Mémoire/Le modèle modal d'Atkinson et Shiffrin
Bien que connu depuis Ebbinghaus, l'explication des effets de récence et de primauté est longtemps resté un mystère. Murdock, dans son étude de 1962, a suggéré une hypothèse intéressante, qui permet d'expliquer l'effet de récence : l'existence d'une mémoire à court terme de capacité limitée, qui ne dure que quelques secondes. Cette mémoire à court-terme serait à opposer à la mémoire plus durable, celle du langage commun, appelée mémoire à long-terme. Les derniers éléments rappelés seraient accessibles depuis la mémoire à court terme, tandis que les autres doivent être repêchés depuis la mémoire à plus long terme. L'effet de récence étant de 7 items, on en déduit facilement que la taille de la mémoire à court-terme serait de cet ordre : 7 items, plus ou moins deux. Cette interprétation est aujourd'hui nuancée, pour des raisons que nous aborderons plus tard.
Reste que l'existence d'une telle mémoire restait à confirmer. Ce fut fait par l'étude de Glanzer et Cunitz, datée de 1966. Dans cette expérience, deux groupes de sujets devaient apprendre une liste de mots. Cependant, le premier groupe était testé dans une tâche de rappel immédiat, alors que l'autre était testé via un rappel différé. Plus précisément, le second groupe recevait une tâche entre l'apprentissage de la liste de mots et son rappel. Les sujets devaient compter à l'envers de trois en trois, à voix haute, durant un certain temps. Une telle tache, intercalée entre rappel et apprentissage, porte le nom de tâche de Brown-Peterson. Le fait est que l'effet de récence apparaît bien en rappel immédiat, mais disparaît presque totalement en rappel différé avec tâche de Brown-Peterson. L'interprétation de ce résultat est que la tâche de Brown-Peterson a vidé la mémoire à court-terme, supprimant ainsi l'origine de l'effet de récence. Ceci dit, la tâche de Brown-Peterson ne supprime pas totalement l'effet de récence. Il est un effet de récence résiduel, extrêmement faible mais existant. Celui-ci aurait une origine indépendante de l'existence de la mémoire à court-terme, mais celle-ci est encore mal connue.
Par la suite, d'autres expériences ont amené à la conceptualisation d'un autre type de mémoire temporaire, encore plus bref que la MCT : la mémoire sensorielle. De cette constatation, le modèle modal d'Atkinson et Shiffrin est apparu. Dans ce modèle, on retrouve aussi bien les mémoires sensorielles, que la mémoire à long terme et la mémoire à court terme. La mémoire à long-terme, abréviée MLT, est peu développée dans la théorie d'Atkinson et Shiffrin. La théorie dit juste qu'il s'agit d'une mémoire de longue durée, dont la capacité est très importante. Il faut dire que la théorie s'intéresse seulement au transfert des informations de la MCT vers la MLT, à savoir la mémorisation, aussi appelée encodage. L'idée est notamment que l'encodage dépend essentiellement du temps que l'item à mémoriser passe dans la MCT. Plus ce temps est long, plus l'encodage a de chances d'avoir lieu. La répétition mentale, en permettant de rafraîchir les items en MCT, favoriserait l'encodage.
Le registre sensoriel
modifierLa mémoire sensorielle a été mise en évidence par diverses expériences, au début du siècle dernier. Dans les grandes lignes, elle peut retenir une quantité d'informations sensorielles impressionnante, mais la durée de rétention est très brève, inférieure à la seconde. Le contenu de cette mémoire n'est pas perçu consciemment. Un certain traitement automatique est effectué sur le contenu de ces mémoires, avant leur transfert en mémoire à court-terme. Ce peut être des processus de détection des contours d'objets pour la mémoire visuelle, des processus de détection de la tonalité ou de l’intensité sonore pour la mémoire auditive, etc. Le transfert en MCT des informations sensorielles se fonde essentiellement sur l'attention, notre capacité à nous concentrer. Celle-ci va faire un tri des items sensoriels pour n'en retirer que les informations essentielles, celle-ci passant en MCT. Le reste n'atteint pas la conscience et est oubliée.
Dans la théorie originale d'Atkinson et Shiffrin, le registre sensoriel est vu comme un système unitaire, capable de mémoriser aussi bien des informations visuelles qu'auditives. De nos jours, les scientifiques ont de très bonnes raisons de penser que le registre sensoriel est subdivisé en registres indépendants, un par modalité sensorielle. Un registre visuel complémenterait ainsi un registre tactile et un registre auditif. Dans ce qui va suivre, nous allons détailler ces différents registres.
