Orthograve/Repères linguistique
L’étayage linguistique minimal nécessaire en complément des quelques règles et démarches simples, pour faciliter la vie de tous ceux qui ont du mal avec l’orthographe. |
NOTIONS FONDAMENTALES
modifier- GRAPHIE
- Manière d’écrire les sons ou les mots d’une langue, sans référence à une norme (ainsi, cognoistre, connoistre, conoistre, connoître, mais aussi, connètre, conètre, conaitre, etc. sont des graphies du mot connaître que l’on trouve effectivement dans les textes).
- ORTHOGRAPHE
- Manière d’écrire les sons ou les mots d’une langue, en conformité d’une part avec le système de transcription graphique adopté à une époque donnée, d’autre part suivant certains rapports établis avec les autres sous-systèmes de la langue (morphologie, syntaxe, lexique). Plus ces rapports secondaires sont complexes, plus le rôle de l’orthographe grandit, car un tissu d’antagonismes se crée entre les relations phonie-graphie et les autres considérations entrant en ligne de compte. L’orthographe est un choix entre ces diverses considérations, plus ou moins réglé par des lois ou des conventions diverses.
- PHONÈME
- La plus petite unité distinctive de la chaîne orale. Ensemble de sons reconnu par l’auditeur d’une même langue comme différent d’autres ensembles associés à d’autres phonèmes. Deuxième articulation pour André Martinet. Ex. : dans roc, r, o, c . Que le [R] soit prononcé par un Parisien, un Alsacien ou un Bourguignon, il est reconnu par tous les locuteurs du français comme phonème unique, différent de s dans soc ou de t dans toc.
- ARCHIPHONÈME
- Représentant de l’ensemble des traits phoniques pertinents communs à deux ou plusieurs phonèmes qui sont par rapport aux autres dans un rapport exclusif. Ex. : maison, [ é ] ou [ è ], noté [E].
- MONÈME ou MORPHÈME
- La plus petite unité significative de la chaîne orale. Ex : pour, chasse er, dans pourchasser, première articulation pour André Martinet.
- GRAPHÈME
- La plus petite unité distinctive et/ou significative de la chaîne écrite, composée d’une lettre, d’un groupe de lettre (digramme, trigramme), d’une lettre accentuée ou pourvue d’un signe auxiliaire, ayant une référence phonique et/ou sémique dans la chaîne parlée. Ex. : p, ou, r, ch, a, ss, e, r, dans pourchasser.
- Les critères de reconnaissance des graphèmes (par rapport aux " sous-graphèmes ", et aux lettres " hors-système ", qui ne répondent pas à ces critères) sont :
- leur fréquence
- leur degré de cohésion et d’autonomie
- leur degré de rapport direct avec les phonèmes
- leur degré de rentabilité et de créativité linguistiques.
- On peut classer les graphèmes en trois catégories :
- Les phonogrammes, graphèmes chargés de transcrire les phonèmes. Les phonogrammes comprennent les archigraphèmes et leurs variantes positionnelles ; leur usage est réglé par les lois de position Les morphogrammes, notations de morphèmes, surtout situés, pour les renforcer, aux jointures des mots, maintenus graphiquement identiques qu’ils soient prononcés ou non (dans les liaisons en particulier). Ex.: marques de féminin/masculin, singulier/pluriel, suffixes, préfixes, radicaux/dérivés, etc.
- Les logogrammes, notations de lexèmes ou " figures de mots ", dans lesquels, à la limite, la " graphie " ne fait qu’un avec le mot, dont on ne peut la dissocier. La principale fonction des logogrammes est la distinction des homophones; ce sont des homophones-hétérographes (ex. sept, lys, thym, pouls, poids, coing, etc.).
- Lettres lagogrammiques : Lettres distinctives, participant à la physionomie caractéristique du mot. Ex. : air, hère, ère, erre, haire, etc.
- ARCHIGRAPHÈME
- Graphème fondamental, représentant d’un ensemble de graphèmes, qui sont par rapport aux autres ensembles dans un rapport exclusif, correspondant au même phonème ou au même archiphonème. Ex. : 0 pour o, ô, au, eau, etc. Cet ensemble peut ne contenir qu’un élément (ex. GN représentant gn). S’ajoutent en français trois " idiotismes graphiques " : X, OI, OIN, correspondant chacun à deux phonèmes, L’archigraphème est noté par la majuscule (O).
- — Nina Catach, L’orthographe française — Nathan 1980
phon’ aime ! graf- haine ?
modifierQuelques mots " savants " indispensables ; au moins trois : phonème , graphème , phonogramme .
Les phonèmes sont en quelque sorte les atomes de la langue parlée ( le nom le dit : phon ---phonique, téléphone).
Les graphèmes, comme leur nom l’indique aussi, sont les atomes de la langue quand elle est écrite. On les fabrique, dans les écritures " alphabétiques " , avec les lettres de l’alphabet.
Les phonogrammes sont un sous-ensemble des graphèmes, ceux qui représentent les phonèmes (ex. a, i, ou, u, ...). Leur vue évoque immédiatement un " son ".
Car il y a des graphèmes qui sont " muets " et produisent pourtant du sens. - Par ex. le e du féminin dans jolie - Le nt de la 3e p. du pl. dans ils chantent - Le t de cout qui suffit à distinguer ce mot de coup et cou ; pour faire ce travail, il profite d’appartenir à la famille " couter ", dont il a gardé le t comme " air de famille ", un t qui ne s’entend pas mais permet ici de distinguer des homonymes.
… Nous profitons, nous, de cet exemple bien choisi pour embrayer tout de suite sur la réforme de l’orthographe de 1990. Dans cette réforme " modérée ", l’accent circonflexe sur i et u n’est essentiellement maintenu que quand il y a risque d’ambiguïté, ce qui n’est pas le cas ici (t suffit). À priori, l’orthographe doit essayer d’être fonctionnelle et aussi simple que possible. C’est du moins une opinion respectable qui peut circuler sur internet.
Mais autant le dire tout de suite, même fondée sur ce principe, il n’y a pas de miracle à espérer. Nous avons pris des exemples commodes pour séparer les ensembles de graphèmes : la réalité et les théorisations savantes qu’on en fait sont bien plus compliquées.
Le Petit Robert dit du phonogramme : « Signe graphique représentant un son (opposé à idéogramme) ». Mais de l’idéogramme : « Signe graphique minimal qui, dans certaines formes d’écriture, constitue un morphème, un mot ou une notion (opposé à phonogramme). ➣ logogramme. L’écriture à idéogrammes du chinois (➣ hiragana, kanji, katakana). » … Et tout se complique, car l’écriture du français n’est pas du chinois. Si idéogrammes il y a, les nôtres s’écrivent aussi avec des lettres.
Ce n’est pas du chinois, mais ça peut être pire : Si le " polysystème " de phonogrammes et d’idéogrammes alphabétiques enchevêtrés devient vraiment trop compliqué. Si les lettres ne savent plus sur quel pied danser.
On n’évitera pas de devoir parler de tout ça. Pour comprendre. Pour ne pas mourir idiot en orthographe. Pour se débrouiller au mieux avec le système tel qu’il est.
Et pour répondre aux objections raisonnables sur la démarche qui est ici proposée :
Si cette démarche est acceptée, il faut se préoccuper d’abord des phonèmes (disons des sons, en première approximation). Ils sont représentés dans les dictionnaires (et même depuis peu dans des publicités, preuve que le besoin s’en fait sentir dans l’ambiance de mondialisation) entre crochets. Nous le ferons aussi, mais en utilisant des " phonogrammes " du français au lieu des signes de l’alphabet phonétique international (API). Ce n’est pas innocemment et pour ne pas effaroucher.
Par exemple, le Petit Robert explique comment on doit prononcer un nouveau mot pratiqué par les francophones : « CROONER [ k R u n œ R ] n.m. — 1946 • mot anglais américain, de to croon, «fredonner» ▪ ANGLIC. Chanteur de charme. »
Nous écrirons, nous, banalement et tout aussi " phonétiquement " : [c r ou n eu r ]. Chacun comprend où nous voulons en venir. Nous aussi nous résistons aux anglicismes. Mais dans l’esprit républicain français : avec droit du sol, mais refus de l’ethnicisation. Les mots immigrés, nous les adoptons joyeusement ; mais " citoyens en France ", nous ne voulons pas vivre dans l’orthographe américaine.
L’histoire du verbe
modifiermanger infinitif |
le "nom du verbe", le verbe avant qu’il entre dans la vie |
Je mange . Le lapin mange . Les lapins mangent . |
… Il y entre. Il est " actualisé" ; et conjugué. |
Le lapin mangera . Le lapin mangeait . Le lapin a mangé . |
il est conjugué selon des temps différents, … mais pas seulement. " a mangé " indique aussi que c’est désormais une affaire réglée, "accomplie" |
Par conséquent
Qu’est-ce qu’on entend ?
modifierrai e rai Qu’est-ce qu’on entend ?
Il existe un excellent manuel expliquant l’orthographe, c’est le « code orthographique et grammatical » de Thimonnier (Marabout, savoir pratique). Les théories linguistiques de l’auteur sont assez contestées par les linguistes, mais c’est une compilation organisée pas pire qu’une autre et particulièrement scrupuleuse.
Voici ce qu’il rapporte sur cette affaire (p.218) :
- « Le futur simple et le conditionnel présent étaient autrefois des temps composés. Je chanterai, tu chanteras … représentent en réalité l’infinitif chanter et les terminaisons de l’auxiliaire avoir à l’indicatif présent , Je chanterai signifiait primitivement j’ai à chanter ".»
Thimonnier, qui fut un temps le grand prophète de l’orthographe, révèle ces faits historiques à ses fidèles, car ils font partie pour lui de la beauté du monument qu’il révère. Il s’ensuit des règles non moins scrupuleuses, et pointilleuses, à mémoriser. Cette démarche a de la grandeur. L’ennui, pour un instituteur de la vieille République, c’est que dans les manuels pour débutants, soi-disant plus simples, il n’y a que le trou des Halles à adorer : infinitif + avoir … " Je chanter…ai ", c’est ça qui transporte de joie les enfants au moment où c’est le moment de l’apprendre ! " Qu’est-ce que le verbe avoir peut bien faire là ? " se demande tout enfant normalement constitué.
La question était laissée en sommeil ; généralement, elle ne se réveillait plus. Mais l’écrit avait été appris par l’écrit. Cette idéologie était enseignée par les méthodes actives. Qui a dit que les réactionnaires les récusaient ?
Aujourd’hui la tendance n’est plus, semble-t-il, à enseigner l’étymologie aux petits enfants par prétérition. Il en résulte, à la place laissée vide, le triomphe des listes semblables aux tables de multiplication. On pourrait espérer une réaction de saine colère de la part des traditionalistes, car l’apprentissage des conjugaisons exige désormais, pour utiliser sa mémoire, de tout faire défiler à chaque fois exactement dans l’ordre des bits. Plus de pensée du tout. Mais c’est ça " l’avantage comparatif " dans la lutte des … couches sociale : du bon train-train méthodique et quasi ludique pour petites mécaniques, quand elles sont bien huilées par les suppléments d’âme de la consommation ! Elles vous feront des citoyens corrects, performants sur le net, intellectuellement malhonnêtes ; " rapides ", comme disait Madelin, " agile ", comme dit aujourd'hui le libéral moderne.
Quand on n’a que son âme et un disque dur poussif pour survivre dans ce darwinisme soft, " que faire ? " Contrairement aux idées reçues (de ces méthodes), la meilleure chance des illettrés, c’est l’intelligence.
Or ici, terminaisons orales il y a, sensibles à tous, d’une régularité sans le moindre accroc. Ce bon Bled d’ailleurs n’avait pas été sans le remarquer. Il glissait le précieux conseil dans le tuyau de l’oreille :
- « Au futur simple, tous les verbes prennent les mêmes terminaisons : ai, as, a, ons, ez, ont, toujours précédées de la lettre r.» — Bled, cours d’orthographe, CM, 6e, 5e
Si " Toujours r " alors " rai ras ra ". Il est donc possible d’apprendre l’orthographe du futur et du conditionnel à partir de ce qu’on entend. Certes, on n’évite pas la recherche de l’infinitif (pour rajouter un e systématique aux verbes er) ; ni d’accorder un peu d’attention au verbe cueillir qui, là aussi, change de camp (et tout seul cette fois.) On ne supprime pas les difficultés, on se glisse dedans d’une autre façon. Il faut passer par l’infinitif, mais comme on passe au péage. C’est une concession au Moloch ; elle n’oblige pas au sacrifice total.
Elle n’interdit pas non plus de méditer à tout âge sur la synchronie et la diachronie. (C’est à dire : comment ça fonctionne maintenant ? - synchronie ; de quelle longue histoire est issue le fonctionnement actuel ? - diachronie). Ces terminaisons, on les entend dans tous les avatars les plus " irréguliers " de ce futur inventé au Moyen Âge, que nos ancêtres ont fait à leur main, patiné sous leur main ; mais sans jamais léser le fil tranchant de l’efficacité fonctionnelle. N’est-ce pas merveilleux !
Les opportunités d’apprendre et de comprendre restent ouvertes ; d’autant plus intéressantes que nous n’avons pas à nous vexer de l’inventivité de nos ancêtres. Nous sommes en train d’inventer un futur nous aussi. Il est même déjà employé une fois sur trois dans la population française. (Peytard et Genouvrier, Linguistique et enseignement du français, Larousse 1970 p. 27). … Et absent de tous les manuels en vogue ! C’est également sur l’infinitif qu’il est formé, comme c’est curieux ! Cette fois avec l’auxiliaire " aller " : je vais chanter. Cette analogie de construction ne peut être sans raison.
Moralité : ce n’est pas parce qu’on essaie de se simplifier la vie qu’on devient paresseux.
kitecat et telecom
modifierkitecat et Telecom quittent le bateau
D’abord et évidemment, si on n’entend ni é ni è, on ne se préoccupe d’accentuer d’aucune façon, ni avec un accent, ni d’une autre façon. On est dans le royaume du e, du eu, voire du o de pomme et homme.
Mais s’il y a du [é] et du [è] dans l’air, c’est à dire, pour beaucoup de citoyens en France, du /E/ [1] à sons variables, mais confondus du point de vue phonologique, il faut se battre,
et sur plusieurs fronts :
- Sur le front de sa propre orthographe.
La " règle de syllabation comme à l’école " (alias, " syllabe écrite ") n’évite aucune douleur orthographique pour le choix d’un phonogramme de /E/. En plus de e, accentué comme ci ou comme ça, on a droit à ai, prononcé comme ça ou comme ci
La réponse " moderne " à ces douleurs, c’est le correcteur. Il raffole de l’orthographe d’usage; mais pas trop loin du tas de lettres qu’on lui donne à digérer. Il pourra sans doute digérer bientôt les anglicismes, quand on l’aura doté d’un module phonétique. Pour l’instant, surtout n’écrivez pas " lideur " ("Mais quel est leur lideur ?")! [2]
- Pour l’avenir du français dans le monde.
Préparez les mouchoirs pour les ambiguïtés : ex designer et désigner. Ainsi, à peine la réforme de 90 obtient-elle le droit d’accentuer correctement quelques vieilleries, la marée noire réenvahit les plages démazoutées. À notre avis, avec l’accord tacite des pratiquants malheureux de l’archigraphème /E/. Ils sont en train de régler d’autre façon le problème de l’accent plat. Ils sont en train d’adopter l’accent zéro. Trémolo ou trèmolo (comme très mollo) ? Autant revenir à tremolo. On a entendu, et surtout vu, la pub de la pâtée pour chat (" kitecat, avec un e comme équilibre ") : il parait que France telecom trouvait aussi les accents inesthétiques. De quel inconscient surgit ce sentiment du beau et ... de l’équilibre ? Hypothèse : il n’y a pas d’accent en anglais, C’est donc également dans un but patriotique que nous défendons la règle labellisée de Thimonnier couronné par l’Académie française. Elle ne nous régale pas spécialement, mais grâce à elle on peut encore agir, et simplifier tout ce qu’on peut selon des règles d’écriture expérimentées il y a quatre siècles (observez donc les textes cités de Vaugelas). Par exemple, les tristement célèbres verbes en eler eter ont été régularisés par la réforme de 90. Avec des accents justement. ( Sauf jeter et appeler : il faut bien laisser quelques gâteries à ceux qui sont accoutumés.)
Tant il est vrai qu’il vaut mieux ramer dans un Ordre difficile, que dans un merdier.
- ↑ Le clavier ne prévoit pas l’accent plat (horizontal). Mais les linguistes qui étudient ces questions ont justement adopté le signe /E/ pour représenter ce qui est à la fois é ou è, confondus du point de vue phonologique (comme le sont [a] et [â] , [in] et [un]), qu’ils appellent dans leur jargon archiphonème.
- ↑ Voici ce que propose le correcteur que nous utilisons pour " lideur " : laideur, lieder, lieur, limeur, liseur, hideur.
petit phonème discret
modifier...cherche oreille avisée, ravivée
Peu de gens le savent, mais Guy Lux avait un frère, Paul ; que beaucoup confondent (tant l’enseignement s’est dégradé) avec le frère de Castor. Est-ce que des illettrés pourraient les distinguer, rien qu’à l’oreille ?
Quand on aura répondu, on pourra lire la suite.
Soit le mot " pollution ", effrayant, qui semble couler et s’insinuer comme une marée noire entre les galets d’une plage bretonne. Certains croient entendre les 2 l qui sont dans le mot (ou du moins un l prolongé, une partie collée à po, l’autre à u). C’est tout à fait possible. Mais ça ne présente aucun intérêt (en orthographe).
Pour le comprendre, le mieux est d’aller aux sources scientifiques, ce que nous avons fait, et que nous vous recommandons de faire pour être moins malheureux.
Notre référence est André Martinet, Éléments de linguistique générale (Paris, Armand Colin, 1960), dont les p. 13, 14 et 17, et 22, 23, lumineuses sur le sujet, sont ici, dans la machine. Nous essayons de vous attirer à lui.
Voici ce qu’explique Martinet à propos des mots tête, bête, tante et terre. En changeant un seul " son " dans le mot tête, on change de mot :
tête | tête | tête |
bête | tante | terre |
Bien entendu, pour réussir cet exercice, il ne faut pas " se représenter mentalement le mot écrit ". Il faut faire exactement l’inverse : accepter de vivre vraiment son " sentiment de la langue ". Nous traduisons phonétiquement :
[t] ê t | t [ê] t | t ê [t] |
[b] ê t | t [an] t | t ê [r] |
Un phonème et un seul change à chaque fois dans le mot tête pour produire 3 autres mots.
