Philosophie/Thalès de Milet/Textes et traductions Ier millénaire EC

Présocratiques La philosophie antique Anaximandre de Milet
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Thalès I de Milet II

(-625/-620 , à Milet-548/-545 , à Milet) 🔍


Période du Principat de l’Empire I Romain 🔄

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(16 janvier -27 , nomination de Caius Iulius Caesar Octavianus aux titres d’Augustus et de Princeps par le Sénat romain — fin du IIIème siècle EC, création du système tétrarchique II par Dioclétien III pour faire face aux incursions barbares)


(-5 / 1 , à Corduba — 12 avril 65, à Rome, dans une maison de plaisance, la « quatrième pierre milliaire », contraint au suicide forcé par l’empereur Néron après avoir été dénoncé dans la Conjuration de Pison, sans preuve selon Tacite Annales, l.V, §§LX-LXVI.) 📚 🔍

 

Double-hermès du IIIème siècle EC, unique portrait de Sénèque nommé et authentifié, et associé à celui de Socrate, dont le point commun est celui d’avoir été contraint de se donner la mort. Copie romaine d’un modèle fait du vivant même du philosophe ➕➕.

Matériau : Marbre blanc-brunâtre, légèrement veiné, finement cristallin.

Provenance : Rome, 1813.

Exposition : Staatliche Museen zu Berlin, Antikensammlung, SK. 391 🔍.

Homme politique romain, philosophe stoïcien et dramaturge, il devient tour à tour conseiller à la cour impériale sous Caligula puis Claude, est exilé en 41 en Corse, où il écrit ses premiers traités philosophiques avant d’être rappelé comme tuteur du jeune Néron en 49, et enfin, lorsque ce dernier accède au pouvoir, en devient le conseiller et l’un des personnages les plus influents de l’Empire.



📚

Ouvrage de philosophie naturelle écrit vers 65. Il ne s’agit pas d’une encyclopédie I systématique comme l’Histoire naturelle ⤵️ de Pline l’Ancien ⤵️, bien que ces 2 œuvres représentent les rares ouvrages romains consacrés à l’étude du monde naturel. L’investigation de Sénèque se déroule principalement à travers la prise en compte des points de vue d’autres penseurs, grecs et romains, bien qu’elle ne soit pas dénuée de pensées originales, dont éthiques conforment à la pensée stoïcienne.



Livre III — De l’eau

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En prologue, Sénèque explique pourquoi il est plus important de s’intéresser à l’observation du monde, à sa connaissance et à sa compréhension plutôt qu’à sa conquête. Puis, il développe diverses théories sur la formation des rivières, les eaux souterraines et les propriétés de l’eau. Dans une critique morale aux chapitres XVII à XIX, il fustige la mauvaise pratique consistant à amener à table des poissons, notamment des rougets, vivants et à se délecter de leurs couleurs changeantes à l’agonie avant de les préparer devant les convives. En épilogue, il énonce son eschatologie, sa vision de la fin du monde où les êtres vivants seront anéantis par des raz-de-marée, marquant la fin d’un cycle du vivant et le début d’un autre.


Chapitre XIII.
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Témoignage de la doctrine de Thalès faisant de l’eau l’élément à l’origine de la vie et critique d’une autre de la terre flottant dessus.


Texte latin

13. Adiciam, ut Thales ait, «ualentissimum elementum est». Hoc fuisse primum putat, ex hoc surrexisse omnia. Sed nos quoque aut in eadem sententia, aut in uicinia eius sumus. Dicimus enim ignem esse qui occupet mundum et in se cuncta conuertat; hunc euanidum languentemque considere et nihil relinqui aliud in rerum natura igne restincto quam umoren; in hoc futuri mundi spem latere. Ita ignis exitus mundi est, umor primordium. Miraris ex hoc posse amnes semper exire qui pro omnibus fuit et ex quo sunt omnia? Hic umor in diductione rerum ad quartas redactus est, sic positus ut sufficere fluminibus edendis, ut riuis, ut fontibus posset.

14. Quae sequitur Thaletis inepta sententia est. Ait enim terrarum orbem aqua sustineri et uehi more nauigii mobilitateque eius fluctuare tunc cum dicitur tremere; non est ergo mirum si abundat umor ad flumina profundenda, cum in umore sit totus. Hanc ueterem et rudem sententiam explode. Nec est quod credas in hunc orbem aquam subire per rimas et facere sentinam.


L. Annaei Senecae, Natvrales Qvaestiones, Liber Tertivs., chap. 13.-14., texte établi par Carmen Codoñer Merino (es), Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid, 1979



XIII. Aqua, ait Thales, valentissimum elementum est : hoc fuisse primum putat, et hoc surrexisse omnia. Sed et nos quoque aut in eadem sententia, aut in ultima sumus. Dicimus enim ignem esse, qui occupet mundum, et in se cuncta convertat ; hunc evanidum considere, et nihil relinqui aliud in rerum natura, igne restincto, quam humorem : in hoc futuri mundi spem latere. Ita ignis exitus mundi est, humor primordium. Miraris amnes ex hoc posse exire semper, qui pro omnibus fuit, et ex quo sunt omnia? Hic humor in diductione rerum ad quartas redactus est, sic positus, ut fluminibus edendis sufficere, ut rivis, ut fontibus posset. Quæ sequitur, Thaletis inepta sententia est : ait enim , terrarum orbem aqua sustineri, et vehi more navigii, mobilitateque ejus fluctuare, tum quum dicitur tremere. Non est ergo mirum, si abundat humor ad flumina fundenda, quum mundus in humore sit totus. Hanc veterem et rudem sententiam explode : nec est quod credas, in hunc orbem aquam subire per rimas et facere sentiuam.

Œuvres Complètes de Sénèque, Tome Quatrième, Questions Naturelles, De Sénèque à Lucilius - Livre Troisième., chap. XIII., traduction française de la collection Panckoucke, nouvelle édition très soigneusement revue par M. Charpentier et M. Félix Lemaistre, 1860



Traductions

XIII. L’eau, dit Thalès, est le plus puissant des éléments, le premier en date, celui par qui tout a pris vie. Nous pensons comme Thalès, au moins sur le dernier point. En effet, nous prétendons que le feu doit s’emparer du monde entier et convertir tout en sa propre substance, puis s’évaporer, s’affaisser, s’éteindre et ne rien laisser autre chose dans la nature que l’eau ; qu’enfin l’eau recèle l’espoir du monde futur. Ainsi périra par le feu cette création dont l’eau fut le principe. Es-tu surpris que des fleuves sortent incessamment d’un élément qui a tenu lieu de tout, et duquel tout est sorti ? Quand les éléments furent séparés les uns des autres, l’eau fut réduite au quart de l’univers, et placée de manière à suffire à l’écoulement des fleuves, des ruisseaux, des fontaines. Mais voici une idée absurde de ce même Thalès. Il dit que la terre est soutenue par l’eau sur laquelle elle vogue comme un navire ; qu’à la mobilité d’un tel support sont dues les fluctuations qu’on appelle tremblements de terre. Ce ne sera donc pas merveille qu’il y ait assez d’eau pour entretenir les fleuves, si tout le globe est dans l’eau. Ce système grossier et suranné n’est que risible ; tu ne saurais admettre que l’eau pénètre notre globe par ses interstices, et que la cale est entr’ouverte.

Sénèque le Jeune, Livre III. chap. 13., traduction par Joseph Baillard, Hachette, 1914
(également disponible ici)



XIII. L’eau, dit Thalès, est le plus puissant des éléments : elle existait avant tout, elle est le principe de tout. Nous pensons comme Thalès, au moins sur le dernier point. En effet, nous croyons que le feu, s’emparant du monde entier, convertira tout en sa propre substance : mais il finira par cesser ses ravages, et quand il sera éteint, dans toute la nature il ne restera que l’eau, et cette eau renfermera le germe et l’espérance d’un monde futur. Ainsi par le feu s’accomplira la destruction de l’univers, et par l’eau sa réorganisation. Êtes-vous
surpris, maintenant, qu’après avoir tenu lieu de tous les éléments, et les avoir produits tous, l’eau suffise à l’entretien perpétuel des fleuves ? Quand les éléments furent séparés les uns des autres, l’eau fut réduite au quart de l’univers, et dans une proportion convenable pour suffire à l’alimentation des fontaines, des ruisseaux et des rivières. Mais voici une idée absurde du même Thalès : il dit que la terre est soutenue par l’eau, et qu’elle flotte sur elle comme un navire ; que les tremblements de terre sont causés par les oscillations et les mouvements du fluide qui la soutient. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait assez d’eau pour alimenter les fleuves, puisque tout le globe est dans l’eau. Mais rejetons cette vieille et informe hypothèse, qui assimile les sources aux flots que la cale entr’ouverte laisse pénétrer dans le vaisseau.

Œuvres Complètes de Sénèque, Tome Quatrième, Questions Naturelles, De Sénèque à Lucilius - Livre Troisième., chap. XIII., traduction française de la collection Panckoucke, nouvelle édition très soigneusement revue par M. Charpentier et M. Félix Lemaistre, 1860



Chap. III.
Opiniõ de Thales touchant l’eau.

