La politique monétaire/L'interaction entre politique budgétaire et création monétaire
Depuis les années 2008, à la suite de la crise financière, les banques centrales se sont mises à effectuer de l'assouplissement quantitatif (QE) à grande échelle. Beaucoup de commentateurs ont alors accusé ces politiques de monétiser la dette de l'état, sous-entendu de financer directement le déficit. Et l'accusation en question est rapide, pour ne pas dire complètement fausse. En soi, cette confusion n'est pas si stupide : le QE a beaucoup de points communs avec le financement de l'état, mais il s'en démarque cependant par de nombreux points. Dans cette section, nous allons dissiper ces malentendus et expliquer quelles sont les différences fondamentales entre helicopter money (HM), QE et financement normal de l'état.
Les différentes politiques de financement d'un stimulus fiscal
modifierDans ce qui va suivre, nous allons supposer que l'état souhaite effectuer une politique de stimulus fiscal. Cela signifie qu'il souhaite baisser les impôts et taxes, ou alors qu'il souhaite verser de l'argent à ses citoyens. Qu'il s'agisse d'une baisse d'impôt ou d'une hausse des dépenses, il s'agit d'un stimulus fiscal, un stimulus budgétaire. Les dépenses peuvent être réparties comme l'état le souhaite : il peut décider d'augmenter le niveau des minimas sociaux, instaurer un revenu universel, faire un plan de relance de l'investissement, fournir des aides aux entreprises : peu importe. Pareil pour les baisses d'impôt, qui peuvent être générales ou ciblées sur une catégorie de la population. La nature exacte du stimulus, et sa mise en œuvre, spécifient qui touchera l'argent du stimulus fiscal. Et les conséquences ne seront donc pas les mêmes. Suivant comment cet argent est mis en circulation, l'effet macroéconomique favorisera certains secteurs, certaines catégories de la population. Certains deviendront plus riches, ou moins pauvres, d'autres pourront y perdre au change, etc.
Au niveau macroéconomique, le stimulus peut avoir une influence sur le niveau des prix et la production, qui sera différente selon le secteur économique. Au niveau agrégé, le résultat est soit une augmentation des prix, soit une augmentation de la production, soit un mélange des deux. Les économistes estiment que l'effet sur les prix se manifeste surtout à long terme, bien qu'il puisse se manifester dès le court terme sui le stimulus est trop fort. Pour la production, l'effet est maximal à court terme, mais s'atténue avec le temps. En fait, le stimulus mobilise des capacités de production inutilisées par manque de demande. En stimulant la demande, les entreprises répondent en réutilisant les capacités de production qu'elles avaient mises en sommeil ou qui étaient en pause suite à une crise économique. Mais si le stimulus est trop fort, toutes les capacités de production sont utilisées et la demande en surplus se transforme en inflation. Précisons cependant que si les prix augmentent au niveau global, certains prix vont augmenter plus que d'autres. Et l'effet sur chaque prix dépend de l'endroit où la monnaie est injectée dans l'économie et de la manière dont elle se propage, dont elle circule. Cela s’appelle l'effet Cantillon.
Mais ce qui nous importe n'est pas l'effet du stimulus, mais son financement. Il existe plusieurs manières de financer un stimulus, qui se distinguent fortement par leurs effets. Les deux cas les plus simples sont les suivants : soit l'état se finance par le déficit en empruntant sur les marchés, soit la banque centrale finance directement ses dépenses. Plusieurs politiques sont possibles.
- Avec la première, l'état emprunte l'argent du stimulus sur les marchés financiers. Cela mobilise de l'épargne existante, qui est remise en circulation par le stimulus. On parle alors de financement par l'emprunt.
- Dans le second cas, l'état emprunte l'argent sur les marchés, mais la banque centrale rachète la dette associée via assouplissement quantitatif. C'est un cas particulier de financement par l'emprunt où la banque centrale stérilise les effets de l'emprunt.
- Les autres méthodes correspondent au cas où la banque centrale intervient pour faciliter le financement du déficit. Elles sont regroupées sous le terme hélicoptère monétaire, ou encore monnaie-hélicoptère - helicopter money (HM) en anglais.
