Philosophie/Une brève introduction/Critiques de la philosophie
La philosophie a été critiquée dès sa naissance. Certaines critiques sont extérieures au discours philosophique (par exemple, les critiques du sens commun), d'autres lui sont internes (critiques des philosophes entre eux). Mais toute critique peut faire l'objet d'un examen philosophique ; on ne peut d'ailleurs concevoir de philosophie sans critique. C'est ce que nous allons maintenant développer.
Critiques du sens commun et inutilité pratique de la philosophie
modifierLa critique du sens commun est peut-être la critique de la philosophie la plus ancienne. En voici un exemple :
On rapporte sur Thalès une anecdote célèbre, reprise par Platon, dans le Théétète : « le philosophe qui tombe dans le puits ouvert sous ses pas parce qu'il est occupé à regarder les choses du ciel. » Platon raconte qu'une domestique se serait moquée de lui en disant : « Comment comptez-vous comprendre ce qui se passe dans le ciel si vous ne voyez même pas ce qui est à vos pieds ? ». Ainsi, comme nous l'explique Platon, le philosophe, occupé de choses qui dépassent le sens commun, peut se montrer un être maladroit, qui ignore la valeur des comportements de ses semblables : il ne les comprend pas, et ces derniers voient en lui un personnage risible.
Pourtant, il savait aussi tirer profit de ses observations. Aristote raconte que Thalès, prévoyant une abondante récolte d'olives, aurait monopolisé les pressoirs pour mieux monnayer ses services ; il voulait ainsi montrer que le sage est capable de faire fortune mais n'attache pas d'importance privilégiée à celle-ci.
Que faut-il en conclure ? Peut-on en conclure quelque chose ? Sans doute peut-on dire
- que l'activité philosophique nous libère de certains conditionnements sociaux et culturels (ce qui n'est pas sans conséquences sociales, et cela à tous les niveaux considérés)
- qu'elle fait tout d'abord perdre l'équilibre à celui qui commence de la pratiquer. Il n'a plus l'appuie de ses opinions et la perte de ses croyances provoque une violente douleur : Les discours de la philosophie blessent plus sauvagement que la vipère. (Alcibiade dans le dialogue du Banquet de Platon).
Dogmatisme et vanité de la philosophie
modifierCes critiques soulignent en particulier l'inutilité de la philosophie, et son idéalisme (elle semble ignorer la réalité) :
- ce serait donc une discipline morte. Dire cela, c'est remettre en cause tout ceux qui s'intéressent de près ou de loin à la philosophie, et principalement ceux qui l'enseignent et veulent nous faire croire que la philosophie est toujours actuelle.
- une critique plus scientiste : la philosophie est maintenant inutile. La philosophie n'aurait été qu'une façon de considérer le monde rationnellement, mais sans les moyens techniques et expérimentaux de la science moderne... Elle ne fut donc qu'un palliatif, et n'a plus aujourd'hui qu'un intérêt historique et sociologique (par exemple, étude du rôle du philosophe dans la société). Cette critique veut ainsi montrer que la philosophie aujourd'hui ne peut se comprendre elle-même, et que c'est le rôle de la science de nous le dire.
- la science répondrait d'une manière beaucoup plus concrète à certaines de ses questions ; par exemple, la définition du substrat du monde, la matière, est en perpétuelle évolution en chimie et physique fondamentale. Le gout, traité par Kant, l'est en fait aussi par la sociologie (cf. Bourdieu, La distinction). Ces critiques oublient que beaucoup de philosophes ont une formation scientifique, et que nombre de problèmes scientifiques engendrent des questions philosophiques.
- de même, les philosophes se désintéresseraient de la science. Cette critique est apparemment justifiée en France, mais il y existe, malgré quelques exemples malheureusement trop médiatisés, une longue tradition de penseurs passionnés de science (Renan, Poincaré, Valéry) ; de nombreux philosophes ont ainsi une culture scientifique adaptée aux connaissances de leur époque.
- la philosophie serait une idéologie liée à une époque, à une situation sociale. Dans ce cas peut-il vraiment y avoir une histoire ou une définition de la philosophie ? Car, si les idées philosophiques sont socialement déterminées (toujours en partie par la société en partie par celui qui les porte), commnent établir un lien entre le philosophe grec Parménide et le classique Leibniz, entre le latin Marc Aurèle et le moderne Hegel ?
Une partie de ces critiques portent sur une confusion entre acquisition de la démarche philosophique et connaissance de l'histoire de la philosophie. Ces sujets ont beau être partiellement liés (autant par exemple que les sciences et l'épistémologie), ils n'en sont pas moins distincts. On peut connaître par cœur vies et doctrines des philosophes sans devenir pour autant philosophe soi-même, de même que Robinson dans son île, sans lectures philosophiques possibles, est à même de développer une philosophie. Pourtant, il sortirait plus facilement de ses préjugés s'il se confrontait à ses devanciers, et il irait ainsi plus loin dans sa propre pensée. Il y a là autant de différence qu'entre savoir lire l'heure et savoir réparer une montre.
Il ne faut pas oublier non plus que toute discipline scientifique (physique, chimie, astronomie, biologie) a commencé par une interrogation dans le cadre de la philosophie, qui constitue à cet égard le couvain des autres sciences. Son produit le plus récent est constitué par les sciences cognitives.
Certaines de ces critiques sont extérieures à la philosophie et sont l'expression d'un esprit peu ouvert (le sens commun) se reposant dans le préjugé et voyant d'un mauvais œil le doute du philosophe. Mais d'autres concernent la philosophie de l'intérieur, et posent la question bien connue des philosophes de la légitimité de leur activité.