Philosophie/Thalès de Milet/Thalès dans la littérature

Présocratiques La philosophie antique Anaximandre de Milet


Ces textes pourront donner une idée de l'importance de la figure de Thalès dans l'histoire universelle.






Thomas d'Aquin, Commentaire au traité de l’âme, Leçon 13

C'est ainsi qu'un Philosophe du nom de Thalès, sans doute poussé par cette opinion, était d'avis que toutes choses sont pleines de dieux. Car il voulait que l'univers entier soit animé, et que son âme soit Dieu. En conséquence, comme l'âme se trouve dans toute partie de l'animal, et qu'elle y est toute, il voulait de même que Dieu se trouve en toute partie de l'univers, de sorte que toutes choses seraient pleines de dieux. Peut-être est-ce de là que provient l'idolâtrie.

Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature

L' homme de France qui, à mon avis, a eu le plus d' esprit, Voltaire, dans ses questions sur l' encyclopédie, a nié l' existence de l' air, parceque, dit-il, il ne le voyait pas. Il lui substitue des vapeurs aqueuses qu' il voit, et auxquelles il attribue les mêmes propriétés. Ce système est déjà bien ancien : c'était celui de Thalès, qui prétendait que tout était engendré par l' eau. Il n' admettait que cet élément sur le globe ; la terre n' en était qu' un sédiment, et l' air une évaporation.

Jean-Jacques Rousseau, Émile, ou De l’éducation

Voyager à pied, c'est voyager comme Thalès, Platon et Pythagore. J'ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement, et s'arracher à l'examen des richesses qu'il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue. Qui est-ce qui, aimant un peu l'agriculture; ne veut pas connaître les productions particulières au climat des lieux qu'il traverse, et la manière de les cultiver? Qui est-ce qui, ayant un peu de goût pour l'histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l'examiner, un rocher sans l'écorner, des montagnes sans herboriser, des cailloux sans chercher des fossiles? Vos philosophes de ruelles étudient l'histoire naturelle dans des cabinets; ils ont des colifichets; ils savent des noms, et n'ont aucune idée de la nature.

Chateaubriand, Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, Chapitre XXI Siècle de Solon

C'est ici l'époque d'une des plus grandes révolutions de l'esprit humain, de même qu'elle le fut d'un des plus grands changements en politique. Toutes les semences des sciences, fermentées depuis longtemps dans la Grèce, y éclatèrent à la fois. Les lumières ne parvinrent pas, comme de nos jours, au zénith de leur gloire ; mais elles atteignirent cette hauteur médiocre d'où elles éclairent les hommes sans les éblouir. Ils y voient alors assez pour tenir le chemin de la liberté, et non pas trop pour s'égarer dans les routes inconnues des systèmes. Ils ont cette juste quantité de connaissances qui nous montrent les principes, sans avoir cet excès de savoir qui nous porte à douter de leur vérité. La tragédie prit naissance sous Thespis, la comédie sous Susarion, la fable sous Esope, l'histoire sous Cadmus, l'astronomie sous Thalès, la grammaire sous Simonide. L'architecture fut perfectionnée par Memnon, Antimachide ; la sculpture par une multitude de statuaires : mais surtout la philosophie et la politique prirent un essor inconnu. Une foule de publicistes et de législateurs parurent tout à coup dans la Grèce, et donnèrent le signal d'une révolution générale. Ainsi les Locke, les Montesquieu, les J.-J. Rousseau, en se levant en Europe, appelèrent les peuples modernes à la liberté.

Auguste Comte, Discours sur l'esprit positif

Cette prépondérance nécessaire de la science astronomique dans la première propagation systématique de l'initiation positive est pleinement conforme à l' influence historique d'une telle étude, principal moteur jusqu' ici des grandes révolutions intellectuelles. Le sentiment fondamental de l' invariabilité des lois naturelles devait, en effet, se développer d' abord envers les phénomènes les plus simples et les plus généraux, dont la régularité et la grandeur supérieures nous manifestent le seul ordre réel qui soit complètement indépendant de toute modification humaine. Avant même de comporter encore aucun caractère vraiment scientifique, cette classe de conceptions a surtout déterminé le passage décisif du fétichisme au polythéisme, partout résulté du culte des astres. Sa première ébauche mathématique, dans les écoles de Thalès et de Pythagore, a constitué ensuite la principale source mentale de la décadence du polythéisme et de l' ascendant du monothéisme.

Edmond About, La Grèce contemporaine

On voit que les grecs appellent philosophie, comme au temps de Thalès, l'ensemble des connaissances humaines. La faculté de philosophie remplace à elle seule une faculté des lettres et une faculté des sciences.

Marcellin Berthelot, Origines de l'alchimie

Thalès De Milet (vers 600 avant J-C) et l' école ionienne à sa suite dégagèrent les premiers la conception scientifique de la nature, du langage mythique, sous lequel elle était enveloppée par le symbolisme religieux de l' Orient. D' après Thalès, qui semble avoir tiré ses opinions des mythes babyloniens, l' eau est la matière première dont tout est sorti. Anaximène (Vie siècle avant l' ère chrétienne), guidé par une première vue des phénomènes généraux de la nature, soutient de son côté que l' air est le principe des choses : raréfié, il devient du feu ; condensé, il forme successivement les nuages, l' eau, la terre, les pierres. à ces notions un peu vagues, tirées d' une première vue de la nature, succèdent des aperçus plus profonds. Parménide et les éléates, cités par Zosime et suivis par Chymès, admettent la permanence de la substance primordiale. Tout se réduit à une essence unique, éternelle, immobile. Les alchimistes disent de même : le tout vient du tout, voilà toute la composition. C' est ce qu' expriment plus fortement encore les axiomes mystiques inscrits dans les cercles concentriques du serpent : " un est le tout, par lui le tout est ; si le tout ne contient pas le tout, il n' est pas le tout "
Thalès de Milet parle de l’œuf - il s' agit de l' eau divine et de l' or ; - c'est un principe un, beau, immobile ; il est exempt de tout mouvement apparent ; il est de plus infini, doué de puissance infinie et nul ne peut dénombrer ses puissances.

Friedrich Nietzsche, La Philosophie à l'époque de la tragédie grecque

La philosophie grecque commence par cette idée absurde que l'eau serait l'origine et le sein maternel de toute chose. (…) Thalès franchit d'un bond les théories physiques de son temps (…) en posant cet axiome philosophique dont l'origine est une intuition mystique: c'est ce principe que "tout est un". Fruit de l'imagination. La pensée philosophique indémontrable a une valeur: elle n'est ni un mythe ni une allégorie. En disant que ce n'est pas l'homme mais l'eau qui est le principe de toute chose, Thalès commence à croire à la nature...
Ce qu'est le vers pour le poète, voilà ce qu'est pour le philosophe la pensée dialectique ; il s'en empare pour fixer la féerie dont il est le jouet, pour la pétrifier. Et de même que pour le poète dramatique le mot et le vers ne sont qu'un balbutiement en langue étrangère, par lequel il essaie de dire ce qu'il a vécu et qu'il ne peut traduire directement que par la mimique et la musique, l'expression de toute intuition philosophique profonde, par la dialectique et l'expression scientifique, est sans doute l'unique moyen de communiquer ce qui a été vu par le penseur, mais c'est un moyen misérable, ce n'est qu'une transposition métaphorique et absolument inadéquate, dans une autre sphère et dans une autre langue. Ainsi Thalès a vu l'unité de l'être ; et quand il a voulu la dire, il a parlé de l'eau !