Électronique/Les amplificateurs opérationnels

Dans le chapitre précédent, nous avons vu les amplificateurs, au sens général du terme. Dans ce chapitre, nous allons voir une classe particulière d'amplificateurs : les amplificateurs opérationnels (AOP). Ils sont très utilisés de nos jours, et l'étaient encore plus du temps des calculateurs analogiques, avant l’invention de l'informatique. De nos jours, ils sont à la base de presque tous les circuits analogiques, que ce soit les régulateurs de tension, les oscillateurs électriques, les générateurs de fréquence, les servomoteurs (des circuits qui commandent un moteur) et bien d'autres. Ils sont formés de transistors, de résistances, ou d'autres composants du genre, mais on ne se préoccupera pas de ce qu'il y a à l'intérieur pour le moment.

Un AOP a plusieurs broches : des broches d'alimentation symétriques par rapport à la masse sur lesquelles placer VCC et son inverse (-VCC), une sortie (ce qui est normal) et deux entrées (ce qui est moins intuitif). Il existe deux symboles pour représenter les AOPs : un dit américain et un autre dit européen. Les deux notations sont données dans le schéma ci-dessous.

Symboles d'un amplificateur opérationnel.

L'AOP réel modifier

La présence de deux entrées s'explique par le fait qu'un AOP est ce que l'on appelle un amplificateur différentiel : il amplifie la différence entre deux tensions. Il prend les deux tensions d'entrée, soustrait la seconde à la première, et amplifie le résultat. Le coefficient d'amplification est appelé le gain différentiel de l'AOP, ou encore le gain en boucle ouverte. Si les deux tensions sont égales, l'AOP fournit une tension nulle, propriété appelée rejet du mode commun. Les tensions sur les deux broches d'entrée sont notées   et  , alors que la tension de sortie est notée  . Pour un AOP, on a :

 , avec   le gain différentiel de l'amplificateur.
 
Broches d'un amplificateur opérationnel.
 
Fonctionnement simplifié d'un amplificateur opérationnel.

La relation entre entrées et sortie modifier

Un AOP présente quelques propriétés qui sont des défauts pour l'électronicien. Pour comprendre ces défauts, nous allons voir en premier lieu les défauts qui apparaissent en courant continu. Nous allons repartir de l'équation vue plus haut, qui décrit le fonctionnement idéal d'un AOP et l’améliorer pour rendre compte de ces défauts :

 , avec   le gain différentiel de l'amplificateur.
 
Illustration de la tension d'offset.

Un premier défaut est que, pour  , la tension de sortie est non-nulle. La tension de sortie obtenue sous ses conditions, à savoir quand les deux entrées sont mises à la masse, est appelée la tension d'offset. Elle peut être positive ou négative : tout dépend de l'AOP utilisé. En temps normal, elle vaut entre 1 mV et 5 mV, guère plus. Elle a pour origine la structure interne de l'AOP, qui est composé de transistors et de composants passifs, qui sont loin d'être parfaits. Notons que la tension d'offset peut varier selon la température, ce qui fait qu'elle est souvent difficile à corriger via un circuit quelconque.

 , avec   la tension d'offset.

Ensuite, il faut ajouter l'influence de la tension en mode commun (la moyenne arithmétique des deux tensions d'entrée). Celle-ci est aussi amplifiée et se retrouve dans la tension de sortie. Le coefficient d'amplification lié à la tension en mode commun est appelée le gain en mode commun.

 , avec   le gain en mode commun.

Si on note la tension différentielle   et la tension en mode commun  , on a une version plus simple de l'équation qui est :

 

Mesure des gains différentiels et en mode commun
Mesure du gain en mode commun
Si on place la même tension   sur les deux entrées   et  , on a :
 

En prenant une tension   de 1 Volt, la tension de sortie est égale au gain en mode commun.

 
Mesure du gain différentiel
Si on place une tension   sur une borne et son opposée   sur l'autre, on a alors :
 

En utilisant une tension   de 0,5 Volts, la sortie est égale au gain en mode différentiel.

