Neurosciences/L'éveil, le sommeil et la vigilance
Présent chez de nombreuses espèces animales, le sommeil est certainement apparu pour permettre aux animaux de conserver leur énergie. De nombreux animaux peu évolués peuvent tomber dans un état de torpeur, où ils restent immobiles durant plus ou moins longtemps, tandis que d'autres sont capables de dormir profondément. La durée de sommeil varie beaucoup chez les animaux, allant d'une absence quasi-totale à plus de 10 heures. En moyenne, on estime qu'un être humain normal a besoin d'environ 8 à 9 heures de sommeil pour se sentir pleinement reposé. Cependant, cette moyenne cache une forte variabilité, vraisemblablement pour des raisons génétiques : les gros dormeurs doivent dormir 8 à 10 heures par nuit pour se sentir en forme, alors que les petits dormeurs se contentent de 3 à 4 heures. De plus, l'âge rentre aussi en compte dans les besoins de sommeil, la durée idéale de sommeil diminuant progressivement jusqu’à la fin de l'adolescence. Un nouveau-né a tendance à dormir plus de 18 heures par jour, un enfant de 3 ans 11 à 13 heures, les adolescents ont besoin de 9 à 10 heures par jour et les adultes entre 7 et 8 heures. Contrairement à l'idée reçue, les personnes âgées dorment autant que les jeunes adultes, mais ont un sommeil plus fragmenté : elles dorment moins la nuit et se rattrapent le jour en faisant la sieste.
Quand on manque de sommeil, tout se passe comme si le sujet en manque de sommeil avait une dette de sommeil à rattraper. Cela se remarque surtout par une diminution des performances du sujet : ses réactions sont plus lentes, il fait plus d'erreurs, sa concentration diminue, ses performances intellectuelles déclinent, etc. Quelqu'un qui a mal dormit durant la nuit aura tendance à plus dormir que le lendemain pour rattraper sa dette de sommeil. Cependant, une nuit blanche est souvent rattrapée par quelques heures de sommeil supplémentaires. Plus que la durée du sommeil, c'est surtout la qualité du sommeil, l'intensité du sommeil, qui permet de récupérer. Cette intensité dépend de la dette de sommeil accumulée, le sommeil étant plus réparateur après une restriction de sommeil. Et cette intensité du sommeil a une trace dans le cerveau, comme nous allons le voir.
On pourrait croire que le chapitre sur les rythmes circadiens vous a enseigné tout ce qu'il y a à savoir sur le sommeil, mais ce n'est pas le cas. S'il est vrai que le sommeil a une régularité similaire à celle du rythme circadien, l'horloge circadienne n'est pas la seule responsable de l'envie de dormir. Les chercheurs ont remarqué que l'envie de sommeil n'avait parfois aucun rapport avec le rythme de cette horloge. Par exemple, le manque de sommeil augmente l'envie de dormir alors qu'il n'a pas d'effet sur l’horloge biologique. On peut l'observer en regardant non pas le sommeil, mais les autres paramètres qui évoluent avec une période de 24 heures (la température, par exemple). Ainsi, il est possible de désynchroniser l'envie de dormir du rythme circadien, suite à des privations de sommeil : le sujet aura envie de dormir à des horaires sans lien avec son rythme circadien. Il y a donc quelque chose qui est capable d'induire le sommeil, sans que cela soit lié aux rythmes biologiques. Cette autre chose, les scientifiques lui ont donné les noms d'« homéostasie du sommeil » ou encore de « pression de sommeil ». Ce terme ne fait que formuler une évidence : plus on passe de temps éveillé, plus la fatigue se fait sentir et plus on a envie de dormir. Comme quoi, il fallait bien un chapitre complet sur le sommeil !
Les stades du sommeil
modifierLe cerveau est très loin de rester inactif lors du sommeil et son activité électrique est riche. Même durant le sommeil, le cerveau a une activité électrique relativement soutenue. L'ensemble des potentiels d'action à un moment donné causent une activité électrique mesurable à la surface du crâne, de l'ordre de quelques microvolts. Les neurones ont tendance à synchroniser leurs émissions, à émettre plus ou moins en même temps. Cela se traduit par une activité cyclique (à quelques variations près) : on observe des rythmes cérébraux, parfois improprement appelés ondes cérébrales. Ces rythmes se forment pour deux raisons. Premièrement, certains neurones pacemakers émettent des potentiels d'action à des intervalles réguliers, même s'ils ne sont pas stimulés par d'autres neurones. Deuxièmement, certaines aires cérébrales sont reliées et forment des boucles, qui sont à l'origine de certains rythmes cérébraux. Les boucles les plus importantes, qui relient les neurones du néocortex au thalamus, sont appelées boucles thalamico-corticales.
