Neurosciences/Le langage

À l'heure actuelle, les aires cérébrales chargées du traitement du langage sont assez mal identifiées. Mais les études actuelles fractionnent la gestion du langage en plusieurs sous-compétences linguistiques, qui sont prises en charge différemment suivant les hémisphères. On doit ainsi distinguer ce qui relève de la syntaxe/grammaire, du vocabulaire, de la sémantique (le sens des mots et concepts) et de la prosodie (gestion des intonations), et quelques autres compétences linguistiques. Chaque compétence est prise en charge par des aires cérébrales différentes, qui ne sont pas localisées dans les mêmes lobes cérébraux. Nous avons vu dans le chapitre sur la latéralisation cérébrale que le langage est latéralisé, ce qui signifie que chaque hémisphère prend en charge certaines compétences linguistiques et pas les autres. Par exemple, l'hémisphère gauche est surtout celui de la syntaxe et de la grammaire, alors que la prosodie est surtout localisée dans l'hémisphère droit (sauf chez certains sujets assez rares chez qui c'est l'inverse). Le vocabulaire et la sémantique sont quant à elles localisées dans les deux hémisphères, avec cependant un léger avantage pour l’hémisphère gauche. Mais rien de tout cela ne nous dit exactement quels sont les lobes cérébraux et les aires cérébrales précises qui s'occupent de ces compétences linguistiques. Ce chapitre va approfondir ce sujet.

Les troubles neurologiques du langage

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Les premières théories sur la gestion du langage au niveau cérébral proviennent de l'étude des troubles du langage causés par des lésions cérébrales. Ces troubles sont relativement nombreux : entre les aphasies, l'aprosodie, l'alogie, et les anomies, voire agnosies, beaucoup de troubles sont recensés. Dans ce qui va suivre, nous ferons une distinction entre anomie et aphasie. Cependant, il s'agit là d'un choix de présentation qui n'a pas vraiment de portée conceptuelle. En effet, beaucoup de chercheurs considèrent que l'anomie est une forme particulière d'aphasie, un sous-type qui devrait être décrit dans la section sur l'aphasie et pas ailleurs. Et s'ils ont raison, nous allons quand même séparer anomie et aphasie pour dégrossir la section sur l'aphasie, et rendre le tout plus facile à comprendre. Il faut dire que presque tous les patients atteints d'aphasie sont atteints d'anomie, les exceptions étant rares. Précisons que, s'il existe des anomies sans autres symptômes aphasiques, elles sont assez rares.

L'anomie

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Les anomies se traduisent par des déficits dans le rappel des noms, qu'il s'agisse de noms propres (de personnes) ou de noms communs. Les patients anomiques ont des difficultés à se souvenir des noms des personnes qu'elles connaissent, ont des difficultés à trouver leurs mots dans les conversations, remplacent certains mots par des synonymes, etc. En soi, l'anomie est un symptôme qui apparait en conjonction avec d'autres déficits qui touchent le langage, et beaucoup de patients anomiques ont aussi des troubles dans la production de phrases grammaticalement correctes ou des troubles de la compréhension orale. De plus, les anomies sont souvent observées en conjonction une agnosie, à savoir un déficit de reconnaissance des objets. L'agnosie associée est généralement d'origine conceptuelle/sémantique (le patient perd le sens des mots et perd les concepts), mais il arrive qu'elle soit purement sensorielle (le trouble est alors purement visuel ou auditif, ou autre). Mais il existe des cas d'anomie pure, pour lesquels les patients ont une compréhension du langage préservée, aucun trouble de production de phrases correctes, pas d'agnosie et des connaissances conceptuelles intactes.

Il arrive que l'anomie ne se manifeste que si l'objet à nommer est présenté dans une modalité sensorielle spécifique. Ainsi, les patients peuvent reconnaitre un objet s'ils l'ont en main, mais ne peuvent pas le nommer quand celui-ci est présenté visuellement. Il existe des troubles similaires où les patients ne peuvent reconnaitre les bruits que font certains objets, ou ne peuvent pas reconnaitre un objet qu'ils ont en main si celui-ci est caché par quelque chose. Elles sont souvent associées à une agnosie d'origine sensorielle. Les anomies de ce type sont appelées des anomies sensorielles, ou encore anomie spécifique à une modalité sensorielle (modality-specific anomia). Typiquement, elles sont causées par des lésions soit dans le cortex sensoriel, soit dans les fibres qui relient le cortex sensoriel au reste du cerveau.