- Précisons que le QE peut être utilisé seul, sans emprunt associé, et ne sert pas forcément à financer les dettes de l'état. Par exemple, une banque centrale peut utiliser le QE pour relancer l'économie, sans que l'état n'utilise de relance fiscale de son côté. Mais le cas est quand même rare.
Les différentes formes d’hélicoptère monétaire
modifierIl existe plusieurs formes d'hélicoptère monétaire, qui sont considérées comme identiques du fait de leurs caractéristiques fortement semblables et de leurs effets macroéconomiques similaires. Dans les deux premiers cas, la banque centrale crée la monnaie du stimulus et verse celui-ci soit directement à l'état, soit aux ménages. Dans le troisième cas, la banque centrale annule la dette d'état qu'elle détient. S'il faut distinguer versement de la banque centrale à tous les citoyens et versement de la banque centrale à l'état, nous pouvons cependant faire la confusion tant les deux sont similaires du point de vue monétaire. Dans les deux cas, la base monétaire augmente : elle n'est juste pas distribuée aux mêmes agents économiques.
Les trois méthodes permettent de financer le déficit de l'état, bien que ce soit par des moyens différents. Dans le cas où la banque centrale verse de l'argent au ménages, le financement est le plus direct possible. L'argent du stimulus fiscal est versé par la banque centrale, sans passer par le moindre intermédiaire. Dans le cas où la banque centrale donne de l'argent au trésor public, le transfert est indirect : la banque centrale donne de l'argent au trésor qui le redistribue aux ménages. Dans le troisième cas, il y a bien financement du déficit, bien qu'il ne soit pas évident. Le gain est lié au fait que l'état n'a pas à rembourser les échéances des dettes annulées. Les mensualités de remboursement et les intérêts disparaissent, ce qui lui fait de l'argent en moins à payer. Et cet argent en moins à payer est autant de déficit en moins et autant d'argent économisé pour l'état.
L'étude comptable du financement de l'état
modifierRegardons maintenant ce qui se passe au niveau du bilan comptable de la banque centrale, quand l'état se finance. Suivant la situation, le bilan n'évoluera pas de la même manière. Le Q.E, le financement par l'emprunt et la monnaie-hélicoptère ont des conséquences très différentes.
Le financement par l'emprunt n'implique aucune action de la part de la banque centrale, ce qui fait que son bilan reste inchangé.
L'assouplissement quantitatif se traduit par l'augmentation des dettes publiques détenues par la banque centrale, donc une augmentation de son actif. Les dettes sont échangées contre des réserves bancaires par la banque centrale. On a donc une augmentation de l'actif (dettes achetées), mais aussi du passif (hausse des réserves), du même montant.
Actif | Passif |
---|---|
Dette publique | Réserves bancaires |
- | - |
Au niveau comptable, les trois politiques d'hélicoptère monétaire entraînent une baisse des fonds propres de la banque centrale et/ou une création monétaire sans contrepartie.
- Avec le versement d'argent aux ménages, la base monétaire augmente et l'argent crée est versé aux citoyens. Mais pour respecter l'égalité entre actif et passif, quelque chose doit diminuer. Ce quelque chose, c'est les fonds propres de la banque centrale, son capital.
Actif | Passif |
---|---|
- | Base monétaire (Espèces et réserves) |
Compte du trésor | |
Capital de la banque centrale (fonds propres) |
- Avec le versement d'argent à l'état, c'est la même chose, sauf que la base monétaire reste la même. L'argent est versé directement sur le compte du trésor et le capital de la banque centrale diminue du même montant.
Actif | Passif |
---|---|
- | Base monétaire (Espèces et réserves) |
Compte du trésor | |
Capital de la banque centrale (fonds propres) |
- Avec l'annulation de la dette publique, les choses sont plus compliquées. Les dettes sont présentes à l'actif, qui diminue donc du montant des dettes annulées. En conséquence, le passif diminue et c'est encore une fois le capital de la banque centrale qui encaisse le choc.