Cette activité électrique cérébrale peut se mesurer avec un instrument composé de plusieurs électrodes placées à la surface du crâne : l'électroencéphalographe, ou EEG. Celui-ci est utilisé pour étudier le fonctionnement du cerveau, diagnostiquer l'épilepsie, et observer le déroulement du sommeil. Chaque rythme cérébral a une fréquence bien particulière, et on classe arbitrairement les ondes cérébrales dans 4 à 6 bandes de fréquences nommées alpha, bêta, gamma, delta, et thêta. Les scientifiques ont remarqué que chaque bande de fréquence correspond à des niveaux d'éveil et de sommeil différents. De plus, ces ondes cérébrales sont localisées dans des zones différentes du cerveau : les ondes gamma et bêta sont essentiellement localisées dans les lobes frontaux, alors que les ondes Alpha sont localisées dans le cortex sensoriel et moteur.
- Delta : Inférieur à 4 hertz
- Thêta : 4 à 7 hertz
- Alpha : 8 à 15 hertz
- Bêta : 16 à 31 hertz
- Gamma : Plus de 32 hertz
L'activité électrique du cerveau varie entre le sommeil et l'éveil, et on peut observer des variations par rapport à la normale dans certains cas pathologiques. Si on observe l'EEG de quelqu'un qui dort, on remarque que le sommeil est organisé en phases de sommeil, identifiables par l'apparition de certaines ondes cérébrales. La succession de ces phases forme un cycle de 90 minutes, qui se répète plusieurs fois durant une nuit.
Stade du sommeil | Ondes cérébrales prédominantes |
---|---|
Eveil | Ondes Gamma, Bêta |
Endormissement | Ondes Alpha |
Sommeil lent léger | Ondes Thêta |
Sommeil lent profond | Ondes Delta |
Sommeil paradoxal | Ondes Gamma, Bêta |
Endormissement
modifierLors de l'endormissement, les ondes alpha apparaissent par bouffées successives. Le sujet peut être réveillé facilement. Lors de cette phase, le sujet peut être pris d'hallucinations dites hypnagogiques, ainsi que de sursauts musculaires nommées myoclonies d’endormissement. Dans la majorité des cas, cela est tout à fait normal et n'a rien de pathologique (l'auteur en a déjà fait expérience, sans avoir de problème de santé particulier).
Sommeil à ondes lentes
modifierLors du sommeil à ondes lentes, on observe une diminution de la fréquence des ondes cérébrales et une augmentation de leur amplitude. Le dormeur devient de plus en plus difficile à réveiller. Si on réveille quelqu'un lors du sommeil à ondes lentes, il se sentira fatigué. Le dormeur peut rêver lors du sommeil lent, les rêves étant relativement logiques et peu chargés émotionnellement. Les chercheurs ont trouvé la marque de l'intensité du sommeil dans les ondes du sommeil lent, qui sont plus amples et plus lentes suite à une privation de sommeil. On peut découper le sommeil à ondes lentes en deux phases : le sommeil léger et le sommeil profond.
Le sommeil léger dure environ une demi-heure chez un sujet d'âge moyen, mais peut être plus long chez les personnes âgées. Dans ce stade, le tonus musculaire commence à diminuer progressivement dans ce stade, de même que les mouvements oculaires se font plus lents et de moindre intensité. La respiration et le rythme cardiaques deviennent plus réguliers et ralentissent un tout petit peu. Le dormeur peut encore être réveillé facilement dans ce stade du sommeil. Du bruit, ou de la lumière peuvent réveiller un dormeur dans ce stade. De plus, le dormeur ne se sentira pas trop fatigué après le réveil, même si il aura une performance légèrement amoindrie. Quelques micro-réveils, inférieures à la dizaine de secondes, peuvent se produire spontanément dans ce stade. Le dormeur peut se souvenir de ces phases de réveil, qui sont parfois sources d'hallucinations hypnagogiques. Il donne un EEG avec des ondes Thêta, des bouffées d'ondes de haute fréquence (12-14 Hertz) appelées fuseaux du sommeil qui proviennent de la boucle thalamico-corticale et des ondes de haute amplitude qui apparaissent en réaction à des bruits extérieurs (complexes K).
