Méthode des éléments finis/Mailler un ensemble
Introduction
modifierLe maillage est la première étape de la méthode des éléments finis. C'est une étape fondamentale qui conditionne tout le reste du calcul : le temps de calcul et les ressources nécessaires (mémoire vive, mémoire virtuelle, temps processeur), la précision des résultats, la stabilité du modèle (possibilité de divergence dans le cas de calculs non-linéaires).
Le « bon » maillage : un compromis délicat
modifierUn « bon » maillage est donc un maillage qui
- Permet d'avoir des résultats proches de la réalité.
- Permet au calcul de tourner avec les moyens disponibles (capacités du système informatique), et en un temps compatible avec la durée du projet.
Pour avoir un résultat proche de la réalité, on est souvent tenté d'utiliser un maillage fin. En effet, la méthode des éléments finis consiste à interpoler la valeur des fonctions à l'intérieur des mailles, donc plus la maille est grande, plus l'écart entre la valeur « réelle » de la fonction et sa valeur interpolée sera grand.
Cependant, un maillage fin implique un grand nombre de mailles et de nœuds, donc nécessite une grande puissance et un long temps de calcul. Par ailleurs, cela n'améliore pas nécessairement la qualité du résultat, voire peut dans certains cas le dégrader.
Le meilleur compromis consiste en général à simplifier la géométrie. Ce faisant, on s'éloigne de la forme idéale de l'objet. Cela nécessite donc d'avoir du recul, et donc de maîtriser les lois de la mécanique du solide et des milieux continus pour faire des simplifications qui ne perturbent pas la qualité des résultats.
Notons qu'il est de nos jours rare de faire soi-même le maillage. Les logiciels d'éléments finis disposent de mailleurs qui appliquent des algorithmes de maillage automatiques. Cependant, l'utilisateur règle les paramètres de maillage, c'est donc bien lui qui est au final responsable de la qualité du maillage.
Utiliser les symétries
modifierLa première simplification consiste à repérer les symétries du système. Il faut bien prendre en compte les symétries de la géométrie et du chargement (des conditions limites).
Les principales symétries sont :
- la symétrie miroir par rapport à un plan ; cela permet de diviser le nombre d'éléments et de nœuds par 2 ;
- la symétrie de révolution : certains système ont une symétrie d'ordre n, c'est-à-dire que l'on peut le décomposer en n systèmes qui se répètent, décalés d'un angle de 2π/n rad par rotation autour d'un axe ; cela permet de diviser le nombre d'éléments et de nœuds par n ;
- la symétrie axiale, ou axisymétrie : le système possède un axe de symétrie, ce qui permet de travailler selon un problème plan ; cela permet de réduire de manière importante le nombre de mailles et de nœuds.
Simplifier la géométrie
modifierLes algorithmes de maillage volumiques fonctionnent en général de deux manières :
- En partant de la surface
- on détermine un maillage de la surface (bidimensionnel) ;
- le maillage de surface sert de base au maillage volumique.
- En partant du volume :
- on effectue un maillage régulier du volume ;
- le maillage de la surface est obtenu par projection du maillage volumique sur la surface, ou par intersection du maillage volumique avec la surface.
La première solution est la plus utilisée en génie mécanique. Cela permet de bien représenter les surfaces fonctionnelles, qui sont en général la raison d'être d'une pièce, mais génère souvent des maillages complexes.
La seconde solution est souvent utilisée en mécanique des fluides. Cela permet de mailler le volume avec peu d'éléments, mais crée par contre un maillage de surface pouvant s'éloigner de la surface telle que définie.
Sauf indication contraire, nous considérons par la suite que c'est la méthode n°1 (maillage de la surface en premier, qui ensemence le maillage du volume) qui est utilisée.
La géométrie de la surface est donc capitale ; par surface, il faut comprendre surface libre ou interface.
Un élément de surface ne peut pas être à cheval sur une arête. Une pièce présentant de nombreux détails a de nombreuses arêtes, ce qui va contraindre fortement le maillage. La suppression de certaines arêtes, et donc la simplification de la forme, permet ainsi de réduire les emplacement imposés de nœuds, et donc permettre d'avoir des mailles plus grandes, c'est-à-dire moins de mailles et moins de nœuds. Encore faut-il supprimer des détails de manière pertinente.
Considérons un perçage, c'est-à-dire une surface libre cylindrique. À la surface de la pièce, le maillage doit avoir au moins trois nœuds sur le cercle, pour pouvoir définir un espace vide au milieu. On va donc avoir localement des éléments dont le côté vaut au mieux le tiers de la circonférence, c'est-à-dire à peu près le diamètre[1]. Si le perçage est de petit diamètre, on a donc localement des éléments petits. Si l'on supprime le trou, on n'impose plus la taille des éléments dans cette zone.
Mais un trou peut être une source de concentration de contraintes ; en le supprimant, on risque donc de sous-estimer le niveau de contrainte dans cette zone. Avant de le supprimer, il faut donc avoir une idée du niveau de contrainte dans cette zone.
