La politique monétaire/L'équation d'Euler de la consommation

Dans ce chapitre, nous allons étudier le comportement de consommation des agents économiques et allons donc faire quelques rappels sur les théories de la consommation. Nous allons dépasser la simple fonction de consommation keynésienne vue il y a quelques chapitres, à savoir , pour la remplacer par une version plus élaborée, tirée de fondements microéconomiques.

Les axiomes du modèle modifier

Dans ce qui va suivre, nous allons volontairement éluder l'existence de l'investissement et des dépenses gouvernementales pour étudier l'impact des taux d'intérêt sur la consommation. Cela suppose que les agents économiques ne gardent de la monnaie que dans l'optique de la dépenser. Dans ce qui va suivre, nous allons supposer que le temps s'écoule par pas de temps. L'agent économique reçoit un revenu   à chaque pas de temps, et dépense en consommation la quantité d'argent  . Il n'est pas si déraisonnable de supposer que l'agent dépense tout son revenu et l'épargne pas. En anglais, cette hypothèse est appelée hypothèse du hand-to-mouth consumer. Mathématiquement, elle dit que la relation entre revenus et consommation est la suivante :

 .

Mais dans les faits, cette hypothèse est bien trop approximative. Nous ne sommes pas dans un monde où l'épargne n'existe pas et force est de constater que tous les ménages ne sont pas du type hand-to-mouth. Pour comprendre pourquoi, la théorie économique suppose que les agents ne cherchent pas à maximiser leur consommation présente, mais qu'ils prennent en compte l'avenir. Dans cette optique, l’épargne est considérée comme de la consommation différée, tandis que l'emprunt est de la consommation anticipée. Épargner une somme signifie se priver de la consommation qu'elle représente, pour en profiter plus tard dans le temps. L'emprunt est l'exact inverse : la somme empruntée est dépensée tout de suite, mais le remboursement du crédit sera autant de consommation future en moins. En utilisant le formalisme adapté, on peut rendre compte de la manière dont les ménages répartissent leur consommation dans le temps.

L'utilité intertemporelle modifier

Dans ce qui va suivre, nous allons utiliser le formalisme principal de la microéconomie : les fonctions d'utilité.

Pour résumer rapidement, les fonctions d'utilité permettent de représenter mathématiquement les préférences, le fait que tel agent préfère tel choix à tel autre. Rien n'est supposée sur l'origine de ces choix, le formalisme se bornant à décrire les préférences des agents économiques.

Pour faire simple, chaque choix/possibilité se voit attribuer un nombre, appelé l'utilité espérée, ou encore utilité. Plus l'utilité est importante, plus ce choix sera préférable pour l'agent économique. L'agent économique cherche à maximiser l'utilité de ses choix. Ainsi, si deux choix sont en concurrence, celui dont l'utilité est la plus forte sera choisi par l'agent économique. Les microéconomistes ajoutent quelques contraintes sur cette utilité : les utilités peuvent toujours être comparées entre deux choix, les préférences sont transitives, l'ajout d'options alternatives ne change pas les préférences déjà établies avant l'ajout, etc.

Il va de soi que si vous voulez en savoir plus, vous pouvez lire l'article wikipédia sur l'utilité, disponible ici : article wikipédia sur les fonctions d'utilité.

Nous allons supposer que l'agent peut consommer à des périodes bien précises, à des pas de temps distincts. Il peut consommer à l'instant  , à l'instant  , à l'instant  , à l'instant  , etc. La consommation totale au cours du temps est appelée la consommation intertemporelle, et elle vaut par définition :

 

Cependant, nous savons que l'agent ne souhaite pas maximiser sa consommation totale, mais la lisser dans le temps. Pour modéliser cela, nous allons attribuer à la consommation intertemporelle une utilité subjective  , qui représente grossièrement la valeur subjective attribuée à la consommation totale. Par définition, l'agent maximise l'utilité de sa consommation intemporelle, qui vaut :

 

Il est important de contraindre la fonction d'utilité, sans quoi on ne peut en tirer des résultats intéressants et encore moins faire des calculs. Les contraintes en question sont généralement tirées d'intuitions psychologiques, afin de rendre compte du comportement humain.