L’eau , comme dit Thales , eſt le plus fort des Elemens. Il croit meſme qu’elle eſt le premier , & que toutes choſes en ont pris naiſſance. Pour moy ie ſuis de cette opinion , ou du moins de la derniere partie de cette opinion. Car nous 1 diſons que c’eſt le feu qui enueloppera tout le monde , & qui conuertira en ſoy toutes choſes; qu’il deuiendra ſans force quand il n’aura plus de nourriture , qu’apres que le feu ſera eſteint il ne demeurera rien de reſte à la nature que l’eau ſeulement , & que c’eſt en elle ſeule que conſiſte l’eſperance d’vn monde futur. Ainſi le feu eſt la fin du monde , & l’eau en eſt le commencement. Vous eſtonnez-vous donc que les fleuues puiſſent touſiours ſortir d’vn Element , qui eſt fait pour toutes choſes & dont toutes choſes ſe font ? Lors que la nature fit le departement des Elemens , l’eau fut placée de telle ſorte , qu’elle peut ſuffire pour les fleuues , pour les ruiſſeaux , pour les fontaines. Mais ce que Thales dit en ſuitte eſt ridicule , car il dit que le Globe de la terre eſt ſouſtenu par les eaux ; qu’elles le portent comme vn vaiſſeau , & qu’elles l’agitent de la meſme ſorte , lors que nous croyons qu’il tremble. Il ne faut donc pas s’eſtonner , s’il ya touſiours aſſez d’eau pour former de ſi grands fleuues , puis que tout le monde nage fur l’eau. Mais meſpriſez cette vieille , & cette groſſiere opinion , & ne croyez pas que l’eau vienne ſur la terre , comme par des fentes & par des creuaſſes , & qu’elle y ſoit ſeulement comme dans le fond d’vn vaiſſeau.

1. Les Stoïciens.


Seneque Des Qvestions Natvrelles, Livre Troisiesme. Des eaux., chap. XIII., traduction par Pierre Du Ryer, A Lyon, Chez Christofle Fovrmy, 1663



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Livre IV — Du Nil

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En prologue, Sénèque fait l’éloge de Lucilius I avant de lui expliquer les dangers de la flatterie. Puis, il décrit la crue du Nil 🔄, expose les théories tentant de l’expliquer et les réfute. En épilogue, il fait le procès du luxe, et plus particulièrement celui d’acheter de la neige, et donc de marchandiser l’eau, regrettant qu’on ne puisse faire de même avec l’air et le soleil.



Chapitre II.
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Réfutation par Sénèque d’une théorie explicite de Thalès sur la crue du Nil (théorie identique mais supposément implicite rapportée par Hérodote 🔄).


Texte latin

2. [...] Si Thaleti credis, etesiae descendenti Nilo resistunt et cursum eius acto contra ostia mari sustinent. Ita reuerberatus in se recurrit, nec crescit, sed exitu prohibitus resistit et quacumque mox potuit ui congestus erumpit. Euthymenes Massiliensis testimonium dicit: «Nauigaui, inquit, Atlanticum mare. Inde Nilus fluit, maior, quamdiu etesiae tempus obseruant; tunc enim eicitur mare instantibus uentis. Cum resederunt, et pelagus conquiescit minorque descendenti inde uis Nilo est. Ceterum dulcis mari sapor est et similes Niloticis beluae». Quare ergo, si Nilum etesiae prouocant, et ante illos incipit incrementum eius et post eos durat? Praeterea non fit maior quo illi flauere uehementius, nec remittitur incitaturque, prout illis impetus fuit; quod fieret, si illorum uiribus cresceret. Quid quod etesiae litus Aegyptium uerberant et contra illos Nilus descendit, inde uenturus unde illi, si origo ab illis esset? Praeterea ex mari purus et caeruleus efflueret, non, ut nunc, turbidus ueniret. Adde quod testimonium eius testium turba coarguitur. Tunc erat mendacio locus; cum ignota essent externa, licebat illis fabulas mittere. Nunc uero tota exteri maris ora mercatorum nauibus stringitur, quorum nemo narrat initium Nili aut mare saporis alterius: quae natura credi uetat, quia dulcissimum quodque et leuissimum sol trahit. Praeterea quare hieme non crescit? Et tunc potest uentis concitari mare, aliquanto quidem majoribus; nam etesiae temperati sunt. Quod si e mari ferretur Atlantico, semel oppleret Aegyptum. At nunc per gradus crescit.

L. Annaei Senecae, Natvrales Qvaestiones, Liber Qvartvs A., chap. 2., texte établi par Carmen Codoñer Merino (es), Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid, 1979



II. [...] Si Thaleti credis, Etesiæ descendenti Nilo resistunt, et cursus ejus acto contra ostia mari sustinent : ita reverberatus in se recurrit : nec crescit, sed exitu prohibitus resistit, et quacumque mox potuit, inconcessus erumpit.

Euthymenes Massiliensis testimonium dicit : « Navigavi, inquit, Atlanticum mare. Inde Nilus fluit major, quamdiu Etesiæ tempus observant : tunc enim ejicitur mare instantibus ventis. Quum resederint, et pelagus conquiescit, minorque descendenti inde vis Nilo est. Ceterum dulcis maris sapor est, et similes Niloticis belluæ. » Quare ergo, si Nilum Etesiæ provocant, et ante illos incipit incrementum ejus, et post eos durat ? Præterea non fit major, quo illi flavere vehementius. Nec remittitur, incitaturque, prout illis impetus fuit : quod fieret, si illorum viribus cresceret. Quid, quod Etesiæ littus ægyptium verberant, et contra illos Nilus descendit, inde venturus, unde illi, si origo ab illis esset ? Præterea ex mari purus et cæruleus efflueret, non ut nunc turbidus venit. Adde, quod testimonium ejus testium turba coarguitur. Tunc erat mendacio locus, quum ignota essent externa. Licebat illis fabulas mittere. Nunc vero tota exteri maris ora mercatorum navibus stringitur : quorum nemo narrat nunc cæruleum Nilum, aut mare saporis alterius ; quod et natura credi vetat, quia dulcissimum quodque et levissimum sol trahit. Præterea quare hieme non crescit ? et tunc potest ventis concitari mare, aliquando quidem majoribus ; nam Etesiæ temperati sunt. Quod si e mari ferretur Atlantico, semel oppleret Ægyptum. At nunc per gradus crescit.


Œuvres Complètes de Sénèque, Tome Quatrième, Questions Naturelles, De Sénèque à Lucilius - Livre Quatrième., chap. II., traduction française de la collection Panckoucke, nouvelle édition très soigneusement revue par M. Charpentier et M. Félix Lemaistre, 1860



Traductions

II. [...] À en croire Thalès, les vents étésiens repoussent le Nil à sa descente dans la mer, et suspendent son cours en poussant la mer contre ses embouchures. Ainsi refoulé, il revient sur lui-même, sans pour cela grossir ; mais l’issue lui étant barrée, il s’arrête, et bientôt, partout où il le peut, force le passage qui lui est refusé. Euthymène, de Marseille, en parle comme témoin : « J’ai navigué, dit-il, sur la mer Atlantique. Elle cause le débordement du Nil, tant que les vents étésiens se soutiennent ; car c’est leur souffle qui alors pousse cette mer hors de son lit. Dès qu’ils tombent, la mer aussi redevient calme, et le Nil à sa descente déploie moins de puissance. Du reste, l’eau de cette mer est douce, et nourrit des animaux semblables à ceux du Nil. » Mais pourquoi, si les vents étésiens font gonfler le Nil, la crue commence-t-elle avant la saison de ces vents, et dure-t-elle encore après ? D’ailleurs le fleuve ne grossit pas à mesure qu’ils soufflent plus violemment. Son plus ou moins de fougue n’est point réglé sur celle des vents étésiens, ce qui aurait lieu, si leur action le faisait hausser. Et puis ils battent la côte égyptienne, le Nil descend à leur encontre : il faudrait qu’il vînt du même point qu’eux, si son accroissement était leur ouvrage. De plus, il sortirait pur et azuré de la mer, et non pas trouble comme il est. Ajoute que le témoignage d’Euthymène est réfuté par une foule d’autres. Le mensonge avait libre carrière, quand les plages étrangères étaient inconnues ; on pouvait de là nous envoyer des fables, À présent, la mer extérieure est côtoyée sur tous ses bords par des trafiquants dont pas un ne raconte qu’aujourd’hui le Nil soit azuré ou que l’eau de la mer soit douce. La nature elle-même repousse cette idée ; car les parties les plus douces et les plus légères sont pompées par le soleil. Et encore pourquoi le Nil ne croît-il pas en hiver ? Alors aussi la mer peut être agitée par des vents quelque peu plus forts que les étésiens, qui sont modérés. Si le mouvement venait de l’Atlantique, il couvrirait tout d’un coup l’Égypte : or l’inondation est graduelle.

Sénèque le Jeune, Livre IV. chap. 2., traduction par Joseph Baillard, Hachette, 1914
(également disponible ici)



II. [...] Selon Thalès, le phénomène a pour cause les vents Étésiens, qui s’opposent au cours du Nil et font rebrousser ses eaux en sens inverse du mouvement qui le porte vers la mer. Refoulés sur eux-mêmes, les flots refluent sans pour cela grossir ; mais l’issue leur étant fermée, ils s’arrêtent, et bientôt ils s’ouvrent partout où ils peuvent le passage qui leur est refusé.