On supprime en général les congés et arrondis, ainsi que les chanfreins. Le remplacement d'un congé par un angle peut induire des concentrations de contraintes ; on risque de calculer des contraintes supérieures aux contraintes réelles. La suppression des arrondis ne pose en général pas de problème. Les formes saillantes ne subissant de condition limite — aucun effort ne s'y applique, on n'y impose aucun déplacement — peuvent également être supprimées : le vecteur de contrainte sur une surface libre est nécessairement parallèle à la surface, sa composante normale est nulle, donc près d'une intersection de plusieurs plans — arrête ou d'un sommet —, la contrainte est faible.
Si une surface présente une petite marche, on peut « fusionner » les faces en créant une « topologie virtuelle ». Cette méthode consiste à indiquer au mailleur que l'on n'impose pas la présence de nœuds aux arêtes de la marche. On ne change donc pas la forme proprement dite, on dit indique simplement au mailleur de ne pas prendre en compte le détail. Il peut très bien mettre un nœud sur une arête ou la surface de la contre-marche, mais sans obligation.
Cette méthode permet en général de faire chuter de manière importante la taille du modèle. Cela garantit également souvent de meilleurs résultats. Mais cela implique une bonne connaissance des lois de l'élasticité pour ne pas introduire d'erreurs.
Les logiciels d'éléments finis peuvent proposer des outils permettant de simplifier la géométrie. Mais l'on peut aussi travailler avec le logiciel de DAO/CAO ayant servi à définir la pièce. La préparation du modèle pour le calcul peut être grandement simplifiée si le concepteur-dessinateur prend quelques précautions : sur les logiciels modernes, les opérations apparaissent en général dans une arborescence,
- le concepteur doit s'attacher à donner des noms explicites aux opérations, plutôt qu'utiliser les noms par défaut ; par exemple, écrire « lamage » plutôt que « enlèvement de matière extrudé 18 » ;
- il devrait regrouper les opérations dans des dossiers ;
- une opération ne devrait pas prendre comme référence une autre opération, mais plutôt une esquisse contenant des traits de construction : en effet, si par exemple un perçage est positionné par rapport à un autre perçage, alors la suppression du perçage de référence risque de poser problème.
De manière générale, il devrait être facile de savoir ce qui va être supprimé sur le modèle lorsque l'on supprime une opération, et la suppression d'une opération ne devrait pas avoir d'impact sur d'autres opérations.
Raffiner le maillage là où il faut
modifierLe maillage présente deux inconvénients :
- il simplifie la géométrie ; une simplification trop importante peut être source d'erreur ;
- les valeurs du résultat ne sont calculées qu'aux nœuds du réseau, les valeurs aux autres points sont déterminées par interpolation ; si le gradient est important (la valeur varie rapidement), l'erreur commise est plus importante.
Il est donc nécessaire de raffiner le maillage
- aux endroits où la courbure de la pièce est importante (le rayon de courbure est faible) ;
- là où l'on pressent des gradients importants.
Pour une forme de maille donnée, la maille est essentiellement définie par deux paramètres :
- sa taille h, qui est le rayon de la sphère dans laquelle il est inscrit ;
- le degré p du polynôme décrivant le côté ou l'arête de l'élément.
On peut donc raffiner soit en diminuant la taille des éléments — raffinements de type h — ou en augmentant le degré des éléments — raffinement de type p.
On se contentera de raffiner uniquement aux endroits nécessaires, afin d'alléger le coût du calcul (ressources informatique et temps nécessaire).
Certains logiciels permettent de faire un raffinement adaptatif : après une première passe de calcul, le logiciel effectue un remaillage en fonction du gradient obtenu. On parle aussi de remaillage automatique.
Avoir un maillage structuré
modifierUn maillage structuré est un maillage régulier, « agréable » à voir. C'est un maillage utilisant des éléments de type quadrilatères (carrés) en surface, et hexaédriques (cubiques) en volume. Il faut pour cela en général indiquer au mailleur des surfaces privilégiées, aux formes régulières, qui servent alors de base pour le maillage.
Il peut être également nécessaire de découper la pièce en sous-parties de forme élémentaires, chaque sous-partie ayant alors un maillage structuré.
On parle souvent de « maillage réglé », car en surface, les arêtes des éléments forment des droites génératrices de la surface (voir l'article Surface réglée sur Wikipédia).
Utiliser moins d'éléments, mais ayant plus de degrés de liberté
modifierDans un maillage volumique, une pièce doit avoir au moins trois éléments selon chaque dimension (x, y et z). Si l'on a moins d'éléments dans une dimension — par convention, appelons cette dimension « épaisseur » et considérons que c'est l'axe z —, alors
- d'une part le profil des déplacements des nœuds, et donc des contraintes calculées, ne correspondra pas à la réalité selon cette dimension ;
- d'autre part la pièce sera trop rigide par rapport à la réalité.
En effet, dans un élément volumique, chaque nœud a trois degrés de liberté : translation selon x, y et z (Ux, Uy et Uz). Si l'on veut prendre en compte de la flexion dans l'épaisseur, il faut pouvoir décrire un gradient de traction-compression.