Actif | Passif |
---|---|
Dette publique | Base monétaire (Espèces et réserves) |
Autres actifs | Compte du trésor |
Capital de la banque centrale (fonds propres) |
L'hypothèse de l'équivalence ricardienne
modifierLes trois politiques sont similaires dans le sens où elles injectent de la monnaie dans l'économie. Mais le sort de cette monnaie ne sera pas le même. Tout dépend de la manière dont les agents économiques vont réagir : vont-ils dépenser ou épargner l'argent du stimulus. S'ils l'épargnent, alors le stimulus n'a aucun effet macroéconomique notable. Les dépenses restent les mêmes, l'inflation reste stable, le chômage aussi, le PIB idem, etc. Par contre, si le stimulus augmente la dépense, alors c'est l'inverse : le chômage baisse, l'inflation repart, etc. Évidemment, la banque centrale peut toujours stériliser ces effets si l'inflation dépasse sa cible. Raison pour laquelle les politique de stimulus fiscal sont utilisées quand les stimulus monétaires ne servent plus, quand les taux d'intérêt sont à zéro et ne peuvent plus baisser, soit en trappe à liquidité.
L'équivalence ricardienne
modifierMais pourquoi les agents économiques épargneraient l'argent du stimulus ? Et bien tout dépend de s'ils s'attendent à devoir le rembourser plus tard. L'hypothèse de l'équivalence ricardienne nous dit que les ménages vont anticiper les conséquences du stimulus et réagir en conséquence. Prenons un stimulus financé par l'emprunt. Les ménages vont se rendre compte que l'argent du stimulus est attaché à une dette, qui devra être remboursée plus tard. En conséquence, ils s'attendent à une augmentation des impôts et à une réduction des dépenses dans le futur. Ce faisant, ils épargnent l'argent du stimulus, afin de compenser l'austérité future. Et c'est une solution parfaitement rationnelle (trop, même). Si l'état dépense une somme X maintenant, il devra rembourser la somme , avec r le taux d'intérêt réel sur la dette d'état et N le nombre d'années avant remboursement. En plaçant la somme X sur un support rémunéré à r%, les agents pourront rembourser la dette du stimulus.
Ce mécanisme est le même dans le cadre du QE : l'argent injecté dans l'économie peut être retiré par la banque centrale de la circulation. Les ménages vont donc conserver cet argent jusqu’à au moment où la banque centrale décidera de le retirer, afin de ne rien perdre. En théorie, c'est complètement différent pour l'HM. L'HM est supposé être une injection permanente de monnaie dans l'économie, qui ne peut pas être retiré de la circulation. En conséquence, les agents économiques n'ont pas besoin d'épargner l'argent du stimulus et le dépensent comme ils le souhaitent. L'équivalence ricardienne n'a donc aucune raison de tenir, rendant l'HM plus efficace que les autres méthodes pour stimuler l'inflation. La différence fondamentale entre QE et HM est donc son caractère temporaire/permanent : les agents s'attendent à ce que le QE/l'emprunt disparaisse et qu'il soit remboursé d'une manière ou d'une autre, alors que l'HM est permanent et n'est pas censé être remboursé.
Plus précisément, c'est le caractère permanent/temporaire perçu par les agents économiques. Si les agents économiques s'attendent à ce que la création monétaire soit permanente, alors ils vont réagir en conséquence et dépenser l'argent du stimulus. Si à l'inverse ils anticipent que la création monétaire sera temporaire, ils vont décider d'épargner et cela annulera l'efficacité du stimulus. Et si l'HM est réellement permanent, rien n'indique que les agents économiques le verront ainsi, pareil pour le QE. Il se peut que les agents économiques anticipent une réaction de la banque centrale qui ne sera pas celle prévue dans les théories. Par exemple, si la banque centrale n'est pas crédible aux yeux des agents, les marchés réagiront différemment au QE. La banque centrale a beau lancer un QE de grande envergure et jurer que celui-ci sera maintenu durant très longtemps, le QE n'aura que peu d'impact si les agents n'y croient pas et épargnent au cas où.
Une hypothèse respectée pour le Q.E, moins bien pour les autres méthodes de financement
modifierL'équivalence ricardienne semble fonctionner assez bien pour le QE : l'argent des différents QE a été conservé par les banques, au lieu d'être mis en circulation dans l'économie. Les banques ont échangé leurs obligations d'état contre des réserves bancaires, mais n'ont pas prêtées celles-ci.