Euthymène de Marseille en parle comme témoin : « J’ai navigué, dit-il, sur la mer Atlantique. Le Nil roule des eaux plus abondantes, tant que durent les vents Étésiens ; car alors ils refoulent la mer sur le fleuve. Dès qu’ils se sont abattus et que la mer est devenue calme, le Nil, qui peut redescendre vers celle-ci, diminue. Au reste, les eaux de cette mer sont douces et contiennent des animaux semblables à ceux du Nil. » Dans cette hypothèse, qui donne les vents Étésiens pour cause des crues du Nil, qu’on me dise pourquoi ces crues précèdent les vents, persistent quand les vents ne sont plus, enfin n’augmentent plus d’intensité et de violence, et ne diminuent pas selon la violence et l’impétuosité du vent même ; c’est pourtant ce qui devrait arriver, si les vents déterminaient la hausse des eaux. De plus, les vents Étésiens battent directement la côte égyptienne : pourquoi donc le Nil descend-il contre le souffle de ces vents, tandis qu’il devrait couler dans la même direction, s’il leur devait ses débordements ? Enfin, pourquoi, au lieu d’être diaphanes et azurés, ces flots, qu’on fait venir de la mer, sont-ils chargés de limon ? Ajoutez qu’une foule de témoignages réfutent Euthymène. On pouvait mentir, quand les plages étrangères étaient inconnues : c’était alors le temps des fables ; mais aujourd’hui mille vaisseaux marchands côtoient la mer extérieure ; personne ne dit que le Nil ait des flots d’azur ; personne ne donne à la mer une saveur douce, que la nature refuse à ses eaux : car le soleil en pompe sans cesse la partie la plus douce et la plus légère ; ensuite pourquoi le Nil ne croîtrait-il point pendant l’hiver ? la mer alors peut être battue par les vents, par des vents plus violents que les Étésiens, qui sont modérés. Enfin, si le mouvement venait de l’Atlantique, l’Égypte entière serait inondée tout d’un coup : or, l’inondation est graduelle.


Œuvres Complètes de Sénèque, Tome Quatrième, Questions Naturelles, De Sénèque à Lucilius - Livre Quatrième., chap. II., traduction française de la collection Panckoucke, nouvelle édition très soigneusement revue par M. Charpentier et M. Félix Lemaistre, 1860



Chap. II.
En quelle faiſó ſe fait l’accroiſſement du Nil.

[...] Si vous en croyez Thales , les vents Etheſiens reſiſtent au Nil en deſcendant dans la mer; & arreſtent ſon cours, en pouſſant la mer contre ſes ſept emboucheures. Si bien qu’eſes ſtant repouſſé de la ſorte il retourne ſur ſoy-meſme , & ne croiſt pas comme l’on penſe , mais par ce qu’il trouue vn obſtacle qui l’empeſche de paſſer outre , il eſt contraint de s’arreſter , & ne pouuant plus pourſuiure ſa courſe , il ſe reſpand par où il peut ſe répandre. Euthimenes de Marſeille en rend ce teſmoignage. I’ay nauigé, dit il, ſur la mer Atlantique , & c’eſt par elle que le Nil deuient plus grand, lors que les vents Etheſiens ſoufflent ; car alors cette mer ſort pour ainſi dire d’elle-meſme par la force & par la violence de ces vents. Mais lors qu’ils ne ſoufflent plus la mer demeure tranquille, & le Nil ne trouue plus rien qui l’empeſche de deſcendre , Au reſte l’eau de la mer eſt douce en ce temps-là , & l’on y void des beſtes ſemblables à celles du Nil. Mais ſi les Etheſiens ſont enfler le Nil, pourquoy ſon débordement commence il auant qu’ils ſoufflent & pourquoy dure - il encore lors qu’ils ont ceſſé de ſouffler. Dauantage ils ne s’enfle pas plus que de couſtume , quand ces vents ſoufflent auecque plus de violence qu’ils ne ſont ordinairement. Enfim il ne ſe hauſſe & ne s’abaiſſe pas ſelon que leur impetuoſité eſt plus ou moins grande , ce qui arriveroit ſans doute s’il s’enfloit par la force de ces véts. Mais comme les Eteſiens battent directement les bords de l’Egypte, & que le Nil deſcend contre eux ; il faudroit s’ils eſtoient cauſe de ſon accroiſſement , qu’il commençaſt par l’endroit d’où ils viennent. Outre cela il ſortiroit tout pur de la mer, & de la couleur de la mer, & ne ſeroit pas trouble & limonneux , comme il eſt. Et apres tout le teſmoignage d’Euthimene , eſt condamné par le plus grand nombre. Il eſtoit permis de mentir quand on n’auoit point de connoiſſance des pays eſtrangers ; & alors on pouuoit facilement nous en enuoyer des fables. Mais aujourd’huy tous les riuages des mers les plus eſloignées ſont remplis de vaiſſeaux de marchands, & pas vn ne nous apporte que le Nil ſoit de la couleur de la mer, ou que la mer ait vn autre gouſt. Quand nous aurions des raiſons pour nous la perſuader , la nature nous empeſcheroit de le croire par ce que le Soleil en attire ce qu’il y a de plus leger & de plus doux. Dauantage pourquoy ne croiſt-il pas en Hyuer , puis que la met en ce temps là peut eſtre agitée par des vents plus violents, que les Etheſiens qui ſont touſiours moderez. Que ſi le Nil venoit de la mer Atlantique , il couuriroit l’Egypte tout d’vn coup, & neantmoins il ne la couure que peu à peu.




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Livre VI — Des tremblements de terre

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En prologue, Sénèque énonce le plan du livre, des causes des tremblements de terre et des peurs qu’ils provoquent, en s’appuyant sur celui de Campanie qui a récemment causé d’importants dégâts à Pompéi et à Herculanum. Des chapitres IV à XX, de nombreuses théories sismiques sont présentées, la plupart liées au nom d’un philosophe qui les prône. Le feu, l’eau et l’air sont cités comme causes, et plusieurs d’entre-elles les combinent. À partir du chapitre XXIV, Sénèque développe sa propre opinion : l’air pénétrant, qui remplit complètement les cavités souterraines sous une forte pression, en est la cause. En épilogue, il explique à Lucilius quel comportement adopté en de telles situations, à savoir être courageux en ne craignant pas la mort


Chapitre VI.
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Réfutation d’une théorie de Thalès de la Terre flottant sur l’eau, et témoignage d’une de ses preuves portant sur les tremblements de terre.


Texte latin

6. In aqua causam esse nec ab uno dictum est nec uno modo. Thales Milesius totam terram subiecto iudicat umore portari et innare, siue illud oceanum uocas, siue magnum mare, siue alterius naturae simplicem adhuc aquam et umidum elementum. Hac, inquit, unda sustinetur orbis uelut aliquod grande nauigium et graue his aquis quas premit. Superuacuum est reddere causas propter quas existimat grauissimam partem mundi non posse spiritu tam tenui fugacique gestari; non enim nunc de situ terrarum sed de motu agitur. Illud argumenti loco ponit aquas esse in causa quibus hic orbis agitetur, quod in omni maiore motu erumpunt fere noui fontes, sicut in nauigiis quoque euenit ut, si inclinata sunt et abierunt in latus, aquam sorbeant, quae in omni eorum onere quae uehit, si immodice depressa sunt, aut superfunditur aut certe dextra sinistraque solito magis surgit. Hanc opinionem falsam esse non est diu colligendum. Nam, si terra aqua sustineretur et ea aliquando concuteretur, semper moueretur, nec agitari illam miraremur sed manere; deinde tota concuteretur, non ex parte; numquam enim nauis dimidia iactatur. Nunc uero terrarum non uniuersarum sed ex parte motus est. Quomodo ergo fieri potest ut, quod totum uehitur, totum non agitetur, si eo quo uehitur agitatum est? — At quare aquae erumpunt? — Primum omnium saepe tremuit terra et nihil umoris noui fluxit. Deinde, si ex hac causa unda prorumperet, a lateribus terrae circumfunderetur, sicut in fluminibus ac mari uidemus incidere ut incrementum aquarum, quotiens nauigia desidunt, in lateribus maxime appareat. Ad ultimum non tam exigua fieret quam tu dicis eruptio nec uelut per rimam sentina subreperet, sed fieret ingens inundatio ut ex infinito liquore et ferente uniuersa.