Dans les autres formes d'anomies, le déficit est présent peut importe la modalité de présentation du stimulus à nommer. Avec ces anomies sémantiques, la mémoire sémantique est dégradée. Les patients oublient les mots, ont une capacité dégradée à se souvenir de leur signification, ont accès à beaucoup moins d'informations sémantiques sur ces mots, etc. L'anomie sémantique est associée à des déficits en compréhension orale et écrite. De plus, non seulement le langage est touché, mais la capacité de catégorisation l'est aussi. Il faut dire que la sémantique, la signification des mots, a un lien très fort avec le langage. Souvent, l'anomie sémantique se manifeste par le fait que le sujet ne trouve pas ses mots. Tout aussi souvent, l'anomie se manifeste par des erreurs, le sujet utilisant un mot erroné au lieu d'un autre, le mot erroné et le mot correct ayant un lien conceptuel plus ou moins distant. De telles erreurs sont appelées des paraphasies sémantiques. Souvent, le mot erroné appartient à la même catégorie que le mot correct, ou alors à une catégorie subordonnée ou superordonnée. Il arrive aussi que l'anomie ne se manifeste que pour les objets d'une catégorie bien précise, mais pas pour les autres, à l'instar de ce qu'on observe pour les agnosies.

Cependant, il arrive que l'anomie ne soit pas accompagnée d'agnosie ou de troubles de la mémoire sémantique. Ces anomies sont des anomies pures, où le sujet n'arrive pas sélectionner le mot qu'il veut prononcer parmi plusieurs alternatives. Les concepts sont encore là, le sujet n'a pas perdu le sens des mots, il n'a pas perdu la capacité de relier un stimulus sensoriel à son sens, mais il ne peut pas relier un concept à un mot. Quand on leur présente un objet, ces patients ne peuvent en donner le nom, mais ils peuvent l'utiliser convenablement, le décrire, donner des informations sémantiques sur celui-ci. Par exemple, s'ils ne peuvent donner le nom d'un acteur célèbre présenté sur une photographie, ils peuvent quand même dire que c'est un acteur et préciser dans quels films celui-ci a joué. Ou encore, ils sont incapables de nommer les couleurs, mais sont capables de les ranger dans des catégories séparées, identiques à celles apprises dans les petites classes. Avec cette aphasie, la capacité à catégoriser les objets est conservée, mais leur nommage est déficient. L'anomie de sélection n'est pas accompagnée de troubles de la compréhension orale ou écrite et les connaissances conceptuelles sont préservées.

Enfin, il existe des anomies liées à un trouble de la phonologie ou de l'articulation. Ici, le patient connait le sens des mots, a gardé une trace des mots en question dans son cerveau et peut encore les écrire, mais la prononciation des mots est perturbée. Soit parce qu'il ne sait plus comment les prononcer, soit parce qu'il n'arrive plus à articuler. Dans le premier cas, c'est la représentation sonore des mots qui disparait. Le sujet ne sait plus quelle suite de son correspond à tel ou tel mot. Les patients arrivent encore à prononcer la plupart des mots, ils ne sont pas mutiques. Mais ils prononcent mal les mots, en utilisant des phonèmes ou des syllabes erronées, en ajoutant des syllabes et/ou phonèmes, etc. On parle alors d'anomie par substitution phonémique, le terme étant assez transparent. Les lésions qui causent de telles anomies sont localisées dans le cortex pariétal inférieur. L'autre possibilité est un trouble de l'articulation. Le patient sait alors quelle suite de phonèmes/syllabes utiliser pour prononcer un mot, mais son articulation sera perturbée au point de causer des erreurs. On parle alors d'anomie par déficit d'initiation articulatoire. Elle est liée à des lésions dans le cortex frontal, dans les régions motrices.