L'expérience des banques centrales américaines et européennes lors de la crise de 2008 sont assez parlantes : la totalité de l'argent du QE a été épargnée par les banques. La même chose a été observée lors de la crise japonaise de 1990, les politiques d'assouplissement quantitatif ayant fortement augmenté le bilan de la banque centrale. Aux États-Unis, la baisse sur les taux de long terme a été assez importante, de près d'un pour cent, mais les banques n'ont cependant pas décidé d’augmenter le volume de leurs prêts. Les autres pays ont eu une expérience similaire : pas d'augmentation notable du volume de prêts. Et pourtant, force est de constater que l'augmentation de la base monétaire a été très importante dans tous les cas étudiés, allant jusqu’à tripler ou quadrupler la base monétaire.
Une explication à cela est qu'elles n'avaient pas de demande de crédit à financer et qu'elles n'avaient pas d'autre choix que de les conserver. Une autre explication est que la rémunération des réserves incitait les banques à conserver leurs réserves. Mais on ne peut pas nier que les banques ont anticipé que le QE est une mesure temporaire. Les banques sont remplies de professionnels qui connaissent la finance et la macroéconomie sur le bout des doigts (en théorie), qui connaissent le caractère temporaire du QE. D'où, en théorie, le fait que les banques ont beaucoup épargné l'argent des différents QE.
Bref : le QE permet de financer un stimulus, mais n'est en soi pas spécialement plus inflationniste que l'emprunt direct. L'argent du stimulus fiscal n'est pas complété par une mise en circulation de l'argent du QE.
Précisons cependant que l'hypothèse d'équivalence ricardienne tient assez peu pour le financement par l'emprunt. En effet, beaucoup de ménages ne se rendent pas compte que le stimulus fiscal se traduira par des impôts plus élevés dans le futur. Et s'ils s'y attendent, ils ne vont pas forcément épargner l'argent du stimulus et vont quand même préférer le dépenser. Les ménages de la théorie économique néoclassique sont capables d'anticiper un tel phénomène et de réagir en conséquence, rationnels et optimiseurs qu'ils sont. Les agents économiques du monde réel sont cependant très différents. De plus, divers mécanismes empêchent l'équivalence ricardienne de fonctionner à plein. Quelques études estiment qu'à la louche, environ 50% de l'argent d'un stimulus financé par l'emprunt est dépensé et l'autre moitié est épargnée. Notons cependant que le niveau de dette peut avoir son influence et modérer ou accentuer les effets ricardiens. Si l'état est faiblement endetté, les agents économiques ne se préoccupent pas vraiment d'un emprunt supplémentaire et n'agissent pas de manière ricardienne. Mais pour un état fortement endetté, les agents peuvent réagir autrement : un fort niveau de dette signifie soit un défaut futur probable, soit de très forts impôts pour lesquels il vaut mieux se préparer. D'où l'apparition supposée d'un comportement ricardien à de forts niveaux de dette.
Pour l'H.M, l'équivalence ricardienne n'est de toute façon pas censée se manifester. Mais on peut quand même estimer qu'une partie de l'argent de l'HM sera épargnée malgré tout. Cette politique n'ayant pas été mise en œuvre dans les pays développés, sous en quelques rares occasions et à petite échelle, on ne sait pas ce qu'il en est dans le monde réel. Mais il serait suspect que l'équivalence ricardienne tienne dans un tel cas de figure. Certes, les agents peuvent anticiper une sorte de remboursement de l'HM, sous la forme d'une politique monétaire stricte dans le futur, mais cela ne change rien tant que la banque centrale respecte sa cible d'inflation. L'HM, sous cette condition, est alors permanent dans le sens où il sert à remettre l'inflation sur les rails, comme cela aurait dû être le cas si la trappe à liquidité n'existait pas.
Pour résumer, QE, financement par l'emprunt et HM sont trois politiques qui se placent sur un continuum en termes d'efficacité : le QE est le moins efficace de tous, l'HM est tellement inflationniste qu'il est considéré comme une arme atomique monétaire, alors que le financement par l'emprunt est un intermédiaire.