Lors du sommeil profond, les ondes Delta s'installent. Les muscles ne sont pas paralysés et le dormeur peut encore bouger. C'est d'ailleurs lors de cette phase que les somnambules sortent de leur lit ou que les terreurs nocturnes surviennent. De manière générale, une bonne partie de ce que les médecins appellent parasomnies survient dans ce stade du sommeil. Si on réveille quelqu'un en sommeil profond, celui-ci se sentira fatigué et aura des performances fortement dégradées. La durée de cette baisse de performance est d'environ une demi-heure, une heure maximum. Les rêves sont courants en sommeil profond, comparé au sommeil léger. Ces rêves sont souvent assez logiques, cohérents, bien organisés et assez peu chargés émotionnellement.
Ce sommeil profond aurait comme rôle principal de réparer le corps et de lui permettre de reposer. À l'appui de cette affirmation, on peut dire que l'hormone de croissance est surtout produite lors du sommeil profond : cette hormone de croissance sert non seulement de faire grandir les enfants, mais aide aussi les cellules et tissus à se réparer. La consommation énergétique du cerveau est aussi beaucoup diminuée lors du sommeil profond, comparé à l'éveil. De plus, une nuit reposante est associée à des ondes lentes de grande amplitude lors du sommeil profond. Ce stade du sommeil aurait aussi un rôle à jouer dans l'apprentissage et la mémorisation. Plus précisément, il aurait une influence positive sur la consolidation des souvenirs et des connaissances acquises dans la journée. Dans le détail, les ondes lentes du sommeil profond permettraient le transfert des informations apprises de l'hippocampe vers le néocortex.
Sommeil paradoxal
modifierImmédiatement après les 80 minutes de sommeil à onde lentes, le sommeil paradoxal s'installe. Si on l'appelle sommeil paradoxal, c'est parce que l'EEG est très proche de l'éveil, avec quelques différences. L'hippocampe est dominé par des ondes thêta, ce qui n'est pas le cas lors de la veille. De plus, les régions motrices du cerveau sont inactives, le dormeur étant complètement paralysé. Seuls les yeux du dormeur peuvent encore bouger, ils effectuent beaucoup de mouvements rapides sous l'effet d'ondes cérébrales produites par la moelle épinière : les ondes ponto-geniculo-occipitales. Le rythme cardiaque et la respiration augmentent, de même que la pression artérielle. Les rêves sont courants lors du sommeil paradoxal, nettement plus que dans les autres phases du sommeil. De plus, les rêves du sommeil paradoxal ont tendance à être assez illogiques, incohérents, riches en émotions. Leur contenu est souvent incompréhensible, vague, bizarre. Enfin, le pénis entre en érection, ce qui est très utile pour savoir si un cas d'impuissance a une origine physique ou psychique.
L'anatomie du sommeil et de l'éveil
modifierOn l'a vu, la chimie du sommeil donne quelques indications sur les processus à l’œuvre dans le cerveau lors de l'endormissement ou de l'éveil. Mais les molécules précitées n'ont pas un effet global sur le cerveau : leur effet semble localisé à un petit ensemble de structures cérébrales bien précises, qui seraient autant de zones cérébrales dédiées à l'endormissement ou aux différents stades du sommeil. Certaines zones du cerveau ne sont actives qu'à l'état d'éveil, d'autres ne l'étant que lors du sommeil paradoxal ou du sommeil lent. L'identification de ces zones a permis de déterminer l'existence de trois systèmes : un qui maintient le sujet à l'état d'éveil, un autre actif lors du sommeil lent et un autre actif uniquement lors du sommeil paradoxal. Ces systèmes sont tous composés d'un ensemble d'aires cérébrales distinctes, qui ont chacun leur rôle à jouer. Ces systèmes interagissent entre eux, notamment pour s'inhiber mutuellement. Par exemple, le système d'éveil inhibe les systèmes du sommeil lent et paradoxal. Ces deux systèmes s'inhibent eux-mêmes mutuellement.