Dans ce qui va suivre, nous allons nous intéresser aux anomies sémantiques et aux anomies pures. Il faut dire que les autres formes d'anomies sont plus des troubles purement sensoriels ou moteurs, sans vraiment de lien avec le langage lui-même. Il s'agit de troubles de la motricité ou des sens qui retentissent sur le langage et qui sont rarement accompagnés d'aphasies. Par contre, les anomies pures et les anomies accompagnées d'agnosies ou de troubles du langage sont beaucoup plus intéressantes pour ce qui est de l’étude du langage. Au passage, anomies sémantique et pure sont souvent regroupées dans le terme d'aphasie anomique, qui sera utilisé dans la suite du chapitre.

L'aphasie

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Les aphasies sont des troubles du langage parlé, qu'il s'agisse de comprendre ou de produire un discours cohérent. Ces aphasies peuvent concerner le langage parlé, mais aussi d'autres formes de langages. Par exemple, les observations qui vont suivre ont été répliquées avec des locuteurs sourds, qui parlent en langage des signes. Ces lésions donneront des aphasies différentes selon l’hémisphère touché. Les chercheurs ont identifié divers syndromes d'aphasie et cette identification s'est faite assez rapidement au cours de l'histoire des neurosciences. Les deux syndromes principaux ont été les premiers décrits, grâce au travail de Paul Broca et de Wernicke. Par la suite, d'autres syndromes d'aphasie ont été identifiés et il en existe actuellement moins d'une dizaine. Pour faire simple, on peut distinguer la classification classique des aphasies, la première décrite historiquement, et la classification de Boston plus récente.

La classification localisationniste historique des aphasies

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L'histoire commence en 1861, quand le médecin Paul Broca étudia un patient assez atypique. Ce patient, Monsieur Leborgne, ne pouvait plus prononcer le moindre mot, et le seul son qu'il pouvait articuler était "tan" (ce qui lui valu d'être surnommé tan, justement). Par contre, il comprenait parfaitement ce qu'on lui disait. L'autopsie de ce patient indiqua une lésion dans la partie gauche du cerveau, dans une aire cérébrale bien précise. Broca donna son nom à cette aire, et fit l'hypothèse que cette aire était en charge de la production du langage. De nos jours, on pense qu'une bonne partie du cortex frontal, ainsi que quelques zones situées à côté de l'aire de Broca sont nécessaires. Les patients atteints d'un aphasie de Broca ont souvent une paralysie du côté droit, preuve que le cortex frontal gauche est touché.

Avec cette aphasie, le langage parlé est haché, fragmenté, et demande un effort pour être produit (si le patient n'est pas totalement muet). Le discours est souvent composé de quelques mots placés les uns à côté des autres, sans que le patient ne puisse prononcer de phrases complètes, ou alors avec difficulté. Le discours a un style qui ressemble à une communication télégraphique. Mais cela ne provient pas d'une difficulté à bouger les muscles ou à planifier et initier les mouvements de la langue et des lèvres. En réalité, c'est la capacité de former des phrases grammaticalement correctes qui disparaissent : on parle d'agrammatisme. Cette aphasie, où la production du langage est perturbée avec une compréhension intacte, est appelée aphasie de Broca, ou encore aphasie expressive.

En 1874, Wernicke étudia un patient avec une production du langage intacte et une compréhension altérée : c'est une aphasie de Wernicke, ou aphasie de réception. Avec cette aphasie, les phrases sont grammaticalement correctes, l'intonation des phrases est conservée, la syntaxe n'a pas le moindre problème. Mais ces patients ont un discours qui n'a tout simplement aucun sens, sans compter qu'ils ne s'en rendent pas compte. Wernicke découvrit que ce patient avait des lésions dans le cortex temporal, dans une zone qui fût nommée l'aire de Wernicke. De nos jours, on pense que la compréhension du langage est localisée dans le cortex temporal, bien au-delà de la simple aire de Wernicke. C'est notamment dans ce cortex que sont localisées nos connaissances sur les objets et les catégories. Évidemment, l'aire en question est presque systématiquement localisée dans l’hémisphère gauche.