La première contrainte est que la fonction est croissante, ce qui traduit le fait que plus la consommation est élevée, plus l'agent en tire d'utilité. Mathématiquement, ceela se traduit par une contrainte sur la dérivée de l'utilité, qui est positive.

  : la fonction d'utilité est croissante.

La seconde contrainte dit que les agents ne considèrent pas chaque unité de consommation comme équivalente : un euro de consommation a bien plus de valeur pour quelqu'un de très pauvre que pour un agent très riche. C'est ainsi : quelqu'un qui ne peut consomme que 500 euros par mois attribuera plus de valeur à une dépense de 100 euros que quelqu'un qui peut se permettre de dépenser 5000 euros pas mois. On peut résumer cela en disant que chaque unité de consommation supplémentaire a moins de valeur que les précédentes. Et mathématiquement, cela veut dire que la fonction   doit être de forme concave, ce qui est équivalent à dire que sa dérivée seconde est négative.

  : la fonction d'utilité est concave.

Ensuite, pour simplifier fortement les calculs, nous devons supposer que la fonction d'utilité est additivement séparable. Ce terme barbare signifie simplement que la fonction d'utilité   se calcule comme suit :

 
Une telle hypothèse peut paraitre simple, mais elle suppose que l'utilité lors d'une période est indépendante de l'utilité des périodes précédentes. Un tel comportement est cependant quelque peu douteux et ne correspond pas trop à l'intuition. Déjà, cela néglige le fait que certains biens de consommation sont durables, à l'opposé des consommables. Là où la consommation d'un bien consommable donne lieu à une "utilité" immédiate mais de courte durée, les biens durables sont utilisés durant un temps assez long, équivalent à plusieurs périodes dans le modèle précédent. Cela, le modèle ne peut pas en rendre compte : seuls les effets immédiats sont modélisés, pas les effets à plus long-terme. Ensuite, un autre phénomène n'est pas pris en compte : l'apparition d'habitudes. Nombreux sont les agents économiques qui réagiraient à une baisse de leur consommation par rapport à leurs habitudes. Notons que les économistes ont un cadre théorique pour rendre compte des habitudes de consommation (le paradigme habit formation, mais cela nous emmènerait trop loin pour ce chapitre.

Introduisons maintenant le second concept, qui est l'élasticité de substitution intertemporelle. Il sert à rendre compte des arbitrage entre présent et futur. Les agents économiques ne donnent pas le même poids à la consommation différée et à la consommation immédiate : certains préféreront dépenser tout de suite plutôt que d'épargner, tandis que d'autres seront dans le cas inverse. Il s'agit en quelque sorte d'un phénomène de préférence pour le présent. Mathématiquement, cela veut dire que l'utilité de la consommation diminue dans le temps. Par exemple, l'utilité d'une consommation immédiate sera plus forte que l'utilité de la consommation future. De même, l'utilité de consommer dans 5 ans est supérieure à l'utilité de consommer dans 10 ans, et ainsi de suite.

Dans les modèles les plus simples, on modélise cela en faisant qu'à chaque pas de temps, l'utilité de la consommation soit multipliée par un coefficient  , compris entre 0 et 1. On peut poser la définition suivante :  , où p est le coefficient de préférence pour le présent.

 
Cette hypothèse a des propriétés mathématiques sympathiques, comme le fait que les préférences sont consistantes dans le temps. Par exemple, on sait que les préférences ne s'inversent pas au cours du temps : si tel choix A est préféré au B à l'instant t, il le sera toujours à l'instant t+1, t+2, t+3, ... Mais malheureusement, les expériences en psychologie cognitive ne semblent pas corroborer cette hypothèse. Si on omet les controverses liées à la reproductibilité des expériences ou aux modélisations mathématiques du phénomène, les préférences semblent inconsistantes dans le temps. Pour rendre compte de cela, les économistes peuvent utiliser une préférence pour le présent dite hyperbolique, mais les calculs deviennent alors plus compliqués et seuls les modèles évoluées le font.