Muni de cette constatation, on peut revenir à pollution, pour dire que ce qui est vrai (on peut entendre 2 " l ") est faux (il n’y a qu’un phonème / l / [1]). (Un savoir plus savant ne sert pas à nier ce que l’on sait, mais à l’interpréter autrement ; et à en tirer sans doute d’autres conclusions.)
Ainsi, on a le droit de penser que pollution se prononce avec deux l , parce qu’il s’écrit ainsi, ...et réciproquement. Et même que c’est plus élégant de prononcer ainsi. Si ça aide en plus pour l’écrire, ça ne mange pas le pain ! Sauf qu’on peut prononcer pareil " révolution ", et qu’on comprend parfaitement pollution quand quelqu’un l’articule nettement avec un seul "l" . Pollution reste le même mot, qu’on multiplie les "l" ou non. Par contre, ahaner n’est pas le même mot que année. Et bien sûr, les fidèles téléspectateurs un peu âgés n’auront pas confondu Paul Lux et Pollux.
On ne confond pas non plus : " il a vu " avec " il l’a vu " ; ni " il entend " avec " il l’entend ". Et pourtant, l’usage habituel de i(l) comme 3e pers. du s. rend l’opération délicate.
Les êtres humains sont judicieusement paresseux : les sons qu’ils prononcent peuvent, en s’enchainant, déborder les uns sur les autres, voire se parasiter entre eux. Mais prenez garde à ne pas adopter aussitôt à ce sujet une attitude moralisatrice du genre : les sauvageons parlent mal, on va les faire articuler, envoyez un emploi-jeune, ou une grand-mère bénévole ! Tout le monde parle mal. Appelez le médecin, neuf fois sur dix vous prononcerez " mèt cin ". Mais ce n’est pas la peine de vous le faire observer : aussitôt vous vous corrigerez et soutiendrez, mordicus, que vous n’avez jamais dit autrement. Ce comportement est bien connu depuis ... Vaugelas ( texte dans la machine) . Personne, par contre, ne confondra tenture et denture (Elle a changé sa ... ah,ah,ah !)
En résumé, il n’y a pas de mal a s’inventer un truc mnémotechnique pour se rappeler comment s’écrit pollution (et pollen avec deux ailes pour mieux s’envoler dans les senteurs du printemps). Par contre, il faut savoir ce qu’est un phonème pour instruire correctement les sauvageons, moins dociles à l’arbitraire du signe que les petits mignons (ou vous-même peut-être, car si vous êtes ici, ce n’est pas sans raison). Afin qu’ils n’aillent pas écrire " collique " à cause de " collège " et un peu plus tard " nique la pollice, y’a pas de sollution ".
Après ce détour linguistique, il reste à poser une nouvelle bonne question, au départ imprévisible : si les deux l de pollution ne sont pas une bonne information sur la façon de parler, pourquoi sont-ils là ?
Eh bien, nous n’en savons rien. Ou plutôt, nous en savons assez pour n’avoir pas envie de l’apprendre. Parce que, si nous le voulions, nous n’y arriverions pas. Mais jugez vous-même
Vous remarquerez, dans l’exposé scientifique, le rôle des expressions "parfois", "dans certains cas", "on peut s’attendre", etc. Nous retenons aussi cette opinion de l’auteur qu’à l’occasion il y aurait « bel et bien une réaction (artificielle et savante) due à l’orthographe ». En d’autre termes, ces façons " d’en rajouter " sentent fort la sueur et le prout-prout.
- ↑ [l] ou / l / ? Les signes conventionnels ne désignent pas exactement les mêmes notions. Ça ne peut pas gêner ici la compréhension.
B-a ba, bain, baignoire
modifieret l’eau du bain au XXIe siècle
De l’oral à l’écrit ↓ , De l’écrit à l’oral ↓
Méthode syllabique obligatoire ?!... Vox populi.
On ne prendra même pas parti sur le niveau qui monte ou qui baisse. Les avis compétents sur ce sujet se contredisent. Il n’est certainement pas facile de faire des études comparatives, tout ayant changé dans la société. Mais Thimonnier, auteur renommé d’un Code orthographique et grammatical, observait déjà (p. 12 et 13) que « depuis une trentaine d’années, la crise orthographique s’est aggravée de telle sorte qu’elle menace dangereusement l’intégrité de la langue. » C’était en 1970 , et « depuis une trentaine d’années ». C’est dire où on en est.
On s’arrêtera par contre sur deux vérités incontestables et permanentes :
- 1. Toutes les écritures sont composites (on dit polysystémiques). Quand elles sont alphabétiques, comme la nôtre et la plupart,
- leurs lettres ont un rapport direct avec les sons (en rouge) ils sont tous dans le bain → i, l, s, on, t, ou, s, d, an, l, e, b, in
- et/ou direct avec le sens (en vert) ils sont tous dans le bain → s, nt ne produisent aucun son, mais directement du sens (3e p. du pl.) ; le a de bain, qui est intriqué au phonogramme ain, renvoie à une « famille » de mots où le phonogramme a de « balnéaire » affiche sa vieille noblesse ; quant à « dans », homonyme de dent, toutes ses lettres font bloc et, qu’on nous pardonne, la lecture de ce mot est très vite... globale, même pour de médiocres lecteurs.
- Il parait que l’écriture du chinois obéit à ces principes, elle a des signes phonétiques. L’espagnol, par contre, est beaucoup plus phonétique que le français, ou l’anglais. Le dosage est différent, mais la loi est universelle.
- 2. La pratique sociale de l’écriture est dissymétrique. Il est toujours plus facile de lire qu’écrire (sans faute). Et moins l’orthographe est phonétique, plus l’on fait de fautes, cela va de soi.
À partir de quoi nous dirons, dans un raccourci fulgurant parfaitement obscurantiste, que toutes les méthodes d’apprentissage sont bonnes si elles permettent à tous de lire ... et d’écrire.
Mais aucune n’y parvient. C’est un scandale. L’exclusion d’une partie quelconque de la population de la parole écrite est insupportable, injuste, et dangereuse dans l’ambiance actuelle de dégradation du « lien social », calamiteuse et fumigène.
Pour gagner le droit à la « parole écrite », donc, tous les moyens sont bons. À l’école, va pour la méthode syllabique si elle s’engage à aller jusqu’au bout. Le bout, l’achèvement, l’apothéose, c’est cet état merveilleux d’osmose dans le cerveau de tout ce qu’il faut maitriser pour écrire sans faute (et, éventuellement, lire vite).
Mais tous les moyens, c’est au moins :
- La confiance en soi au CP et au CE1 pour supporter sans faiblir qu’après b,a ba, il y aura autre chose, et autre chose encore, et encore autre chose ; ainsi indéfiniment jusqu’à l’illumination : mais c’est bon sang un polysystème !
- D’où la vérification tout au long du parcours, par le corps enseignant, que l’enfant maitrise progressivement la lecture et ... l’écriture. On nous permettra d’insister lourdement. Ceci, au moyen d’exercices systématiques sans fantaisie excessive, on le veut bien, on n’est pas là pour rigoler.
De toute façon, bonjour les corrections ! De ce côté du problème, sans doute faut-il envisager aussi une plus rude discipline : des notes professionnelles au rendement dans une concurrence libre et non faussée.
Et dans vingt ans, si les résultats déçoivent une fois de plus, cette fois, il n’y aura plus de repli démagogique possible. On envisagera une simplification de l’orthographe : sur quels autres paramètres sinon agir, tous ayant été usés ? Il faut que la concurrence avec les Espagnols, les Italiens... et les Turcs qui ont fait jadis une réforme radicale et qui auraient pu être des nôtres, soit libre et non faussée.
Et nous laissons là l’ironie désespérée pour nous installer résolument dans la politique.
Ça ne date pas d’hier que des instituteurs se révoltent contre l’échec scolaire. Ces militants bizarres existaient déjà au temps où l’avenir semblait pouvoir devenir radieux. C’est dire si dans un monde mécanisé, bientôt informatisé et inéluctablement globalisé, leur désespoir a pu grandir : ceux de leurs élèves qui « ne réussissent pas à l’école » ne pourraient même plus devenir ouvriers après leur « fin d’études ».
Les militants pédagogiques, toutefois, n’étaient pas forcément vaniteux. Ce qui fait qu’aujourd’hui les survivants n’aiment pas trop qu’on les insulte.
À l’époque, ils imploraient la formation continue et le débat professionnel sur les méthodes en général et leurs petites innovations en particulier. En attendant, faute de mieux, ils lisaient. Par exemple ceci ( pour commencer par le début) : les sons du langage ne sont pas un « collier de perles ».
Après pareille lecture, iriez-vous vous laver les mains dans la méthode Boscher (ou même le bienveillant Sablier québécois) ?
On vous renvoie par conséquent aux innombrables sites qui traitent de l’actualité de ces questions (il faut profiter du remue-ménage); et tiens, pour montrer qu’on n’est pas sectaire, ces explications détaillées et illustrées d’un adhérent de l’association « sauvez les lettres ».
Mais vingt, trente ou cinquante ans plus tôt, dans les auto-recyclages de bric et de broc, n’importe quel professionnel comprenait déjà qu’on ne pouvait pas donner le même statut dans le b,a, ba aux consonnes occlusives et aux constrictives. Les manuels à la mode, eux, n’en savaient rien. Le chien « bobi trotte » dès la 2e leçon (le nez, en plus, dans son o ouvert ou fermé); et, dans la 3e, son maitre aussi « trotte te dans la ferme me » (sans doute un mas provençal).
C’est alors, en effet, que des vents puissants se sont mis à souffler ; que, par modestie, les militants pédagogiques ont écoutés. Mais c’étaient des vents opposés. Il y eut Thimonnier, donc, et ses mille règles d’« orthographe raisonnée », avec sa graphonie en prime, ortho...phonographie concurrente d’un alfonic phonologique soupçonné de vouloir étrangler ... l’orthographe ; à l’inverse, Foucambert, globaliste à n’en pas douter, qui prétendait trancher le nœud gordien ... surtout sans y toucher ... À quel saint se vouer ?
En tous domaines, pour le bac à 80% comme pour le A380, quand on veut changer vraiment, il faut accumuler des forces. On n’ira pas jusqu’à dire que le changement qualitatif procède toujours de changements quantitatifs, mais il y a quand même de ça. Disons, toujours aussi modestement, que les théoriciens ont besoin des praticiens pour ne pas délirer, mais que les praticiens doivent être imbibés de connaissances et d’expériences pour faire éclore les bons savoir-faire. Quand L.Legrand eut théorisé cela dans sa proposition d’un système national d’innovation contrôlée, l’espoir fut immense ... Et aussitôt enterré. Pourquoi ?
La réponse est économique, sociologique et politique.
Si Galilée, en son temps, était resté tout seul avec sa pensée géniale, ce sont les prélats de l’église qui auraient eu raison de le condamner parce qu’en effet ses preuves étaient insuffisantes, et ça ne valait pas le coup de bouleverser, pour le plaisir d’une théorie, l’ordre social. Heureusement, d’autres chercheurs et praticiens se sont mis sur le chantier et la « révolution copernicienne » eut lieu avec des succès évidents.
Au XXIe siècle, parce qu’il n’y a pas assez d’hommes et de moyens pour faire bouger le mammouth, les plus hauts responsables républicains, plus fort que les prélats, décrètent que la terre est plate : c’est tout ce qu’on mérite. Les diatribes sur la méthode globale qui fut très minoritairement appliquée ont permis d’organiser dans la tête des « gens » l’inversion des causes et des effets. L’échec scolaire est devenu une horrible histoire de flibustiers de la pédagogie conduits par de méchants idéologues qui ont coulé le vieux et merveilleux bateau de l’école libératrice ; lequel naviguait jadis, toutes voiles blanches déployées, sur l’océan tranquille de l’égalité des chances.
Comme cette histoire est fausse, la résurrection n’aura pas lieu. Où faudra-t-il s’embarquer alors la prochaine fois pour sauver l’avenir des enfants ? Attendez, il y a beaucoup d’autres façons d’éloigner la réflexion des « gens » des causes essentielles. On a par exemple le dossier "sectorisation". Quand un secteur géographique devient un ghetto, l’école va mal ; donc, il faut désectoriser. Très joli sophisme. Mais n’exagérons pas, le démagogue peut être plus nuancé : il faut seulement désectoriser... un peu. Pour ce remède-là, Gribouille ne mettra qu’un peu la tête dans la baignoire.
En attendant le déluge.
Mots et grammaire
modifierVocabulaire et grammaire s’entraident pour produire le sens des phrases. C’est ce que montrent les exemples suivants
vocabulaire | je suis en train de bouger je bouge dans une heure je bouge tout de suite est-ce que je bouge ? |
je vais bouger | je bougeais j’ai bougé je bouge je bougerai bougé-je ? ( ciel !) |
grammaire |
Les premiers traitent du " temps " et de la façon d’exprimer la situation ou le mouvement des évènements dans le temps, en utilisant de la grammaire et/ou du vocabulaire.(Et parfois on hésite à dire qui est quoi. " Je vais bouger " aurait pu être pure grammaire si on avait finalement choisi d’inscrire le " futur proche " dans les tables de conjugaison.)
Les derniers sont deux manières de poser une question. Celle de droite qui manifestement tombe en désuétude (et de ce fait a un inimitable ton pédant surajouté, qui par conséquent fait aussi son effet) peut permettre de comprendre pourquoi on préfère la première, laquelle utilise du vocabulaire, en l’occurrence " est-ce que ", qui bien qu’apparemment formé de trois mots n’en est qu’un seul, l’équivalent exact du point d’interrogation dans cette autre façon parfaitement légale d’écrire la question : " Je bouge ? " rendue à l’oral par une intonation.
La grammaire, que nous pourrions définir comme l’ arrangement obligé des mots dans une phrase, est comme un moule où les mots en entrant peuvent exprimer d’un seul coup beaucoup plus de choses qu’ils ne le pourraient seuls. Le sens est en quelque sorte prédigéré dans la structure.
Soit la phrase : " Vous recommencez votre travail." On pourrait penser à du gaspillage d’information : deux fois l’indication de la 2e personne du pluriel ( ou du singulier poli )
Voici une phrase apparemment proche : " Recommencez votre travail." Là, on croit entendre la voix du professeur : il n’est pas content ; il commande ; c’est impératif.
Donc,
"vous recommencez" | s’oppose à | "recommencez" |
"vous" | s’oppose à | rien |
et c’est cette opposition, cette structure présente à l’esprit, qui produit le sens d’impératif (quand on donne un ordre) et celui d’indicatif (quand on se contente d’indiquer les choses et les faits dont il est question.) C’est en définitive un moyen d’économiser du discours. Au lieu de dire : « Vous allez vous mettre à recommencer, et je vous préviens, c’est un ordre » , on dit " Recommencez. " Efficace, n’est-ce pas ? Rien que par la place, mieux même : la virtualité de place d’un mot.
La structure grammaticale est présente dans nos têtes, toujours prête à servir ; et les mots aussi sont là, prêts à confirmer, préciser, nuancer, suppléer.. La connaissance qu’on a de la situation joue également un grand rôle
Pourquoi le langage schtroumph est-il si amusant ? La production de sens continue malgré la disparition des mots, grâce à la grammaire qui fonctionne automatiquement dans nos lobes cérébraux (de gauche); avec l’aide de ce que l’on sait de la psychologie et des habitudes des personnages ; ce sont des données indispensables pour savourer leurs facéties et leurs jeux ...de mots :
« Le schtroumph schtroumph schtroumph le schtroumph schtroumph ? »... Vous avez forcément votre petite idée sur la question.
Un linguiste a inventé une phrase schtroumphement schtroumph pour troubler la réflexion de ses condisciples. La phrase est célèbre dans le milieu: « D’incolores idées vertes dorment furieusement ». Cette phrase grammaticale, mais " insensée ", quel sens a-t-elle ?
La poésie a-t-elle trop de sens, elle aussi, ou pas assez quand elle quitte le sens banal et " commun " et l’ordre " normal " des mots ?
Nous retiendrons qu’on peut utiliser cette poésie abstraite pour choisir entre l’infinitif et le participe passé.
Nous retiendrons surtout que les langues sont de merveilleux outils dont les être humains font merveille ; qu’en fin de compte, on peut dire qu’ il y a, dans le langage le plus banal, tout, sauf la pénurie.
...Et que pour bien comprendre ces merveilles, et cesser de radoter sur la décadence, la lecture de Jackobson est recommandée.
Polysémie homonymie
modifierQu’est-ce que cette silhouette évoque?
Ça dépend du contexte
- si elle est rouge et près d’un passage piéton …
- si elle est sur une porte, dans un lieu public et proche d’une autre en jupe …
Pour les signes du langage, il en va de même (en beaucoup plus compliqué, évidemment). Il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour s’apercevoir que beaucoup de mots ont non seulement plusieurs nuances de sens, mais des sens très différents. Ainsi, avec les mêmes mots on peut exprimer des idées différentes. Car le monde est infiniment compliqué. On ne peut mémoriser, pour en parler, une infinité de signes linguistiques. Le langage fonctionne de telle façon qu’avec un nombre limité de règles de grammaire et suffisamment de mots, mais pas trop (Racine a tout écrit, parait-il, avec 4000 mots), on peut tout dire. Ce n’est que dans des domaines particuliers et entre spécialistes que les mots sont à sens unique (ainsi , en linguistique, un phonème n’est pas un son) ; mais des mots courants d’emploi général peuvent aussi être choisis sans confusion possible, dans des domaines très spécialisés où le sens qu’on leur donne échappe au sens commun (en physique quantique, la couleur ou le charme d’une particule n’ont absolument rien à voir avec leur poésie)
Pourquoi parler de ça ? Parce que ce n’est jamais une vilaine idée de vouloir corriger le langage d’autrui, ça peut lui être utile …
… C’est également, en temps de paix, la manière la plus efficace de le faire taire.
Nous illustrons par un exemple vécu tiré de la vie simple et tranquille du "peuple tout entier". Deux "jeunes" des "cités" (en voilà de musclés pour le grand jeu de l’ambiguïté que ces deux mots-là du langage courant) avaient osé s’approcher d’un club nautique et même envisagé d’y adhérer. « Le moteur ne marche pas ? », s’enquièrent-ils à propos d’une embarcation dans laquelle ils avaient très envie de faire un tour. Ils étaient supposés s’intéresser plutôt, et passionnément, aux régimes des vents sur le plan d’eau. L’éducateur du peuple de service estima donc qu’il convenait de les civiliser d’abord : « On ne dit pas "marche", on dit "fonctionne". » (Mais où a-t-il appris tout ça ?). Faux, dit le Larousse de poche ; mais l’Ordre du Monde s’en fout, du moins provisoirement. La "correction" a rempli son rôle social : ils n’ont jamais plus remis les pieds sur ce ponton.
