
- Études sur le Parménide de Platon, Paris, 1926, Vrin (1951), Jean Wahl