Le but des agents économiques est de maximiser, non pas la consommation, mais l'utilité totale de la consommation. Ce faisant, ils vont naturellement lisser leur consommation dans le temps, tout en ayant une certaine préférence pour la consommation actuelle. Leur objectif est donc de maximiser :

 

La contrainte de budget modifier

Il faut ensuite ajouter la dernière brique du puzzle pour obtenir le modèle complet : la contrainte de budget. Celle-ci donne les limites à la consommation de l'agent compte tenu de son revenu. Dans ce qui va suivre, nous allons considérer que le présent correspond à la période où   et que l'agent vit durant   années. Le cas où   est fini est parfois plus compliqué à traiter mathématiquement, contrairement au cas où  . Ce qui fait que nous allons supposer, pour simplifier les calculs, que les agents vivent indéfiniment. C'est clairement une hypothèse irréaliste, mais qui donne des résultats assez faciles à comprendre. Relaxer cette hypothèse demanderait d'étudier des modèles de type OLG (à générations imbriquées), bien plus compliqués à comprendre et hors de portée de ce cours.

Pour commencer, nous allons nous contenter d'une contrainte simple : au cours du temps qu'il lui reste à vivre, l'agent ne peut dépenser plus que ce qu'il gagne, épargne mise de côté. En clair, sa consommation totale au cours de sa vie est la somme la somme de son épargne initiale et de ses revenus (présents et futurs). Cependant, cette contrainte vaut sur l'ensemble de sa vie. Par exemple, l'agent peut parfaitement consommer moins que ce qu'il gagne : cela lui permet d'épargner une partie de son argent. De même, il peut consommer plus que ce qu'il gagne à un instant t, mais ce sera en puisant dans son épargne ou au prix d'un emprunt à rembourser plus tard. Mais dans tous les cas, l'argent épargné à un instant t sera consommé plus tard, à un instant t+x. Même chose pour un emprunt à l'instant t, qui sera remboursé en tout ou partie à l'instant t+1, t+2, t+3, etc. On pourrait croire que cette contrainte s'écrit comme suit, avec A l'épargne, Y le revenu et C la consommation :

 

Sauf que cette équation a quelques problèmes. Déjà, les valeurs futures de la consommation et du revenu ne sont pas certains, et doivent être anticipées par l'agent économique. Notons quand même que l'agent connaît sa consommation et son revenu présent. L'équation doit se reformuler comme suit :

 

Ensuite, il faut prendre en compte le coût de l'emprunt et les intérêts sur l'épargne. Pour cela, il faut prendre en compte l'évolution de la valeur de l'argent au cours du temps. Souvenez-vous du chapitre sur le canal des prix d'actif : nous avions déjà utilisé un outil permettant de comparer les valeurs futures et actuelles d'une somme d'argent. Il s'agissait des valeurs actualisées, que nous avions appliquées sur des prix de coupons. Pour rappel, la valeur actualisée d'une somme d'argent est pondérée par le taux d'intérêt. Si on note   la valeur actualisée de la valeur  , on a :

 

Dans l'équation précédente, on peut prendre en compte facilement l'écoulement du temps sur la valeur des emprunts et de l'épargne. Il suffit d'utiliser les valeurs actualisées pour la consommation et le revenu. Ce faisant, on prend en compte naturellement l'emprunt et l'épargne dans le processus. Pour simplifier, nous allons supposer que le taux d'intérêt d'actualisation est le même pour les crédits et l'emprunt. De plus, ce taux est égal au taux réel. On doit donc reformuler la contrainte de manière à ce que les sommes pour la consommation et le revenu soient les sommes des valeurs actualisées. On a alors une contrainte de budget qui se formule de la manière suivante. Vous remarquerez que l'épargne initiale n'est pas touchée par l'usage de valeurs actualisées. Si elle est rémunérée par des intérêts, le calcul des valeurs actualisées divise par (1 + r) à chaque période. En conséquence, la rémunération de l'épargne initiale est compensée par l'usage de valeurs actualisées.

 

On peut reformuler l'équation précédente comme suit, afin de pouvoir l'utiliser dans la suite du chapitre. L'équation obtenue définit la contrainte que doit respecter l'agent économique lorsqu'il maximise l'utilité de consommation.

 

Le cas simplifié à deux périodes modifier

À partir des deux équations de la section précédente, à savoir la fonction d'utilité et la contrainte de budget, on peut déterminer une équation appelée équation d'Euler de la consommation. Celle-ci nous permettra de déduire une nouvelle forme de la courbe IS, qui décrira convenablement le canal de substitution intertemporelle. On pourra alors étudier ce qui se passe quand les taux d'intérêt varient, et en quoi ils impactent la consommation et l'épargne, ainsi que l'arbitrage des agents économiques. Dans ce qui va suivre, nous allons nous concentrer sur deux périodes, ce qui suffit largement pour notre analyse et n'en change pas les résultats.