L'éveil
modifierOn a vu que l'éveil se traduit par une activité électrique soutenue dans le cortex, riche en ondes cérébrales rapides et désynchronisée. Cette activité s'atténue et devient de plus en plus rythmique et lente lors du sommeil. Le centre de l'éveil a pour but de maintenir cette activité dans le cortex. Le centre de l'éveil a longtemps été pensé comme une structure unique. Mais on sait aujourd'hui que celui-ci regroupe des structures cérébrales distantes, qui ne sont pas déterminantes à elles seules. La lésion de ces structures peut entraîner de sérieuses pertes de vigilance, qui peuvent aller jusqu’au coma profond. Ces trois aires suivantes sont souvent regroupées dans ce qu'on appelle le réseau exécutif de l’éveil.
Le réseau exécutif de l'éveil
modifierLes premières aires cérébrales identifiées comme faisant partie du centre de l'éveil le furent en 1918, lors de l'épidémie de grippe espagnole. Durant cette période, le neurologue Constantin von Economo remarqua que certains de ses patients tombaient dans le coma suite à diverses séquelles neurologiques, tandis que d’autres étaient atteints de sévères insomnies, allant jusqu’à une agrypnie quasi-totale. Il se mit en tête d'étudier quelles étaient les aires cérébrales lésées pouvant expliquer ce résultat. Les patients léthargiques ou comateux avaient des lésions à l'hypothalamus postérieur. Celui-ci envoie des axones dans l'ensemble du cortex, innervant celui-ci de façon diffuse. Plus précisément, on peut distinguer une contribution distincte du noyau inféro-mammilaire et du noyau latéral. Les neurones du premier sont des neurones à orexine, tandis que les neurones du premier relâchent de l'histamine dans les structures cérébrales voisines, ce qui est cohérent avec l'implication de ce neurotransmetteur dans l'état d'éveil. Il est apparu que son action est en partie une action contre-inhibitrice. En effet, l'hypothalamus antérieur se connecte à des neurones GABAergiques, à l'action inhibitrice. Les neurones de l'hypothalamus inhiberaient ces neurones GABAergiques dispersés dans le cortex : cette inhibition de l'inhibition GABAergiques se traduit naturellement par une activation du cortex.
On peut aussi citer les noyaux du télencéphale basal, qui émettent de l'acétylcholine et du glutamate, le principal d'entre eux étant le noyau basal de Meynert. Leur action est directement excitatrice sur le cortex.
Il est rapidement apparu que le thalamus a aussi un rôle à jouer dans l'état de vigilance et dans le cycle veille-sommeil. En effet, le thalamus régule l'activité cérébrale dans le cortex. Lors de la veille, ces boucles sont le lieu d'une activité cérébrale désynchronisée. Mais lors du sommeil lent, une activité rythmique prend place et il est aujourd'hui évident que ce comportement est dirigé par des neurones réticulaires, eux-mêmes commandés par des formations du tronc cérébral. Pour détailler le rôle du thalamus lors du sommeil, nous allons nous référer au schéma ci-contre. Rappelons que les noyaux du thalamus sont presque tous des relais sensoriels, qui transmettent les informations sensorielles au cortex cérébral. Ces noyaux de relai sensoriels sont chapeautés par un noyau thalamique réticulaire, qui inhibe les noyaux relai. D'autres noyaux sont des relais corticaux, à savoir qu'ils reçoivent des axones du cortex et lui en renvoient. ces noyaux forment avec le cortex des circuits fermés, où le cortex se connecte au thalamus, qui lui-même innerve le cortex. Ces circuits fermés sont appelés des boucles thalamico-corticales. Lors de l'éveil, les noyaux de relai sensoriels sont actifs et transmettent les sensations au cortex. Mais lors du sommeil, le noyau réticulaire s'active et éteint les noyaux de relai sensoriel. Le cerveau est alors isolé du monde extérieur et le cortex fonctionne en circuit fermé. Seules les boucles thalamico-corticales fonctionnent et leur activité est gouvernée par le noyau réticulaire. Or, le noyau réticulaire thalamique a une activité rythmique, semblable à celle des ondes lentes du sommeil lent.