Il convient donc de savoir aussi comment "marchent" les mots pour sauvegarder le lien social.
- Ils évoluent tous. (Alain Rey nous expliquait ça dans Le mot de la fin sur France inter).
- Nombreux sont ceux qui deviennent polyvalents, polysémiques. Mille petits bricolages les rendent tels. Mais pas n’importe comment ("charme" et "couleur" sont des exemples excellents). Un mot ne peut produire des sens différents que si les contextes normaux d’utilisation empêchent les confusions. Ce réglage est d’une subtilité extrême. Personne ne peut en décider par décret. (C’est pourquoi les décisions de francisation forcée des notions échouent le plus souvent.)
On aboutit au même effet quand un phonème bat de l’aile parce que les circonstances ont fait qu’il avait moins de rendement. S’il meurt tout à fait, des mots deviennent homonymes. La cause est différente, la conséquence est identique. Si ça ne provoque pas la panique, on vit sans. Si nécessaire, on remplace un mot par-ci par-là .
Que les mots puissent être ambigus n’est pas un signe de barbarie, mais au contraire de raffinement. Car on s’emmêle rarement, pour les raisons susdites. À moins qu’on fasse exprès de créer des confusions : suprême raffinement !
- « Maman, les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes ?
- Mais oui, mon gros bêta, s’ils n’en avaient pas, ils marcheraient pas.»
C’est comme pour le jeu d’awalé, grand jeu traditionnel d’Afrique : les règles sont simples et tout le monde peut jouer ; mais l’expert, quand il veut, peut entourlouper le petit débutant. Toutefois, il y a la manière. C’est éducatif si le jeu continue. Dans le jeu plus moderne qui s’appelle le grand jeu du marché, c’est le consommateur libidineux qu’il faut entourlouper (C’est pourquoi, pour la liberté du langage, on préférera le marché capitaliste à l’école libératrice ; quand on a perdu tout espoir utopique, au moins avec lui on rigole). Rappelez-vous : « Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole ». Raffinement…? Pour nous faire pardonner cette … ambiguïté, nous joignons quelques pages d’une excellente linguiste, excellente professeure de linguistique.
le e papillon
modifierLes lettres jouent des rôles différents dans l’écriture. Des rôles qui souvent se chevauchent, mais qu’on peut essayer de distinguer :
- produire un ou plusieurs sons (seules ou à plusieurs ou avec des accents) de façon évidente,
- servir de signal pour qu’une autre lettre produise ou non un certain son.
- indiquer directement le sens
- et parfois n’être là que pour mettre de l’huile dans les engrenages
Le e virevolte sur ces possibilités, et l’orthographe a bien du mal à l’attraper
Rôle 1 ex rebondir et redire
rebondir : | r,e = re | b,on = bon | d,i = di | di et r = dir | ⇒ | re- bon- dir |
redire : | r,e = re | d,i = di | r,e = re | ⇒ | re- di - re ? | |
" tamè re "(tag dans une cité) |
Il faut en effet avoir le moral pour apprendre à lire en syllabant.
Autre ex , en milieu de mot, petit --- p(e)tit.
On l’écrit même parfois p’tit pour souligner qu’en parlant de façon familière, le son [e] n’existe pas.
Mais on ne fera jamais ça à évènement (évèn’ ment ou é vé ne ment ?).. Non, on ne l’f’ra pas. On n’os’ra pas. Osé-je ? Il y a trop de conséquences en cascade . Touchez aux ailes d’un papillon à St Trop(é) et c’est la tempête au Touquet.
Quoi qu’il en soit, on ne dit pas tu li pe , sauf dans le midi ; où personne n’aura l’idée saugrenue de dire-écrire tulip’ . Donc, tulipe est l’orthographe qui convient à tous les Français .CQFD.
Rôle 2
Pratiquement, on pourrait considérer (sauf dans le midi) que le e de tulipe est un signal qui indique qu’il faut prononcer la consonne finale ( et non un [e] qui n’existe pas).
Sauf qu’on peut ne pas avoir ce signal et prononcer la consonne quand même : chut parachute
À propos, " on dit ananas ou anana, détritus ou détritu … ? ", se demande toujours le petit peuple. Bonne occasion d’injecter plusieurs pages d’Henriette Walter (dans " le français dans tous les sens " livre de poche 1988 ) , pour l’informer sur la vraie nature des pièges qui lui coupent la chique à chaque fois qu’il ose s’exprimer. C’est évidemment plus long à lire que certains conseils péremptoires parfois rencontrés : « On prononce " détritu-ss " au singulier et au pluriel. " Détritus " vient du participe passé latin " detritus ".» … Et voilà pourquoi votre fille sera muette.
En tout cas, ça n’a rien à voir avec le féminin : une vis un vice un avis une souris
Rôle 3
Quand on distingue, à l’oreille, le féminin du masculin des adjectifs, c’est grâce à la consonne :
petit petite, sportif sportive, grand grande, important importante, divers diverse
… mais quand il n’y a pas de différence à l’oral, il faut un e quand même. Les adjectifs prennent un e au féminin : le contrat social - la dimension sociale. Le e donne directement une idée, l’idée de féminin. Le valet-adjectif porte la livrée de son chef (le nom, qui n’a pas cette obligation de principe : une jolie fleur).
Mais il y a des adjectifs qui n’arrivent pas à l’être : une veste marron, une fille super …
Mais il y a des noms d’êtres nettement sexués chez qui la marque e s’impose : un ami ↔ une amie , un rival ↔ une rivale … Mais pas : un fourmi ↔ une fourmie , une fourmi ! La fourmi n’a pas de sexe dans la langue … Le ministre non plus, disent les traditionalistes. Ni le professeur. L’instituteur, si.; il était du même tonneau que le poinçonneur des Lilas. Nous revendiquerions, remontant le temps à la manière de Terminator, classe ouvrière et féministes unis avec les traditionalistes, tous ensemble oui contre le laxisme et pour la courtoisie : " Madame le Poinçonneur des Lilas ".
- Le e peut donner directement d’autres idées : Il peut indiquer, dans la terminaison, qu’on est en train de conjuguer un verbe er : je jouerai : verbe er jouer . Ainsi on ne confond pas " je lie (lier) " et " je lis (lire) ". Si on confondait, quelle horreur !
Rôle 4
Pour se faire pardonner sans doute d’être si capricieux, plein de bonne volonté,au contraire, il aide à l’articulation :[ j’me~le~d’mand’ ],[ jem’~le~d’mand’], [je~m’le~d’mand’], [ je~me~le~de~mand’]..., mais en aucun cas :[ j’m’l’d’mand’] ; essayez donc !
Et l’orthographe, parfois, n’en veut pas dans ce rôle utile : arc-boutant (ar[que]boutant). L’ingrate ! :
On ne dit pas que ce n’est pas tarabiscoté. Mais comment simplifier ?
on = nous
modifierPartout, dans tous les milieux, dans toutes les conversations courantes et pas seulement familières, " on " remplace le " nous " officiel. Cela a forcément des conséquences quand " on passe à l’écrit ".
La première est inconsciente et travaille tout le monde, mais fait trébucher constamment ceux qui n’ont pas assez appris : ils " sentent " un pluriel, donc ils essaient de le placer ... quelque part.
ex (authentique) et en authentique " bon français " (comme le prouvera la suite) : « Chantal et moi, on étaient morte de rire. »
" Morte " est un excellent accord ressenti par une excellente francophone (…de celles (et ceux) qui font vivre la langue au plus profond du peuple … etc, etc )… Et qui va en prendre plein la tronche parce qu’elle aura oublié le s du pluriel.
Car ce pluriel, pardi ! elle l’a déjà mis … quelque part. Elle est très scolairement consciente (puisque sollicitée d’écrire. Quand on écrit, faut ce qu’il faut!) qu’il convient de le manifester : c’est donc le verbe qu’elle accorde, consciencieusement : " Chantal et moi" ⟿ pluriel nt (Les enfants souvent le mettent à on ; le ont leur tendant les bras)
Or, les journalistes du Monde vivent les mêmes affres d’incertitude :
- « D’accord, on s’est accrochés sur la carte scolaire, reconnait Ségolène Royal, mais c’est ensemble qu’on est allés voir Lionel Jospin. » — Le Monde , jeudi 16 mars 2000
Prudemment, ils ont mis des guillemets à ces propos de Ségolène Royal, qui marquait alors Claude Allègre à la culotte. Les guillemets sont éventuellement un peu malicieux : la vice-ministre de l’Éducation nationale se pense avec son ministre sous la forme " on " familière. Il n’en demeure pas moins, pour nos affaires, que cette 1ère pers. du pl. populaire a été adoptée par le " Parisien cultivé " en tant que " bon usage familier ". Dont acte chez les journalistes du Monde ; quoiqu’ avec des pincettes.
N’empêche, même au Monde, on n’y peut pas couper, à l’évolution de la langue : ou bien on cite vraiment, et des accords grammaticaux s’imposent (pas moins que pour Chantal et sa copine) ; ou bien il faut transposer les propos réels dans un français fictif. Ça ne se fait plus, même au Monde.
La question n’est pas ici de discuter la valeur de cette évolution, ni sa signification linguistique, nonobstant la nécessité de maintenir immuable un français normé, véhiculaire et disciplinaire. Nous constatons la situation réelle et ses conséquences inéluctables.
Après, les enseignants prennent leurs décisions professionnelles … . Les citoyens aussi. La conjugaison du français dans le parler quotidien est :
j (variante phonétique ch) |
t(u) et vous poli |
i(l) è(l) |
on (variante distinguée nous) |
i(z) è(z) |
Analyse
modifierle 2ème groupe
modifierJe m’écrie et j’écris : le " deuxième groupe " des verbes ne sert à rien.
Ni pour parler, ni pour écrire
Il y a les verbes er et les autres , un partage clair et net.
… et toutes sortes de bizarreries (mais on a l’habitude)
Nous ne prétendons même pas à l’originalité de ce point de vue. Le célèbre Bled , qui avait le bienveillant souci de ceux à qui il s’adressait, propose discrètement la même chose :
- « On peut classer les verbes en deux grandes catégories d’après la terminaison de la première personne du singulier du présent de l’indicatif » — Bled, cours moyen, 6e, 5e , Hachette 1954 , p. 84, 85
Il la joue petit bras, mais il a la franchise. La suppression pragmatique du " 2e groupe " n’est donc pas un acte anarchique. C’est son maintien obstiné dans les grammaires scolaires qui est peut-être un tantinet idéologique. Comment ça ?
Dubois (grammairien connu) :
- « Pour définir les modèles de conjugaison, on adopte un type de classement différent selon que l’on considère la langue écrite ou la langue parlée. Dans la langue écrite, on se rapporte à l’infinitif du verbe, et parfois accessoirement au participe présent. Dans la langue parlée, le classement est plus simple si l’on considère le nombre de formes différentes du radical entraînées par l’addition des désinences » — Dubois, La nouvelle grammaire du français p. 128, 129
Ce qui le conduit aux trois types classiques de la conjugaison écrite et, « selon le nombre des formes du radical dans l’ensemble des formes du verbe », à …
- 5 groupes à l’oral ( Ex : venir ➜ il vient [v][y][in] , il venait [v][e][n][è] , il viendra [v][y][in][d][r][a] , qu’il vienne [v][y][è][n] )
- 4 formes du radical
Ce classement a certainement de l’intérêt pour le linguiste qui étudie comment et pourquoi, au travers des aventures de leur histoire phonétique, ces verbes peuvent devenir à ce point irréguliers. Il procède comme le zoologiste qui commence par classer scrupuleusement les espèces, pour décrire ensuite leurs évolutions et comprendre enfin comment, hier et aujourd’hui, elles cohabitent dans des systèmes écologiques où chacune joue un rôle particulier. De ce point de vue, les verbes irréguliers n’apparaissent pas forcément bizarres. Ceux qui sont d’usage courant sont parfaitement maitrisés. Ils sont corrigés tout de suite, en famille, quel que soit le milieu social (il boit ⟿ il boivait . Non, il buvait). Les autres, dont le peuple ne veut plus, sont éliminés en douceur (résoudre ⟿ solutionner). L’histoire et le fonctionnement actuel des mots méritent certainement la recherche scientifique et probablement l’étude scolaire.
Par conséquent, sans nier la science et la culture, au contraire en les revendiquant, on peut affirmer tranquillement que, d’un point de vue pratique, il y a seulement besoin de distinguer les verbes er des autres, pour passer le plus paresseusement possible " de l’oreille à la main ". La question pratique du 2e groupe se réduit au choix d’une façon d’écrire le [s] qu’on entend. A priori, la tentation ne sera pas grande d’écrire ce " son " autrement que ss ( nous finissons, vous haïssez, en frémissant ).
Vive Bled, vive les linguistes, qui nous aident et nous expliquent ! Et vive les êtres parlants (Nous) !
les Français pensent en français
modifierrai rais Les Français pensent en français
On convient ici d’écrire les sons [é] et [è] avec un E majuscule, ce qui est conforme au code linguistique, mais ici c’est pour éviter de choisir un accent à cause d’une vieille histoire qui traine :
- « Chacun sait combien il est difficile d’établir pour les enfants une correspondance E fermé / E ouvert entre j’irai et j’irais par exemple. » — Nina Catach, L’orthographe française p. 93
C’est exactement pour cette raison qu’on se fait ici du mouron ; si é et è se distinguaient à l’oreille aussi facilement que chat et chou, on taillerait la route plus vite.
Cour de récréation :
« Je ser[E] un cowboy et tu ser[E] un indien. »
… Bon ! ça se discute, on peut changer de rôle :
« Tu ser[E] un cowboy et je ser[E] un indien. »
Mais on pourrait entendre un autre ton dans cette cour : « Tu ser[A] un indien et je ser[E] le cowboy. »
Ça, c’est un grand qui décide , et le petit peut déjà compter ses six balles dans la peau. L’histoire à venir est courue d’avance.
- Dans un cas c’est : je ser[E], tu ser[E], on ser[E] si nous décidions de jouer à ça
- Dans l’autre cas : je ser[E]), tu ser[A], on ser[A] .... Exécution ! Et, à notre avis, le petit a déjà commencé à courir ; il n’est pas en train de réciter son bescherelle.
Pour dire que l’ on sent la différence entre le conditionnel et le futur (On dit le présent du conditionnel et le futur simple de l’indicatif). Selon ce que l’on pense, on choisit entre une affirmation sans ambiguïté et le doute ou le rêve à construire. Essayez sur le support d’une écriture phonétique (je ser[E] ceci ou cela ) pour bien sentir, dans votre esprit, le choix possible entre deux idées différentes , comme dans ces dessins de cubes que l’on voit creux ou en relief à son gré.
Et que personne ne dise que ça ne marche pas : ça marche bien dans les cours de récréation.
je ser[E] | avec certitude | ⇒ | je serai | |
je ser[E] | (…Si…) | ⇒ | je serais |
On devrait alors accepter plus facilement la réponse orthographique à ce problème de sens. Car on ne peut pas entrer dans la tête de celui qui écrit ; mais celui-ci d’un simple s peut préciser sa pensée. Il s’agit d’un cas où il est rentable d’empêcher l’homonymie à l’écrit, puisque de toute façon elle s’est durablement installée à l’oral dans la confusion du [é] et du [è].
Le vieux truc de continuer la conjugaison, bien entendu, fonctionne également,
Conditionnel | Futur | |
je serais tu serais il serait on serait nous serions vous seriez ils seraient |
je serai tu seras il sera on sera nous serons vous serez ils seront |
Il est très efficace, comme toujours, quand on a autre chose à penser dans l’action d’écriture. Mais quand même, arrêtez de bouder, essayez de " vivre " par écrit ce conditionnel si plein de sens et que tout le monde " pense ".
C’est plus compliqué que ça !
modifierC’est pas parce que cette jolie histoire de l’infinitif qui devient adjectif (L’histoire du verbe ↑) glisse subrepticement quelques notions moins scolaires (" actualisation ", " accompli ") qu’on se vantera d’avoir amélioré la culture grammaticale.
Pas plus que la compréhension du fonctionnement profond de la langue. Cette façon de se vautrer dans le " mentalisme ", c’est-à-dire dans la conviction que la grammaire est une logique de bon sens, doit faire se retourner dans leur pénombre des rénovateurs de l’enseignement du français des années 70 passés de mode dans le retour aux valeurs sûres.
C’est l’occasion de redire, à ceux que ça intéresse, qu’on ne se place ici, ni sur ces valeurs (réactionnaires et mensongères : il n’y a jamais eu d’âge d’or), ni non plus sur leur contraire.
On est sur les soins palliatifs localisés en état d’urgence.
On n’est pas vêtu pour autant de probité candide et de lin blanc. Le choix idéologique est explicite ; il est massivement présent dans les trucs et bouts de ficelle : D’abord l’oreille, ensuite les règles.
Ça signifie qu’en attendant les grands remèdes " citoyens " et " élitaires pour tous ", les "mauvais" (en orthographe) doivent pouvoir continuer à vivre. Ça, ça ne se négocie pas !
- Il faut qu’ils puissent entrer dans le jeu par le jeu lui-même, pas par des exercices supplémentaires. (et pas seulement aux moments de récréation, en atelier d’écriture)
- Il faut qu’ils puissent continuer à jouer sans leur maitre quand celui-ci disparait en fin de droit ou dans les hoquets du caritatif. (et qu’il leur reste, par conséquent, de chaque intervention bienveillante, des procédés simples, intelligibles et efficaces pour éviter les pires erreurs, en attendant des jours fraternels meilleurs.)
- Mais il faut aussi que ce qu’on leur dit d’un peu nouveau ne soit pas faux. (On ne veut les coincer dans aucun ghetto : ni celui de l’écriture totalitaire, ni celui d’une sociolinguistique fiction.)
Quel est l’enjeu des fiches sur l’infinitif et le participe-passé ? Et quelles sont les perspectives de réflexion et de progrès (de Culture) qu’elles ouvrent ou qu’elles ferment ?
L’enjeu pragmatique est, à la fin des fins, que le participe passé soit repéré. " Omar m’a tuer " n’a pas de bon sens, surtout à l’agonie. Cette faute est devenue une légende ; c’est la honte orthographique à perpétuité. Nous n’osons affirmer que nous aurions été meilleur que l’enseignement traditionnel pour en préserver la victime, mais, la preuve est là, pas pire.
Le vrai problème, c’est que cette jolie histoire du verbe entre en contradiction avec ce qu’on propose ici même à propos des terminaisons et des débutaisons.