La mémoire sensorielle iconique
modifierLa mémoire sensorielle visuelle est aussi appelée mémoire iconique (son nom vient d’icône, qui veut dire petite image). Les observations qui ont mené à concevoir ce concept de mémoire iconique sont fondées sur des tâches de mémorisation partielle. La toute première date de 1960, et a été effectuée par George Sperling. Son expérience a nécessité deux groupes de cobayes, qu'il a placé devant un écran d'ordinateur. Les volontaires du premier groupe devaient d'abord fixer une croix sur l'écran afin de fixer la position de leur regard. Ensuite, un tableau de 12 lettres s'affichait à l'écran durant 50 millisecondes, et était suivi par un écran totalement blanc. Une sonnerie retentissait alors quelques instants plus tard, et les cobayes devaient alors se remémorer les lettres qu'ils avaient vues. Durant cette expérience, les cobayes étaient capables de citer seulement trois à cinq lettres, pas plus. Les volontaires du second groupe subissaient la même expérience, à un détail prêt : la sonnerie leur indiquait une des trois lignes. Suivant le ton de la sonnerie, les cobayes devaient se rappeler les lettres situées sur la première, deuxième ou troisième ligne. Le taux de réussite montait à 75 %, et ce quelle que soit la ligne. Ce qui montre que les sujets pouvaient se souvenir du tableau de lettre alors qu'il avait disparu.
La mémoire iconique a été mise en évidence avec des expériences sur des pilotes de chasse. Dans ces expériences, on projetait sur un écran une image d'avion de chasse durant un temps très faible. En dehors de cette période, l'écran était blanc, pour forcer la persistance rétinienne à effacer l'image de l'avion. Les pilotes de chasse arrivaient tout de même à dire quel était le modèle de l'avion si son image était présenté durant 1/224 de secondes. Difficile d'expliquer ce genre de résultat sans mémoire iconique.
Les expériences citées ci-dessus ont permis, avec quelques modifications, de mieux connaître les caractéristiques de la mémoire iconique. Comme toutes les autres mémoires sensorielles, elle possède deux caractéristiques : sa durée de mémorisation et sa capacité. Pour la capacité, les expériences ne permettent pas de conclure, si ce n'est que celle-ci est énorme. En revanche, sa durée de rétention est mesurée avec précision. Pour cela, les chercheurs ont fait varier l'intervalle entre la présentation du tableau de lettre et la sonnerie. Visiblement, plus le temps augmente, plus le taux de réussite des sujets s'écroule. Une petite analyse semble montrer que la mémoire visuelle devient inefficace au-delà de 100 à 500 millisecondes. C'est approximativement la durée de rétention en mémoire iconique. Bien sûr, cette durée varie selon les personnes. L'âge semble faire varier les résultats, la durée de rétention semblant diminuer un petit peu avec l'âge. Des expériences d'eye-tracking ont montrées que la mémoire iconique était fonctionnelle chez les bébés à partir de 6 mois.
Cette mémoire iconique provient (au moins en grande partie) de la fameuse persistance rétinienne de la rétine, qui permet de maintenir temporairement une image sur la rétine durant un temps limité. Celle-ci vient du fait que les cellules de la rétine mettent un certain temps avant de réagir à un changement de luminosité. Ce temps de réaction des cellules de la rétine fait que l'image perçue sur la rétine va rester durant quelque temps imprimée, et accessible au cerveau. Typiquement, les cellules de la rétine mettent un certain temps avant de détecter des tons plus sombres, alors qu'une augmentation soudaine de la luminosité est prise en compte plus vite. Mais outre la rétine, la mémoire iconique implique aussi le cerveau, dans une certaine mesure. Les aires cérébrales de la vision restent activées suite à la perception de l'image et mettent quelques millisecondes à revenir à la normale. Notons que le cerveau est très sensible aux motifs de l'image, et assez peu à sa luminosité ou son contraste, alors que c'est l'inverse pour la rétine.
La mémoire iconique est utile pour la perception du mouvement. C'est elle qui nous permet de ne pas voir le monde comme une suite de diapositives. D'ailleurs, la durée de la mémoire iconique est similaire à la durée maximale entre deux images au-delà de laquelle on commence à voir les saccades. En somme, cette mémoire iconique sert d'accumulateur, qui mélange les images entre elles, et donne une impression de perception de mouvement.