Plus tard, fût découverte l'aphasie de conduction. Beaucoup plus rare que les autres formes d'aphasies, elle ne dégrade pas la capacité à produire spontanément des phrases, ou à comprendre le sens d'un discours. À la place, elle dégrade la capacité à répéter une phrase ou un mot qui vient d'être entendu. Certains patients atteints de ce trouble ont des lésions à un ensemble d'axones qui relient l'aire de Wernicke à l'aire de Broca, le faisceau arqué. Mais tous ces patients ont aussi des lésions au néocortex, ce qui pose la question de l'origine de ce trouble. Quelques patients existent avec un faisceau arqué fortement dégradé, mais peu de troubles du langage et aucune aphasie de conduction.

Globalement, ces observations font penser qu'on peut classer les aphasies en plusieurs types purs, selon que le déficit touche la production, la compréhension, la répétition ou les trois.

  • L'aphasie en expression, aussi appelée aphasie de production, perturbe la production de phrases, leur grammaire, leur syntaxe.
  • L'aphasie en réception, aussi appelée aphasie de compréhension, perturbe la compréhension des phrases et parfois la dénomination des objets et la reconnaissance des mots isolés.
  • L'aphasie de conduction perturbe le patient quand il souhaite répéter des phrases/mots qu'on vient de lui prononcer, mais laisse production et compréhension intacte.

La plupart des aphasies sont cependant des aphasies mixtes, où plusieurs compétences sont touchées. Ainsi, dans l'aphasie de Broca et de Wernicke, la répétition est fortement dégradée et le patient ne peut pas répéter des mots ou phrases qu'on lui fait écouter. L'aphasie de Broca est donc un type mixte entre aphasie de production pure et aphasie de conduction, de même que l'aphasie de Wernicke est un mixte entre aphasie de compréhension pure et aphasie de conduction. S'il existe bel et bien quelques types d'aphasie de production pure et de compréhension pure, sans troubles de la répétition, ils sont plus difficiles à décrire que l'aphasie de Broca et de Wernicke. Pour ces aphasies pures, les troubles en compréhension et en production sont moins sévères que pour l'aphasie de Broca et de Wernicke. L'aphasie de Broca et de Wernicke étant les types les plus représentatifs d'aphasie de production/compréhension, il est souvent considéré que les aphasies de production/compréhension regroupent à la fois les types purs et ceux avec des troubles de conduction associés. Tout cela nous amène à la classification suivante.

Les syndromes aphasiques actuels

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De nos jours, la distinction entre aphasie de Broca et de Wernicke a été quelque peu élargie. De nos jours, on distingue plusieurs types d'aphasies selon plusieurs critères : le caractère fluent ou non de la parole, la capacité à répéter des phrases/mots, et si les déficits portent sur des mots isolés, des phrases simples ou des phrases grammaticalement complexes. La capacité à répéter des phrases/mots était présent dans la classification précédente, pour distinguer l'aphasie de conduction du reste.

Le premier critère permet de distinguer les aphasies fluentes des aphasies non-fluentes. Avec les aphasies non-fluentes, le patient a du mal à former des phrases. La grammaire et la syntaxe sont perturbées, leur articulation est perturbée, ils mangent leurs mots, ont du mal à faire des phrases longues, etc. Le tout donne une parole assez lente, hachée, difficile à comprendre, mais dont le vocabulaire et le sens sont relativement conservés. À l'inverse, les aphasies fluentes ne touchent ni la grammaire, ni la syntaxe, ni l'articulation ni la prosodie. Les patients parlent normalement, avec une vitesse et un rythme normal, sauf que leurs phrases montrent un déficit en vocabulaire et une dégradation du sens des phrases. Les patients se trompent souvent de mots, ont du mal à trouver leurs mots, forment des phrases au contenu incohérent, etc. Les patients avec une aphasie fluente ont des lésions au cortex temporal avec un cortex frontal préservé de toute lésion, alors que les patients avec une aphasie non-fluente montrent l'inverse. Pour décrire le tout à très grands traits, ce critère permet de distinguer grossièrement les aphasies qui touchent la production du langage de celles pour lesquelles la production du langage est conservée.