La contrainte de budget modifier

Afin de simplifier l'analyse, nous allons d'abord étudier le cas à deux périodes. Nous allons nous limiter à un cas simple, où l'agent ne dispose pas de patrimoine en première période. Lors de la première période, l'agent consomme une quantité   et épargne le reste de son revenu.

 

Lors de la seconde période, l'agent dépense tout son argent, à savoir son revenu et son épargne.

 

En réarrangeant les termes, on a :

 

En combinant cette équation avec la première, on a :

 

Développons et faisons passer   de l'autre côté :

 

À l'instant t, l'agent ne connait pas sa consommation future lors de la période suivante, pas plus que son revenu futur. Il doit donc les anticiper, ce qui fait que les valeurs indicées avec t+1 sont en réalité les valeurs anticipées par l'agent. L'équation plus haut devient alors :

 
 
Contrainte de budget pour deux périodes.

On peut représenter cette équation sur un graphe, dans lequel l'abscisse est   et l'ordonnée  . Le résultat est illustré ci-contre. On voit que la contrainte de budget forme une droite penchée vers la droite. La pente de cette droite n'est autre que  . Toute augmentation du revenu de l'agent pousse cette droite vers la droite, alors qu'une baisse des revenus la déplace vers la gauche.


Démonstration

Pour démontrer que la droite a une pente de  , reprenons l'équation précédente et posons que le terme de droite est constant. On a alors :

 

Quelques manipulations algébriques donnent alors une relation entre   et   :

 

En posant  , on a alors :

 

Ce qui est une fonction affine, donc une droite de pente  .

L'intersection de la droite de budget et de la courbe d'utilité modifier

Maintenant, passons à l'équation suivante :

 

Cette équation demande de préciser deux paramètres : :   et :  . Il existe de nombreuses paires (  ,  ) qui donnent la même utilité. L'agent ayant la même utilité pour chaque paire possible, il est totalement indifférent quant au choix de la paire. À ses yeux, elles sont toutes équivalentes et peu importe laquelle est choisie. Maintenant, si toutes les paires se valent en termes d'utilité, certaines ne sont pas compatibles avec la droite de budget. Pour comprendre quelle paire l'agent doit choisir, on doit représenter graphiquement ces paires et les confronter à la droite de budget. Pour cela, on va devoir prendre une utilité quelconque, égale à une valeur X choisie arbitrairement, et en déduire toutes les paires qui donnent cette utilité. L'ensemble des paires forme une courbe concave, appelée courbe d’indifférence.

Si on met les deux équations précédentes sur un graphique, on doit obtenir le schéma suivant où la courbe verte donne l'équation de l'utilité, l'autre courbe étant celle de la contrainte de budget. Si on prend un cas quelconque, il y a alors entre 0 et 2 points d'intersection. Il n'y en a aucun si la courbe d'indifférence est trop éloignée de la droite de budget, au point de ne pas la couper. Cela signifie alors qu'il n'y a pas de combinaison possible qui donne cette utilité. L'agent aura beau épargner ou dépenser de manière optimale, il n'a pas assez de revenus pour obtenir cette utilité. Le cas avec deux points d'intersection est un cas où l'agent peut mieux faire. En augmentant l'utilité, on va déplacer la courbe vers la droite et vers le haut, tout en conservant l’existence d'au moins un point d'intersection. Ce nouveau point d’intersection donne une consommation plus élevée, ce qui est le but recherché par l'agent. Le cas idéal est celui avec un seul point d'intersection : le moindre déplacement donne soit une diminution de l'utilité avec apparition de deux possibilités (  ,  ), soit une impossibilité par incompatibilité avec la droite de budget. Pour résumer, le cas avec un point d'intersection unique est celui qui optimise au maximum l'utilité, tout en respectant la contrainte de budget. Reste à trouver les coordonnées de ce point.

 
Équation d'Euler de la consommation : droites de budget et d'utilité.