Le " figement " d’un temps composé, au terme de sa longue histoire, estompe l’aspect adjectif du participe passé. Ce qui fait que parfois on l’accorde spontanément, même en langue familière et chez les moins instruits, et que souvent il faut effectuer des contorsions mentales hallucinantes pour ne pas " fauter ". C’est la preuve même que la règle " mentaliste ", qui cherche désespérément du sens, est pourrie. Le participe passé, dans un temps composé, n’est pas un adjectif, bien qu’il ne soit pas soudé à la " débutaison " comme l’ont finalement été le verbe avoir " terminal " et l’infinitif du futur médiéval (chanter ai), et qu’ il supporte encore qu’on glisse des mots entre " l’auxiliaire " et le " verbe ". Ex : J’ai encore une fois expliqué de travers. On ne battra pas sa coulpe pour autant. On sait aussi que cette histoire d’accord du participe passé est un artéfact académique, puis un os donné à ronger aux instituteurs primaires.
Dans l’intérêt supérieur de la grande cause de l’unification de la Nation par la langue et par l’école, dans la grande tradition des lumières et du libéralisme, respectons l’orthographe véhiculaire par tous les moyens, mais entrons dans le jeu, et ouvrons le débat.
réforme citoyenne , réforme à l’ air libre
modifierMême un illettré sait que b,a,ba est une fiction. Quand les plus humbles somment les maitres de commencer par l’alphabet avec leurs enfants, c’est parce que c’est là qu’on les a roulés, eux, dans la farine. Ils demandent qu’on repasse le film. Les traditionalistes jouent sur le sale velours de la démagogie. Rien n’est aussi simple qu’ils disent. N’importe quelle explication rencontre les difficultés dissimulées.
- Ex : « Le français parlé évite d’autant plus l’inversion du pronom sujet qu’elle force parfois à employer des formes de verbes équivoques ou bizarres. Ainsi dans la conjugaison interrogative, à l’indicatif présent des verbes en er, la première personne n’est pas claire. Chanté-je ? sonne comme un imparfait. » — René Georgin, Guide de la langue française p. 293
" Bizarre ", c’est comme il le sent. Il ira le dire aux classiques. Mais " équivoque ", comment est-ce possible avec un accent aigu ?
La vérité, c’est qu’il y a un bon bout de temps déjà que les fabricants du bon usage ont du souci avec leurs phonèmes [é] et [è]. Ils réglaient ça entre eux, jadis et naguère, de façon … normale (de la famille norme, normé, normatif). Et le pauvre instituteur courait derrière, pour essayer d’être plus royaliste que le roi.
Bled, l’honnête Bled, à propos de cette forme interrogative :
- « en souvenir d’une prononciation ancienne, on écrit coupé-je bien que l’é se prononce è. » — Bled, manuel de CM, 6e, 5e de 1954, petite note p.127
Mais pourquoi donc ce é a-t-il changé de ton ? Et que faire de tous ses autres avatars ?
Que penser alors du Petit Robert qui ose transgresser ? « événement ou évènement », dit le Petit Robert … Alain Rey, vous êtes viré ! [1] Mais il faudrait virer aussi l’Académie entière, puisque c’est elle, la première, qui a osé... Où va-t-on ?
Si on discutait de tout ça tranquillement, publiquement, en citoyens responsables. Il ne s’agit pas de nier la norme, ou plutôt de nier qu’il en faut une. Mais pourquoi l’établir dans les ténèbres ? Cette vision de la condition humaine est un excellent sujet de débat philosophique, mais la question de l’orthographe prend alors des dimensions inouïes. On peut sans doute être plus modeste. Et malgré tout rigoureux.
On a trois ou quatre positions (scientifique ? philosophique ? politique ?) qu’on peut résumer dans les schémas suivants :
Des savants et des lettrés professent qu’il vaudrait mieux traiter séparément l’oral et l’écrit, leurs rapports étant trop complexes. D’autre affirment que, dans le progrès de la civilisation, si l’écrit a pu être une simple façon de transcrire l’oral, c’est l’écrit maintenant qui domine et doit dominer. D’autres enfin adoptent des théories composites et préconisent des ajustements.
Comme partout, les politiques réformistes ont moins de chance de déclencher l’enthousiasme. Mais on s’aperçoit très vite, quand on commence à se préoccuper de ces questions, que le moindre choix de simplification a des conséquences en cascade, qui prouvent bien que l’écriture est un système. Passer à une écriture phonétique ne pourrait avoir lieu que d’un seul coup, de façon révolutionnaire. C’est impossible socialement. La plupart des savants affirment également que ça le serait techniquement : une telle écriture ne fonctionnerait pas (Ca ne vous rappelle pas quelque chose ?) Mais peut-on dire que celle qu’on a fonctionne vraiment ? Dans le débat " citoyen " lucide sur les ajustements, on n’échappe pas aux affres de Buridan rebaptisées " principe de précaution " Mais quoi, Buridan ou " le nom de la rose " ?
- ↑ Alain Rey est aussi Directeur du Petit Robert. Plutôt que de suivre aveuglément les puristes, pour se désenclaver les méninges sur ces questions, on pouvait, jusqu’en 2006, écouter sa rubrique Le Mot de la fin chaque matin sur France-inter. On peut toujours lire le livre qu’il a écrit à partir de cinq années de commentaires savants et malicieux : « À mots découverts - chroniques au fil de l’actualité ».
véhiculaire disciplinaire
modifierComment préserver un système de communication commun à tous les Français, malgré la diversité des usages locaux ?
Si l’orthographe était phonétique, il faudrait des éditions différentes des livres et des journaux, à cause de détails tels que ces syllabes avec e prononcé ou pas. On aurait des orthographes locales, " vernaculaires ".
La fonction véhiculaire des langues est incontournable. C’est une exigence universelle . Partout on l’observe, et même chez ceux qu’on appelait jadis bien à tort des sauvages, mais qui étaient des humains comme nous caractérisés par leur culture et les relations qu’ils établissaient entre eux souvent fort loin.
Dans les langues, deux forces opposées s’équilibrent. L’une tend à faire diverger les façons de parler (et d’écrire ; voir ce qui se passe actuellement avec internet), l’autre oblige à la convergence pour une communication commune. Cette " dialectique " se déroule dans la joie et la bonne humeur (sur internet c’est le cas ; on est entre écriveurs conviviaux), ou sous la contrainte étatique (quand c’est " le peuple tout entier " qu’il faut dresser). Aucun des pôles cependant ne relève du caprice. L’évolution obéit à des lois qu’on peut dire naturelles, puisqu’elles étaient à l’œuvre alors qu’on ignorait leur existence ; et l’unification est une exigence politique respectable.
Dans notre société, le bon apprentissage de la bonne façon de parler et d’écrire la langue véhiculaire officielle exige sans doute la discipline. Mais cette discipline n’a en soi aucune vertu civilisatrice. Si enrichissement de la langue de chacun il doit y avoir, il ne résultera jamais d’une contrainte dénuée de sens. Bentolila, linguiste très connu, a expliqué cela très bien : « Ingurgiter des listes de mots nouveaux ou répéter des tableaux de conjugaison ne conduit pas à une maîtrise responsable de la langue ; cela permet juste d’éviter une punition. » — Le Monde du 26/5/2000.
Convaincus que l’usage et le " bon usage " procèdent de l’action humaine et ne tombent pas du ciel des idées parfaites, rétablis dans notre nature de " parlêtres ", il faut toutefois assumer la lucidité politique. Sur quoi faut-il régler son langage véhiculaire comme on règle sa montre ? La réponse est sans ambages :
- au temps des rois, c’était « la plus saine partie de la Cour (...) et des auteurs du temps » — Vaugelas
- en république, c’est « la bourgeoisie parisienne cultivée » — Cerquiglini, tout aussi éminent linguiste, le 22/2/00 toujours dans Le Monde.
Non, pas de pavés! c’est un honnête homme, lui aussi : Il ne décrète pas, il informe. Cette idée est admise depuis longtemps ; vous feriez mieux de vous demander pourquoi vous ne le saviez pas.
« De quelle façon il faut demander les doutes de la langue ? », comme dit Vaugelas. Aujourd’hui, la télé nous permet d’être en prise directe sur la " Cour républicaine ". C’est là que le bât blesse ; le bât que le peuple a sur le dos selon l’ordre social nécessaire, éternel et sacré. En direct, la fabrication de l’ordre du langage, ça peut agacer. Non tant à cause de la norme elle-même qui, ainsi qu’on l’a compris, est indispensable, que de la façon désinvolte dont les décisions se prennent désormais sous nos yeux. "Je voudrais bien, mais je ne peux point", se dit parfois l’intellectuel parisien. Alors, je change de norme, comme ça m’arrange. Il entérine ainsi, sans doute, l’évolution, ce qui est excellent. Mais on espérerait un peu de charité à l’égard du menu peuple qui prend les premier risques en suivant lui aussi les lois naturelles. Il suffirait de lui expliquer que « les oscillations de la parole, qui construisent l’histoire de la langue, ne sont aucunement un lieu d’anarchie » — Hagège, l’homme de paroles p.284
Merci, merci, Monsieur Hagège. Merci, Monsieur Cerquiglini. Merci, Monsieur Bentolila. " Et merde à Vauban ! "
De l’oral à l’écrit
modifierPour que les savants continuent d’étudier le problème de la communication écrite démocratique
Il y a une trentaine de phonèmes et ... 133 graphèmes selon Nina Catach. Tout le monde comprend aussitôt pourquoi ce sera dur d’écrire sans faute.
Prenons comme exemple, et pas le pire, le phonème [in] : 7 phonogrammes et 4 variantes
in ain | ein en | yn un | eun | ||
im aim | ym um |
Dans le sens de la lecture, on s’habitue
- —> Le contexte de la phrase (par ex « le mouvement des lycéens inquiète le gouvernement ») et de modestes habitudes de lecture suffisent pour éviter l’erreur d’aiguillage.
- —> Ceci vaut pour " à jeun ". Grâce à la sécu, on a certainement eu droit à ce mot un triste matin d’analyse de sang sans p’tit déj’. On ne confond certes pas " à jeun " et pratiquer le " jeûne "
Mais dans le sens de l’écriture, c’est l’horreur !
Ce n’est pas la faute des savants qui essaient de mettre un peu d’ordre dans ce qu’ils observent. Et cette théorisation est sans doute la meilleure qu’on nous propose. Mais c’est tout sauf une baguette magique.
phonème | écriture ⟶ | graphèmes |
[in] | ……………… ? | in ain ein ⠇ (les 7+4) |
Selon quelles lois ? Oh certes, il y en a. Plein. À chaque graphème, on peut même dire que c’est le ...trop plein.
Supposons que nous ayons déjà appris l’orthographe de cette plante connue qu’on appelle rhododendron. On a admis pour elle le [in] de lycéen. On conclura sans doute très vite, par analogie, que cette autre fleur un peu moins connue, que nous écrivons d’abord phonétiquement [ filodindron], a adopté probablement la même façon d’écrire [in]
..... Et reste à régler le sort de tous les autres phonogrammes [f] f ou ph , [i] i ou y , [l] l ou ll ? ? ?
On fouille dans son bagage culturel des familles , mais sera-ce plutôt philosophe ou phylloxéra ?
En réalité, cette démarche est très lourde pour apprendre l’orthographe de façon " raisonnée ".
Tous les pédagogues rêvent de faire raisonner les élèves. Mais souvent, ils se plantent. Parce que les " mauvais " n’arrivent pas à raisonner comme eux ; et les " bons ", qui apprennent vite, ne raisonnent surtout pas comme ça !. Ils apprennent selon des processus mentaux encore largement inconnus, hétéroclites, probablement variables selon les individus. Puis fournissent du " raisonnement " à la demande. C’est un jeu de connivence entre bons élèves et bons maitres. Mais c’est un jeu de dupe pour les exclus ; et sans doute pire, dans l’avenir " citoyen ", qu’une franche lutte sociale.
En tout cas, quand la connivence n’a pas joué, les exclus, qui doivent gérer, à perpétuité, de façon " raisonnée ", le fatras inextricable, ont le droit, en république, quand l’école est finie, de " raisonner " de façon critique.
Ils ont deux mauvaises nouvelles à affronter, qu’ils connaissent d’ailleurs très bien.
La première, c’est qu’on n’écrit pas phonétiquement. Il y a plein d’informations dans l’écriture qui ne font pas de bruit et il y a plus de phonogrammes que de phonèmes. Il ne reste plus qu’à choisir sa meilleure façon de vivre l’impitoyable complexité.
Soit pin et pain
Ils ne s’écrivent pas de la même façon parce qu’on risque de les confondre, c’est la raison invoquée. :
il coupe le ( ) , il coupe le ( ) ? Donc , pin et pain , l’un avec le phonogramme in , l’autre avec le phonogramme ain . Mais on n’a pas choisi n’importe lesquels dans le magasin. Il faut connaitre les belles histoires de pin et pain pour choisir. Pain comme paix avec une lettre de famille ; deux familles bien vivantes : panifier ; pacifier . Mais de semblable façon, pin fait pinède. La seule différence entre le a de paix et celui de pain, c’est que les informations de sens et de " son " contenues dans ai se superposent dans un graphème absolument indécomposable.
L’écriture est un mélange inextricable de phonogrammes et d’idéogrammes, écrits avec les mêmes lettres de l’alphabet. Ceci est la vérité essentielle.
Il vaut mieux essayer de prendre du plaisir avec, car c’est le meilleur remède pour la mémoire. D’ailleurs, c’est en apprenant les mots dans des bains d’émotion qu’on atteint la perfection. Vu à la télévision : l’intellectuel de grand renom, confronté au risque de la réforme, protestant qu’en remplaçant le ph de éléphant par un f, on allait ruiner son " imaginaire ". Les " imaginaires " des lettrés sont des sites classés : c’est le grand progrès de l’homme depuis les pharaons.
Affronter l’ordre du langage ne relève jamais d’une logique de bon sens. Le mythe étymologiques du " vrai sens " des mots soulève encore l’enthousiasme. On peut craindre toutefois que l’analyse en graphèmes (bientôt renforcés de quelques autres venus d’outre Atlantique), fasse moins rire. Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’euphorie qu’on se donne, tout le monde se rend bien compte que le système, de toute façon, est tellement compliqué et rempli d’exceptions, dont les savants eux-mêmes se demandent à chaque fois si c’est du lard ou du cochon, (peut-on se débarrasser ou non de celle-ci ou de celle-là, ne cacheraient-elles pas des vérités structurales cachées ?), qu’il vaut mieux, comme d’habitude, apprendre les " mots d’usage " au coup par coup, si possible avec de l’émotion contextuelle. Il faut se garder de prendre toute nouvelle méthode trop au sérieux ; les vrais savants d’ailleurs n’en demandent jamais tant. Ils savent, eux, que la science doit continuer encore très longtemps son œuvre patiente.
Il y a sans doute encore en effet des régularités cachées ( fonctionnelle ; ou de hasard qui s’est fonctionnalisé, car les " hommes de paroles " sont très bricoleurs). Les savants les recherchent du côté de système proprement dit ou du côté, psycho-linguistique, des conditions de son apprentissage.
Quand on est imbibé du système (quand on est lettré ; le contraire d’illettré ?) , on est conduit inconsciemment dans ses comportements linguistiques par les régularités cachées. C’est pourquoi il ne peut être question de simplifier à coups de hache. Mais c’est pourquoi aussi il est scandaleux que le " sentiment de la langue écrite " des lettrés soit projeté sur les débutants et les illettrés comme des vérités platoniciennes.
Ou bien on connait scientifiquement les lois fonctionnelles, et on en a déjà tiré et expérimenté des techniques d’apprentissage efficaces adaptées aux publics qui peinent, ou bien on est pragmatique et modeste. Et on le dit.
La deuxième mauvaise nouvelle, c’est que les phonèmes aussi c’est compliqué
phonème
C’est un son, mais un son particulier, propre à telle ou telle langue, reconnu comme son de cette langue par ceux qui la parlent.
On ne dit pas phonème au lieu de son par snobisme, mais parce que ce n’est pas du tout comme une note de musique, ce n’est pas le " juste son " ; au contraire, c’est un zone de son où les pratiquants d’une langue reconnaissent un de leurs sons, jusqu’à une certaine frontière où le phonème bascule dans le phonème d’à côté.
Ainsi, on ne peut absolument confondre, à l’oreille, une m(ou)le et une m(u)le. Pas non plus une (p)oule, une (f)oule, une (b)oule et une (m)oule. (Nous reprenons avec d’autres mots la démonstration de Martinet, pour lequel nous reformulons notre pub’. En insistant ici sur le fait que cette façon de commuter les " sons " pour savoir à quel moment ils font basculer un mot dans un autre est la méthode même utilisée par les linguistes pour découvrir les phonèmes. Cette information est donc à la fois une connaissance pratique et un savoir scientifique vulgarisé. Martinet était un merveilleux vulgarisateur)
On n’a jamais vu que la confusion des deux sons [A], [a] et [â] (soigneusement préservés par le système officiel ; mais considérés par Catach et beaucoup d’autres comme n’ayant quasiment plus de rôle distinctif ) ait précipité la moindre ménagère malienne de moins de cinquante ans, mais mal alphabétisée, dans le service des grands brulés de hôpitaux après avoir écouté sa voisine, beur de la seconde génération, lui lire cette recette de cuisine :
- " Plongez vos [pat] dans l’eau bouillante. "
Tout le monde sait bien, sans jamais y avoir réfléchi, que la distinction [ a - â ] (comme [in - un] presque partout en France) a disparu.
Pourrait-on en dire autant de [ o - ô - eu - e ] qui n’arrêtent pas de créer des embrouilles ?
Dans le sens de la lecture, ça ne se remarque pas, comme de bien entendu. Imaginons quelqu’un qui lit et dit rhododendron. Il y a peu de chance qu’il prononce le en comme [an], on l’a vu ; et pourtant ! Par contre, s’il articule les o comme ceux de toto (alors qu’ils doivent être " ouverts " (le o de robe et or n’est pas celui de dos et chevaux, eh bien, personne ne le remarquera. La prononciation officielle des o de rhododendron est ouverte, c’est ainsi ; il faudrait obéir. Mais tout le monde s’en moque. Mais est-ce qu’un potimarron est un petit marron ou un petit rond potiron ? Là, branle-bas de combat ! On a besoin de ces phonèmes, pour injecter ce mot nouveau, c’est à dire ce légume nouveau qui plait aux gastronomes avertis, dans le système, sans qu’il se confonde avec d’autre légumes qu’il a de sérieuses chances de fréquenter dans la conversation. Et chacun tend à dire potimarron avec un o bien distinctif
- .... et rhododendron comme il en a envie
- .... et personne avec le e de petit
Les gens les plus instruits ne s’aperçoivent pas de la façon dont ils parlent. Mais les gosses s’en aperçoivent très bien quand ils essaient d’écrire. Ils écrivent " perseune " et " pem " (pomme). On leur dit de faire attention, d’écouter mieux. Alors forcément, après, ils écrivent " roquin " ....Et après, ceux qui se révoltent écrivent sur les murs : " nique tamére toute les méf des saleupe ". Comment, du reste, écrit-on reblochon dans la grande surface à côté ? Le tag lui a disparu avec la cité passée au bouldozeur.