L. Annaei Senecae, Natvrales Qvaestiones, Liber Qvintvs - De terrae motv, chap. 6., texte établi par Carmen Codoñer Merino (es), Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid, 1979



VI. In aqua causam esse, nec ab uno dictum est, nec uno modo. Thales Milesius totam terram subjecto judicat humore portari et innatare : sive illud Oceanum vocas, sive magnum mare, sive alterius naturæ simplicem adhuc aquam et humidum elementum. Hac, inquit, unda sustinetur orbis, velut aliquod grande navigium et grave his aquis, quas premit. Supervacuum est reddere causas, propter quas existimat, gravissimam partem mundi non posse spiritu tam tenui fugacique gestari ; non enim nunc de situ terrarum, sed de motu agitur. Illud argumenti loco ponit, aquas esse in causa, quibus hic orbis agitatur, quod in omui majore motu erumpunt fere novi fontes : sicut in navigiis quoque evenit, ut, si inclinata sunt et abiere in latus, aquam sorbeant, quæ in omni onere eorum quæ vehit, si immodice depressa sunt, aut superfunditur, aut certe dextra sinistraque solito magis surgit. Hanc opinionem falsam esse, non est diu colligendum ; nam, si terram aqua sustineret, et ea aliquando concuteretur : semper moveretur, nec agitari illam miraremur, sed manere. Tum tota concuteretur, non ex parte : nunquam enim navis dimidia jactatur. Nunc vero non terrarum universarum, sed ex parte motus est. Quomodo ergo fieri potest, ut quod totum vehitur, totum non agitetur, si eo quo vehitur, agitatum est ? At quare aquæ erumpunt ? Primum omnium sæpe tremuit terra, et nihil humoris novi fluxit. Deinde si ex hac causa unda prorumperet, a lateribus terræ circumfunderetur : sicut in fluminibus ac mari videmus accidere, ut incrementum aquarum, quoties navigia desidunt, in lateribus maxime appareat. Ad ultimum non tam exigua fieret quam dicit eruptio, nec velut per rimam sentina subreperet, sed fieret ingens inundatio, ut ex infinito liquore, et ferente universa.

Œuvres Complètes de Sénèque, Tome Quatrième, Questions Naturelles, De Sénèque à Lucilius - Livre Sixième., chap. VI., traduction française de la collection Panckoucke, nouvelle édition très soigneusement revue par M. Charpentier et M. Félix Lemaistre, 1860



Traductions

VI. Que l’eau soit cause des tremblements de terre, c’est ce qu’affirment divers auteurs et avec divers arguments. Thalès de Milet estime que le globe entier a pour support une masse d’eaux sur laquelle il flotte, et qu’on peut appeler Océan ou grande mer, ou élément jusqu’ici de nature simple, l’élément humide. Cette eau, dit-il, soutient la terre ; et l’immense navire pèse sur le liquide qu’il comprime. Il est superflu d’exposer les motifs qui font croire à Thalès que la partie de l’univers la plus pesante ne saurait porter sur une substance aussi ténue, aussi fugace que l’air : il ne s’agit pas maintenant de l’assiette du globe, mais de ses secousses. Thalès apporte en preuve de son système, que presque toujours les grandes secousses font jaillir des sources nouvelles, comme il arrive dans les navires qui, lorsqu’ils penchent et s’inclinent sur le flanc, sont envahis par l’eau ; toujours, s’il y a surcharge, l’eau vient couvrir le bâtiment, ou du moins s’élève à droite et à gauche plus que de coutume. La fausseté de cette opinion se démontre sans longs raisonnements. Si la terre était soutenue par l’eau, elle tremblerait quelquefois dans toute sa masse et toujours serait en mouvement ; ce ne serait pas son agitation qui étonnerait, mais son repos. Elle s’ébranlerait tout entière, non partiellement ; car ce n’est jamais la moitié seulement d’un navire qui est battue des flots. Or, les tremblements de notre terre ne sont pas universels, mais partiels. Comment serait-il possible qu’un corps porté tout entier par l’eau ne fût pas agité tout entier, quand ce fluide est agité ? « Mais d’où viennent les eaux qu’on a vues jaillir ? » D’abord, souvent la terre tremble, sans qu’il en sorte de nouvelles eaux. Ensuite, si telle était la cause de ces éruptions, elles n’auraient lieu qu’autour des flancs du globe ; ce que nous voyons arriver sur les fleuves et en mer : l’exhaussement de l’onde, à mesure que s’enfonce le navire, se remarque surtout aux flancs du bâtiment. Enfin l’éruption dont on parle ne serait pas si minime, et comme une voie d’eau qui s’infiltre par une fente légère ; l’inondation serait immense en raison de l’abîme infini sur lequel flotterait le monde.

Sénèque le Jeune, Livre VI. chap. 6., traduction par Joseph Baillard, Hachette, 1914
(également disponible ici)



VI. Plusieurs philosophes ont prétendu que l’eau est la cause de ces secousses : ce que chacun explique à sa manière. Thalès de Milet prétend que le globe entier a pour support une masse d’eau sur laquelle il flotte ; peu importe qu’on donne à cet

amas le nom d’Océan, de grande mer ou d’eau élémentaire, eau simple. Cette eau, dit-il, soutient la terre comme un grand vaisseau pesant sur le liquide qu’il comprime. Il est inutile d’exposer les raisons qui font croire à Thalès que le corps le plus pesant de la nature ne peut être soutenu par un fluide aussi délié et aussi rare que l’air : car il s’agit ici des tremblements de terre et non de l’assiette du globe. La grande raison de Thales pour faire de l’eau la cause des secousses de la terre, c’est que, dans tout tremblement considérable, jaillissent des eaux nouvelles ainsi les vaisseaux se remplissent d’eau quand ils penchent d’un côté ; chargés à l’excès, ou ils sont submergés, ou ils s’enfoncent à droite et à gauche plus profondément dans la mer. Il ne faut pas longtemps discuter pour voir la fausseté de cette opinion. Si la terre était soutenue par les eaux, elle serait quelquefois fortement ébranlée, mais de plus elle serait toujours flottante, et il faudrait s’étonner non de son agitation , mais de son repos ; enfin, au lieu d’être ébranlée en

partie, elle le serait tout entière : car jamais la moitié d’un vaisseau n’est battue des flots. Or, on sait que les secousses de la terre sont partielles et non universelles : comment se ferait-il donc que ce qui est entièrement porté par les eaux ne fût pas entièrement agité, tandis que les eaux mêmes le sont en totalité ? Mais, dit-on, qui fait jaillir les eaux ? D'abord, souvent la terre tremble sans qu’il se produise des eaux nouvelles ; ensuite, si telle était la cause de ces éruptions, les eaux se répandraient latéralement autour de la terre. Ainsi, par exemple, quand un vaisseau s’enfonce ou dans la mer ou dans les fleuves, c’est vers les bords surtout que l’accroissement devient sensible. Enfin les sources qui jaillissent ne seraient pas si peu considérables ; on ne pourrait pas les comparer à une voie d’eau qui pénètre par les fentes du fond de cale : ce serait une inondation immense comme l’abîme infini sur lequel flotterait le monde.

Œuvres Complètes de Sénèque, Tome Quatrième, Questions Naturelles, De Sénèque à Lucilius - Livre Sixième., chap. VI., traduction française de la collection Panckoucke, nouvelle édition très soigneusement revue par M. Charpentier et M. Félix Lemaistre, 1860



Chap. VI.
Si l’eau eſt la cauſe des tréblemés de terre.

Ce n'eſt pas vn homme ſeul qui a dit , que l’eau eſtoit cauſe du tremblement de la terre ; & l’on ne l’a pas dit d’vne ſeule façó. Thales Mileſien a crû que toute la terre eſtoit portée ſur l’eau , & qu’elle y nageoit, ſoit que vous appelliez cette eau Ocean, ou que vous l’appelliez grade mer, ou vne eau d’vne autre nature , eau ſimple , element humide. C’eſt ſur cette eau, dit-il, que le monde eſt ſouſtenu, comme quelque vaiſſeau d’vne grandeur demeſurée , qui charge les eaux qui le ſouſtiennent. Il ſeroit inutile de rapporter les raiſons qui luy ſont croire que la plus peſante partie du móde ne peut eſtre ſouſtenuë par l’air qui eſt ſi ſubtil, ſi fluide & ſi delié ; & d’ailleurs, il ne s’agit pas icy de l’aſſiete de la terre , mais du tremblement de la terre. Ainſi pour preuue que les eaux ſont cauſe que la terre tremble , il dit qu’il ne ſe fait preſque point de grands tremblemens de terre, qu’on n’en voye ſortir enſuitte de nouuelles ſources; que la terre reſſemble en cela aux vaiſſeaux qui ne peuuent pancher d’vn coſté, qu’ils ne puiſent de l’eau, qui ſe reſpand ſur toutes les choſes qu’ils portent , ſi elles ſont trop enfoncées; ou qui s’éleue de part & d’autre à la gauche , & à la droite. Il n’eſt pas besoin d’vn long diſcours pour montrer la fauſſeté de cette opinion ; car ſi l’eau ſouſtenoit la terre, quelquesfois elle trembleroit toute entiere, & ſeroit touſiours en mouuement; & nous ne nous eſtonnerions point de la voir remuer, mais de la voir ferme & inébranlable. Elle trembleroit toute entiere , & non pas en partie , car vn vaiſſeau n’eſt iamais agité par vne moitié ſeulement ; & apres tout nous voyons que le tremblement ne ſe fait pas de toute la terre , mais ſeulement d’vne partie. Comment donc ſe peut-il faire que ce qui eſt porté tout entier ne ſoit pas entierement agité , ſi la choſe meſme qui porte eſt eſmeuë & agitée ? Mais pourquoy ſort-il de l’eau apres vn tremblement de terre ? Premierement la terre a ſouuent tremblé ſans qu’on en ayt veu ſortir de nouuelles ſources. D’ailleurs ſi l’eau ſortoit par cette raiſon elle ſe reſpandroit par les coſtez de la terre , comme nous voyons dans les fleuues & dans la mer , où lors que le vaiſſeau s’enfonce on remarque que l’eau s'éleue , principalement par les coſtez. Enfin ces eaux ne ſortiroient pas en ſi petite quantité, ny par vne fi petite ouuerture , mais il ſe ſeroit vne grande inondation, comme procedant de cette abondance d’eaux qui ſouſtiennent tout l’vniuers.