Le second critère est celui de la présence de déficits de compréhension grammaticale. Certains patients atteints d'une aphasie de compréhension ne peuvent pas comprendre les mots isolés, encore moins des phrases et ce qu'elles soient simples ou complexes. Dans ce cas, le sens des mots et des concepts est perdu, c'est la sémantique qui est touchée. Mais d'autres sont capables de comprendre des mots isolés ou des phrases grammaticalement simples, alors que les phrases grammaticalement complexes posent problèmes. Par exemple, ils peuvent avoir du mal à comprendre des phrases à la forme passive, ou des phrases avec des COD/COI, des prépositions, etc. Dans ce cas, la grammaire est touchée dans une certaine mesure, alors que la sémantique semble intacte. Ce critère permet de distinguer grossièrement les aphasies qui perturbent la compréhension orale de celles qui la laisse intacte. Le critère précise cependant que le trouble de la compréhension ne touche pas les mots isolés et se distingue donc de l'anomie vue dans la section précédente. Il ne capture donc pas toutes les aphasies de compréhension vues auparavant, mais la différence est assez mineure.

Le dernier critère tient à la possibilité de répéter ou non des mots ou phrases. La présence de déficit de répétition permet de classer les aphasies en deux classes : les aphasies corticales où la répétition est perturbée, et les aphasies transcorticale où la répétition est préservée.

Sur la base de ces trois critères, on peut formuler la classification de Boston, qui classe les aphasies en huit types :

Anomie Fluente/non-fluente Compréhension Répétition
Aphasie globale Présente Non-fluente Perturbée Perturbée
Aphasie de Broca Préservée Perturbée
Aphasie transcorticale mixte Perturbée Préservée
Aphasie motrice transcorticale Préservée Préservée
Aphasie de Wernicke Fluente Perturbée Perturbée
Aphasie de conduction Préservée Perturbée
Aphasie transcorticale sensorielle Perturbée Préservée
Anomique Préservée Préservée

On peut faire un parallèle entre cette classification de Boston avec la classification précédente. On y retrouve les aphasies de production, à savoir l'aphasie de Broca et l'aphasie motrice transcorticale, la différence entre les deux étant la présence/absence e troubles de la répétition. Les aphasies de compréhension sont l'aphasie de Wernicke et l'aphasie transcorticale sensorielle, qui se distinguent là encore par des troubles de la répétition. L'aphasie de conduction a sa propre catégorie. Enfin, on trouve des aphasies qui perturbent à la fois production et compréhension, à savoir l'aphasie globale et l'aphasie transcorticale mixte, qui se distinguent encore une fois par les troubles de la répétition. La dernière forme restante d'aphasie, l'aphasie anomique, n'est autre que l'anomie vue dans la section précédente, avant les aphasies.

Les aphasies précédentes sont souvent appelées des aphasies corticales, ce qui trahit le fait qu'elles sont liées à des lésions dans le néocortex. Mais à ces types d'aphasies précédents, il faut rajouter toute une collection d'aphasies sous-corticales, qui sont causées par des lésions en dehors du cortex. Elles sont souvent le fait de lésions dans les ganglions de la base et le thalamus, presque toujours du côté gauche.

L'aprosodie

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D'autres études ont étudié l'impact des lésions sur la prosodie, la gestion des émotions transmises par le ton de la voix, son timbre, etc. C'est cette prosodie qui permet de savoir si quelqu'un est en colère, triste, ou apeuré en se basant uniquement sur le son de sa voix. Des patients qui ont des lésions au cortex frontal dans l'hémisphère droit auront une voix totalement monotone, qui ne transmet aucune émotion. On peut citer l'exemple d'un professeur américain, à qui cela posait des problèmes pour maintenir la discipline dans sa classe, ainsi qu'avec sa femme, qui prétendait que son mari ne l'aimait plus comme avant. En réalité, ce professeur ressentait parfaitement des émotions, mais ne pouvait pas moduler la voix en fonction de celles-ci. Pour les patients qui ont des lésions dans les aires temporales/pariétales, c'est la compréhension de la prosodie qui est perturbée : ces patients ont ainsi du mal à savoir si la personne qui leur parle est énervée, contente, etc. Ils doivent se baser sur autre chose que la voix pour déterminer les émotions et sentiments de leur interlocuteur.