Si l'épaisseur est faible devant les deux autres dimensions, et que celle-ci varie peu, on peut alors raisonnablement utiliser un élément bidimensionnel, de type plaque ou coque (shell). La valeur de l'épaisseur est un paramètre de l'élément ; soit elle est considérée comme constante sur l'élément, soit elle a une valeur différente à chaque nœud d'angle.
Chaque nœud d'un élément coque a six degrés de liberté : les trois translations, et les rotations autour des axes x, y et z. Le comportement lié à l'épaisseur — raideur en flexion, gradient de contrainte dans l'épaisseur — est déterminé à partir de la théorie des plaques élastiques.
Par rapport à un modèle volumique, on divise donc par trois le nombre d'éléments et par quatre le nombre de nœuds en épaisseur, mais chaque nœud a deux fois plus de degrés de liberté. Mais, une maille devant être globalement un polyèdre régulier, cela permet également d'avoir des mailles plus grandes, là où la dimension transverse devrait être de l'ordre du tiers de l'épaisseur. On gagne donc au minimum un facteur 1,5 (éléments coque) à 8 (élément linéique) sur le nombre total de degrés de libertés.
Si une pièce est élancée, c'est-à-dire qu'une dimension est très grande devant les deux autres, on peut alors utiliser des éléments linéïques, à une dimension, travaillant avec un modèle de poutre, avec les mêmes bénéfices.
Notons que l'utilisation d'éléments coque ou linéïques ne permet pas de bien représenter ce qui se passe aux interfaces, à la jonction des pièces. Si les contraintes à l'interface ont de l'importance, on peut devoir utiliser un maillage volumique de l'interface, raccordé à des éléments coque ou poutres.
Critères de qualité d'un maillage
modifierUne pièce doit posséder au moins trois éléments dans sa dimension la plus petite (épaisseur). C'est également vrai entre le bord d'un évidement (par exemple d'un perçage) et le bord de la pièce.
Un quart de cercle doit posséder au moins cinq nœuds.
Les éléments ne doivent pas être trop distordus par rapport aux formes géométriques régulières. Pour évaluer la distorsion, on calcule des paramètres de forme pour chaque élément. On peut par exemple calculer le rapport entre la plus grande et la plus petite arête, l'écart de chaque angle par rapport à l'angle idéal ou encore l'angle maximal.
Si l'élément a des arêtes courbes, on utilise le rapport jacobien : il s'agit du rapport entre la plus petite et la plus grande valeur de la matrice jacobienne servant à faire correspondre l'élément réel à l'élément idéal (voir Présentation générale > Intégration). Ce rapport vaut 1 pour un élément ayant une forme idéale, c'est-à-dire notamment dont les nœuds médians d'une arête sont les isobarycentres des extrémités de l'arête (« les milieux sont au milieu »). Il doit être le plus faible possible.
Pour les éléments de type coque ainsi que pour les faces des éléments volumiques non triangulaires, on calcule un facteur de gauchissement (wrap factor), qui est l'écart au plan. Pour un quadrilatère plan, ce facteur vaut 0. Il doit être le plus faible possible.
Méthodes avancées
modifierIl existe des méthodes plus complexes pour simplifier un modèle tout en ayant un résultat de qualité.
Une des méthodes consiste à remplacer une pièce de forme complexe, mais dont le comportement ne nous intéresse pas, par une pièce plus simple ayant un comportement élastique équivalent. Par exemple, si la pièce subit de la compression pure selon un axe, on peut la remplacer par une poutre dont la section droite est la section moyenne de la poutre originale, l'important étant d'avoir la même matrice de rigidité globale.
Cette méthode consiste à remplacer un ensemble d'élément par un « super-élément ». On parle parfois de sous-structuration ou de condensation de degrés de liberté.
Il existe plusieurs méthodes permettant de déterminer une poutre équivalente dans des cas plus complexes. Dans le cas d'une étude statique, on utilise par exemple la méthode de Guyan. Pour une étude dynamique, on utilise la méthode de Craig-Bampton, pour laquelle le super-élément a un comportement identique pour les premiers modes de vibration. Des super-éléments peuvent aussi être mise en œuvre pour prendre en compte des concentrations de contraintes, par exemple des trou de rivetage, sans avoir à modéliser les petites détails créant ces concentrations de contrainte[2].
On peut aussi à l'inverse faire un modèle global simple, puis faire un « zoom » sur une partie. On fait alors par la suite un sous-modèle ne comprenant que cette partie ; les conditions aux limites de cette sous-partie sont les déplacement des nœuds obtenus sur le modèle global. On parle parfois de zoom structurel ou de sous-modèle.
Notes et références
modifier- ↑ P/3 = πd/3 ≃ d car π ≃ 3.
- ↑ Nicolas Leconte, Éric Markiewicz et Bertrand Langrand, « Super-éléments de plaque perforée pour la modélisation de l'assemblage riveté en dynamique rapide », dans Colloque National en Calcul des Structures, Giens, no 10, 2011 [texte intégral]