Politique monétaire non-conventionnelle, coûts de financement et désendettement
modifierLes politiques monétaires non-conventionnelles et la dette de l'état interagissent fortement. L'assouplissement quantitatif demande de racheter de la dette de l'état, certaines formes d'H.M se basent sur une annulation de la dette d'état au détenue par la banque centrale, et j'en passe. Intuitivement, Q.E et H.M permettent à l'état de monétiser leur dette, de se désendetter sans frais, sans avoir à taxer pour trouver de quoi rembourser. Mais comme on va le voir dans ce qui suit, les choses sont plus compliquées. Nous allons voir comment Q.E et H.M aident l'état à financer sa dette, et voir comment les agents privés se désendettent ou non suite à une politique monétaire non-conventionnelle.
Avant de poursuivre, il est intéressant de distinguer les différents coûts liés à un crédit. Quand l'état ou un agent privé emprunte, il doit rembourser deux choses : les intérêts et le principal (la somme empruntée). Cela demande d’acquérir une certaine somme d'argent pour rembourser les intérêts et une autre pour rembourser le principal. La première somme est ce qu'on appelle la charge d'intérêt et l'autre est la charge de principal. La somme de la charge d'intérêt et du remboursement du principal donne la charge totale. Faire la distinction est important, car le Q.E et l'H.M n'impliquent pas les mêmes charges.
L'emprunt sur les marchés : des coûts de financement élevés
modifierSans politique monétaire conventionnelle, l'état emprunte sur les marchés à un taux défini par les marchés? Et sur les marchés financiers, l'état se trouve en compétition avec les autres sources d'épargne. Si l'état veut emprunter 100 millions d'euros supplémentaires, alors ces 100 millions vont devoir se faire une place entre les autres obligations d'entreprises et les marchés actions. En clair, la demande d'emprunt total (état + privé) va augmenter de 100 millions d'euros. Mais le stock d'épargne préexistant est fixe, du moins sur le court terme. Les marchés vont donc prendre 100 millions d'euros qui auraient dû atterrir en emprunt privé, pour les rediriger vers l’emprunt public.
Pour résumer, l'emprunt public remplacera l'emprunt privé : c'est ce que l'on appelle l'effet d'éviction. Ce faisant, la confrontation demande d'investissement - offre d'épargne va être chamboulée. Si on trace un graphe offre-demande, on voit rapidement que les taux d'intérêt augmentent. L'état doit fournir des taux plus élevés pour attirer les investisseurs. Les autres marchés vont devoir s'adapter et monter eux-mêmes leurs taux au même niveau, ce qui fait que tous les taux augmentent. L'emprunt direct augmente donc les taux d'intérêts, ce qui est un cout direct pour l'état.
- Précisons cependant qu'il existe des situations où l'effet d'éviction ne se manifeste pas. Cela arrive notamment lors des situations de trappe à liquidité, y compris quand les taux d'intérêt sont à zéro. Dans ce cas, l'état peut emprunter comme il le souhaite sans que les taux d'intérêts augmentent. Cela n’empêche pas la banque centrale de rajouter une couche de QE par-dessus, histoire de baisser encore plus les couts d'emprunt pour l'état, mais cela n'est pas strictement nécessaire.
L'assouplissement quantitatif : une réduction de la charge d'intérêt
modifierLe financement par QE se base sur un financement sur un financement par l'emprunt, couplé à une politique de QE. Avec QE ou emprunt seul, l'état se finance sur les marchés et mobilise de l'épargne pré-existante et l'effet d'éviction apparaît. Mais le Q.E permet de neutraliser l'effet d'éviction si on le calibre bien. Si l'état veut emprunter 100 millions, la banque centrale place 100 millions sur la table. Les marchés financent l'état à hauteur de 100 millions d'euros, la banque centrale rachète 100 millions d'euros de dettes, puis les marchés réinvestissent les 100 millions dans de l'investissement privé. Si on fait la somme comptable, la demande d'investissement a augmenté autant que l'offre d'épargne. En conséquence, les taux d'intérêt restent les mêmes, ce qui rend la mesure moins coûteuse pour l'état. L'état économise la hausse des taux d'intérêts, qui n'a pas lieu.
