La Grande Chasse aux sorcières, du Moyen Âge aux Temps modernes/La sorcellerie de second type (XIIIe au XVIe siècle)

Fabrication du mythe de la sorcière diabolique et du Sabbat modifier

On peut situer la fabrication du « portrait-robot » de la sorcière du second type vers 1400. Les sorcières qui pratiquent le maléfice de façon marginale deviennent ainsi des envoyées du Diable.

Le portrait-robot est principalement une accumulation d’éléments : le premier est le portrait de la sorcière de premier type dérivée du jeteur de sort antique, le second est le nécromant qui entretient un rapport avec les esprits, le troisième est typiquement le pactionnaire (signant un pacte avec le Diable), enfin on y ajoute la femme volante (strige) de l'Antiquité. Une fois achevé, le portrait reste assez constant.

Le Sabbat, lui, a du mal à s’imposer comme une réalité. D'abord, l’Église émet de sérieux doutes quant à sa réalisation. Bien que beaucoup en parlent, peu y croient au départ. L’Occident finit par y croire sous l’effet de la peur.

L’image que l’on se fait du sabbat est, comme le portrait-robot de la sorcière, le résultat d’une accumulation. Étonnamment, elle est le fait de la classe instruite. Le sabbat est vu comme le rassemblement de sorcières autour du Diable toujours présent au moins symboliquement, de danses de sorcières nues autour d’un feu, de banquet parfois de chair humaine.

Cette mise en place de l’iconographie est très importante, c’est à ce moment que se met en place la “dramaturgie des procès” d’après Guy Bechtel.

 
Un bûcher en 1513.

Le rôle de l’Église modifier

 
Déesse Frigga chevauchant son balai, d’après une fresque du XIIe siècle de la cathédrale de Schleswig

Contrairement à l’image qu’en ont donnée les historiens du XIXe siècle, le Moyen Âge n’a pas persécuté massivement les sorcières. Cela est en partie dû à la position de l’Église qui a affiché un scepticisme marqué quant à leurs pouvoirs. L'Église a joué un rôle modérateur.

La position de l’Église devient ambiguë avec le Canon Episcopi, qui dit que le vol de nuit, le sabbat et le fait de provoquer des tempêtes ne sont qu’illusions du Diable et que les personnes les subissant ne sont pas totalement innocentes. Il n’exclut donc pas l'existence du Diable et affirme qu’il trouble l’esprit de certaines femmes.

Au XIIIe siècle, le Concile de Latran IV (1215) durcit les positions de l'Église à l’égard de toutes les classes marginales et les hérésies. Les Juifs devront porter un insigne pour éviter qu’ils ne se mélangent aux chrétiens. Des mesures sont prises à l’encontre des prostituées, et les positions sévères à l’égard des homosexuels réaffirmées. Les hérésies sont réprimées avec plus de violence. La confession devient une obligation, le prêtre doit désormais tout savoir de la vie de ses fidèles.

L’Inquisition naissante consacre l’idée du complot diabolique. Toutes les formes d’hérésies sont inspirées par le Diable pour empêcher l’accomplissement du royaume de Dieu. Certains inquisiteurs assimilent hérésies et sorcellerie. La chasse se radicalise. L’Inquisition remplit la fonction de “police itinérante de la foi” (Guy Bechtel, « La Sorcière et l’Occident ») qui s’appuie sur les autorités civiles pour faire appliquer les peines décidées. L’Inquisition ne torture, ni ne tue sans discernement et souvent les peines sont légères allant de jours de jeûnes à des peines financières. L’Inquisition fit sans peine la différence entre le maléfice et la sorcellerie satanique, laissant la première aux tribunaux civils, se réservant la seconde.

De la montée de l’angoisse vers une déclaration de guerre au Diable modifier

La guerre et les épidémies couplées aux conditions météorologiques défavorables assombrissent sensiblement le quotidien de la population des XIVe et XVe siècles. La pression turque à l’Est (prise de Constantinople, 1453) fait peur. De graves épidémies se déclarent comme le typhus ou la syphilis. On craint les « semeurs de peste ». Ce climat fait réapparaître l’angoisse que les prêches de certains prédicateurs et la parution de certains livres avivent encore. Le Diable est tenu pour responsable ; on lui déclare la guerre. La superstition et la méfiance montent d’un cran dans toutes les couches de la population. Les persécutions s’aggravent, à l’égard des Juifs notamment.

Cette guerre contre le démon est déclenchée vers 1480 par le climat d’angoisse, mais aussi par des livres et des prêches de prédicateurs qui affirment l’existence d’une contre-Église dirigée par le Diable qu’il faut combattre. L’Église perd complètement la modération qui caractérisait le Canon Episcopi.

Le début des procès de second type modifier

 
Page de garde du “Malleus Maleficarum” de Sprengler et Institor (1487)

Les procès de sorcellerie de premier type se transforment progressivement en procès du second au fur et à mesure que l’idée du complot diabolique trouve un écho dans les aveux arrachés aux prévenus. D’abord, le portrait-robot n’est diffusé que dans le bassin lémanique, puis il remonte la vallée du Rhin. Les premiers procès de sorcellerie du second type apparaissent. On trouve des suspects qui correspondent au portrait-robot, on les fait avouer et ils sont exécutés. La Chasse s’accélère lorsque le portrait-robot est diffusé largement et lorsque la papauté laisse aux inquisiteurs le loisir d’agir librement.

Cette diffusion se fait par l’intermédiaire de deux livres, le “Formicarus” d’Hans Nider et le “Malleus Maleficarum” de Sprengler et Institor (1487). Si d’autres livres sont théoriques, le « Formicarus » donne aux juges le sentiment de l’urgence, car il consacre le modèle de sorcellerie diabolique. Le « Malleus » aussi appelé « Marteau des Sorcières » finit de rapprocher la sorcellerie au Diable et ajoute un guide de procédure destiné aux enquêteurs. En outre, les auteurs du « Malleus » obtiennent en 1484 du pape Innocent VIII une bulle donnant une impression d’urgence et de danger.