La localisation des aires du langage

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Comme on le voit, des lésions entrainent des déficits distincts : production atteinte d'un côté, compréhension de l'autre, répétition parfois. Cela suggère que ces compétences sont localisées dans des aires cérébrales séparées. Il y aurait ainsi une zone du cerveau qui prend en charge la production du langage parlé (formation des phrases, prononciation et articulation), une autre pour la compréhension des phrases, et une autre impliquée dans la répétition des phrases. Diverses théories ont tenté de rendre compte de la localisation cérébrale de chaque compétence linguistique. Les théories circonscrivent chacune des aires plus ou moins précises pour chaque compétence. Mais dans les grandes lignes, ces théories sont plus ou moins d'accord sur les localisations globales. La compréhension orale/écrite serait surtout localisée dans le cortex temporal, la production des phrases dans le cortex frontal. Pour ce qui est de la répétition, elle impliquerait les aires sensorielles et le cortex frontal, ainsi que les faisceaux qui relient les deux.

La théorie de Wernicke–Geschwind

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Les aires de Broca et de Wernicke.
 
Modèle de Wernicke-Geschwind avec le faisceau arqué.

La toute première théorie sur le langage, celle de Wernicke-Geschwind, faisait intervenir deux aires cérébrales bien précises : l'aire de Broca, et l'aire de Wernicke. L'aire de Broca était censée être l'aire de production du langage, des lésions dans cette aire causant de lourds déficits de production, mais pas de compréhension. L'aire de Wernicke était censée être celle de la compréhension du langage, vu que des lésions dans cette aire dégradent la capacité de compréhension mais laissent intact la production.

L'aire de Wernicke serait impliquée à la fois dans la compréhension du langage écrit et oral. Par contre, les informations orales et écrite suivraient des voies différentes pour arriver à l'aire de Wernicke : voies visuelles pour les mots écrits et voies auditives pour l'oral. Une lésion dans l'aire de Wernicke cause une aphasie de Wernicke, ou du moins une aphasie fluente.

L'aire de Broca mémoriserait seulement les programmes moteurs qui permettent de prononcer les mots. L'aire de Broca est donc une aire purement motrice, articulatoire, pas même phonologique. Sa lésion entraine une aphasie non-fluente.

La théorie laisse une place à la communication entre l'aire de Broca et de Wernicke, via le faisceau arqué. Des lésions de ce faisceau causent une aphasie de Wernicke ou toute autre aphasie fluente. Les aphasies fluentes sont donc liées soit à des lésions de l'aire de Wernicke, soit à de lésions du faisceau arqué.

La théorie exacte est plus précise et décrit plus finement le parcours des informations dans le cerveau.

  • Pour la compréhension orale, le langage oral est d'abord perçu par le cortex auditif et notamment dans l'aire 41 de Broadmann du cortex auditif primaire. Puis, elle passe dans l'aire de Wernicke et c'est dans cette aire ou dans quelques aires en aval qu'à lieu la compréhension orale du langage.
  • Pour la compréhension du langage écrit, les mots écrits sont perçus par le système visuel et l'information est envoyée vers les aires 17, 18 et 19 de Broadmann du cortex visuel, puis vers l'aire 39 du gyrus angulaire. Ensuite, ce qui sort de l'aire 39 est envoyé vers l'aire de Wernicke.
  • Pour la production du langage, tout part de la production de phrases par les aires cognitives, dont l'aire de Wernicke est censée faire partie, qui envoient des informations à l'aire de Broca. Puis, le cortex moteur prend la relève, plus précisément l'aire faciale qui gére la motricité du visage. Elle commande ensuite les nerfs crâniens et les muscles faciaux.

L'explication des aphasies transcorticales

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La théorie de Wernicke-Geschwind permet d'expliquer clairement les cas d'aphasie de Broca et de Wernicke, ainsi que l'aphasie globale. Mais cette théorie ne permettait pas d'expliquer correctement les cas d'aphasie de conduction et les aphasies dites transcorticales. Pour rappel, dans l'aphasie transcorticale sensorielle, l'aphasie motrice transcorticale et l'aphasie transcorticale mixte, la répétition n'est pas perturbée, alors que production ou compréhension sont perturbées. À l'inverse, dans l'aphasie de conduction, seule la répétition est perturbée, mais pas la production et la compréhension. Mais on peut expliquer les cas où la répétition est spécifiquement épargnée/atteinte en complétant le modèle de Wernicke.