On vient de voir qu'il n'existe qu'un seul point d'intersection qui maximise l'utilité. En ce point, la courbe d'indifférence et la droite de budget ne font pas que se croiser : elles sont tangentes l'une de l'autre. Dit autrement, la dérivée de l'utilité est égale à la pente de la droite de budget en ce point. Les pentes des deux courbes sont égales par définition à   pour la droite de budget et à   pour la courbe d'indifférence. On a donc :

 

Quelques manipulations algébriques donnent alors :

 

Le terme de droite a pour défaut de ne pas être connu à l'instant  . Ce faisant, les agents doivent en donner une valeur estimée à partir des informations dont ils disposent. C'est cette valeur anticipée qui est utilisée par les agents, et qui prend alors la place du terme de droite. En reformulant, on trouve l'équation d'Euler de la consommation :

 
 
Cas idéal pour l'intersection des droites de budget et d'utilité.

On peut aussi calculer les coordonnées où ces deux pentes s'égalisent avec le raisonnement suivant.


Démonstration

La fonction d'utilité est maximisée quand sa dérivée s'annule, ce qui donne :

 

La dérivée d'une somme est la somme des dérivées, ce qui donne :

 

Appliquons la formule   :

 

Reformulons :

 

On calcule la valeur de   à partir de la contrainte, et on injecte le résultat dans l'équation d'utilité, ce qui donne :

 

Ce qui donne :

 

On peut alors faire le remplacement :  

 

Quelques remaniements nous donnent :

 

Le terme de droite a pour défaut de ne pas être connu à l'instant  . Ce faisant, les agents doivent en donner une valeur estimée à partir des informations dont ils disposent. C'est cette valeur anticipée qui est utilisée par les agents, et qui prend alors la place du terme de droite. En reformulant, on trouve l'équation d'Euler de la consommation :

 

L'impact d'une variation des taux réels modifier

Maintenant que le point d'équilibre est connu, nous allons étudier ce qui se passe quand le taux réel augmente ou baisse. Rappelons que le taux d'intérêt réel est le prix à payer pour inciter un agent à retarder sa consommation. Des taux forts permettent de rémunérer fortement l'épargne et donc de la rendre plus rentable que la consommation immédiate. Une hausse des taux entraînera une hausse des rendements de l'épargne, rendant celle-ci plus attractive (et inversement pour une baisse des taux). Les agents économiques décideront donc de se priver d'une part de consommation immédiate pour l'épargner (et inversement, une baisse des taux entraînera une dés-épargne et de la consommation), préférant la rémunération de l'épargne à une satisfaction immédiate. Dit dans le langage des économistes, le taux d'intérêt est un coût d'opportunité, la rémunération que les agents doivent recevoir pour épargner leur argent. Plus ce prix est élevé, plus l'incitation à l'épargne est importante aux dépens de la consommation. Cet effet de substitution entre monnaie et actifs, explique la forme de la courbe IS : un faible taux stimule la dépense, et donc le PIB, tandis qu'un fort taux incite à épargner, réduisant d'autant le PIB.

Cependant, cet effet de substitution est secondé par un effet de revenu, non pris en compte dans les calculs qui vont suivre. Celui-ci tient à ce que de forts taux impliquent de gros intérêts. Un ménage qui souhaite épargner une certaine somme cible, pour sa retraite par exemple, devra épargner plus avec un taux faible, comparé à ce qu'elle aurait dû épargner avec un taux plus fort. Les revenus d'épargne futurs augmentant avec les taux, le revenu futur augmente, poussant l'épargnant à consommer maintenant au lieu d'épargner. Cet effet de revenu est important dans quelques pays, dont les États-Unis, où les ménages doivent épargner pour leur retraite (du fait de l'absence de protection sociale développée). Dans les pays européens, ces effets semblent plus faibles. Les économistes ont tendance à négliger l'effet de revenu et ne considèrent que l'effet de substitution dans la construction de la courbe IS.