Autre illustration " Ch’ais pas " alias " Je ne sais pas " Cette déformation résulte inéluctablement de la disparition du ne de la négation dans la conversation courante :
- je ne sais pas >> je sais pas >> j’sais pas >> chsais pas >> chais pas
Et on parle comme ça dans toutes les couches sociales. Mais il n’y a pas de confusion avec cette autre expression :
- " J’ai pas " alias " Je n’ai pas "
Il n’y a pas de trace à l’écrit cependant de la nouvelle et seule différence qui change, à l’oral, le sens des deux énoncés :
(j) et (ch) . On constate ici que la langue orale et la langue écrite divergent vraiment.
Les deux phonèmes (j) et (ch) n’en sont pas moins en parfait état de marche (Quand quelqu’un a des troubles avec eux (troubles orthophoniques), ça se remarque tout de suite. La preuve qu’ils sont opérationnels, c’est justement qu’on peut s’en servir pour distinguer deux idées distinctes (" je n’ai pas ", " je ne sais pas "), de la même façon qu’on ne confond pas "pierre" et "bière". (Cf. Martinet)
Autres exemples de cette excellente qualité du couple :
La voiture est rentrée dans les gens <---> champs
Je me méfie des chênes <----> des gènes des o.g.n.
Il va finir par déchanter <----> déjanter
C’est parfaitement conforme à la théorie ; c’est la définition même du phonème. La distinction entre les phonèmes se maintient quand leur rendement est suffisant. Sinon la flemme (pardon, l’économie !) l’emporte et finit par faire disparaitre la distinction. Quitte à en rétablir d’autres, ou les mêmes, en cas de besoin, selon les besoins de communication à propos des choses que l’on connait. Pendant ce temps, une distinction moribonde peut ne pas avoir disparu de certaines têtes (généralement plus vieilles têtes), et comme un phonème est une " zone de son " et non un " juste son ", alors les vieilles oreilles des vieilles têtes entendent encore des différences là où les jeunes n’entendent plus rien. Et c’est à ceux-ci qu’on fera des reproches ; alors qu’ailleurs on laisse filer l’essentiel. Ce n’est pas davantage un reproche : la langue orale évolue partout inéluctablement, et sans doute utilement. Mais il faut s’écouter mutuellement et respectueusement (" respect ! ").
D’autre part, les citoyens doivent se mobiliser pour exiger qu’on sauve l’écriture du français dans son essence même, c’est à dire en ce qu’elle permet, si tarabiscotée soit-elle, un rapport direct à l’oral. Ce qui exige tout simplement qu’on pratique régulièrement les réformes nécessaires, ainsi que ça a toujours été fait. (L’Académie en a encore été capable en 1990 . Qui l’eût cru ? ... Mais qui le sait encore ?)
De l’écrit à l’oral
modifierContre les sauvageons du phonogramme
Tee-shirt : | |
Pantalon : |
Pantalon est un mot en or pour les champions des méthodes alphabétiques-syllabiques d’apprentissage de la lecture :
- un graphème ----------- un son
- p-an--t-a--l-on
Les phonogrammes (graphèmes indiquant un son) se combinent comme à la manœuvre.
p-a--p-a | t-on--t-on | p-a--t-a--p-on |
Ça ravit des réactionnaires. Ces jeux naïfs et poétiques furent le prélude, sous la clarté de la lampe, à leur accomplissement scolaire. Ils s’en souviennent comme si c’était hier. C’est la madeleine essentielle. Et, comme ce sont des êtres humains, ils veulent partager aujourd’hui la madeleine essentielle (et ensuite le latin-grec), avec les sauvageons. Ils sont touchants.
- p-ont
Évidemment, dans la réalité, les lettres " muettes " sont apparues très vite, il n’y a pas de rose sans épines. Mais les souvenirs sont déjà moins précis. Après la grosse émotion du début, le temps d’incorporer sans excès épistémophiliques les savoirs de la tribu est venu. Le temps de l’enfance, le temps de latence. Tout le temps nécessaire pour apprendre, à bon rythme de croisière, jour après jour, les utiles signifiants : pont , ponton , pontonnier , … pont-l’évêque. Il suffit de rester sage. C’est le premier commandement. L’orthographe est " la meilleure des disciplines ".
En fait, un phénomène équivalent au t de pont est déjà présent dans le an de pantalon, puisqu’il existe un autre (an) dans l’écriture, le en qui fait (an). Ce n’est pas une complication inutile, disent les spécialistes, car c’est une excellente opportunité pour lutter contre les homonyme (« une des rares imperfection du français parlé », selon Thimonnier (code orthographique et grammatical — Marabout 74, p.29)
- ex : en l’an 2000 ;
Il sert lui aussi à la culture attentive des " familles de mots " avec leurs " airs de famille ":
- - pendule, penderie - pantalon, pantalonnade .
Grâce à l’orthographe, on entretient cette fois le culte des ancêtres. L’orthographe est un ordre sacré et un monument.
Toutefois, il faut vivre dedans.
Les raisons étymologiques qui font choisir l’un ou l’autre [an] restant le plus souvent inconnues du profane, et les raisons distinctives tout autant. Penser / panser est une merveille évidente de discrimination ; mais pension , panthéon , penseur , pantoufle ?… de quel ordre profond sont-il l’expression ? Qui nous répond à l’instant ? On peut déjà constater que l’acquisition du système n’exige pas sa compréhension. La règle d’obéissance est primordiale, et la " mémoire procédurale " favorisée, celle des automatismes et du par cœur, infiniment supérieure pour ces tâches à la " mémoire sémantique ". Il semble même que ce ne soit pas la même localisation cérébrale. Question de don ? En tout cas, dans une bonne ambiance socio-affective, le moteur tourne rond et les réflexes sont vite acquis : en , an ⟶ [an].
Arrive en ⟶ [in] : " Les lycéens ont encore manifesté " ; c’est justement parce que le niveau monte ; "Lycéens, han, han ! ", même les CRS ne s’y trompent plus.
Le " chien " de la maison, quant à lui, continue à consommer tranquillement ses croquettes : ien est tellement employé qu’il a l’allure d’un bloc sonore, d’un phonogramme selon les " notions fondamentales " ; mais ce n’en est pas un puisqu’il indique deux phonèmes différents i-en ⟶ [y][in]. À ce point du dressage, tout le monde s’en moque, l’esprit critique a disparu dans les limbes. Et, au final, c’est sans hésiter une seconde qu’on ne confond pas chien et chiant. En période de prospérité économique, les chiants sont chez le pédopsychiatre, les raisonneurs consciencieux travaillent double, ils sont scotchés à leur table à ces tâches mécaniques, tenus éloignés des désordres adolescents. C’est le meilleur des mondes …
C’est à ce moment qu’il faut se méfier de chienlit, vieux mot redevenu incontournable dans la culture générale… Mais pas tous les ans quand même !
Plus on lit, plus on lit vite. C’est un truisme. Pour comprendre comment le cerveau s’y prend, on peut être tenté de dépasser l’observation empirique. Des chercheurs en effet ont osé. Ce qu’ils ont constaté, c’est que pour lire efficacement, il faut se débarrasser le plus possible de la syllabation. Tiens donc !… Quand on est bon lecteur, on reconnait la " figure des mots " même quand on bouscule un peu l’ordre des lettres. La structure grammaticale de la phrase aide aussi. C’est à quoi sert cette multitude d’indices graphiques sans rapport avec l’oral : espaces entre les mots, ponctuation, familles, lettres grammaticales, différenciations des homonymes … inventés petit à petit au cours de l’histoire par les " scribes " ; en tâtonnant beaucoup, et c’est leur mérite ; mais jamais sans réflexion : ils n’étaient pas plus bêtes que nous. Cette histoire, que des savants reconstituent, est passionnante, pas moins que celle des batailles ou du progrès économique et social.
L’important à comprendre, c’est qu’on peut passer, semble-t-il, directement de l’écriture au sens. Ce qui constitue un avantage considérable pour transmettre les savoirs. L’invention n’est pas moins considérable que celle de la machine à vapeur, car il est toujours bien plus efficace de lire pour s’instruire que de regarder la télévision.
On en a tiré des technologies d’entrainement à la lecture rapide qui semblent assez efficaces quand cette capacité à consommer du texte à toute vitesse est vitale dans la concurrence intellectuelle.
Un bon lecteur rapide ne se remet à épeler, en " subvocalisant " discrètement, que lorsqu’il a affaire à un mot difficile, voire inconnu ; avec tous les risques que cela présente toutefois pour le dire à haute voix. Ainsi, presque tout le monde prononce avec le son [eu] le mot " gageure" qui doit se prononcer ga[ju]re, parce que ce mot ne fait pas partie du langage habituel et que les nouveaux lettrés qui ont pris " l’ascenseur social " l’ont découvert dans les livres. De même, un matin de tempête dévastatrice en bord de mer, une dame se plaignait auprès d’Alain Rey de la façon dont elle entendait trop souvent sur les ondes prononcer " conchyliculture ". Mais Alain Rey ne promettait pas que l’usage futur respecterait forcément le grec. Dans le Petit Robert de 96, dont Alain Rey est le chef, il est indiqué pour " gageure " : « critiqué, mais fréquent [gag(eu)re]] ». La réforme académique de 90 proposait, elle, plus rigoureusement, " gageüre " … que le Petit Robert méprisait ; Alain Rey serait-il un sauvageon ? Il est vrai que les dictionnaires, depuis quelques années, en prennent un peu à leur aise. Mais que dire de l’Académie avec cette réforme qu’elle a osé commettre ? C’est la chienlit qui continue …
Qu’on nous redonne Richelieu!… Au moins Chevènement.
Quoi qu’il en soit, malgré cette complexité, tout le monde arrive à lire (on ne parle pas d’analphabétisme dans les pays développés, mais d’illettrisme). Et même à " lire des yeux ", au moins les informations qui concernent chacun.
Mais écrire est une autre aventure.
i li mè i lècripa pourcoua ?
Ce n’est pas la peine d’épiloguer davantage. Ainsi qu’on a vu, on n’écrit pas comme on parle. Il ne suffit pas de syllaber.
" Tout ce qui se prononce doit s’écrire ", disait Thimonnier (code orthographique, p. 51), mais la réciproque n’est pas vraie. Il en résulte (pas besoin non plus de beaucoup épiloguer) que l’écriture est essentiellement inégalitaire. Nous ne dirons pas que c’est fait pour. Disons que cela ne nuit pas à l’ordre social. C’est la " lisibilité " que les " inventeurs " au cours des siècles ont visée, au fur et à mesure que l’écriture n’a plus été, après l’invention des alphabets … phonétiques, un simple aide-mémoire de la parole orale. Mais on pouvait écrire sans trembler ; les lettrés admettaient entre eux une certaine laxité. L’instruction de masse à liquidé la tolérance. André Chervel explique lumineusement ce processus en distinguant « écriture passive » et « écriture active » dans son livre « l’orthographe en crise à l’école ».
Quoi qu’il en soit, les travaux de Nina Catach l’ont prouvé, notre écriture n’est pas coupée de l’oral. Il semble même que toutes les écritures, dans le monde et dans l’histoire, tendent à être des " polysystèmes ", mélange, en proportions variées, de signaux de sens direct et d’autres qui sont les substituts visuels des sons de la langue parlée. Le choix de la proportion est une question politique.
il lit mais il n'écrit pas
Nous répétons l’information, plus près de l’écrit, pour enfoncer le clou. La " société civile " et l’Etat font assez de bruit de leur côté en faveur de la lecture. L’Etat, on comprend pourquoi (" véhiculaire, disciplinaire ") ; mais ces milliers de braves gens qui contribuent bénévolement à renforcer la dissymétrie inhérente au système en paralysant de ce fait un peu plus la " communication " entre le haut et le bas de la société, que font-ils dans cette galère ? Qu’on aide à la lecture en état d’urgence, ça va de soi ; c’est une action humanitaire. Mais que ce soit sans jamais affronter le fond de la question inégalitaire, il y a de quoi méditer Bourdieu.
Reprenons où le bât blesse, où l’angoisse politique, la seule qui mérite notre respect, est palpable.
Thimonnier comptait sur l’écriture pour « stabiliser la prononciation » (p. 28, 29). Il professait que, pour parler correctement, il fallait se « représenter mentalement le mot écrit » (p. 101). Agréable perspective de la conversation ! Mais l’idée avait de la cohérence, une grandeur spartiate et un parfum démocratique.
C’est râpé de toute façon :
les propos des notables et des intellectuels sont pleins aujourd’hui de " ifaut " et " chais pas ". " Ya qu’à " les écouter pour se laisser convaincre que les " fautes de français " ne sont plus une de ces tares de la misère dont on ne s’échappe qu’en prenant l’ascenseur social. Le français continue d’évoluer. Ipso facto, la coupure entre l’oral et l’écrit traditionnel se précise. D’autres civilisations ont connu ça. Et " le peuple tout entier " commence à s’en apercevoir.
C’est exactement au début de cette prise de conscience, dans l’après 68, entre désillusions libertaires et souci de préserver les positions de classe conquises, que Foucambert a fait son tour de piste chez le mammouth.
Foucambert, sur qui tirent ces " intellectuels " qui s’emploient actuellement à convaincre le peuple qu’il y aurait eu jadis un âge d’or où tout le monde écrivait en bonne orthographe. Grâce aux méthodes syllabiques, bien sûr! Que les vilaines méthodes " globales " auraient dévastées. Pauvre Foucambert victime de son monde virtuel !
Foucambert, ingénieur maison de l’Education Nationale, avait en effet, il y a vingt ans, remis en valeur et en actes l’idée des méthodes " globales " en s’inspirant des observations et expériences évoquées plus haut. Pour les démocratiser, croyait-il. Son raisonnement en soi n’était pas stupide : puisque, pour devenir bon lecteur, il faut se débarrasser de la syllabation, pourquoi prendre, en débutant, de mauvaises habitudes ? Comme pour le ski : il faut arrêter d’enseigner aux débutants le virage " chasse-neige " dont ensuite on aura toutes les peines du monde à éliminer les réflexes parasites pour skier vite et bien. De toute façon, ceux qui deviennent bons lecteurs et bons scripteurs ont dû, à un moment ou à un autre, opérer, semble-t-il, une rupture avec l’oral, pour s’installer dans cet autre monde du langage.
Mais le ski est une chose et la lecture une autre. Pour le ski, on sait en effet enseigner mieux. Pour la lecture, on n’a jusqu’à présent trouvé aucune méthode active fiable et codifiable que les " opérateurs " de l’Education nationale auraient pu utiliser pour lutter efficacement contre l’illettrisme . Ils n’ont eu droit qu’au mot " global " employé comme pub’ sur les manuels. Les méthodes devenaient toutes " semi-globales " comme le pâté d’alouettes ; et aujourd’hui, c’est à cause d’elles qu’on taille des costards aux quelques enseignants qui ont vraiment travaillé à essayer de changer un peu quelque chose.
Le seul résultat prévisible du foucambisme, avec du discours de gauche en veux-tu en voilà, aurait été d’entériner l’éloignement grandissant de l’oral vivant (toujours vivant) de l’orthographe établie. C’était une politique de gribouille : pour échapper à l’injustice de l’inégal accès à la communication écrite, on acceptait que l’écriture soit un monde séparé. Plus besoin alors de l’adapter ou de la simplifier ; et plus besoin d’enseigner aux enseignants les pièges et les difficultés … du syllabisme, c’est à dire le b,a ba de la linguistique appliquée à leur métier.
La réalité prévisible d’une coupure entre l’oral et l’écrit, ce n’est pas davantage de " lecture rapide ", mais encore plus de " mémoire procédurale " décorée d’explications bidon ou imbitables au bas bout de l’échelle sociale.
Et comment donc qu’il faut espérer qu’on n’abandonnera jamais le syllabisme ! C’est la garantie que l’écriture française ne deviendra pas " du chinois ". C’est une garantie, pour tous ceux qui n’iront pas au bout de l’instruction, qu’ils pourront toujours se raccrocher aux branches du " polysystème ", pour lire, certes, mais aussi écrire des messages urgents (" Omar m’a tuer "). Et qui pourront profiter bientôt (c’était inespéré) des correcteurs orthographiques. L’école les interdira comme les calculettes, mais il n’y a pas que l’école dans la vie. Une faute " proffesionnelle " sur un gâteau regarde le syndicat ; la démocratisation de la communication informatique regarde la " résistance socioculturelle ".
En outre, des recherches nouvelles utilisant l’imagerie cérébrale, menées par Stanislas Dehaene, montrent que le cerveau calcule avec une vitesse prodigieuse en utilisant toutes ses ressources et acquisitions ; et ne néglige pas, avant la prise de conscience, les rapports de l’écriture avec la langue que l’on parle.
Alors, oh oui, le syllabique ! Mais pas ses génuflexions. Tout le monde a le droit de connaitre le fond du problème. Il faudra l’affronter de toute façon, puisque " l’histoire n’est pas finie " ; elle continue dans ce domaine de bouleverser les habitudes de chacun, exactement comme l’ont prédit les linguistes.
" Conchyliculture ", c’était la splendeur du latin-grec, ces mots qu’on a du mal à apprendre et à prononcer, mais qui offrent un tel plaisir raffiné aux joueurs de scrabble dans les séjours du 3e âge. Comment écrit-on " lumbago " ? À la fin des fins, l’Académie a pris le taureau par les cornes et décidé qu’on écrirait lombago, de la famille lombes, lombaire, lombalgie (dans la famille " grabataire ", cherchez le grand-père !) Mais le Petit Robert a gardé " lumbago, var; lombago ". Nous venons d’expliquer que le petit monde des dictionnaires a conquis récemment sa liberté. Les conséquences sont redoutables.