La formation réticulée : le système activateur ascendant
modifierMais le réseau exécutif de l'éveil n'est pas le seul à avoir une influence sur l'état de veille. Les observations et les autopsies sur des patients comateux montrent que tous ont des lésions de la formation réticulée, suggérant que celle-ci est une des aires de commande du thalamus. On peut voir le réseau exécutif de l’éveil postérieur comme un relai de la formation réticulée. Durant longtemps, les savants crurent que cette structure correspondait au centre de l'éveil, d'où le nom qui lui a été donné de système réticulé activateur ascendant. Ce système est innervé par la plupart des afférences sensorielles, mais aussi par les structures corticales. On voyait autrefois ce système comme une sorte de centre qui recevait les sensations et les intégrait avant d'activer le cerveau en conséquence. Plus le cerveau était soumis à des stimulations sensorielles fortes (douleur, vision lumineuse, autre), plus l'activation cérébrale et l'éveil étaient forts. L'éveil était alors vu comme la conséquence d'une stimulation sensorielle suffisamment forte, tandis que le sommeil se manifestait quand les stimulations sensorielles devenaient insuffisantes. On sait aujourd'hui que cette vision est au moins partielle, trop simplifiée pour être exacte.
Le système réticulaire ascendant comprend un grand nombre de noyaux appartenant à la formation réticulée, les plus connus étant le locus coeruleus et les noyaux du raphé. À ceux-ci, il faut ajouter des noyaux cholinergiques, qui activent les neurones thalamiques. On peut aussi citer les noyaux réticulés bulbaires magnocellulaires, qui émettent de l'acétylcholine et du glutamate, deux neurotransmetteurs excitateurs. Ces derniers innervent aussi bien le thalamus que l'hypothalamus postérieur. Et enfin, citons les noyaux du noyau parabrachial, qui innervent directement le télencéphale basal. Le système réticulaire ascendant active l'ensemble du néocortex par l'intermédiaire de deux voies : une voie réticulo-thalamico-corticale qui passe par le thalamus, et une voie reticulo-hypothalamico-corticale qui fait relai dans l'hypothalamus.
Le sommeil lent
modifierLors de l'endormissement, les boucles thalamico-corticales deviennent insensibles aux stimulations extérieures. Leur activité électrique se résume à une oscillation rythmique, périodique, spontanée. Cela se produit quand le système de veille se désactive, cesse d'inhiber les neurones pacemaker du thalamus. De plus, l'activité électrique globale du cortex doit diminuer, ce qui implique une inhibition du locus coeruleus, du noyau du raphé, et des autres composants du système de veille.
Le système responsable de cette inhibition est localisé dans l'hypothalamus antérieur, et plus précisément dans l'aire pré-optique. La preuve principale étant que toute lésion de cette aire entraîne une insomnie presque totale. Cette aire est sensible à l'adénosine et on peut la voir comme une sorte de capteur qui mesurerait la pression de sommeil, afin de déclencher le sommeil quand celle-ci atteint un niveau trop élevé. Cette aire pré-optique contient des neurones inhibiteurs GABAergiques, qui innerveraient l'ensemble du système d'éveil. Ainsi, quand la pression de sommeil est trop forte, ces neurones émettent suffisamment de GABA pour éteindre le système de veille. Cependant, l'aire pré-optique est inhibé par le réseau de l'éveil, ces deux systèmes s'inhibant mutuellement. L'aire pré-optique est notamment sensible à la sérotonine, l'adrénaline et l'acétylcholine, qui l'inhibent. Seuls les neurones à hypocrétine/orexine de l'hypothalamus n'influencent pas l'aire pré-optique. Cela suggère que ceux-ci stabiliseraient l'état d'éveil. D'ailleurs, la narcolepsie est en grande partie causée par une destruction de ces neurones à orexine.
Cependant, l'aire pré-optique n'est pas le seul mécanisme d'entrée en sommeil lent. Une destruction totale de l'aire pré-optique entraîne certes une diminution du temps passé en sommeil lent, ainsi que des difficultés d'endormissement, mais elle ne supprime pas le sommeil lent. D'autres systèmes du sommeil lent doivent donc exister. À l'heure actuelle, les chercheurs suspectent l'implication des neurones GABAergiques de la zone parafaciale du tronc cérébral. L'activation de ces neurones semble induire un état proche, si ce n'est identique, du sommeil lent. Ils agiraient par inhibition de la transmission glutamatinergique du noyau parabrachial.
Le sommeil paradoxal
modifierLe sommeil paradoxal est commandé par un ensemble de noyaux spécialisés qui interagissent entre eux. Certains de ces noyaux, ainsi que les aires cérébrales du cortex, sont aussi actifs lors de l'éveil. C'est notamment le cas des noyaux cholinergiques, qui s'activent lors du sommeil paradoxal. La chimie du sommeil paradoxal est donc un intermédiaire entre le sommeil lent et l'éveil. La production d'acétylcholine est proche de celle de l'éveil, tandis que la production de monoamines et d'orexine est nulle.