L'influence de ces deux effets varie fortement suivant que le ménage est emprunteur ou épargnant. Trois cas se présentent : le cas d'un emprunteur, celui d'un épargnant et celui d'un agent qui n'épargne ni n'emprunte. Bref, toujours est-il que l'effet de substitution apparaît pour tous les agents économiques, qu'ils soient emprunteurs ou épargnant. Par contre, l'effet de revenu n’apparaît que pour les épargnants, seuls à avoir des sous de côté. On peut s'en rendre compte en étudiant le graphe précédent assez simplement, en regardant la position sur le graphe du point d'intersection. Les variations du taux réels vont naturellement modifier la pente de la droite de budget, dont je rappelle que la pente est de (1 + r). Une hausse des taux va rendre la droite de budget plus pentue, alors qu'une baisse va la rendre moins pentue, plus plate. De plus, la droite va partir de plus haut suite à une hausse des taux et de plus bas en cas de baisse. Pour résumer, la droite de budget subit une rotation horaire/anti-horaire selon la situation. Dans ce qui va suivre, nous allons étudier le cas d'une hausse des taux, le cas d'une baisse s'en déduisant facilement, les raisonnements étant les mêmes. Les emprunteurs sont ceux dont les revenus actuels sont plus faibles que les revenus futurs, ceux pour lesquels le point d'intersection est situé vers la droite. Par contre, les épargnants sont ceux pour lesquels la consommation future est plus grande que l'actuelle, ce qui fait que le point d'intersection est situé plus à gauche. Les deux cas sont illustrés ci-dessous. On voit qu'une hausse du revenu entraîne une baisse de la consommation pour un emprunteur, alors que l'effet est variable pour les épargnants (tout dépend comment tourne la droite de budget).

 
Cas d'un emprunteur.
 
Cas d'un épargnant.

L'équation d'Euler de la consommation : le cas général modifier

L'équation précédente a été dérivée à partir d'un cas particulier. Le cas général est décrit par deux équations un peu plus complexes, qui sont les suivantes :

 
 

En utilisant les techniques mathématiques adaptées (méthode des multiplicateurs de Lagrange ou théorème de Bellman), on peut montrer que l'équation d'Euler vue précédemment vaut aussi pour le cas général.

 

Les microéconomistes considèrent que la préférence pour le présent ne varie pas dans le temps. Il s'agit, dans leurs modèles, d'un paramètre dit structural, dans le sens où il n'est pas modifié par un changement de politique économique. En prenant cela en compte, l'équation d'Euler devient :

 

Sur le long-terme, on sait que le taux réel converge vers sa valeur naturelle et il est donc raisonnable de postuler que ce taux ne change pas au cours du temps. Sur le plus court-terme, on peut supposer que le taux réel est fixé et ne change pas durant une période. Par exemple, si on prend une période d'un an, le taux réel de la plupart des placements type livrets bancaires ne change pas, la rémunération étant annuelle. L'équation d'Euler devient alors :

 

Le lien entre croissance et équation d'Euler modifier

Il est possible de démontrer l'équation d'Euler en temps continu, ce qui demande quelques manipulations mathématiques assez simples, similaires à celles que nous avons réalisées en temps discret. L'équation d'Euler obtenue peut alors se reformuler comme suit :

 , avec   la dérivée de C.

On peut reformuler l'équation de la manière suivante, qui sera utile dans le prochain chapitre :

 

Dans l'équation précédente, le terme   n'est autre que le taux de croissance de la consommation dans le temps. Si on fait l'amalgame entre la consommation et le PIB, on peut dire qu'il représente aussi le taux de croissance du PIB, le taux de croissance de l'économie réelle. En notant   ce taux de croissance, on a alors :

 

On verra quelle est l'interprétation du terme de droite dans le chapitre suivant.

Conclusion modifier

Pour aller plus loin, il nous faudrait connaître la fonction d'utilité elle-même. Pour cela, nous pouvons faire quelques suppositions raisonnables sur ses propriétés. On a dit plus haut que l'utilité croit avec la consommation : plus la consommation est importante, plus l'utilité dérivée de cette consommation le serait aussi. On a aussi dit que l'utilité doit avoir des rendements décroissants : plus la consommation augmente, plus l'utilité augmente lentement. Dit autrement, l'utilité augmente moins vite que la consommation dont elle dérive. Dans ce qui va suivre, nous allons voir ce qui passe pour quelques fonctions d'utilité particulières, choisies assez arbitrairement, pour voir lesquelles permettent d'expliquer certains faits économiques (comme l'épargne de précaution ou la courbe IS).