La mémoire sensorielle échoïque
modifierÀ côté de la mémoire iconique, on trouve la mémoire échoïque, dédiée aux sons (son nom vient de "écho", qui a un rapport avec le "son"). Sa mise en évidence provient des expériences d'écoute dichotiques, qui se basent sur l'écoute simultanée de deux bandes sonores, une dans chaque oreille. Dans ces conditions, les cobayes doivent se concentrer sur une seule bande sonore. Toutefois, si jamais un mot familier (notre prénom, par exemple) est prononcé sur la bande sonore à ne pas écouter, le cobaye s'en rendra compte et son attention se focalisera dessus. C'est la preuve que même si l'attention du sujet n'est pas portée sur la seconde bande sonore, il a quand-même mémorisé les informations de celle-ci, celles-ci pouvant ressurgir suivant la situation. D'où l'existence d'une mémoire échoïque.
Sa durée de rétention est estimée avec les expériences d'écoute dichotique. Pour cela, il suffit de faire varier l'intervalle entre deux présentations d'un mot/chiffre/lettre sur chaque bande. On peut aussi demander à deux cobayes si deux voyelles prononcées consécutivement sont identiques ou différentes. Plus le temps entre la prononciation des deux voyelles est long, plus les cobayes ont du mal à faire la différence. Dans ces conditions, on remarque que la capacité de discrimination diminue pour se stabiliser après quatre secondes de séparation. On voit que la durée est nettement plus importante que pour la mémoire iconique. Cette durée de rétention varie suivant l'âge : elle augmente lors de l'enfance, et finit par se stabiliser assez rapidement vers six ans.
La mémoire à court-terme
modifierLa mémoire à court-terme, abréviée MCT, est une mémoire qui mémorise un nombre limité d'informations pour une durée de quelques secondes. La différence principale avec la mémoire sensorielle est que sa capacité est limitée, là où la mémoire sensorielle peut mémoriser beaucoup d'informations. De plus, sa durée de rétention est légèrement supérieure à celle de la mémoire sensorielle : des millisecondes, on passe à la dizaine de secondes. Pour donner un exemple, c'est la MCT qui est utilisée pour mémoriser un numéro de téléphone juste avant de le composer.
Une durée de rétention de quelques dizaines de secondes
modifierIl est évident que le contenu de la MCT semble s'effacer avec le temps. Pour mesurer cette vitesse d'effacement, les chercheurs doivent tenir compte du fait que le cobaye peut répéter mentalement les informations à mémoriser, augmentant la durée de rétention en MCT. Pour supprimer ce biais, ils utilisent une tâche de Brown-Peterson, dont ils contrôlent la durée. Dans cette situation, plus la durée de la tâche de Brown-Perterson est longue, plus l'empan diminue. Le rappel est d'environ 90 % quand le délai entre les deux est inférieur à 1/2 seconde. Il tombe à 50 % après 3 secondes, 40 % après 6 secondes, 20 % après 9 secondes, et il tombe à 10/8 % après. La durée de conservation semble donc proche de la dizaine de secondes, un peu plus ou un peu moins suivant les personnes. L'origine de cet oubli n'est pas encore bien élucidée et deux théories s'affrontent : une qui dit que les informations s'effacent progressivement, et une autre qui dit que les informations interfèrent entre elles. Nous reviendrons sur ce débat dans le chapitre sur l'oubli en mémoire déclarative.
Une capacité de moins d'une dizaine d'items
modifierLa mémoire à court terme ne peut pas retenir un nombre illimité d'informations du fait de sa capacité finie. On peut tenter d'estimer la capacité de la MCT en se basant sur l'effet de récence. Puisque la mémoire à court terme est à l'origine du rappel des derniers éléments, on peut en estimer sa capacité en regardant le nombre d’éléments concernés par l'effet de récence. Celui-ci tombe rapidement au-delà d'un certain seuil : ce seuil est appelé l'empan mnésique. Dans les expériences faites sur des adultes, ce nombre ne dépasse pas 10, et a une moyenne de 7 +/- 2.
Pour obtenir une estimation de votre empan mnésique, vous pouvez passer le test suivant, connu sous le nom de digit span task. Lisez chaque séquence de chiffres comme s'il s'agissait d'un numéro de téléphone, fermez les yeux et essayez de répéter celle-ci. Si vous avez réussi à répéter celle-ci sans faute, passez à la séquence suivante. Arrêtez-vous à la première séquence où vous faites une erreur. La capacité de votre empan mnésique est égal à la longueur de la chaîne de chiffres, moins un item.