(23/24, à Novum Comum ou Vérone79, à Stabies, mort par asphyxie près de Pompéi, lors de l’éruption du Vésuve, en voulant observer le phénomène au plus près et en désirant porter secours aux victimes, alors en poste à Misène en tant que Préfet commandant la flotte militaire romaine) 📚 🔍

Haut fonctionnaire militaire et civique, issu de l’orde équestre, et écrivain prolifique dans de très nombreux domaines.



📚

Ouvrage de 37 livres dédié à l’empereur Titus, dont il a été le contubernium pendant son service en tant que commandant des armées du Rhin en Germanie en 47. Pline définit lui-même son enquête 🔄 sur la nature comme une reproduction de la vie — rerum natura, hoc est uita narratur (Livre I, Préface, 10), qu’il inscrit dans la tradition encyclopédique ⤴️ grecque mais s’en différencie par son exhaustivité : Jam omnia attingenda, quæ Græci τάς έγχυχλοπαιδείας vocant : et tamen ignota aut incerta ingeniis facta; alia vero ita multis prodita, ut in fastidium sint adducta (Préface, 11). Il a, dans ce but, compilé « vingt mille faits dignes d’intérêt, tirés de la lecture d’environ deux mille volumes, [...] provenant de cent auteurs de choix » — Viginti millia rerum dignarum cura ex lectione voluminum circiter duum millium, [...] ex exquisitis auctoribus centum (Préface, 13).


Livre II

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Enquête sur l’astronomie et la physique du monde, basée sur les quatre éléments : air, terre, eau et feu.


Chapitre IX.
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Témoignage de la première prédiction grecque d’une éclipse solaire (ou lunaire selon les traductions) par Thalès.


Texte latin

IX. Et rationem quidem defectus utriusque primus Romani generis in vulgus extulit Sulpicius Gallus, qui consul cum Marcello fuit, sed tum tribunus militum, sollicitudine exercitu liberato, pridie quam Perseus rex superatus a Paulo est, in concionem ab imperatore productus ad prædicendam eclipsim, mox et composito volumine. Apud Græcos autem investigavit primus omnium Thales Milesius, Olympiadis XLVIII anno quarto, prædicto solis defectu, qui Alyatte rege factus est, Urbis conditæ; anno CLXX. Post eos utriusque sideris cursum in sexcentos annos præcinuit Hipparchus, menses gentium, diesque et horas, ac situs locorum, et visus populorum complexus, ævo teste, haud alio modo, quam consiliorum naturæ particeps. Viri ingentes supraque mortalium naturam, tantorum numinum lege deprehensa, et misera hominum mente absoluta, in defectibus scelera aut mortem aliquam siderum pavente (quo in metu fuisse Stesichori et Pindari vatum sublimia ora palam est deliquio Solis), et in Luna veneficia arguente mortalitate, et ob id crepitu dissono auxiliante. Quo pavore, ignarus causæ, Nicias Atheniensium imperator, veritus classem portu educere, opes eorum afflixit. Macti ingenio este, cæli interpretes, rerumque naturæ capaces, argumenti repertores, quo deos hominesque vinxistis. Quis enim hæc cernens, et statos siderum (quoniam ita placuit appellare) labores, non suæ necessitati mortalis genitus ignoscat ? Nunc confessa de iisdem breviter atque capitulatim attingam, ratione admodum necessariis locis strictimque reddita : nam neque instituti operis talis argumentatio est : neque omnium rerum afferri posse causas, minus mirum est, quam consfare in aliquibus.

Histoire Naturelle de Pline., Livre II., chap. IX., texte corrigé par M. É. Littré, à partir de celui de Hardouin, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris, 1883
(également disponible une édition 1848 ici et 1829 )



Traductions

IX. Le premier Romain qui exposa publiquement la théorie des éclipses du soleil et de la lune est Sulpicius Gallus 🔄, qui fut consul avec Marcellus 🔄, mais qui alors était tribun militaire. La veille du jour où Persée I fut défait par Paul-Emile II il parut par ordre du général, afin de prévenir les alarmes de l’armée, devant les troupes assemblées pour annoncer l’éclipse qui allait survenir; peu de temps après, il composa un livre sur ce sujet. Le premier qui s’en occupa chez les Grecs fut Thalès de Milet, dans la quatrième année de la quarante-huitième olympiade (an 585 av. J. C. 🔄), l’an 170 de la fondation de Rome, et prédit une éclipse de lune qui arriva sous le roi Alyatte 🔄. Après eux, Hipparque 🔄 dressa pour six cents ans la table du cours du soleil et de la lune, déterminant les mois des divers calendriers, les jours, les heures, les localités et les aspects, suivant les contrées. Le cours des ans ne lui a donné aucun démenti, et il semble avoir été admis aux conseils de la nature. Génies puissants et élevés au dessus de l’humanité, ils ont découvert la loi qui régit ces grandes divinités, et ils ont délivré de ses craintes l’esprit misérable des hommes, qui dans les éclipses, tantôt croyaient voir une influence malfaisante ou une espèce de mort des astres, crainte qui, comme on sait, a, pour l’éclipse du soleil, troublé Stésichore III et Pindare IV, poètes sublimes, et tantôt attribuaient l’obscurcissement de la lune à des maléfices, et lui venaient en aide par un bruit dissonnant. Redoutant ce phénomène, dont il ignorait la cause, Nicias V, général des Athéniens, n’osa pas faire sortir la flotte du port de Syracuse, et ruina la puissance de sa patrie. Redoublez de génie, interprètes du ciel, vous dont l’intelligence, embrassant la nature, a inventé des théories qui ont créé un lien entre les dieux et les hommes 1 ! A la vue de ce spectacle, à la vue des labeurs (puisque c’est le nom qu’on a voulu donner aux éclipses), des labeurs réguliers auxquels les astres sont soumis, quel mortel ne pardonnerait à la nécessité sous laquelle il est né ? Maintenant je vais parler, d’une manière brève et sommaire, des points sur lesquels on est d’accord en cette matière. Je ne donnerai que de courtes explications, et là où il sera tout à fait nécessaire; car les explications n’entrent pas dans le plan de cet ouvrage, et il n’y a pas moins de mérite à énumérer les causes de toutes choses qu’à s’appesantir sur quelques-unes.
1 Vicistis Vulg. — Vinxistis cod. Dalech. — Vinxistis me parait meilleur. Comp. ce que dit Pline plus loin, ch. 24, sur l’affinité de l’esprit humain avec les astres.


Histoire Naturelle de Pline., Livre II., chap. IX., texte corrigé par M. É. Littré, à partir de celui de Hardouin, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris, 1883
(édition 1848 également disponible ici)




Des découvertes astronomiques : part de chaque observateur dans la science.

IX. Sulpicius Gallus 1 fut le premier Romain qui expliqua au vulgaire la raison des éclipses de soleil et de lune. Il fut consul avec Marcus Marcellus ; mais il n’était que tribun militaire lorsque la veille de la victoire que Paul Emile remporta sur Persée 2, son général le fit paraître devant l’armée assemblée, pour lui annoncer l’éclipse qui allait arriver, et la délivrer de l’alarme qu’elle aurait pu en concevoir. Il composa bientôt après un volume sur ce sujet. Parmi les Grecs, Thalès de Milet 3 dirigea le premier ses recherches sur ce phénomène, et la quatrième année de la 48e olympiade, qui répond à l’an 170 4 de Rome, il prédit l’éclipse de soleil qui eut lieu sous le règne d’Alyatte 5. Après eux, Hipparque dressa des tables du cours de ces deux astres pour six cents ans 6 : mois, heures, jours, situations respectives des lieux, aspects du ciel selon les diverses nations 7, tout y est compris, tout a été vérifié par le temps 8; on croirait l’astronome admis au conseil de la nature. Génies vastes et plus qu’humains, d’avoir ainsi surpris la loi de ces deux grandes divinités 9, et affranchi d’effroi la malheureuse espèce humaine, qui tremblait en voyant dans chaque éclipse l’annonce de quelque grand crime, ou craignait la mort des astres 10 (effroi dont Stésichore et Pindare 11, ces poètes sublimes, ne furent point exempts dans les éclipses de soleil), ou qui attribuait à des enchantemens celles de la lune, et venait à son secours en faisant un bruit discordant 12. C’est pour en avoir ignoré la cause, que, frappé de cette même terreur, Nicias 13, général des Athéniens, n’osa pas faire sortir sa flotte du port, et causa la ruine de leur puissance. Gloire à vous, interprètes du ciel, génies aussi étendus que la nature, inventeurs d’une science qui enchaîne à une même destinée les dieux et les mortels ! Quel est donc l’homme qui, voyant les astres en travail (pour me servir du nom qu’il a plu de donner aux crises qu’ils, subissent périodiquement), ne se soumettra pas à sa destinée?

