Le noyau atomique/Le modèle du gaz de Fermi
Une manière simple de modéliser l'organisation en couches du noyau est d'utiliser le modèle du gaz de Fermi. Un gaz de Fermi est un ensemble de plusieurs fermions (pour rappel, les fermions sont des particules de spin égal à ). Le modèle suppose que les fermions en question n’interagissent pas, ce qui est formellement faux mais est une approximation suffisante pour ce qui suit. L'hypothèse de non-interaction entre fermions fait que le groupe de fermions se comporte comme un gaz parfait, ce qui permet de faire quelques dérivations assez simples. De plus, on suppose que le potentiel dans le volume occupé par le gaz est constant, ici le potentiel nucléaire dans le noyau. Un gaz de Fermi est donc, pour résumer, un ensemble de plusieurs fermions qui n'interagissent pas ensemble et qui sont placés dans un potentiel constant.
L'énergie et l'impulsion de Fermi
modifierLe modèle de Fermi donne diverses formules mathématiques utiles, la plus importante décrivant l'énergie d'un nucléon en fonction de l'état qu'il occupe. Vous savez que les particules dans le noyau atomique ne peuvent pas avoir une énergie arbitraire. Leur énergie évolue par paliers, par niveaux d'énergie quantifiés. Le tout est illustré ci-contre. Le niveau le plus bas est appelé le niveau fondamental et l'énergie qui correspond est appelée l'énergie fondamentale.
Les niveaux en question sont différents pour les protons et les neutrons. Le formalisme mathématique nous dit que le noyau se comporte comme le mélange de deux gaz : un gaz de protons et un gaz de neutrons. La physique quantique nous dit que, dans chaque gaz de protons/neutrons, chaque niveau d'énergie ne peut contenir que deux particules. Cela est lié au principe d'exclusion de Pauli, que nous aborderons dans le chapitre suivant. Au zéro absolu, les deux premiers protons occupent le premier palier, les suivants occupent le second palier, et ainsi de suite. Le niveau le plus élevé qui contient des particules est appelé le niveau de Fermi. En-dessous du niveau de Fermi, tous les niveaux sont remplis avec deux particules. Au-dessus, les niveaux sont inoccupés et vides de toute particule. Insistons sur le fait que nous parlons d'un ensemble de particules non-interagissantes et au zéro absolu. Au-dessus du zéro absolu, des particules remontent dans des niveaux au-dessus du niveau de Fermi, laissant des vides dans les niveaux en dessous.
L'énergie de Fermi
modifierLe modèle du gaz de Fermi donne la différence entre l'énergie fondamentale et l'énergie du niveau de Fermi, pour un noyau de N particules. Cette différence est appelée, par abus de langage, l'énergie de Fermi. Les calculs nous donnent une approximation de l'énergie de Fermi du énième nucléon, qui vaut :
- , avec V le volume du noyau.
Précisons que l'énergie de Fermi est celle du énième nucléon, à une constante près. L'énergie du énième nucléon est alors égale à :
- .
À partir de cette formule, on peut calculer l'énergie totale du noyau. Cette dernière est égale à la somme de l'énergie de chaque nucléon, ce qui donne :
- , avec A le nombre de masse.
En combinant les deux équations précédentes, on a :
- , avec A le nombre de masse.
Quelques manipulations algébriques donnent :
On peut l'utiliser pour calculer l'énergie moyenne des nucléons dans un noyau de N particules. Le calcul donne :
l'impulsion de Fermi
modifierL'énergie de Fermi est par définition une énergie cinétique : l'énergie cinétique que possède le énième nucléon dans un gaz de Fermi. Par défaut, le premier palier correspond à une particule sans impulsion, qui n'a que de l'énergie potentielle. Mais les niveaux au-dessus ne sont pas dans ce cas. En effet, le potentiel est le même dans tout le gaz, ce qui fait que l'énergie potentielle est la même pour toutes les particules. L'énergie de Fermi pour chaque palier ne peut être qu'une énergie cinétique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les particules d'un gaz de Fermi bougent quand même au zéro absolu ! On peut calculer l'impulsion de la énième particule en utilisant la formule de l'énergie cinétique, ce qui donne l'impulsion de Fermi :
On peut aussi calculer l'impulsion moyenne par nucléon, qui est égale à approximativement :
Le calcul de l'énergie de Fermi nucléaire
modifierLa base du modèle de gaz de Fermi est la statistique de Fermi qui donne le nombre d'états que peut prendre un fermion, s'il est confiné dans un volume V et que son impulsion est comprise entre un intervalle [ p , p + dp ] :
Le nombre d'états total est donc :
Au zéro absolu, tous les états sont remplis, tant que l'impulsion est inférieure à l'impulsion de Fermi. En notant celle-ci on a :
L'intégrale donne
Si on suppose que le noyau est sphérique, on peut utiliser les formules vues dans les premiers chapitres. Son volume est égal à , avec le volume d'un nucléon. On a alors :
On simplifie :
Dans un noyau, les protons et les neutrons sont des fermions indépendants. Il y a donc, conceptuellement, deux puits de potentiels séparés : un pour les protons et un pour les neutrons. Dans les équations précédentes, le nombre de particules n n'est pas le nombre de masse A, mais correspond approximativement soit au nombre de protons Z, soit au nombre de neutrons N. Les impulsions de Fermi sont différentes pour les protons et les neutrons. On a donc :
On peut reformuler ces équations comme suit :
On peut isoler l'impulsion de Fermi, ce qui donne :
On élève le tout à la puissance :
L'approximation Z=N
modifierDans la plupart des noyaux, on a Z = N = A/2. Nous allons supposer que cette égalité est vraie au zéro absolu, bien que ce ne soit vrai que pour les noyaux avec un A petit. L'impulsion de Fermi devient alors :
L'énergie de Fermi qui correspond vaut :
L'énergie de Fermi et le potentiel ne sont pas égaux. Le potentiel intranucléaire est égal à environ 40 MeV, alors que l'énergie de Fermi est de seulement 33 MeV. La différence n'est autre que l'énergie de liaison du noyau moyenne par nucléon. Cette dernière vaut approximativement 7 à 8 MeV. Dans les faits, cette approximation n'est pas si mauvaise.
Le cas général
modifierMaintenant, reprenons les deux équations vues plus haut, avant d'utiliser l'approximation Z=N.
L'énergie de Fermi pour les protons et neutrons vaut :
Si on pose , les équations précédentes deviennent :
Le lien avec le modèle de la goutte liquide
modifierMaintenant, supposons que les protons et neutrons aient la même masse, pour simplifier les calculs. Sous cette hypothèse, l'énergie totale du noyau vaut :
- , avec l'énergie moyenne par nucléon.
On suppose que l'énergie moyenne par nucléon n'est pas la même pour les protons et les neutrons. On a alors :
On confond l'énergie moyenne avec l'énergie de Fermi moyenne. Celle-ci vaut par définition . Cela donne :
Les énergies de Fermi ont été calculées plus haut. On fait donc le remplacement :
On factorise :
On simplifie les puissances :
Le terme se développe comme suit : . En combinant avec l'équation précédente, on trouve :
En développant, on a :
Le premier terme est le terme de volume dans le modèle de la goutte liquide, alors que le second est le terme de symétrie. Les autres termes ne sont pas présents en raison de l'hypothèse de base du modèle : l'absence d'interactions entre les fermions. L'absence d'interactions électrostatiques fait que l'énergie de répulsion électrostatique n'est pas prise en compte dans le modèle, alors que l'absence de la force nucléaire élimine l'énergie de surface.