De plus, rappelons que la dette de l'état acquise lors d'un Q.E est détenue par la banque centrale. L'état doit toujours la rembourser, mais il rembourse sa banque centrale et non des agents privés. Ce qui fait que le versement des intérêts et du principal se fait à la banque centrale. Au niveau comptable, les intérêts sont comptabilisés comme du profit, profit que la banque centrale reverse à l'état sous la forme de revenus de seigneuriage. Par contre, le principal n'est pas du profit et est comptabilisé comme remboursement d'un crédit. Et rappelons que la monnaie est détruite lors du remboursement d'un crédit, le remboursement de la dette d'état à la banque centrale ne faisant pas exception. En clair, la banque centrale détruit la monnaie du remboursement du principal et reverse tout ou partie des intérêts à l'état. L'économie est donc approximativement égale aux intérêts de la dette d'état, modulo quelques subtilités liées à la rémunération des réserves, comme on le verra plus bas.
Avec ce qu'on vient de dire, on peut quantifier le gain apporté par le Q.E. Il correspond à l'économie d'intérêts apportée par une hausse de la base monétaire. Si l'état emprunte une somme D et que l'état rachète cette dette lors d'un Q.E, le gain est le suivant :
- , avec D la somme empruntée et i le taux d'intérêt sur la dette.
L'équation précédente devrait vous dire quelque chose si vous avez lu le chapitre précédent, de même que le raisonnement comme quoi le gain est une économie d'intérêt. Vous l'avez compris, ce gain n'est autre que le revenu de seigneuriage du Q.E. Et par revenu de seigneuriage, on veut dire seigneuriage définit comme le coût d'opportunité de la base monétaire. Mais nous avions vu que l'équation précédente n'est qu'une approximation et que la véritable équation prend aussi en compte la rémunération des réserves. Quand l'état fait du Q.E ou de l'hélicoptère monétaire, il n'a pas à emprunter l'argent créé. Il ne paye pas les intérêts sur une dette inexistante, ce qui fait une économie. En contrepartie, il doit rémunérer les réserves créées par sa politique, ce qui lui impose un cout supplémentaire, qui est souvent inférieur à l'économie sur la dette non-contractée. La véritable économie est donc égale à la différence entre économie d'intérêt sur la dette et rémunération des réserves, qui vaut approximativement :
- , avec le taux de rémunération des réserves et le taux de la dette d'état.
Le taux sur la dette d'état est le taux de long-terme, alors que le taux de rémunération des réserves est un des taux directeur de la banque centrale. On peut alors utiliser la relation : entre les deux taux. En combinant avec l'équation précédente, on trouve :
- , avec la prime de risque de l'état.
L'interprétation de cette équation est que le gain du Q.E dépend du risque de non-remboursement de l'état. Après tout, rien d'étonnant à cela, vu que les réserves sont un instrument sans risque, alors que la dette d'état est elle risquée (l'état peut ne pas la rembourser). Le gain pour l'état correspond à l’intérêt que les agents auraient fait payer à l'état pour le risque de non-remboursement de sa dette. De ce point de vue, le Q.E peut être vu assez grossièrement comme un remboursement anticipé de la dette par la banque centrale. Pour les économies développées, qui ont de bonnes chances de rembourser leur dette, l'état est un placement très peu risqué, la prime de risque est donc limité et le gain du Q.E assez faible. Par contre, le Q.E peut être mis en place suite à une récession ou un choc économique majeur, quand les taux sur la dette d'état sont au plafond et que la prime de risque est très élevée. Le Q.E est donc un très bon instrument quand les taux sont à zéro et que la prime de risque est assez élevée.