Je vais maintenant toucher brièvement et sommairement les points sur lesquels on est d’accord dans cette matière, et j’en rendrai raison en passant, lorsque cela sera tout-à-fait nécessaire; car un développement de preuves n’est pas le but de l’ouvrage que j’ai entrepris, et il n’y a pas, je pense, moins de mérite à pouvoir rendre raison de toutes choses, qu’à s’arrêter à en prouver quelques-unes.


Histoire Naturelle de Pline. Tome Second, Livre II., chap. IX., traduction nouvelle par M. Ajasson de Grandsagne NOTES, C. L. F. Panckoucke, Paris, 1829



Des inventions aſtronomiques, & de leurs Auteurs.

LE PREMIER d’entre les Romains qui rendit publique la théorie des éclipſes de ſoleil & de lune, fut Sulpicius Gallus 1, celui que Marcus Marcellus eut pour Collegue au Conſulat : mais il n’étoit que Tribun Militaire 2, lorſqu’il diſſipa l’allarme qu’auroient pu prendre nos troupes la veille de la victoire remportée ſur Perſée par Paul Emile ; car ce Général l’ayant produit devant les ſoldats aſſemblés, il leur prédit une éclipſe qui devoit arriver 3 ; il compoſa même enſuite un Ouvrage ſur ce ſujet. Parmi les Grecs, Thalès de Milet prédit l’an quatrieme de la quarante-huitieme olympiade l’éclipſe de ſoleil qui arriva ſous le regne de Halyattes 4, l’an cent ſoixante de la fondation de 5 Rome. Après eux, Hipparque 6 dreſſa des Tables en vers 7 du cours de ces deux aftres pour fix cents ans. Dans ces Tables , de l’exactitude deſquelles notre âge rend encore témoignage 8, il embraſſe les éphémérides propres à chaque nation 9, les jours, les heures, le ſite reſpectif de chaque lieu, & les divers aſpects du ciel relativement aux divers peuples, comme ſi la Nature l’eût admis à ſon conſeil intime. Perſonnages vraiment grands! génies plus qu’humains, d’avoir ainſi ſurpris les loix qui font mouvoir ces vaſtes puiſſances du ciel ; & d’avoir guéri de ſes allarmes l’imagination malade des hommes, qui juſqu’alors, ou avoient toujours vu dans les éclipſes l’annonce effrayante de quelque grand crime & de quelque mort (terreur dont Stéſikhore 10 & Pindare 11, ces Poètes ſublimes, ne furent point exempts à l’égard des éclipſes ſolaires), ou attribuoient les ténebres dont ſe couvre la lune à des maléfices opérés par le mêlange de certaines herbes magiques ; & croyoient devoir la ſecourir par un bruit diſcordant 12. Cette même terreur fut cauſe que le Général Nicias 13, peu au fait des cauſes phyſiques, & n’oſant pas, par ſuperſtition, ſortir ſa flotte du Port, mit Athenes à deux doigts de ſa perte. Honneur 14 à vous, Interpretes du Ciel ! Eſprits 15 dont l’étendue ſurpaſſe celle de la Nature ; Inventeurs d’une méthode qui aſſujettit les dieux comme les hommes, à une même deſtinée ! Eh! qui pourroit, en voyant les aſtres même en criſe (pour me ſervir de l’expreſſion commune), ne pas ſe ſoumettre à la néceſſité où ſa condition mortelle l’enchaîne.

Préſentement je vais toucher par articles fort courts & fort précis les points ſur leſquels on s’accorde le plus. Je réſoudrai, chemin faiſant, quelques queſtions, lorſque le cas l’exigera, mais toujours d’une maniere très ſommaire ; car une analyſe en forme d’arguments ſuivis excéderoit le but de cet Ouvrage : & puis, je penſe qu’il n’y a pas moins de mérite à rendre une raiſon plauſible de toutes choſes, qu’à rendre une raiſon bien ſolide de deux ou trois choſes ſeulement.


Histoire Naturelle de Pline. Tome Premier, Livre Second., Des inventions astronomiques, & de leurs Auteurs., traduction en françois, avec le texte latin rétabli d’après les meilleures leçons manuſcrites ; accompagnée de Notes critiques pour l’éclairciſſement du texte, & d’Obſervations ſur les connoiſſances des Anciens comparées avec les découvertes des Modernes, par M. Louis Poinsinet de Sivry, Chez la veuve Desaint, Paris, 1771



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Livre XVIII

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Enquête sur l’agriculture


Chapitre LVII.
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Texte latin

LVII. Primum omnium dierum ipsorum anni solisque motus prope inexplicabilis ratio est. Ad CCCLXV adjiciunt etiamnum intercalarios diei noctisque quadrantes. Ita fit, ut tradi non possint certa siderum tempora. Accedit confessa rerum obscuritas, nunc præcurrenle, nec paucis diebus, tempestatum significatu, quod προϰειμασιν Græci vocant : nunc postveniente, quod ἐπιϰεἰμασιν : et plerumque alias citius, alias tardius cæli effectu ad terram deciduo : vulgo serenitate reddita, confectum sidus audimus. Præterea quum omnia hæc statis sideribus cæloque affixis constent, interveniunt motu stellarum grandines, imbres, et ipsi non levi effectu, ut docuimus, turbantque conceptæ spei ordinem. ldque ne nobis tantum putemus accidere, et reliqua fallit animalia sagaciora circa hoc, ut quo vita eorum constet : æstivasque alites præposteri aut præproperi rigores necant, hibernas æstus. Ideo Virgilius errantium quoque siderum rationem ediscendam præcipit, admonens observandum frigidæ Saturni stellæ transitum. Sunt qui certissimum veris indicium arbitrentur ob infirmitatem animalis, papilionis proventum. Id eo ipso anno, quum commentaremur hæc, notatum est, proventum eorum ter repetito frigore exstinctum, advenasque volucres a. d. VI kalendas februarii spem veris attulisse, mox sævissima hieme conflictatas. Res anceps : primum omnium a cælo peti legem : deinde eam argumentis esse quærendam. Super omnia est mundi convexitas, terrarumque globi differentia, eodem sidere alio tempore aliis aperiente se gentibus : quo fit ut causa ejus non lisdem diebus ubique valeat. Addidere difficultatem et auclores diversis in locis observando, mox etiam in iisdem diversa prodendo. Très autem fuere sectæ : Chaldæa, Ægyptia, Græca. His addidit apud nos quartam Cæsar dictator, annos ad solis cursum redigens singulos, Sosigene perito scientiæ ejus adhibito. Et ea ipsa ratio postea comperto errore correcta est : ita ut XII annis continuis non intercalaretur, quia cœperat sidera annus morari, qui prius antecedebat. Et Sosigenes ipse trinis commentationibus, quanquam diligentior cæteris, non cessavit tamen addubitare, ipse semet corrigendo. Auctores prodidere ea, quos prætexuimus volumini huic, raro ullius sententia cum alio congruente. Minus hoc in reliquis mirum, quos diversi excusaverint tractus. Eorum qui in eadem regione dissedere, unam discordiam ponemus exempli gratia : occasum matutinum Vergiliarum Hesiodus (nam hujus quoque nomine exstat Astrologia) tradidit fieri, quum æquinoctium autumni conficeretur, Thales vigesimo quinto die ab æquinoctio, Anaximander vigesimo nono, Euctemon XLVIII. Nos sequemur observationem Cæsaris : maximeque hæc erit Italiæ ratio. Dicemus tamen et aliorum placita : quoniam non unius terræ, sed totius naturæ interpretes sumus, non auctoribus positis (id enim verbosum est), sed regionibus : legentes tantum meminerint, brevitatis gratia, quum Altica nominata fuerit, simul intelligere Cycladas insulas ; quum Macedonia, Magnesiam, Thraciam ; quum Ægyptus, Phœnicen, Cyprum, Ciliciam ; quum Bœotia, Locridem, Phocidem, et finitimos semper tractus ; quum Hellespontus, Cherronesum, et continentia usque Atho montem ; quum Ionia, Asiam, et insulas Asiæ ; quum Peloponnesus, Achaiam, et ad Hesperum jacentes terras. Chaldæi Assyriam et Babyloniam demonstrabunt. Africam, Hispanias, Gallias sileri non erit mirum. Nemo enim observavit in iis, qui siderum proderet exortus. Non tamen difficili ratione dignoscentur in illis quoque terris digestione circulorum, quam in sexto volumine fecimus : qua cognatio cæli, non gentium modo, verum urbium quoque singularum intelligitur, nota ex his terris, quas nominavimus, sumta convexitate circuli, pertinentis ad quas quisque quæret terras, et ad earum siderum exortus, per omnium circulorum pares umbras. Indicandum et illud, tempestates ipsas ardores suos habere quadrinis annis : et easdem non magna differentia reverti ratione solis : octonis vero augeri easdem, centesima revolvente se luna.