 

On peut reformuler l'équation   en utilisant une grandeur appelée le taux de rejet en mode commun, qui est égal à :

 

On a alors :

 

Les impédances et courants d'entrée/sortie modifier

 
Circuit équivalent de l'entrée d'un AOP réel, qui illustre la tension d'offset et les courants d'entrée. Les courants d'entrée sont représentés par des générateurs de courants et la tension d'offset par le générateur de tension.

Les entrées d'un AOP réel sont traversées par un courant, même quand on n'y place aucune tension dessus. Si on place les deux entrées à la masse, on observera un courant d'entrée sur l'entrée   et un autre sur l'entrée  , qui seront notés   et  . Les électroniciens utilisent la moyenne de ces deux courants,  , auxquels ils donnent le nom de courant de polarisation. Ils utilisent aussi la différence entre ces deux courants,  , qui porte le nom de courant d'offset.

 
Illustration du circuit équivalent de l'entrée d'un AOP réel. Les courants d'entrée sont représentés par des générateurs de courants et la tension d'offset par le générateur de tension.

Enfin, précisons que l'AOP réel dispose d'une impédance de sortie non-nulle, ainsi que de plusieurs impédances d'entrée (une par entrée et une pour la liaison entre les deux). Le schéma ci-dessous montre quelles sont ces impédances et comment elles sont reliées aux différentes entrées. On voit qu'il existe une impédance pour chaque entrée, qui relie celle-ci à la masse. On trouve aussi une impédance d'entrée située entre les deux entrées, qui porte le nom d'impédance d'entrée différentielle. Chaque impédance d'entrée est constituée d'une résistance en parallèle avec un condensateur, ce qui a des implications sur le fonctionnement de l'AOP à haute fréquence. Mais laissons cela pour plus tard.

 
Impédances d'entrée et de sortie d'un AOP réel. Le symbole d'AOP à droite des résistances représente un AOP parfait, sans impédances d'entrée ni de sortie. La résistance Rs correspond à l'impédance de sortie de l'AOP réel. Les trois résistances en série donnent les impédances d'entrée de l'AOP réel.

La bande passante d'un AOP modifier

En courant alternatif, d'autres défauts font leur apparition. Le premier d'entre eux est que le gain différentiel varie avec la fréquence. Plus précisément, le gain différentiel diminue quand la fréquence augmente, les exceptions étant très rares. On peut mettre cela en équation assez simplement, avec la formule suivante (que nous étudierons plus en détail dans le chapitre sur les filtres électroniques) qui exprime la gain en nombre complexe :

 , avec   le gain en courant continu (f = 0), f la fréquence du signal d'entrée, et   une fréquence particulière appelée fréquence de coupure.
 
Réponse en fréquence d'un AOP.

Qui plus est, le gain et la fréquence de coupure sont reliés entre eux : plus le gain est grand, plus la fréquence de coupure sera basse. Pour le dire autrement, la bande passante d'un AOP varie selon le gain configuré.

 
Lien entre gain et fréquence de coupure d'un AOP de type passe-bas.
 
Relation gain et bande passante d'un AOP (cas général).

La vitesse de balayage modifier

 
Réponse d'un AOP à un front de tension.

Un autre défaut se manifeste pour des signaux de fréquence élevée : l'amplificateur n'arrive pas à suivre le signal d'entrée, qui va trop vite pour lui. La raison est que la tension de sortie ne peut pas augmenter soudainement et met un certain temps avant d'atteindre la valeur voulue. Si on place un front de tension (la tension passe immédiatement de 0 à 5 Volts, par exemple), la tension de sortie va monter progressivement et former une sorte de rampe, comme illustré ci-contre. Pour résumer, les variations de la tension de sortie ne sont pas instantanées. La vitesse à laquelle la tension de sortie évolue est appelée la vitesse de balayage (slew rate en anglais). Elle est définie par :

 

Si la tension d'entrée évolue plus vite que la vitesse de balayage (en clair, si  ), le signal de sortie est alors déformé. Pour un signal sinusoïdal, cela arrive au-delà d'une certaine fréquence. Pour la calculer, prenons ce signal :

 

On a alors la dérivée suivante :

 

La vitesse maximale du signal est donc de  . Si la vitesse de balayage est inférieure à cette valeur maximale, le signal sera déformé. Alors qu'il ne subira pas de distorsion liée à la vitesse de balayage dans le cas contraire. On sait donc que la fréquence maximale est celle pour laquelle :

 , avec   la vitesse de balayage.