Car pour l’orthographe des mots étrangers, les Académiciens, de toute … éternité, avaient choisi de respecter le latin-grec ; et fait semblant de respecter les autres langues. Mais foin d’exotisme, voici l’Amérique triomphante. L’Académie, vu l’enjeu qui n’est plus seulement de discipliner le peuple qui s’instruit, prend peur et tente de résister. On ne dira pas bulldozer, on choisira un mot bien français : " bouteur " ; de " bouter " … l’anglais hors de France. Plus ignorant en linguistique, tu meurs ! C’est ce qui est en train de se passer.
On se rabat sur " bouldozeur ", avec un suffixe bien français et un radical en bons graphèmes. Trop tard, trop tard ! Empêtré dans ses vieilles traditions (la francisation de l’écriture des mots, c’est toujours trop tôt ou trop tard), on adoptera forcément, en même temps, en état de panique: cutteur, thrilleur, freezeur, leadeur (le Petit Robert garde er, prononcé comme ci ou comme ça) , holdup, checkup, funky, pinup, underground ; et callgirl, cornflakes, pacemakeur, milkshake ; et newlook, snowboot, scooteur, crooneur, waterproof … microordinateur … non, on plaisante. Mais cela permet de montrer où mène la chienlit : à la confusion totale dans un système qui permettait bon an mal an de … syllaber. Dans les supermarchés, c’est la marée noire des mots globaux. Il faut bien acheter son teeshirt avec son pantalon. C’est la " lecture globale " qui guide le client ; heureusement, sinon, d’ores et déjà, on aurait à l’école, pour syllaber, ee ⟶ [i] et i ⟶ [e], et tout le reste. Le oo ⟶ [ou] caracolant en tête de hit parade.
A ⟶ [è] ; les ecztasiés des " rave-party " se dénomment " raveurs "(prononcé comme " rêveur "). Gageons que d’ici quelques lustres, on dira que les deux orthographes ont été choisies pour éviter l’homonymie.
Il faut que tous les auteurs à succès se remettent à la tâche. Le mal est pire qu’ils le supposaient. Les réactionnaires doivent se mobiliser avec nous pour sauver les phonogrammes du bon français.
Nous allons même leur proposer mieux : d’intervenir directement dans la didactique, autrement que par des imprécations et des contresens techniques où ils se ridiculisent. Et d’user de leur influence " légitime " pour nous aider à moderniser le b,a, ba.
Il suffit d’adopter la méthode " alfonic " d’apprentissage de la lecture en veillant scrupuleusement sur la déontologie qu’elle s’est elle-même donnée.
La méthode alfonic ou la "graphonie " de Thimonnier dont les finalités véhiculaires et disciplinaire sont différentes, mais ce n’est pas la question pour l’instant.
Le principe est d’apprendre à lire et à écrire au moyen d’un code phonologique intermédiaire, mais en respectant rigoureusement la discipline républicaine véhiculaire au moyen d’une consigne claire : la classe, lieu d’apprentissage et de réflexion, ne communique avec l’extérieur qu’en orthographe. Le code intermédiaire est provisoire, sursignalisé comme tel. Ce n’est qu’un outil d’analyse de l’oral et de l’écrit qu’on étudie.
On peut répondre aisément aux deux objections pédagogiques:
- la mémorisation des signes intermédiaires est un surcout d’apprentissage,
- ces signes peuvent conduire à des fautes d’orthographe
Réponse 1 (à l’usage des bons) : aucune méthode n’empêche un bon élève d’apprendre à lire. Celui-ci, en outre, devra un jour ou l’autre se familiariser avec les signes d’une analyse phonétique (qui apparaissent désormais partout et se généralisent dans les dictionnaires)
Réponse 2 (à l’usage de mauvais) : ce qui les caractérise justement, ces révoltés, c’est leur capacité à se donner un système personnel de transcription phonétique, bricolé, parasité de lettres muettes au petit bonheur et entrelardé d’épaves de mots globaux. S’ils se mettaient à taguer en alfonic, on voit mal le tort supplémentaire qu’ils se feraient.
L’alfonic (ou la graphonie), c’est le b,a, ba dans l’ordre et la loi. Avec ces méthodes, tout le monde ( enfants, parents, enseignants), est placé bon gré mal gré au centre des questions du langage, entre un oral toujours plus ou moins vernaculaire, dans tous les milieux, et la langue nationale véhiculaire pour aujourd’hui, pour hier et pour demain. Ces méthodes révéleront à tous, y compris aux maitres, ce qui converge et ce qui diverge dans les pratiques orales. Elles sont objectives et neutres au départ. Ce sont les instructions officielles qui diront s’il faut s’adapter souplement ou corriger vigoureusement, s’accommoder des " mauvaises prononciations" ou " orthophonier " tous azimuts (mais alors, jusqu’au ministère), sous la houlette d’une écriture stabilisée selon le vœux de Thimonnier.
L’orthographe reste immuable et sacrée.
Ou bien elle est réformée par la loi.
Le pari politique (jouons franc-jeu) est que les réformes deviendront vite plus populaires si l’orthophonie véhiculaire tourmente suffisamment les " intellectuels parisiens ". Tous ensemble, OUI !
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DE QUELLE FAÇON IL FAUT DEMANDER LES DOUTES DE LA LANGUE
Ce n’est pas vne chose inutile de descouurir le moyen par lequel on peut sçauoir au vray I’Vsage que l’on demande, quand on est en doute; Car faute de sçauoir la methode qu’il faut obseruer, et de quelle façon il faut interroger ceux à qui l’on demande l’esclaircisserment du doute, on n’en est point bien esclaircy; au lieu que par le moyen que ie vais donner, on voit clairement la vérité, et à quoy il se faut tenir. Par exemple, ie suis en doute s’il faut dire elle s’est fait peindre, ou elle s’est faite peindre, pour m’en esclaircir qu’est-ce qu’il faut faire? Il ne faut pas aller demander, comme on fait ordinairement, lequel faut-il dire des deux; car dés là, celuy à qui vous le demandez, commence luy mesme à en douter, et tastant lequel des deux luy semblera le meilleur, ne respondra plus dans cette naïfueté, qui descouure I’Vsage que l’on cherche, et duquel il est question, mais se mettra à raisonner sur cette phrase, ou sur vne autre semblable, quoy que ce soit par I’Vsage et non pas par le raisonnement, que la chose se doit decider. Voicy donc comme i’y voudrois proceder. Si ic parle à vne personne qui entende le Latin, ou quelque autre langue, ie luy demanderay en Latin, ou en cette langue là, comme il diroit en François ce que ie luy demande en Latin, ou en cette autre langue; Et s’il n’en sçait point d’autre que la Françoise, il sera beaucoup plus difficile de luy former la question en sorte qu’il ne s’apperçoiue point du nœud de la difficulté, et du poinct auquel consiste le doute dont on se veut esclaircir; car c’est tout le secret en cecy, que de ne point donner à connoistre où est le doute, afm qu’on descouure I’Vsage dans la naïfucté de la response, qui ne feroit plus cet effet, si lors que l’on sçauroit dequoy il s’agit, on y apportait le raisonnement, au lieu de la naïfueté. Si ie m’adressois donc à vne personne, qui ne sceust point d’autre langue que la Françoise, ie luy dirois dans l’exemple que j’ay proposé, les paroles suiuantes. Il y a vne Dame qui depuis dix ans ne manque point de se faire peindre deux fois l’année par des peintres differens. le vous demande, si vous vouliez dire cela à quelqu’vn, de quelle façon vous le luy diriez sans repeter les mesmes paroles que i’ay dites. Ayant ainsi formé ma question, il est certain d’vn costé qu’on ne sçauroit iamais deuiner le sujet pour lequel ie la fais, et d’autre part il est comme impossible, que par ce moyen ie ne tire la phrase que ie cherche, où je trouueray l’esclaircissement de ce que ie veux sçavoir; car tost ou tard, cette personne seule, ou plusieurs ensemble dans vne mesme compagnie, à qui ie me seray adressé, ne manqueront point de dire elle s’est fait peindre ou elle s’est faite peindre, et de ce qu’elles diront ainsi naïfuement sans y penser et sans raisonner sur la difficulté, parce qu’elles ne sçauent point quelle elle est, on descouurira le veritable Vsage, et par consequent la façon de parler, qui est la bonne, et qui doit estre suiuie.
»
— Vaugelas, cité par J.P. Caput dans « La langue française, histoire d’une institution » tome 1, Larousse 1972, p. 240,241
Martinet
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i -8. La double articulation du langage
On entend souvent dire que le langage humain est articulé. Ceux qui s’expriment ainsi seraient probablement en peine de définir exactement ce. qu’ils entendent par là. Mais il n’est pas douteux que ce terme corresponde à un trait qui caractérise effectivement toutes les langues. Il convient toutefois de préciser cette notion d’articulation du langage et de noter qu’elle se manifeste sur deux plans différents : chacune des unités qui résultent d’une première articulation est en effet articulée à son tour en unités d’un autre type.
La première articulation du langage est celle selon laquelle tout fait d’expérience à transmettre, tout besoin qu’on désire faire connaître à autrui s’analysent en une suite d’unités douées chacune d’une forme vocale et d’un sens. Si je souffre de douleurs à la tête, je puis manifester la chose par des cris. Ceux-ci peuvent être involontaires dans ce cas ils relèvent de la physiologie. Ils peuvent aussi être plus ou moins voulus et destinés à faire connaître mes souffrances à mon entourage. Mais cela ne suffit pas à en faire une communication linguistique. Chaque cri est inanalysable et correspond à l’ensemble, inanalysé, de la sensation douloureuse. Tout autre est la situation si je prononce la phrase j’ai mal à la tête. Ici, il n’est aucune des six unités successives j’, ai, mal, à, la, tête qui corresponde à ce que ma douleur a de spécifique. Chacune d’entre elles peut se retrouver dans de tout autres contextes pour communiquer d’autres faits d’expérience : mal, par exemple, dans il fait le mal, et tête dans il s’est mis à leur tête. On aperçoit ce que représente d’économie cette première articulation : on pourrait supposer un système de communication où, à une situation déterminée, à un fait d’expérience donné correspondrait un cri particulier. Mais il suffit de songer à l’infinie variété de ces situations et de ces faits d’expérience pour comprendre que, si un tel système devait rendre les mêmes services que nos langues, il devrait comporter un nombre de signes distincts si considérable que la mémoire de l’homme ne pourrait les emmagasiner. Quelques milliers d’unités, comme tête, mal, ai, la, largement combinables, nous permettent de communiquer plus de choses que ne pourraient le faire des millions de cris inarticulés différents.
(...........................)
Chacune de ces unités de première articulation présente, nous l’avons vu, un sens et une forme vocale (ou phonique). Elle ne saurait être analysée en unités successives plus petites douées de sens : l’ensemble tête veut dire " tête " et l’on ne peut attribuer à tê- et à -te des sens distincts dont la somme serait équivalente à " tête ". Mais la forme vocale est, elle, analysable en une succession d’unités dont chacune contribue à distinguer tête, par exemple, d’autres unités comme bête, tante ou terre. C’est ce qu’on désignera comme la deuxième articulation du langage. Dans le cas de tête, ces unités sont au nombre de trois; nous pouvons les représenter au moyen des lettres t e t, placées par convention entre barres obliques, donc /tet/. On aperçoit ce que représente d’économie cette seconde articulation : si nous devions faire correspondre à chaque unité significative rninima une production vocale spécifique et inanalysable, il nous faudrait en distinguer des milliers, ce qui serait incompatible avec les latitudes articulatoires et la sensibilité auditive de l’être humain. Grâce à la seconde articulation, les langues peuvent se contenter de quelques dizaines de productions phoniques distinctes que l’on combine pour obtenir la forme vocale des unités de première articulation : tête, par exemple, utilise à deux reprises l’unité phonique que nous représentons au moyen de /t/ avec insertion entre ces deux /t/ d’une autre unité que nous notons /e/.p. 13,14,15
Ch. 1.17 Les unités discrètes
Les mots pierre /pier/ et bière /bier/ ne se distinguent que par l’emploi dans l’un du phonème /p/ là où l’autre a /b/. On peut passer insensiblement de l’articulation caractéristique de /b/ à celle de /p/ en réduisant progressivement les vibrations des cordes vocales. Physiologiquement donc, nous trouvons ici la même continuité sans accroc que nous avons constatée pour la montée de la voix. Mais tandis que tout changement dans la montée de la voix entraînait une modification minime peut-être mais réelle du message, rien de tel ne se produit dans le cas des vibrations qui caractérisent /b/ par rapport à /p/. Tant qu’elles restent perceptibles, le mot prononcé sera compris " bière ". Mais lorsque est atteint un seuil, qui peut d’ailleurs varier selon le contexte et la situation, l’auditeur comprendra " pierre ", c’est-à-dire que l’initiale ne sera plus interprétée comme /b/, mais comme /p/. Le sens du message changera donc du tout au tout. Si le locuteur articule mal, ou s’il y a du bruit et que la situation ne facilite pas ma tâche d’auditeur, je pourrai hésiter à interpréter ce que j’entends comme c’est une bonne bière ou c’est une bonne pierre. Mais je devrai nécessairement choisir entre l’une ou l’autre interprétation. La notion d’un message intermédiaire ne fait aucun sens. De même qu’on ne peut rien concevoir qui soit un peu moins " bière " et un peu plus " pierre ", on ne saurait envisager une réalité linguistique qui ne serait pas tout à fait /b/ ou serait presque /p/-, tout segment d’un énoncé reconnu comme du français sera nécessairement identifiable ou comme /b/ ou comme /p/ ou comme un des 32 autres phonèmes de la langue. On résume tout ceci en disant que les phonèmes sont des unités discrètes.
p. 22,23
»
— André Martinet, Eléments de linguistique générale — A.Colin 1970
Nina Catach
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52.2.1. Le doublement de
l
dans la graphie et dans la prononciation :l
a pour caractéristique sa tendance, plus forte que pour toute autre consonne, si ce n’est n et m, à être prononcée double en certaines situations, non seulement par sentiment de la construction morphologique, à la limite du préfixe et du radical (illégal, illettré), mais même dans certains mots-radicaux qui ont suivi, en général venus de l’italien, ou prononcés sous l’influence de l’italien : ex. : allegro, allegretto, entraînent parfois la prononciation allègre, allégresse (anciennement écrit et prononcé alègre, alégresse, de alacer, alacritas).Voici, dans un certain nombre de mots, d’après les données du Petit Robert (P.R.), la distribution des deux l, prononcés (ou pouvant être prononcés) doubles, en cette position, après a (Le Petit Larousse Illustré (P.L.i.) 1971, indique [l] partout) :
- [l] simple : allaiter (et dér.), aller (et dér.), allemand, allergie (et dér.), alliage, allier (et dér.), allo, allonger (et dér.), allouer (et dér.), allumer, allure, etc.
- parfois [ll] double : allécher (et dér.), alléger (et dér.), allégeance, allégorie (et dér.), allègre (et dér.), alléguer (et dér.), alligator, allitération, allocataire, allocution, allusion, alluvion, etc.
On voit que, contrairement au P.L.i. (qui consigne dans tous les cas [l] simple) et à la plupart des dictionnaires (dont le Dictionnaire de l’Académie), P.R. n’hésite pas à noter la double prononciation, même en dehors de toute composition (le cas le plus curieux étant sans conteste celui d’alligator (aligarto, au XVe siècle).
En fait, on pourrait se demander s’il ne se produit pas, entre les deux préfixes a(d)- et a- (négatif), une sorte de dissimilation d’ordre phonosémantique, le premier étant ici, comme devant les autres consonnes, plus volontiers prononcé double en cas de consonnes doublées, alors que le second ne l’est jamais, à l’écrit comme à l’oral (alexie).
Mais le problème est plus complexe encore : les mots courants (comme aller, allonger, allumer) se prononcent toujours avec
l
simple, alors que l’orthographe fait sentir davantage son influence sur les mots moins courants, qu’ils soient sentis ou non comme composés (alléguer et allégresse). C’est la preuve qu’il ne s’agit pas seulement d’un " sentiment " morphologique, mais bel et bien d’une réaction (artificielle et savante) due à l’orthographe. Dans les mots récents et néologismes,l
n’est en général pas noté double : aliter, alitement, alunir alunissage, etc. En revanche, on entend souvent allongé ou doublé l’l
simple de mots ou de groupes de mots comme li(l)las, je (l)l’ai dit, etc.Pour ill, la situation est assez simple : le P.L.i. et le P.R. s’accordent pour consigner la double prononciation de l, quelle que soit la valeur du préfixe (in- " dans " et in- négatif, illuminer, illégal, etc.).
Pour coll-, de nouveau, les deux dictionnaires ne sont plus d’accord. On trouve par exemple
l
simple dans P.R. pour coller (et dérivés), colle, collège (et dérivés), collier, colline, mais non pour collaborer (et dérivés), collationner (et dérivés), collègue, collision, collation, collusion, etc. Dans P.L.i. on trouve [l] simple, et souvent contrairement au P.R., pour collapsus, collationner, collationnement, collecte, collecter, collection, et dérivés, collimateur, collision, collodion, collusion, collyre, etc.Nous pensons, quant à nous, qu’en dehors de ill-, où la composition est fortement ressentie par certains, les tendances au redoublement disparaîtraient assez rapidement au cas où l’on supprimerait les deux
l
graphiques, là où ils existent actuellement. Mais la question demanderait à être approfondie davantage.p. 183, 184
63.4. Valeurs étymologiques et historiques des consonnes doubles
63.4.1. Valeurs étymologiques : L’importance du critère étymologique est indéniable en ce qui concerne les consonnes doubles. En dehors de rr, prononcé double (qui s’opposait en ancien français à r comme en espagnol), et des graphèmes complexes, toutes les consonnes doubles du latin étaient au Moyen Age prononcées simples, comme tous les groupes de consonnes, et la plupart avaient été supprimées : anc. fr. abe (abbé), ele (elle, aile) nule (nulle), battre (battre), etc. Elles ont été rétablies dans la graphie à partir du XIVe siècle, et surtout au XVI, sous des influences diverses : retour à l’étymologie, calque des dérivés sur les radicaux latins, influence de l’italien, qui les avait parfois conservées à l’écrit comme à l’oral, etc. Ce mouvement a pris une nouvelle ampleur à la faveur des relatinisations successives de notre vocabulaire.
63.4.2. Valeurs historiques : Mais pour bien comprendre, dans toute sa complexité, l’usage des consonnes doubles en français, il est nécessaire de savoir qu’elles répondaient à diverses fonctions proprement graphiques, pertinentes par rapport à des systèmes de transcription aujourd’hui dépassés. Ces fonctions sont essentiellement au nombre de trois.