La monnaie-hélicoptère : une réduction de la charge de la dette totale
modifierL'H.M existe sous plusieurs formes, qui ont des impacts différents sur la dette de l'état. Mais quel que soit la forme d'H.M utilisée, l'effet macroéconomique est plus puissant avec l'H.M que le Q.E. De plus, le désendettement de l'état est plus rapide avec l'H.M qu'avec le Q.E, même si les raisons sont différentes selon que l'on annule la dette de l'état, qu'on la monétise ou qu'on donne de l'argent aux citoyens. Dans les deux premiers cas, le déficit de l'état est réduit et celui-ci peut en profiter pour se désendetter, bien que ce ne soit pas systématique. L'état peut profiter de la baisse du déficit non pas pour réduire sa dette, mais pour dépenser plus, ce qu'il faut faire en cas de récession. Mais avec la monnaie-hélicoptère proprement dite, à savoir donner de l'argent aux citoyens, l'effet sur le déficit n'est qu'indirect. Tout au plus, l'état peut donner de l'argent à ses citoyens sans s'endetter, ce qui lui permet d'augmenter ses dépenses sans coût fiscal direct. Voyons en revue les trois cas.
Le cas le plus évident est celui où la banque centrale annule tout ou partie de la dette de l'état au bien de la banque centrale. Là, l'état se désendette d'une manière assez radicale, l'état n'ayant plus à payer une partie de sa dette. Cela entraîne une réduction de la charge totale, l'état n'ayant pas à rembourser le principal de la dette annulée, pas plus que les intérêts. On a alors une réduction de la charge d'intérêt et de la charge totale. Précisons que ce cas est très différent d'un simple Q.E. Avec le Q.E, l'état rembourse le principal et les intérêts à la banque centrale, cette dernière détruit ensuite la monnaie utilisée pour rembourser le principal et reverse les intérêts à l'état. Là où le Q.E permet à l'état de réduire sa charge d'intérêt et elle seule, l'H.M par annulation de dette d'état permet une réduction de la charge totale. Le désendettement de l'état est plus rapide avec l'H.M par annulation de dette publique que le Q.E et on devine donc que l'effet macroéconomique est plus puissant avec l'H.M que le Q.E.
Précisons cependant que cette annulation n'est pas sans coûts. En effet, l'annulation de la dette impacte négativement le bilan de la banque centrale. Concrètement, son actif et son passif diminuent tous deux, ce qui se répercute sur son capital. Au premier abord, cela n'a rien de bien problématique ni de coûteux, beaucoup de banques centrales ayant un capital négatif (les banques centrales sont d'ailleurs les seules à pouvoir le faire). Par contre, ce capital est généralement reconstitué par la banque centrale, qui va préférer récupérer le capital perdu. Pour cela, il y a deux solutions.
- La première est que l'état recapitalise la banque centrale en injectant des fonds, pour faire revenir le capital de la banque centrale dans le positif. Mais cette situation est improbable et est même assez illogique. Pourquoi gagner de l'argent avec l'annulation, si c'est pour en perdre en recapitalisant la banque centrale ? Certes, l'état peut y gagner, à condition que la dette annulée soit supérieure à ce que l'état doit verser pour recapitaliser la banque centrale. Mais cela fait que le gain net pour l'état est fortement diminué. Concrètement, l'état gagne au maximum une somme équivalente au capital de la banque centrale, pas plus. Ensuite, si un état est en difficulté au point qu'il doive appeler sa banque centrale à annuler sa dette, d'où lui viendrait l'argent nécessaire pour recapitaliser sa banque centrale ? Et surtout, s'il a déjà cet argent, pourquoi ne l'utilise-t-il pas tout simplement pour rembourser sa dette en avance, ou racheter sa dette sur les marchés, ce qui reviendrait de fait à une annulation sans intervention de la banque centrale ?
- Une autre solution est que la banque centrale se recapitalise avec les revenus de seigneuriage. C'est à dire qu'elle ne les verse pas à l'état et qu'elle les accumule pour faire remonter son capital. Ce faisant, on comprend que l'annulation n'est pas une politique sans coûts. Elle consiste à échanger un flux de revenus futurs contre une grosse somme d'argent immédiate. En théorie, on peut appliquer les formules du chapitre sur le canal des prix d'actifs et montrer que les deux solutions sont équivalentes, compte tenu de taux d'intérêts. Ce qu'on gagne d'un côté, on le perd de l'autre. Du moins, en première approximation et en oubliant que l'argent peut être plus utile maintenant que plus tard, par exemple si l'économie est en pleine récession.