Ce qui donne :

 

L'AOP idéal (parfait) modifier

L'AOP réel est un circuit très complexe, dont les propriétés ne sont pas forcément importantes quand on étudie des circuits électroniques. Pour se simplifier la vie, les électroniciens utilisent un modèle simplifié d'AOP appelé AOP parfait, ou encore AOP idéal. Un tel AOP respecte plusieurs conditions irréalistes, mais qui permettent de simplifier l'étude de nombreux circuits électroniques. Celui-ci diffère de l'AOP réel sur de nombreux points. Bon nombre des propriétés de l'AOP réel sont négligées dans l'AOP idéal, ce qui simplifie les calculs et l'analyse. Dans cette section, nous allons voir en quoi l'AOP parfait diffère de l'AOP réel.

 
Circuit équivalent d'un AOP réel et caractéristiques fréquentielles de celui-ci.

Pour rappel, les propriétés principales de l'AOP réel sont résumées dans le schéma de droite. Elles regroupent :

  • Des impédances d'entrée assez fortes.
  • Une impédance de sortie faible, mais non-nulle.
  • Des courants de sortie et d'entrée liés aux impédances précitées.
  • Une tension d'offset (non-représentée sur le schéma ci-contre).
  • Un gain en mode commun faible, mais non-nul.
  • Un gain différentiel assez important, qui diminue avec la fréquence.
  • Une vitesse de balayage finie (non-représentée sur le schéma ci-contre).

Les simplifications de l'AOP parfait modifier

Une première simplification est de négliger les impédances d'entrée et de sortie. Sur un AOP réel, les impédances d'entrée sont très grandes, alors que l'impédance de sortie est très faible. Pour donner quelques chiffres, l'impédance d'entrée d'un AOP réel est comprise entre   et   Ohms, ce qui est énorme. Dans ces conditions, on peut considérer que l'impédance est infinie. En clair, les entrées se comportent comme des morceaux de fils non-reliés au reste du circuit interne de l'AOP : il n'y a pas de courants d'entrée. On peut aussi négliger l'impédance de sortie, qui est très faible. Pour un AOP réel, elle est comprise entre 10 et 500 Ohms, rarement plus. Autant ne pas en tenir compte dans les calculs et la supposer nulle. À noter que cette simplification vaut tant que l'on relie l'AOP à des résistances de l'ordre du millier d'Ohm ou plus.

 
Schéma équivalent d'un AOP idéal.

Une autre simplification est de négliger le gain en mode commun et la tension d'offset. La tension de sortie d'un tel AOP est toujours égale à  , sans que le courant de sortie ait une quelconque importance. Un AOP est donc une source de tension parfaite, sans impédances parasites. Il est aussi d'usage de supposer que le gain d'un AOP parfait est très grand, suffisamment grand pour être infini. Cela veut dire que la tension de sortie sature entre la tension d'alimentation et son opposé. La caractéristique  /  d'un AOP parfait est illustrée ci-dessous.

 
Relation entre tension d'entrée et de sortie d'un AOP parfait, idéal.

Enfin, le gain différentiel est supposé identique pour toutes les fréquences, ce qui fait qu'il a une bande passante infinie.

Résumé modifier

Les propriétés d'un AOP réel et d'un AOP idéal sont comparées ci-dessous. Toutes ces simplifications permettent de simplifier l'étude des circuits qui vont suivre.

Propriété AOP idéal AOP réel
Impédance d'entrée Infinie Finie
Impédance de sortie Nulle Non-nulle
Vitesse de balayage (slew rate) Infinie Finie, non-négligeable
Bande passante Infinie Finie
Gain différentiel Infini (ou du moins très grand) Fini, non-négligeable
Gain en mode commun Nul Non-nul
Tension d'offset Nulle Non-nulle