L'idée est qu'il faut insister sur la différence entre perception orale/écrite et la compréhension proprement dite qui est purement cognitive. La répétition e demande pas de passer par la compréhension : on peut répéter une suite de syllabes entendue sans forcément qu'elle ait de sens ou forme des mots. Il y a donc traduction d'informations purement auditives et phonologiques, en commandes motrices. Rendre compte de la capacité de répétition demande donc d'ajouter un lien entre les aires auditives/sensorielles vers les aires motrices. Ainsi, outre le lien entre Aire de Broca et de Wernicke, on doit ajouter un second lien entre l'aire 41 de Broadmann et ses voisines, vers l'aire de Broca. Les aphasies transorticales seraient liées à des déficits dans les aires de Broca et Wernicke, éventuellement dans le faisceau arqué, mais laissent les liaisons entre audition et motricité intactes. Inversement, l'aphasie de conduction laisse intacte l'aire de Broca, l'aire Wernicke et le faisceau arqué, mais lèsent les liaisons audition-motricité.

La vision actuelle

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De nos jours, on sait que des lésions situées en dehors des aires de Broca et de Wernicke causent d'importants déficits du langage, souvent irréversibles ou difficiles à compenser. Les aires du cerveau qui causent des aphasies ou des troubles du langage quand elles sont lésées sont localisées dans le lobe temporal, une partie du lobe frontal, une partie du lobe pariétal, et une partie du lobe occipital. Il semblerait que le lobe temporal soit celui qui mémorise les mots du langage, leur sens, leur orthographe, et leur prononciation : il est donc impliqué dans la compréhension. Par contre, le lobe frontal semble spécialisé dans la production du langage, avec notamment de quoi gérer la grammaire, la syntaxe, et de quoi commander les muscles qui nous permettent de parler.

Pour s'assurer des aires liées à la compréhension, certaines expériences d’imagerie médicale ont observé les aires qui s'activent chez un sujet qui entend une phrase intelligible (qui a un sens), comparé à l'activation produite par une phrase sans aucun sens. Dans les deux cas, le cortex auditif analyse le signal, et le transmet éventuellement aux autres aires situées à côté (donc, dans le lobe temporal). Si la phrase entendue a un sens, on observe une activation bien plus diffuse dans les lobes temporaux, pariétaux et frontaux.

 
Modèle des deux voies du langage.

Le faisceau arqué est encore supposé être important dans la communication entre lobe temporal et frontal, entre aires de la compréhension et de la production du langage. D'autres communications doivent aussi exister pour expliquer les aphasies transcorticales. Ces dernières font communiquer les cortex auditifs/sensoriels et le lobe frontal. Dans les grandes lignes, il y aurait deux voies de communication entre le lobe frontal et le lobe temporal. La première voie connecte les aires phonologique aux aires motrices et est impliquée dans la répétition. La seconde voie est elle liée au transfert des informations cognitives vers les aires motrices, et elle est impliquée dans les aphasies transcorticales. La voie auditive-motrice est aussi appelée la voie ventrale, car elle est en position ventrale (vers le bas de la tête), alors que la seconde voie est en position dorsale (vers le haut de la tête). Les deux voies sont illustrées ci-contre.

Il est actuellement certain que la grammaire et la syntaxe sont grandement latéralisées dans l'hémisphère gauche. Par contre, la prosodie est du domaine quasi-exclusif de l'hémisphère droit. Les deux hémisphères prennent une part des traitements sémantiques et peuvent mémoriser des mots et concepts, mais l'hémisphère gauche a un avantage dans ce cas de figure. On peut cependant se demander comment cette latéralisation se développe. Il existe des patients nés sans corps calleux, qui ont appris à parler. Un exemple est celui du patient Kim Peek un autiste de haut niveau, capable de certaines formes de prouesses intellectuelles à la suite d'un accident vasculaire cérébral à la naissance. Chez ce patient, le langage parlé s'est développé dans les deux hémisphères. D'autres études ont observé le fonctionnement du cerveau de personnes bilingues. Les résultats sont controversés, mais il semblerait que la latéralisation hémisphérique se mette en place progressivement : on utilise les deux hémisphères pour les langages que l'on maitrise mal, et uniquement l’hémisphère gauche pour le langage maternel ou des langages maitrisés.