Pour le cas où la banque centrale donne de l'argent à l'état pour financer son déficit, l'effet sur la dette de l'état est indirect. Rappelons qu'un déficit budgétaire est généralement financé par l'émission de dette d'état supplémentaire sur les marchés. Le déficit de l'état étant totalement ou partiellement financé, la dette croît moins vite qu'elle n'aurait dû sans H.M. Cela peut aider l'état à faire des économies ou soulager sa pression financière, ce qui peut l'aider à se désendetter ou à garder une dette stable.
Pour l'HM au sens strict, à savoir de l'argent donné aux ménages sans contrepartie, l'état ne se désendette pas, mais l'argent donné peut être utilisé par les agents privés pour se désendetter. Le désendettement est possible, mais est réalisé par les ménages, ce qui a des implications macroéconomiques différentes d'un désendettement de l'état. Notons que l'effet de se désendettement privé induit par l'H.M a des effets ambigus sur la masse monétaire. D'un côté, de la monnaie est créée par la banque centrale, de l'autre le désendettement signifie destruction de monnaie lors des remboursements. Au total, la création monétaire est partiellement compensée par la destruction monétaire par les banques, l'ampleur de la compensation dépendant de l'ampleur du désendettement. Si les deux se compensent totalement et que les taux d'intérêt restent les mêmes, la monnaie créé lors de l'HM est retournée à la banque centrale sous la forme de réserves. Mais dans les faits, l'HM a une influence indirecte sur les taux d'intérêts. Le désendettement entraîne une baisse de l'activité de crédit des banques,mais ces dernières réagissent en baissent leurs taux pour relancer le crédit. Elles sont d'autant plus incitées à le faire que le désendettement induit par l'HM réduit la prime de risque des crédits de nombreux emprunteurs, via les divers canaux du crédit qu'on a vu dans les chapitres antérieurs. Et qui baisse de prime de risque dit baisse des taux bancaires et donc relance de l'activité de crédit. Au final, la masse monétaire augmente bel et bien suite à l'HM , sauf situation exceptionnelle.
Pour résumer, on peut classer les trois mesures suivant leur cout pour l'état : l'emprunt seul est la plus chère, le financement par QE est moins cher que l'emprunt seul, l'HM a un effet encore mal compris mais qui devrait être plus important que celui du Q.E.
Les différences pratiques entre H.M et Q.E
modifierComme dit plus haut, l'assouplissement quantitatif et la monnaie-hélicoptère n'ont pas les mêmes effets en termes de financement. Mais on peut encore creuser ce point et montrer que les deux politiques n'ont pas les mêmes effets macroéconomiques. Si les deux partagent de nombreux points communs, elles ne se transmettent pas tout à fait de la même manière à l'économie réelle.
Déjà, la mise en œuvre de l’assouplissement quantitatif est bien plus simple. L'assouplissement quantitatif demande juste de procéder à des opérations d'open market, là où la monnaie–hélicoptère au sens strict demande un transfert direct d'argent à l'état ou aux ménages. L'annulation des dettes de l'état au bilan de la banque centrale semble plus simple à mettre en œuvre, bien qu'aucune banque centrale ne l'ai jamais mise en œuvre.
Ensuite, l'assouplissement quantitatif est mieux vu par les marchés que la monnaie-hélicoptère. Elle est considérée comme moins inflationniste et surtout, elle ne remet pas en cause l'indépendance des banques centrales. Rappelons que donner gratuitement de l'argent aux agents économiques est apparenté à une mesure fiscale, et est donc du ressort de l'état, non de la banque centrale. Sans compter que certaines mises en œuvre de la monnaie-hélicoptère se basent sur un transfert direct d'argent de la banque centrale vers l'état, ou une annulation partielle de sa dette... Autant dire que mettre en œuvre cette politique ruinerait la crédibilité de la banque centrale, ce qui pourrait faire plus de mal que de bien, du moins sur le long-terme.
En savoir plus
modifier- Hélicoptère monétaire et relance budgétaire financée par l'emprunt : du pareil au même ?
- Helicopter money: The illusion of a free lunch
- The true costs of helicopter money.