Mais d'autres noyaux sont spécifiquement actifs lors du sommeil paradoxal. Leurs neurones sont appelés des neurones SP-on. Ceux-ci sont responsables de ce qui se passe lors du sommeil paradoxal. Ces noyaux SP-on contiennent les neurones glutaminergique du noyau sublatérodorsal, la partie ventrolatérale de la substance grise périacqueducale, le noyau reticularis pontis oralis (un noyau sensible à l'acétylcholine) et enfin le noyau paragigantocellulaire latéral. L'inhibition motrice du sommeil paradoxal est causée par l'activation du noyau sublatérodorsal. Ainsi, des lésions de ce noyau suppriment l'atonie musculaire lors du sommeil paradoxal. Ceux-ci émettent des afférences glutaminergiques vers des noyaux GABAergiques/glycinergique du myélencéphalequi innervent la moelle épinière. Les ondes géniculopontiques sont générés dans le tegmentum du mésencéphale.
Certaines structures du cerveau, n'appartenant pas à ce système, sont totalement désactivées lors du sommeil paradoxal. C'est notamment le cas du locus coeruleus et du noyau du raphé. Les neurones de ces aires sont donc appelés des neurones SP-off, pour bien signaler qu'il s"éteignent lors du sommeil paradoxal. De manière générale, le cerveau ne sécrète presque pas de monoamine lors du sommeil paradoxal. L'activation des systèmes mono-aminergiques pendant le sommeil paradoxal interrompt d'ailleurs celui-ci. C'est ainsi que les anti-dépresseurs, qui favorisent la production de mono-amines, peuvent diminuer ou complètement abolir le sommeil paradoxal. Les inhibiteurs sélectifs de la sérotonine vont ainsi diminuer la durée de sommeil paradoxal, tandis que les tricycliques et les inhibiteurs de la monoamine oxydase vont parfois totalement l'abolir.
Les troubles du sommeil
modifierLe sommeil peut facilement être troublé, que ce soit par des maladies, de l'anxiété, des médicaments, ou bien d'autres raisons. Le chapitre précédent a notamment abordé les troubles du sommeil liés aux troubles du rythme circadien. Mais ce sont loin d'être les seuls, comme tout insomniaque le sait déjà ! Mais leur classification est clairement assez difficile, plusieurs classifications existant à l'heure actuelle. De nos jours, les trois classifications qui font référence sont celles du DSM (le manuel de diagnostic des troubles mentaux), l'ICD (International Classification of Disease de l'OMS) et celle de l'ICSD (International Classification of Sleep Disorder). Mais ces trois classifications sont assez similaires, ce qui fait que les maladies du sommeil sont assez bien identifiées. Dans les grandes lignes, les troubles du sommeil se classent en quelques grands syndromes : les troubles du rythme circadien, l'insomnie, les hypersomnies, les parasomnies, les mouvements anormaux liés au sommeil et les apnées du sommeil. Il arrive aussi certaines maladies modifient la durée du sommeil, certaines pouvant faire disparaître totalement le sommeil : on parle alors d'agrypnie.
L'insomnie
modifierL'insomnie est juste une réduction de la quantité de sommeil, là où les hypersomnies correspondent à l'inverse, à savoir un excès de sommeil. Le syndrome le plus courant est clairement l'insomnie, qui frappe bien plus de monde que l'hypersomnie. La plupart des insomnies sont temporaires, liées à de l'anxiété ou une origine psychologique bénigne quelconque. Ces insomnies passent le plus souvent en quelques semaines ou quelques jours au mieux. Plus rares sont les insomnies organiques, dont la cause est totalement autre que psychologique. Elles peuvent provenir de la consommation d’existants ou de médicaments aux effets stimulants, mais aussi de troubles neurologiques ou psychiatriques un peu plus sérieux. Par exemple, les patients dépressifs ont souvent des insomnies (ou des hypersomnies, selon le cas) : ils ont notamment tendance à se réveiller plus tôt le matin et à se lever plus fréquemment la nuit. On observe aussi des insomnies assez sévères chez les bipolaires en phase maniaque : leurs besoins en sommeil diminuent aux alentours de 2 ou 3 heures de sommeil.