Histoire Naturelle de Pline., Livre XVIII., Chap. LVII., texte corrigé par M. É. Littré, à partir de celui de Hardouin, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris, 1883
(également disponible une édition de 1831 ici et de 1848 )



Traductions

LVII. Avant tout, le calcul des jours même de l’année et du mouvement solaire est d’une difficulté presque insurmontable. Aux trois cent soixante-cinq jours on ajoute des jours intercalaires, produits de quarts de jour et de nuit ; de là vient qu’on ne peut indiquer des époques fixes pour les astres. Ajoutez une obscurité des choses avouée de tous : tantôt en effet la mauvaise saison, s’annonçant, anticipe même de plusieurs jours, ce que les Grecs appellent προϰεἰμασις (avant-hiver), et la belle saison retarde, ce qui est nommé ἐπιϰεἰμασις (arriere-hiver) : l’effet du ciel tombe sur la terre tantôt plus vite, tantôt plus tardivement ; et d’ordinaire c’est quand la sérénité est rétablie que nous entendons dire que l’action de l’astre est accomplie. En outre, car tous ces phénomènes dépendent d’astres réglés et fixés au ciel, le mouvement des étoiles amène intercurremment des grêles, des pluies qui ne sont pas non plus d’une faible action, comme nous l’avons enseigné (XVII, 2), et qui troublent l’ordre espéré. Et ne pensons pas que ces méprises n’arrivent qu’à nous; les autres animaux s’y trompent, bien que plus sagaces que nous sur ce point, vu que leur vie en dépend : l’on voit les oiseaux d’été tués par des froids hâtifs ou tardifs, et les oiseaux d’hiver par des chaleurs hâtives ou tardives. Aussi Virgile I (Georg., I, 335) recommande-t-il d’étudier encore le cours des astres errants, avertissant d’observer le passage de Saturne, planète froide. Il en est qui regardent comme l’indice le plus sûr du printemps l’apparition des papillons, à cause de la délicatesse de cet insecte. Or, l’année même où nous écrivions ceci (an 830 de Rome), il a été noté que les papillons, ayant éclos, furent détruits à trois reprises par le froid, et que les oiseaux étrangers, ayant apporté l’espérance du printemps avant le 6 des calendes de février (27 janvier), eurent bientôt après à essuyer un hiver très-rigoureux. La double difficulté est d’abord d’avoir à demander au ciel la règle de toute chose, puis d’être obligé de contrôler cette règle par des faits apparents. Avant tout signalons la convexité du monde et les différences du globe terrestre, qui font que le même astre se montre à des temps divers suivant les nations, de sorte que l’influence ne s’en fait pas sentir partout aux mêmes jours. La difficulté a été encore accrue par les auteurs qui ont observé en des lieux différents, ou même qui, ayant observé dans les mêmes lieux, ont publié des résultats divergents. Il y a eu trois écoles, la Chaldéenne, l’Égyptienne, la Grecque. Une quatrième a été formée chez nous par le dictateur César, qui ramena l’année à la révolution solaire avec l’aide de Sosigène II, astronome habile. Et ce calcul même, où l’on découvrit une erreur, a été corrigé : pendant douze années consécutives on ne fit pas d’intercalation, attendu que l’année, qui auparavant anticipait, maintenant retardait sur les astres. Sosigène lui-même, quoique plus exact que les autres, n’a pas cessé, dans trois mémoires, de témoigner de ses doutes en se corrigeant lui-même. Les auteurs que nous avons indiqués au commencement de ce livre 1 ont révélé ces discordances, l’avis de l’un s’accordant rarement avec l’avis de l’autre. Cela est moins étonnant dans ceux qui s’excuseront par la différence des lieux. Parmi ceux qui dans le même pays sont en désaccord, nous choisirons un exemple de dissidence : Hésiode III (car nous avons aussi sous son nom un livre sur les astres) a rapporté que le coucher matinal des Pléiades se faisait au moment de l’équinoxe d’automne ; Thalès, qu’il se faisait vingt-cinq jours après cef équinoxe; Anaximandre 🔄, vingt-neuf; Euctémon IV, quarante-huit. Quant à nous, nous suivrons les calculs de César : ils se rapportent spécialement à l’Italie. Toutefois, nous relaterons aussi les opinions des autres ; car nous sommes les interprètes, non d’un seul pays, mais de la nature entière. Nous nommerons, non pas les auteurs, ce qui serait trop long, mais les pays. Les lecteurs auront seulement à se souvenir que, pour abréger, sous le nom d’Attique nous entendons aussi les Cyclades; sous celui de Macédoine, la Magnésie et la Thrace; sous celui d’Égypte, la Phénicie, Chypre et la Cilicie; sous celui de Béotie, la Locride, la Phocide et les contrées limitrophes ; sous celui d’Hellespont, la Chersonèse et le continent jusqu’au mont Athos; sous celui d’Ionie, l’Asie et les îles Asiatiques ; sous celui de Péloponnèse, l’Achaïe et les terres situées à l’occident; la Chaldée indiquera la Syrie et la Babylonie. On ne s’étonnera pas que je passe sous silence l’Afrique, l’Espagne et les Gaules, car personne dans ces contrées n’a laissé d’observations sur le lever des astres. Toutefois, il ne sera pas difficile de le calculer, même dans ces contrées, en étudiant la disposition des cercles que nous avons présentés dans le sixième livre (VI, 39). Grâce à cette étude, on connaît les relations astronomiques nou-seulement des nations, mais encore des villes en particulier : étant donnés les cercles déterminés par l’égalité des ombres, on choisit, dans les terres que nous avons nommées, le cercle qui a rapport à la localité objet du problème, et qui détermine en même temps le lever des astres pour cette localité. Il faut encore remarquer (II, 48) que tous les quatre ans les saisons ont leurs excès, et qu’elles reviennent les mêmes sans grande différence, en raison du soleil ; mais que tous les huit ans elles ont un redoublement, à la révolution de la centième lune.
1 Ce passage porte à croire que les auteurs dont Pline s’était servi pour composer chacun des livres de son ouvrage avaient été placés en tête du livre auquel ils se rapportaient. Les éditions mettent cette liste d’auteurs à la suite de la table de chaque livre, dans la table générale dressée par Pline lui-même.


Histoire Naturelle de Pline., Livre XVIII., Chap. LVII., texte corrigé par M. É. Littré, à partir de celui de Hardouin, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris, 1883
(également disponible une édition 1848 ici)




Des découvertes astronomiques : part de chaque observateur dans la science.

LVII. D’abord, il est presque impossible de déterminer d’une manière précise le nombre des jours de l’année et le cours du soleil 1. Aux trois cent soixante-cinq jours qui composent l’année, on ajoute le quart d’un jour et d’une nuit, pour en faire ensuite un jour intercalaire ; de là il suit qu’on ne saurait indiquer avec précision le moment du lever et du coucher des astres. On convient qu’il y a encore dans cette théorie beaucoup d’obscurité ; en effet, les saisons quelquefois commencent plusieurs jours avant le terme qui leur a été fixé, ce que les Grecs appellent procheimasis ; d’autres fois, plusieurs jours après, ce qu’ils appellent épicheimasis 2. Presque toujours l’action des astres se fait sentir sur la terre ou plus tôt ou plus tard qu’il ne devrait ; aussi dit-on communément, lorsque le beau temps est revenu, que tel astre a produit son effet. Ces phénomènes dépendent des astres fixés à la voûte des cieux, ainsi que des étoiles, dont les mouvemens particuliers excitent des grêles et des pluies qui sont d’une très-grande conséquence pour les biens de la terre, comme nous l’avons observé, et amènent dans la température des changemens sur lesquels le laboureur ne pouvait compter. Non-seulement les hommes y sont trompés, mais aussi les animaux, bien plus habiles que nous à prévoir ces vicissitudes, puisque d’ailleurs leur vie en dépend ; en effet, on a vu des oiseaux d’été périr par des froids arrivés trop tôt ou trop tard, et des oiseaux d’hiver par des chaleurs également imprévues. Aussi Virgile veut-il qu’on étudie aussi le cours des planètes, et qu’on observe avec soin le passage du froid Saturne 3.

Quelques-uns fixent le commencement du printemps à l’apparition des papillons, parce que ces insectes sont fort délicats. Néanmoins on a observé, dans l’année même où j’écris cette partie de mon ouvrage, que le froid, ayant repris trois fois, a fait périr autant de fois les papillons, et que les hirondelles qui, s’étaient montrées dès le 6 des kalendes de février, et semblaient annoncer le retour du printemps, ont eu à essuyer un rigoureux hiver.