63.4.2.1. Notation des anciennes voyelles nasales : Excepté après i et u, où la nasalisation avait disparu très tôt, les consonnes in et n ont servi à noter l’ancienne prononciation des voyelles nasales (......) devant m et n : an-née, prudem-ment, chien-ne, bon-ne. Ces consonnes doubles, notons-le, contredisent le plus souvent l’étymologie. De plus, une autre contradiction, interne aux familles de mots, oppose en synchronie les dérivés savants (à consonne simple) et les dérivés populaires (à consonne double). Comparez : consonne/consume, subordonne/subordination, femme/féminin, bonhomme/., bonhomie, nomme/nominal, charbonnier/carbone, etc. Cette infraction au principe morphologique, l’une des plus flagrantes de notre orthographe, rejoint celle qui oppose très généralement les mots savants et les mots populaires en français, laquelle met sans cesse en défaut le principe d’analogie dérivative (voir § 53.1).
Nous en avons un autre exemple avec les consonnes doubles
rr
etll
, qui contrairement aux précédentes se trouvent du côté des dérivés savants : courir/concurrent, boule/bulle, gaulois/gallican, etc.63.4.2.2. Notation des voyelles ouvertes : Les consonnes doubles n et m suivies de e à la finale ont noté également, depuis le XVIe s. principalement (R. Estienne), la valeur ouverte de ces voyelles (voir 31.4. et exemples ci-dessus). C’est le cas surtout pour les finales en -ien, -ienne, -on, -onne, et aussi, comme nous l’avons dit, des finales féminines et des diminutifs en -elle, -ette, -otte, etc. (61.3.).
63.4.2.3. Notation des voyelles brèves : Il n’est pas douteux que la consonne double ait servi, dans certains cas, à noter une opposition voyelle brève/voyelle longue en français, et ce pour toutes les voyelles, y compris a, i et u. On constate que c’est là un procédé d’écriture en usage dans beaucoup de langues européennes (anglais, allemand, etc.).
a 63.5. Valeur logogrammique des consonnes doubles
D’où les oppositions phonémiques, assez bien conservées encore chez certains dans pâle/palle, sale/salle, hâle/halle, âne/Anne maître/mettre,pèle/pelle, l’être/lettre, home/homme, côte/cotte, etc.
D’où aussi le maintien, dans certains cas, de l’opposition consonne simple/consonne double (cette dernière d’origine étymologique ou historique) dans un but de différenciation simplement logogrammique : balade/ballade; buter/butter; cane/canne; (il) cèle/celle; cire/cirre/cirrhe; cote/cotte; date/datte; déférer/déferrer; détoner/détonner; ère/erre; gale/galle; galon/gallon; guère/guerre; luter/lutter; mari/marri; sale/salle; soufre/souffre; vile/ville, etc.Les différentes valeurs anciennes peuvent d’ailleurs se chevaucher. Par exemple, un mot comme belle s’écrit ainsi pour de multiples raisons, plus ou moins pertinentes : par conformité avec le latin (étymologie), pour noter la voyelle ouverte (valeur diacritique), peut-être sous l’influence de l’italien, peut-être aussi pour " étoffer " le mot (valeur distinctive, s’oppose à bêle, prononcé anciennement avec voyelle longue, etc.).
p. 281 282»
— Nina Catach, L’orthographe française - traité théorique et pratique, avec des travaux d’application et leurs corrigés — Nathan 334 p.
Walter et Martinet
modifier« Le futur des verbes se formait en latin classique en ajoutant au radical du verbe la désinence -bo, -bis, etc. Sur LAVARE " laver ", on formait LAVA-BO " je laverai ", LAVA-BIS " tu laveras ", etc. Ce type de formation a été abandonné dans toutes les langues romanes, qui ont innové en formant le futur de leurs verbes au moyen de l’infinitif suivi des formes conjuguées du verbe avoir : je laverai, tu laveras, etc.
(.......................)
En ce qui concerne le sens. on a pu passer de la notion d’obligation, d’un acte qu’on a à faire, à la notion de futur. Ainsi, dans la vie courante, il arrive qu’on dise : « Qu’avez-vous à faire ce matin ? » dans le sens de « Que ferez-vous ce matin ? »
»
— Henriette Walter, Le français dans tous les sens , p. 72 73
« Un accompli, comme il a fini, présente une situation coïncidant dans le temps avec l’acte de communication. C’est, si l’on veut, un présent. Mais cette situation présente implique un procès qui s’est déroulé dans le passé. Un enfant dont on constate qu’il a fini sa soupe, peut tout ensemble être fier du résultat obtenu et très conscient du processus qui a abouti à ce résultat. Pourquoi n’utiliserait-il pas le même énoncé j’ai mangé ma soupe aussi bien en référence à un procès et à un résultat dans un laps de temps plus ancien que pour l’événement qui vient de se produire. S’il veut marquer la différence, il pourra très bien utiliser quelque spécificateur temporel comme hier. C’est, en fait, là où nous en sommes en français d’aujourd’hui. L’obsolescence de l’ancien passé je mangeai - lui-même dérivé du parfait latin, un accompli - a pavé la voie à une généralisation de la valeur passée qui est celle qui s’ impose en premier pour la plupart des verbes, d’où le nom de " passé composé " pour désigner ces formes. Un processus analogue de passage de l’accompli au passé est attesté en slave et il est très vraisemblable en germanique. On voit par cet exemple comment peut apparaître un temps par interprétation nouvelle d’un aspect.
Une fois un passé établi, on conçoit assez bien que, par une sorte de symétrie, le besoin d’un futur se fasse sentir et qu’il puisse apparaître par divers chemins, fréquemment, en tout cas, par la généralisation voire le figement d’un syntagme : lauar(e)-(h)a(b)eo " j’ai à laver " > (Je) laverai, he will go " il veut aller " passant à he will go ou he’ll go " il ira ", processus accompagné par le remplacement de will par un autre verbe de volonté. On rappellera ici que ce qu’on appelle le temps " présent " dans un système à modalités temporelles n’est en général que l’absence de temps comme l’atteste le " présent de narration " : Napoléon traverse les Alpes ou la référence à un fait futur dans Demain, je pars pour New York ". »
— André Martinet, Syntaxe générale , p. 134
- Petit commentaire explicatif
- Le futur simple était, à l’origine, ... un temps composé.
- Martinet explique très agréablement comment ces changements se font. Comment une tournure dont on prend l’habitude peut devenir une forme grammaticale. Ça a lieu par glissement de sens dans les histoires qu’on raconte avec les mots qu’on a. Car, avec les mots qu’on a, on arrive toujours a dire ce qu’on a à dire. Les gens qui parlent ont plus d’un tour dans leur sac (linguistique) pour exprimer ce qu’ils ont à dire. Ils ne sont pas forcément enchainés à la conjugaison pour préciser le temps. (Par exemple, je dis « Je pars en vacances en juillet » ; je conjugue au présent et tout le monde comprend.)
Marina Yaguello
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Vue sous un angle utilitaire, la polysémie (comme l’homophonie qu’on verra plus loin) représente une économie de signes (d’où l’image de la fourmi). À un signifiant unique peuvent correspondre des signifiés différents. Le prix à payer est le risque de l’ambiguïté. C’est cette ambiguïté qui en fait le procédé privilégié des cruciverbistes.
C’est la polysémie qui est exploitée dans les définitions que voici
ne sont jamais neuves quand elles sont reçues (idées)
doivent être épluchées quand elles sont gonflées (additions)
doit réfléchir sans penser (miroir)
vide les baignoires pour remplir les lavabos (entracte)
C’est aussi le ressort des devinettes que se transmettent, de génération en génération, les écoliers : la série des " combles ", celle des " ressemblances " et des " différences ".
le comble de la lâcheté : reculer devant une horloge qui avance.
le comble de l’odorat: : sentir sa fin approcher ; pour un facteur: n’être pas affranchi; pour un livre : n’être pas à la page; etc.
la différence entre l’étudiant et la rivière : l’étudiant doit quitter son lit pour suivre son cours tandis que la rivière suit son cours sans quitter son lit,- le peintre et le coiffeur se ressemblent parce qu’ils peignent tous les deux; etc.
« Rodrigue, as-tu du cœur? - Non, j’ai du pique et du carreau » fait également partie de notre folklore enfantin.
De nombreux auteurs, enfin, exploitent la polysémie sous forme de maximes ou de titres frappants (faisant usage d’une figure de style dite antanaclase), à commencer par Jésus : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église »
(..................)
L’homophonie qu’exploite le folklore enfantin a valeur à la fois ludique et pédagogique, car elle a pour fonction d’attirer l’attention des écoliers sur l’existence de l’homophonie en tant que problème non seulement de sens mais aussi d’orthographe : Il était une fois, dans la ville de Foix, une marchande de foie, qui vendait du foie, elle se dit: " ma foi, c’est la dernière fois ... ", etc. ; Troie en Asie Mineure, Troyes en Champagne et le chiffre trois...
La frontière n’est d’ailleurs pas toujours nette entre polysémie, homonymie et homophonie. Un enfant non scolarisé ou un illettré ne peuvent pas en avoir la même perception qu’un adulte qui maîtrise l’orthographe. Au niveau du calembour, du jeu de mots, on ne fait pas de distinction. La différenciation se fonde sur l’histoire de la langue telle qu’elle apparaît à travers l’orthographe. Si l’on accepte de s’abstraire de cette dernière, le problème se limite à une opposition très simple entre :
(1) les cas où les locuteurs sont conscients d’utiliser " le même mot " dans des sens différents (polysémie);
(2) les cas où ils ont conscience d’utiliser des mots " différents ", nettement séparés, qu’il y ait ou non identité graphique, et entre lesquels ils ne sauraient établir ni parenté étymologique, ni lien logique (sein, saint, sain, ceint , par exemple).
On peut dire que deux sens différents d’un même mot (polysémie) sont perçus comme deux mots différents (homonymie) à partir du moment où les locuteurs ont perdu conscience de tout lien de nature métaphorique ou métonymique entre le sens premier et les sens dérivés, en un mot lorsque les figures sont non seulement éteintes, mais enfouies au point qu’on ne peut plus reconstruire leur origine. Ainsi, le mot " grève " désignant un arrêt de travail et le mot " grève " désignant une plage caillouteuse sont-ils perçus comme homonymes, alors qu’historiquement ils constituent un seul et même mot (le lien s’établissant à travers la place de Grève à Paris près du Pont-Neuf où se produisirent les premiers rassemblements de travailleurs mécontents) .
Avec le mot " grève ", nous avons deux homonymes du point de vue de la langue contemporaine, et un seul mot polysémique du point de vue historique.
(..............)
On ne peut produire des énoncés totalement ambigus que lorsque tous les mots de la phrase sont des homophones pouvant appartenir à plusieurs classes syntaxiques:
la belle porte le voile
(1) belle : adjectif ; porte : nom ; le : pronom objet ; voile : verbe
(2) belle : nom ; porte : verbe ; le : article ; voile : nom
Mais il faut se lever de bon matin pour trouver de telles phrases, qui d’ailleurs ne sont pas ambiguës à l’oral puisque la pause et l’accent tonique les délimiteraient:
la belle # porte le voile
la belle porte # le voile
Le dialogue de sourds, le malentendu, le quiproquo bien entendu existent, souvent involontairement drôles. Mais le jeu de mots n’est drôle que parce que l’ambiguïté, affirmée comme virtuelle, est néanmoins levée pour le destinataire: locuteur et interlocuteur doivent être de connivence, complices, pour que le jeu de mots joue son rôle, atteigne son but de lien social. Il joue donc sur une pseudo-ambiguïté. Quant aux calembours, s’ils sont d’autant meilleurs qu’ils sont plus approximatifs, c’est que, justement, l’effet de distorsion volontaire en est souligné : la dérision est accentuée par un rapprochement inattendu. C’est l’équivoque du sens, non l’ambiguïté, qui produit l’humour.»
— Marina Yaguello, Alice au pays du langage , extraits du ch. XIII , « La cigale et la fourmi » — Seuil
Jakobson
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LA NOTION DE SIGNIFICATION GRAMMATICALE SELON BOAS
The man killed the bull (" L’homme tua le taureau "). Les gloses de Boas sur cette phrase, dans sa brève esquisse Language (1938), constituent une de ses plus pénétrantes contributions à la théorie linguistique. " Dans la langue ", dit Boas, " l’expérience à communiquer est classée suivant un certain nombre d’aspects distincts ". C’est ainsi que dans les phrases " l’homme tua le taureau " et " le taureau tua l’homme ", l’inversion dans l’ordre des mots exprime des expériences différentes. ( ..... )
La grammaire, d’après Boas, choisit, classe, et exprime différents aspects de l’expérience, et, de plus, elle remplit une autre fonction importante -. " elle détermine quels sont les aspects de chaque expérience qui doivent être exprimés ". Boas indique avec finesse que le caractère obligatoire des catégories grammaticales est le trait spécifique qui les distingue des significations lexicales :
" Quand nous disons : The man killed the bull, nous entendons qu’un homme unique et défini a tué, dans le passé, un taureau unique et défini. Il ne nous est pas possible d’exprimer cette expérience de telle manière qu’un doute subsiste sur le fait qu’il s’agit d’une personne définie ou indéfinie (ou d’un taureau défini ou indéfini), d’une ou de plusieurs personnes (ou taureaux), du présent ou du passé. Nous avons à choisir parmi les aspects, et l’un ou l’autre doit être choisi. Les aspects obligatoires sont rendus par le moyen de procédés grammaticaux . "
( ..... )
Le choix d’une forme grammaticale par le locuteur met l’auditeur en présence d’un nombre défini d’unités (bits) d’information. Cette sorte d’information a un caractère obligatoire pour tout échange verbal à l’intérieur d’une communauté linguistique donnée. De plus, des différences considérables caractérisent l’information grammaticale véhiculée par les différentes langues. C’est ce que Franz Boas, grâce à son étonnante maîtrise des multiples modèles sémantiques du monde linguistique, avait parfaitement compris :
" Les aspects choisis varient fondamentalement suivant les groupes de langues. En voici un exemple : tandis que pour nous le concept du défini ou de l’indéfini (definiteness), le nombre et le temps sont obligatoires, dans une autre langue nous trouvons, comme aspects obligatoires, le lieu - près du locuteur ou ailleurs - et la source d’information - vue, entendue (c’est-à-dire connue par ouï-dire) ou inférée. Au lieu de dire " l’homme tua le taureau ", je devrais dire " cet (ces) homme(s) tue (temps indéterminé) vu par moi ce(s) taureau(x) " . "
À l’intention de ceux qui auraient tendance à tirer, d’une série de concepts grammaticaux, des inférences d’ordre culturel, Boas ajoute immédiatement que les aspects obligatoirement exprimés peuvent être nombreux dans telle langue et rares dans telle autre, mais que " la pauvreté des aspects obligatoires n’implique en aucune façon l’obscurité du discours. Quand c’est nécessaire, on atteint à la clarté en ajoutant des mots explicatifs. " Pour exprimer le temps ou la pluralité, les langues qui ne connaissent pas le temps ou le nombre grammatical recourent à des moyens lexicaux. C’est ainsi que la vraie différence entre les langues ne réside pas dans ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas exprimer mais dans ce que les locuteurs doivent ou ne doivent pas transmettre.
( ..... )
La grammaire est un véritable ars obligatoria, comme disaient les scolastiques ; elle impose au locuteur des décisions par oui ou non. Comme Boas n’a cessé de le faire remarquer, les concepts grammaticaux d’une langue donnée orientent l’attention de la communauté linguistique dans une direction déterminée, et, par leur caractère contraignant, influencent la poésie, les croyances, et même la pensée spéculative, sans cependant diminuer la capacité, inhérente à toute langue, de s’adapter aux besoins suscités par les progrès de la connaissance.
En plus de ces concepts qui sont grammaticalisés, et par conséquent obligatoires, dans certaines langues, mais lexicalisés, et seulement facultatifs, dans d’autres, Boas entrevit que certaines catégories relationnelles sont obligatoires dans le monde entier :
( ..... )
Quels aspects de l’information sont obligatoires pour n’importe quelle communication verbale dans le monde ? Quels autres ne le sont que dans un certain nombre de langues ? C’était là, pour Boas, le point décisif, qui séparait la grammaire universelle de là description grammaticale des langues isolées, et qui, de plus, l’autorisait à tracer une ligne de démarcation entre le domaine de la morphologie et de la syntaxe, avec leurs règles obligatoires, et le champ plus libre du vocabulaire et de la phraséologie. En anglais, dès que l’on emploie un nom, deux choix - l’un entre le pluriel et le singulier, l’autre entre le défini et l’indéfini - sont faits nécessairement, tandis que dans une langue indienne d’Amérique qui n’a pas de procédés grammaticaux pour exprimer le nombre et le concept du défini, la distinction entre " la chose ", " une chose ", " les choses " et " des choses " peut être, ou bien simplement passée sous silence, ou bien délibérément exprimée par des moyens lexicaux.
Il était clair pour Boas que toute différence dans les catégories grammaticales est porteuse d’une information sémantique.
(..... )
Chomsky, avec beaucoup d’ingéniosité, a tenté de construire une " théorie complètement non sémantique de la structure grammaticale ". Cette entreprise compliquée se révèle être en fait une magnifique preuve par l’absurde, qui rendra d’utiles services aux recherches actuelles sur la hiérarchie des significations grammaticales. Les exemples produits dans le livre de Chomsky, Syntactic Structures, peuvent servir à illustrer la manière dont Boas délimite la classe des significations grammaticales. Décomposons la phrase, prétendue absurde, Colorless green ideas sleep furiously « D’incolores idées vertes dorment furieusement » : nous en extrayons un sujet au pluriel, " idées ", dont on nous dit qu’il a une activité, " dormir "; chacun des deux termes est caractérisé --les " idées " comme " incolores " et " vertes ", le " sommeil " comme " furieux ". Ces relations grammaticales créent une phrase douée de sens, qui peut être soumise à une épreuve de vérité : existe-t-il ou non des choses telles que des idées incolores, des idées vertes, des idées qui dorment, ou un sommeil furieux ?
( ..... )
L’agrammaticalité effective prive un énoncé de son information sémantique. Plus les formes syntaxiques et les concepts relationnels qu’elles véhiculent viennent à s’oblitérer, plus difficile est-il de soumettre le message à une épreuve de vérité, et seule l’intonation de phrase tient encore ensemble des " mots en liberté "
( ..... tels que ....) " Furieusement dormir idées vert incolore ".