Les hypersomnies
modifierLes hypersomnies sont plus rares, quoiqu'elles soient le second trouble du sommeil en termes de fréquence. La plupart ont des origines assez classiques : une réaction face un manque de sommeil, le résultat de problèmes psychologiques, l'arrivée de l'hiver, etc. Rarement, l'hypersomnie est liée à des maladies psychiatriques. Par exemple, la dépression peut entraîner des hypersomnies assez importantes chez certains patients. L'abus d'hypnotiques est aussi une raison assez évidente. Mais certaines maladies peuvent entraîner des hypersomnies assez sévères, assez idiosyncratiques. Ces maladies sont connues sous le nom de narcolepsie et de syndrome de Klein-Levin.
La narcolepsie est une maladie caractérisée par des endormissements soudains, en pleine journée. Ceux-ci sont caractéristiques de la narcolepsie, mais elle peut être couplée à des symptômes assez accessoires, comme une fatigue diurne et des insomnies. Les hallucinations lors de l'endormissement ou du réveil sont aussi assez fréquentes, bien que parfois absentes chez certaines narcoleptiques. Beaucoup de narcoleptiques sont aussi atteints de catalepsie, un syndrome caractérisé par une décontraction totale des muscles sans perte de conscience. Un patient cataleptique peut ainsi s'effondrer ou chuter soudainement, suite à une décontraction de tous ses muscles, bien que la catalepsie puisse se limiter à quelques muscles bien précis. Cela arrive suite à une émotion, ou spontanément. Chose étonnante, les endormissements soudains ne font pas passer le malade en sommeil lent, mais le font passer directement en sommeil paradoxal. La cause la plus probable de la narcolepsie serait un dysfonctionnement impliquant l'orexine, soit que les neurones à orexine dysfonctionnent, soit qu'une déficience en orexine se fasse jour dans le cerveau.
Certaines hypersomnies sont dites récurrentes, à savoir qu'elles surviennent "régulièrement". Le syndrome de ce type le plus connu est le syndrome de Klein-Levin, bien qu'il soit particulièrement rare. Ce syndrome se manifeste par poussées d'hypersomnies, avec rémission complète entre les poussées. Lors des poussées, le patient dort beaucoup plus que la normale, mais ce n'est pas le seul symptôme décelable, des symptômes cognitifs ou psychiatriques sont aussi fréquents. Niveau psychiatrique, le sujet est irritable, fatigué, apathique, parfois dépressif. Plus grave, des manifestations psychiatriques plus importantes peuvent se produire : hallucinations, délire, hypersexualité, confusion mentale, délirium, variations d'humeur, etc. Des troubles cognitifs sont très fréquents : difficultés de concentration, troubles de la mémoire, et autres.
Les troubles du comportement en sommeil paradoxal
modifierLes troubles du sommeil précédent dégradaient la durée du sommeil, mais quelques troubles ne rentrent pas dans ce cadre. Les troubles du comportement en sommeil paradoxal, que nous abrégerons en TCSP, sont de ceux-là. Il s'agit de rêves agités ou cauchemardesques où le sujet se met à bouger, parfois au point d'avoir un comportement violent ou impulsif. Ce trouble ressemble quelque peu au somnambulisme, si ce n'est pour une différence de taille : si le somnambulisme est un trouble du sommeil lent, les phases de pseudo-réveil du TCSP ont lieu assez souvent 90 minutes après l'endormissement, lors du sommeil paradoxal. Ce trouble a une origine assez intéressante : il se traduit par une abolition de la paralysie lors du sommeil paradoxal. Des muscles qui devraient perdre tout leur tonus et ne pas se contracter lors du sommeil paradoxal vont en fait fonctionner comme lors de l'éveil.
Le TCSP peut avoir plusieurs causes, comme l'usage d'antidépresseurs. Ceux-ci ont tendance à réduire le sommeil paradoxal et à dégrader celui-ci. Il n'est donc pas étonnant que ces médicaments déclenchent de tels troubles du sommeil paradoxal. Mais la plupart du temps, ce trouble n'a pas de cause bien définie. Le TCSP est plus fréquent chez les sujets âgés, notamment chez ceux atteints de maladies neurodégénératives. Chose importante, plus de 30% des patients âgés atteints de TCSP déclarent des maladies neurodégénératives dans les années ou décennies qui suivent l'apparition du TCSP. Plus précisément, ils déclarent des synucléopathies, tel la maladie de Parkinson, la paralysie supra-nucléaire progressive, ou la démence à corps de Lewy. Le TCSP est inhabituel dans les tauopathies et amyloses.