C’est donc une science très-problématique que celle de l’influence des astres, et les inductions qu’elle fournit sont fort douteuses 4. Ce qui augmente la difficulté, c’est la convexité du ciel et la différence des climats de la terre : le même astre se montre ici dans un temps, et là dans un autre ; d’où il suit que son influence ne se fait pas sentir en même temps partout. Pour surcroît d’embarras, les observations recueillies par les auteurs ont été faites dans des lieux différens, et ceux du même pays ne s’accordent pas même entre eux. On compte trois écoles astronomiques, la chaldéenne, l’égyptienne et la grecque. Le dictateur César en a fondé, chez les Romains, une quatrième, lorsqu’aidé de Sosigène, habile astronome, il fixa la longueur de l’année à une révolution du soleil. On trouva dans la suite que son calendrier était défectueux, parce que l’année, auparavant plus courte, se trouvait alors plus longue que le cours du soleil. Pour y remédier, il fallut, pour douze années consécutives, supprimer les jours intercalaires. Sosigène lui-même, le mathématicien le plus exact de son temps, après avoir revu jusqu’à trois fois ses calculs, sembla toujours douter de leur justesse, et ne cessa jamais de se corriger lui-même. De tous les auteurs qui ont traité ce sujet, et que nous avons cités au commencement de ce livre, il en est rarement deux qui soient de même avis. Cette divergence d’opinions est moins surprenante et plus excusable chez ceux qui écrivaient en des pays différens. Mais que dire de ceux qui, habitant le même pays, sont néanmoins d’avis différens ? En voici un exemple : Hésiode, qui nous a laissé aussi un ouvrage sur le cours des astres, fixe le coucher matutinal des Pléiades au moment de l’équinoxe d’automne ; Thales prétend qu’il n’arrive que vingt-cinq jours après ; Anaximandre en met vingt-neuf ; Euctémon, quarante-huit.

Quant à nous, nous suivrons les calculs de César, qui se rapportent spécialement à l’Italie ; mais nous rapporterons aussi les observations étrangères, car notre plan n’est pas de traiter d’un seul pays, mais de la nature entière. Pour être moins longs, nous citerons les pays, et non les auteurs ; et, pour abréger davantage encore, les lecteurs se souviendront que, sous le nom d’Attique, il faut aussi entendre les Cyclades ; sous le nom de Macédoine, la Magnésie et la Thrace ; sous le nom d’Égypte , la Phénicie, l’île de Cypre et la Cilicie ; sous celui de Béotie, la Locride, la Phocide et les contrées voisines ; sous le nom d’Hellespont, la Chersonèse et partie du continent jusqu’au mont Athos ; sous le nom de l’Ionie, l’Asie et les îles Asiatiques ; sous le nom du Péloponnèse, l’Achaïe et les pays adjacens au couchant ; enfin sous le nom de Chaldée, l’Assyrie et la Babylonie. On ne sera pas étonné que nous ne parlions ni de l’Afrique, ni de l’Espagne, ni des Gaules. Aucun auteur dans ces contrées n’a laissé d’observations sur le lever ou le coucher des astres. Il ne sera pas difficile néanmoins de déterminer l’époque de ces phénomènes dans ces contrées, en étudiant la disposition des cercles, telle que nous l’avons présentée dans le sixième livre. Par ce moyen, on déterminera la position astronomique, non-seulement de chaque pays, mais encore de chaque ville dont nous avons pu parler, en prenant par les ombres égales de tous les cercles, une portion du cercle de telle contrée qu’on voudra choisir, et en calculant son rapport avec le lever des astres. Il faut faire observer encore que tous les quatre ans les chaleurs reviennent à peu près les mêmes pour chaque saison, en raison du mouvement du soleil, et que toutes les huitièmes années elles sont plus fortes, à cause de la centième lunaison.

1 Cf. sur la plupart des difficultés que le texte de notre auteur révèle, les notes relatives à l’astronomie, au livre II. L’année romaine fut d’abord celle des Albains, c’est-à-dire lunaire ; dix mois la composaient, mars en était le premier : elle avait cinquante jours de moins que l’année lunaire réelle, et soixante-un de moins que l’année solaire, c’est-à-dire trois cent quatre jours seulement ; c’était là l’année de Romulus. Numa ajouta deux mois à cette année, janvier et février, et elle se trouva être composée de trois cent cinquante-cinq jours. Elle demeura ainsi jusqu’à Jules César, où commence l’année julienne, qui se compose de trois cent soixante-cinq jours, huit heures, auxquels Grégoire le Grand ajouta onze minutes, pour arriver à la plus grande exactitude possible.
2 L’entrée du soleil dans tel ou tel signe du zodiaque, son passage à l’équateur, etc., ne sont pas toujours le signal d’un changement dans la température. Végèce a parlé des jours prokéimasiques et épikéiniasiques : Aut enim circa diem statutum, aut ante, vel postea, tempestates fieri, compertum est : unde præcedentes, ωροϰεἰμασιν : nascentes die solenni, επιϰεἰμασιν : subsequentes, μεταϰεἰμασιν, græco vocabulo nuncuperaverunt (IV, 40).
3

Hoc metuens, cæli menses et sidera serva,
Frigida Saturni sese quo stella receptet.

Georg., I, 335.

4 Voici enfin quelques idées philosophiques qui se trouvent sous la plume de Pline ; malheureusement la cause par laquelle notre auteur explique l’influence des astres est problématique, et montre que les sciences astronomiques des anciens laissaient beaucoup à désirer. Les Grecs croyaient qu’il y avait autant de cieux que de planètes ; le huitième ciel, ou le firmament, était celui dès étoiles fixés.
5 L’ouvrage auquel Pline fait allusion a été mentionné par Théon qui le nomme Αστριϰὴ βίϐλος (en). Cet ouvrage est perdu.


Histoire Naturelle de Pline. Tome Onzième, Livre XVIII., chap. LVII., traduction nouvelle par M. Ajasson de Grandsagne NOTES, C. L. F. Panckoucke, Paris, 1829



Diviſion des jours & des nuits ſuivant le cours du Soleil ; lever & coucher des étoiles ; ordre des ſaiſons ; tems où l’on ſeme les bleds d’hiver.

DABORD il eſt preſque impoſſible de déterminer au juſte le nombre des jours de l’année, & le cours du Soleil ; car comme aux trois cents ſoixante & cinq jours dont l’année eſt compoſée, on ajoute le quart d’un jour & d’une nuit, autrement ſix heures, qui, au bout de quatre ans, font un jour intercalaire 1, il arrive qu’on ne ſauroit aſſigner avec certitude le tems du lever & du coucher des aſtres. En ſecond lieu, l’on convient qu’il y a dans cette théorie beaucoup d’obſcurité ; car quelquefois les ſaiſons 2 commencent pluſieurs jours avant le terme qui leur a été fixé, ce que les Grecs appellent prokheïmaſis ; & d’autres fois pluſieurs jours après, ce que ces mêmes Grecs expriment par le mot epikheïmaſis : & l’on éprouve très ſouvent que l’action des aſtres ſe ſait ſentir ſur la terre, tantôt plutôt, tantôt plus tard. Auſſi dit-on communément, lorſque le beau tems eſt revenu, que tel aſtre a produit ſon effet. D’ailleurs comme tout cela dépend des globes céleſtes, leur mouvement relatif excite quelquefois des grêles & des pluies, qui, comme nous l’avons déja 3 fait obſerver, ſont de la plus grande conſéquence pour les biens de la terre, & qui renverſent l’eſpérance qu’on avoit du beau tems. Et non ſeulement les hommes y ſont trompés, mais auſſi les animaux, quoiqu’ils aient bien plus de ſagacité que nous pour preſſentir ces viciſſitudes du ciel, d’autant que leur vie en dépend. En effet, on voit quelquefois les oiſeaux d’été mourir par des froids qui viennent trop tard ou trop tôt, & les oiſeaux d’hiver par des chaleurs qui arrivent de même. C’est pourquoi Virgile veut qu’on étudie auſſi le cours des planetes, & qu’on obſerve à quelle partie du zodiaque répond la planete du froid Saturne 4. Quelques-uns croient que le ſigne le plus certain du printems commencé, c’eſt lorſqu’on voit des papillons, & cela parceque ces inſectes ſont fort délicats. Néanmoins on a remarqué que dans l’année même 5 où j’écris ceci, le froid ayant recommencé juſqu’à trois fois, a fait mourir autant de fois les papillons ; & que les hirondelles, qui, s’étant montrées dès le vingt-ſept de Janvier, ſembloient annoncer le retour du printems, ont enſuite eſſuyé un très cruel hiver.

C’eſt donc une ſcience très problématique que celle de l’influence des aſtres, & les inductions que l’on en tire ſont fort douteuses. Mais ce qui cauſe le plus d’incertitude, c’eſt cette convexité du ciel & la différence des climats de la terre, parceque le même aſtre ſe montre ici dans un tems, & là dans un autre, d’où il réſulte que ſon influence ne ſe fait pas ſentir en même tems par-tout. Un autre ſurcroît de difficulté, c’eſt que les obſervations recueillies par les Auteurs ont été faites en différents lieux, & que ceux même qui ont écrit dans le même endroit ne s’accordent nullement entre eux dans ce qu’ils écrivent. On compte juſqu’à trois différentes ſortes de ſectes en Aſtronomie ; ſavoir, celle des Chaldéens 5*, celle des Egyptiens & celle des Grecs. On peut même dire que le Dictateur Céſar 6 en produiſit, chez les Romains, une quatrieme, lorſqu’il réduiſit chaque année au cours du ſoleil, ſe ſervant à cet effet du travail de Soſigene, très habile Aſtronome. Néanmoins on découvrit enſuite que le calendrier de Céſar étoit défectueux 7, parceque l’année qui auparavant étoit plus courte que le cours du ſoleil, ſe trouvoit alors plus longue : & pour corriger cette erreur, on ordonna que pendant douze années de ſuite, il n’y auroit point de jour intercalaire 8. Soſigene lui-même, quoique Mathématicien plus exact que les autres, ne laiſſa pas de