Un énoncé tel que " Cela semble toucher à sa fin " dans sa version agrammaticale " fin toucher semble à sa " peut difficilement être suivi par la question : " Est-ce vrai ? " ou " En êtes-vous sûr ? " Des énoncés d’où toute grammaire a complètement disparu sont évidemment dénués de sens. Le pouvoir contraignant du modèle grammatical, reconnu par Boas, et qui contraste, comme il l’avait bien vu, avec la liberté relative qui règne dans le choix des mots, est mis en pleine lumière par une recherche sémantique dans le domaine du non-sens.»
— Roman Jakobson, Essais de linguistique générale — édition de minuit 1963 — p. 197 à 205
Genouvrier
modifier« Les voyelles à double timbre
En se limitant à des indications sommaires, on peut remarquer que les règles suivantes sont généralement suivies ( ...... )
En syllabe accentuée En syllabe inaccentuée [é]-[è]
- À la finale absolue : la voyelle est fermée quand elle est orthographiée é (fermé), ez (nez), ed (pied), ef (clef) ou er (chanter) ; elle est ouverte dans les autres cas (mais, abcès, raie, forêt) (1).
- Devant consonne prononcée . la voyelle est toujours ouverte (bec, messe, verre, bête).
- La voyelle tend à se fermer (pétition, beffroi).
- Elle est ouverte devant la graphie rr (serrure), devant un groupe de consonnes prononcées (lecture, texture) et quand elle est orthographiée ai (paisible), ei (reinette),ê (bêtement) ou è (sèchement).
(1) Selon la norme, la graphie ai doit être prononcée [é] dans les formes verbales (parlai, parlerai) ; on observe alors une opposition phonétiquement pertinente entre les premières personnes du singulier du futur simple (parlerai : [é] et du conditionnel présent (parlerais [è]; cette distinction n’est pratiquement plus observée.
Pour prudentes qu’elles soient, ces indications sont parfois remises en cause, notamment quand la prononciation de certains mots est troublée par des facteurs extérieurs (par exemple, l’analogie : nettoyer se prononce avec un [è] ouvert, comme net; ou encore les exigences de l’harmonie vocalique : le mot aigri devrait se prononcer [ègri], mais le [i] qui le termine, étant une voyelle très fermée, tend à fermer la voyelle qui le précède, et la prononciation devient [égri]). On ne saurait donc trop conseiller à l’usager dans le doute de se reporter aux ouvrages que nous avons indiqués ci-dessus.
»
— E. Genouvrier, J. Peytard, Linguistique et enseignement du français , p.58 59 — Larousse 1970
N.B. Nous avons remplacé ici les signes de l’alphabet phonétique par les lettres habituelles
Henriette Walter
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Evolution naturelle et évolution dirigée
Après le XVIe siècle, il est difficile de retrouver les tendances naturelles de la langue à partir de ses manifestations, car les grammairiens interviennent sans cesse pour l’unifier et la fixer.
À partir du XVIIe siècle, il faudra donc toujours faire la part des interventions venues " d’en haut ", qui freinent, canalisent ou contrarient les évolutions linguistiques résultant des nouveaux besoins communicatifs.
Les pages suivantes décrivent les tendances qui se manifestent au cours du XVIe siècle sur le plan de la prononciation, de la grammaire et du vocabulaire, juste avant que les amoureux du " bon usage " ne brouillent les pistes en agissant en sens inverse.
La valse-hésitation des consonnes finales
C’est sans effort et sans même y penser que nous prononçons tous aujourd’hui mer ou enfer en faisant sonner le r, mais nous ne le faisons pas pour aimer ou chauffer, prononcés comme aimé ou chauffé. Pourquoi ?
S’agirait-il d’une règle particulière aux infinitifs ? Non, puisque nous disons mourir et pouvoir, en prononçant le r final. D’autre part, nous disons tous cahier, fusil, tabac ou bonnet sans prononcer non plus la consonne finale, mais nous la prononçons dans hier, péril, sac ou net. Dans tous ces cas, l’usage oral est aujourd’hui parfaitement fixé et ne tient pas compte de l’orthographe, qui comporte dans tous ces cas une consonne finale.
Pour d’autres mots, l’usage est moins bien établi, et la consonne finale est prononcée par certains et supprimée par d’autres :
almanach chenil nombril
ananas circonspect. persil
août exact sourcil
but fait (un) suspect..
cerf gril
Comment déterminer le bon usage ?
Une enquête récente sur la prononciation d’un groupe de personnes de tous âges, de résidence parisienne et très scolarisées, montre que, pour ces mots, les usages sont partagés : ce sont les mots les moins fréquents (comme chenil ou cerf) qui sont prononcés en majorité avec la consonne finale, tandis que, pour les plus fréquents (comme persil ou sourcil), c’est la prononciation sans consonne finale qui l’emporte.
Telle est l’image de la réalité d’aujourd’hui, qui montre que l’usage n’est pas complètement établi sur ce point.
Le désordre de nos liaisons
Pour comprendre la situation anarchique actuelle, il faut remonter à la fin du XIIe siècle, époque à partir de laquelle toute consonne finale de mot :
- se prononce uniquement quand le mot suivant commence par une voyelle ;
- ne se prononce pas, quand le mot suivant commence par une consonne.
Exemple : petit-t-enfant mais peti garçon.
Nous reconnaissons là les débuts de ce que nous appelons la liaison, qui, pendant des siècles, ne connaissait pas d’exception. Telle était la règle au XVIe siècle : aucune consonne finale ne se prononçait à moins d’être suivie par une voyelle. (Cf. encadré, (*)
Consonne finale prononcée ou non ?
De nos jours, seules les consonnes finales de certains mots sont soumises aux règles de la liaison. En effet, des mots comme bac, péril, bonheur ou nef ne sont jamais soumis aux phénomènes de liaison : leur consonne finale se prononce toujours. Mais des mots comme trop, heureux, tout, petit (ainsi que beaucoup d’autres), qui se terminent également par une consonne écrite, sont prononcés comme dans l’ancienne langue, c’est-à-dire sans consonne finale, sauf en liaison, lorsque le mot suivant commence par une voyelle: j’en ai tro, tro grand mais trop-p-étroit ; père heureu, heureu père mais heureu-z-événement, etc. De plus, cette liaison devant voyelle n’est pas constante.
Comment a-t-on pu passer de la régularité décrite par les grammairiens du XVIe siècle, lorsque tous les mots subissaient le même traitement, à l’arbitraire de la prononciation actuelle, qui défie l’orthographe et déroute les étrangers qui veulent apprendre le français ?
Le point de rupture se situe vers le milieu du XVIe siècle : on constate alors que les consonnes finales sont progressivement réintroduites dans la prononciation, en partie sous l’action des grammairiens. Toutefois, leurs avis ne vont pas toujours dans le même sens et chaque mot a finalement son histoire particulière. Nous savons, par exemple, que les puristes du XVIIe recommandaient de dire mouchoi pour mouchoir, et que Vaugelas préconisait de dire couri et non pas courir. De même, on considérait alors i faut comme la bonne prononciation et il faut comme pédant et provincial. À l’inverse, au XVIIIe siècle, certains grammairiens stigmatisaient la prononciation tiroi (pour tiroir), qu’ils trouvaient vulgaire.
Plus près de nous, nous savons que, jusqu’au début du XIXe siècle, péril s’est prononcé péri et qu’au milieu du XXe siècle on hésitait entre bari et baril. En 1987, la forme bari (sans ’ l ’ prononcé) n’a pas complètement disparu des usages, puisqu’elle a été employée par le journaliste Jean Amadou au cours d’une émission de télévision.
Chaque mot a son histoire
En observant la langue d’aujourd’hui, on constate que les interventions des grammairiens en faveur de la réintroduction de ces consonnes finales dans la prononciation n’ont pas abouti dans tous les cas : tous les verbes en -er, qui sont les plus nombreux, ont finalement gardé leur prononciation sans r final, alors que ceux en -ir et en -oir, après avoir été prononcés sans r final, ont ensuite suivi les prescriptions de l’orthographe : c’est ainsi que l’on prononce toujours le r dans finir et dans pouvoir, alors qu’on ne le prononce plus dans aimer ou chanter.
Certaines réfections ont été immédiates ; d’autres, comme le suffixe en -eur, n’ont abouti qu’au XVIIIe siècle. Dans la langue d’aujourd’hui, nous avons encore des traces de l’ancienne prononciation sans r, tout d’abord dans monsieur, mais aussi dans des termes comme piqueur, encore prononcé piqueu par les adeptes de la chasse à courre, mais piqueur par ceux qui ignorent tout des traditions de la vénerie. Moins bien acceptée, la forme boueux, pour éboueur, semble aujourd’hui en régression.
Les e deviennent muets
Il est difficile d’imposer par décision arbitraire des prononciations qui vont à l’encontre des tendances naturelles des usagers, et, si cette intervention des grammairiens a pu réussir en partie, on peut penser qu’elle a dû être aidée par des circonstances favorables : les liaisons ont dû jouer un rôle dans le rétablissement des consonnes finales, car elles rappelaient constamment aux usagers l’existence de ces consonnes latentes. À cela s’ajoutait probablement la graphie, gardienne de l’identité formelle. Mais ce n’est pas tout.
C’est au XVIe siècle que se précise aussi la tendance, amorcée au siècle précédent, de ne pas prononcer le e final des mots, cette voyelle qui était la plus fréquente de la langue. Dans mère, faire ou dire, mots jusque-là prononcés en deux syllabes, la voyelle finale devient muette, malgré les grammairiens qui continuent encore à préconiser de l’articuler, ne serait-ce que faiblement. À la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, la chute de cette voyelle est si générale dans les usages pris comme référence que tous les grammairiens sont finalement unanimes pour reconnaître cette réalité.
Là conséquence la plus directe de la chute de cette voyelle finale (notre " e muet "), c’est que la consonne précédente devient à son tour consonne finale: dire se prononce dir, sans e final.
L’existence de verbes comme dire ou faire, dont le r était devenu final dans la prononciation, a pu favoriser le retour du -r prononcé dans les infinitifs en -ir et en -oir (finir, pouvoir ... ). Si ce retour n’a pas pu s’opérer pour les infinitifs en -er (aimer, chanter .. ), c’est que, par leur grande fréquence dans la langue parlée, ils ont dû opposer une résistance insurmontable aux prescriptions des puristes.
»
— Henriette Walter, le français dans tous les sens p. 96, 97, 98
(*)
LES LIAISONS AU XVIe SIECLE
Les grammairiens du XVIe siècle nous donnent des règles très précises pour l’emploi des liaisons. Sylvius (Jacques Dubois) écrit en 1531 " À la fin du mot nous écrivons mais nous ne prononçons pas l’s ou les autres consonnes, excepté lorsqu’elles sont suivies d’une voyelle, ou placées à la fin d’une phrase, ainsi nous écrivons les femmes sont bonnes mais nous prononçons les avec un son élidé, femme sans s, son sans t, bones." Un autre grammairien, Henri Estienne, en donne en 1582 une représentation quasi phonétique : ... que nou ne vivon depui troi mois en cete ville. Remarquons que dans cette fin de phrase, seul le mot mois est graphié avec la consonne finale s. qui se prononce, puisque ce mot se trouve devant un mot commençant par une voyelle, ce qui n’est pas le cas de nou, vivon, depui et troi". Henriette Walter, le français dans tous les sens p. 98
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Vaugelas et Sauvageons
modifierLe bon usage
« Nous auons dit qu’il y a vn bon et vn mauuais Ysage ; et j’adiouste que le bon se diuise encore en l’Vsage declaré, et en l’Vsage douteux. Ces Remarques seruent à discerner également I’vn et l’autre, et à s’asseurer de tous les deux. L’ Vsage declaré est celuy, dont on sçait asseurément, que la plus saine partie de la Cour et des Autheurs du temps, sont d’accord, et par consequent le douteux ou l’inconnu est celuy, dont on ne le sçait pas. »
— Vaugelas ( Cité par Jean-Pol Caput dans , la langue française, histoire d’une institution tome 1 p. 238 )
Sauvageot :
« faute d’autre définition, la prononciation de référence dont il sera question ici est celle de l’auteur, c’est-à-dire celle des milieux parisiens instruits. Bien qu’elle ne s’impose plus comme modèle à imiter, elle reste, au moins historiquement, celle qui garde une position dominante. » p. 117
« Le son (plus exactement le phonème) œ̃ noté un dans l’écriture, a pratiquement disparu de l’usage courant.
Certains savent le produire, mais oublient de le faire quand ils parlent (ce qui est le cas de l’auteur de ces lignes) : brin et brun s’entendent donc en brɛ̃, chacun en chacɛ̃, etc. » p. 125« Théoriquement, il faudrait considérer comme une faute le refus instinctif de produire un œ̃ dans les mots brun, chacun, aucun, un, mais c’est un trait caractéristique de la variété de parlé étudiée ici que de ne pas connaître ce son et d’y substituer ɛ̃ ( brin, pain, fin, etc.). Que cette amputation de l’appareil des voyelles nasales françaises soit déplorable, c’est l’opinion de beaucoup de spécialistes, même de ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, commettent régulièrement cette faute en dépit des efforts faits pour l’éviter. C’est que la prononciation œ̃ n’est vraiment réalisée que par ceux qui y ont été habitués dès le début de leur apprentissage du français. Les autres la réalisent quand ils font attention, mais dès que l’automatisme reprend le dessus, ils ne produisent plus que des ɛ̃. De ce point de vue, on ne peut que donner raison aux théoriciens qui considèrent que le son (le phonème) œ̃ a pratiquement disparu de cette sorte de français parlé. » p.149
»
— Sauvageot, Analyse du français parlé — Hachette 1972
Un collier de perles ?
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Construire un modèle de la perception des sons de parole ne devrait pas, à première vue, soulever beaucoup de difficultés. Après tout, nous entendons la parole comme une séquence de sons individuels qui s’enchaînent les uns derrière les autres comme les perles d’un collier. Pour construire un modèle de la perception de la parole, on pourrait croire qu’il suffit de caractériser les «traces» dont chaque segment marque le flux de parole. Une fois que l’on aurait cette information, il serait relativement facile, presque trop facile, de concevoir un ensemble de dispositifs, tels que des filtres, des détecteurs de traits, ou des modèles acoustiques, qui pourraient trier et identifier les segments de la chaîne. Ce serait, en effet, une théorie toute simple et très séduisante assurément, malheureusement, totalement fausse! Les résultats de nombreuses expériences indiquent que les patterns acoustiques associés aux segments de sons de parole ne sont pas assemblés comme les perles d’un collier, chacun de ces segments, avec sa petite marque d’identification, attendant simplement d’être perçus, l’un après l’autre.
[……](…) nous ne percevons pas la parole segment par segment. Un certain nombre d’études réalisées dans les années cinquante sont très convaincantes à cet égard. À cette époque on a dépensé beaucoup de temps et d’argent pour construire une machine qui devait faire la lecture aux aveugles (voir Harris, 1953, ou Peterson, et al., 1958). L’approche retenue était la suivante: si les segments phonétiques étaient comme les perles d’un collier, on devait pouvoir construire une machine dont le rôle serait essentiellement de «coller» les segments phonétiques les uns aux autres pour former les mots. Un ensemble de mots, prononcés avec beaucoup de précaution avait été enregistré sur une bande magnétique. L’étape suivante consistait à isoler chacun des segments sonores sur la bande. Les sons isolés étaient stockés dans la machine qui devait les assembler pour former de nouveaux mots. En fait, les systèmes de ce genre se sont avérés complètement inutilisables. En effet, la «parole» que ces machines produisaient était inintelligible, pour toute une série de raisons pratiques; dans de nombreux cas les segments pré-enregistrés semblaient prendre des valeurs phonétiques différentes lorsqu’ils étaient assemblés pour former un nouveau mot. Par exemple, un son comme /p/, dans l’enregistrement original, devenait /k/ lorsqu’il était associé à d’autres sons (Cf. Cooper, et al., 1952).
Il ne semble pas surprenant que ces tentatives aient échoué compte tenu, comme nous l’avons déjà dit, qu’il est impossible d’isoler acoustiquement une partie de la bande correspondant seulement au son /b/, tout comme il est impossible de prononcer le son /b/ seul sans mettre une voyelle avant ou après. Tout simplement, nous ne pouvons produire ou entendre /b/, s’il ne fait pas partie d’une syllabe.
[……](…) nous envoyons et recevons les informations sous forme d’unités syllabiques. D’après cette théorie, nous «décodons» le signal de parole selon les mouvements articulatoires que nous combinons pour produire le signal. Les sons individuels, bien qu’il n’aient pas de statut acoustique indépendant, sont perçus comme des sons discontinus. Il semble que la perception de la parole nous oblige à faire appel à une sorte de «connaissance» que nous avons sur les effets acoustiques des mouvements articulatoires en interaction dans la production de la parole (Liberman, et al., 1967 ; Lieberman, 1970). [……]
2.6. EN RÉSUMÉ
Nous venons de voir que l’acte de parole demande une planification complexe. Les données expérimentales indiquent que les «instructions du tractus vocal» sont planifiées en tenant compte d’un certain nombre de faits, tels que les différences de temps que prennent les influx nerveux pour atteindre les muscles articulatoires ainsi que le temps nécessaire aux articulateurs pour occuper diverses positions. Nous ne savons pas exactement comment s’accomplit cette intégration complexe, mais seulement qu’elle est réalisée d’une manière ou d’une autre. Nous savons également que le locuteur planifie les phrases avant de les produire, et que cela rend le modèle simple de réponses en chaîne totalement inadéquat à la production de la parole.
Dans notre discussion sur la perception de la parole, nous avons mis l’accent sur le manque d’indices invariants pour la reconnaissance des sons de parole. Le modèle que nous avons appelé«perles de collier», ne semble pas convenir à la perception de la parole. Les auditeurs doivent, avant tout, ajuster leur perception en fonction de leur interlocuteur. Nous avons suggéré que, pour ce faire, les auditeurs s’appuieraient sur la forme acoustique des voyelles [i] et [u] des différents locuteurs. Nous avons également noté que la syllabe semble être l’unité de décodage du signal de parole, et que l’auditeur doit posséder une sorte de représentation des mouvements articulatoires ayant produit les sons qu’il entend. Il semble, par conséquent, que la perception de la parole ne soit pas un simple phénomène passif où le sujet attend que des indices spécifiques arrivent, mais plutôt un processus actif de reconstruction du message à partir d’un large éventail d’informations acoustiques, et probablement d’autre nature.
Nous n’avons pas répondu à la question: «Comment produisons-nous et comprenons-nous les sons de parole ?» Nous espérons, cependant, avoir montré quel type de réponse serait le plus approprié. La recherche d’un modèle adéquat et opérationnel se poursuit.»
— Edward Matthei, Thomas Roeper, Introduction à la psycholinguistique , 1983 (traduction française, 1988 – Bordas)