- 0215 ;
- 4657 ;
- 1857 ;
- 12457 ;
- 07458 ;
- 16895 ;
- 057698 ;
- 014562 ;
- 076931 ;
- 0457289 ;
- 0168345 ;
- 0487965 ;
- 04612785 ;
- 01369874 ;
- 97854631 ;
- 014785236 ;
- 987512346 ;
- 123658749.
La majorité des personnes arrive à atteindre 7 items. Certaines peuvent faire plus et atteindre les 9 à 10 chiffres, tandis que d'autres sont limitées à 4 ou 5 chiffres. Néanmoins, l'empan varie selon l'âge. Dans les 20 premières années de la vie, l'empan augmente progressivement avec l'âge, avant de se stabiliser et de diminuer avec le temps.
Ce test mesure deux choses différentes : la capacité à mémoriser les items et leur ordre. Ce test n'est pas très compliqué pour ce qui est de mémoriser les items eux-mêmes : les chiffres sont des choses bien connues qui ne demandent pas vraiment d'efforts pour être mémorisés. Seule la capacité à mémoriser l'ordre sera donc réellement mesurée dans le test précédent. Cependant, les choses peuvent changer si l'on remplace les chiffres par des items non-familiers.
Un accès séquentiel
modifierLa mémoire à court terme est une mémoire rapide. Ceci dit, on peut se demander si le temps d'accès à la mémoire dépend de son occupation. Fonctionne-elle séquentiellement ou en parallèle ? Pour vérifier cela, Sternberg a créé une expérience assez simple. Il a demandé à quelques cobayes de mémoriser de petites suites de chiffres, tenant en MCT. Ensuite quelques secondes plus tard, un signal lumineux demandait aux cobayes de répéter à haute voix un des chiffres, la tonalité indiquant la position du chiffre dans la liste. Bilan : tant qu'on reste dans les limites de la MCT, plus la liste est longue, plus le rappel est long. Ainsi, plus la MCT est encombrée, plus le rappel prend de temps. Cela peut laisser penser que la MCT est fondamentalement séquentielle : on peut scanner celle-ci pour se rappeler de son contenu, mais pas y accéder en parallèle.
Un codage des informations essentiellement verbal
modifierOn peut se demander ce que peut bien contenir la mémoire à court-terme : s'agit-il d'une mémoire acoustique, sémantique, lexicale , ... ? Divers résultats semblent indiquer que la MCT mémorise principalement des informations auditives. Par exemple, on peut citer l'étude de Conrad (1960). Dans cette étude, des sujets devaient lire des suites de lettres et les rappeler immédiatement après (rappel libre). L'étude des erreurs des sujets a alors montré quelque chose d’intéressant. Les suites de lettres sont plus difficiles à mémoriser quand les lettres se prononcent de manière similaire. Par exemple, la suite P D C T G B sera plus difficile à mémoriser que A W Z E T L D. La tâche étant une tache de rappel libre faisant appel à la MCT, on peut en déduire que la MCT mémorise des informations acoustiques, qui peuvent interférer entre elles lors du rappel.
Le phénomène de regroupement/chunking
modifierIl faut signaler que les limites de la mémoire à court terme semblent s’évanouir (ou tout du moins fortement augmenter) quand on est face à une situation familière. La raison tient dans la possibilité de regrouper plusieurs items en un seul, dans la mémoire à court-terme. De tels regroupements sont appelés des chunks.
Historiquement, le premier scientifique à avoir découvert cela était Miller, celui qui a découvert que la mémoire à court terme pouvait retenir 7 +- 2 items. Son expérience était simple : il devait retenir un maximum de chiffres binaires, présentés les uns après les autres. Pour information, le binaire est un système d'écriture des nombres qui n'utilise que deux chiffres : 0 et 1. Dans son expérience, il devait retenir une suite de 0 et de 1, dans ce genre : 1011110011010101100000. En travaillant sur des chiffres isolés, il arrivait à retenir 7 chiffres. Néanmoins, il eut l'idée d'utiliser des groupements de deux, trois, ou quatre chiffres binaires. Il pensa alors à interpréter chacun de ces groupes comme un nombre écrit en décimal. Il lui suffisait d'apprendre la correspondance entre groupes de chiffres et nombres, et de l'utiliser pour mémoriser les chiffres.
- 0 = 0000
- 1 = 0001
- 2 = 0010
- 3 = 0011
- 4 = 0100
- 5 = 0101
- 6 = 0110
- ...
Pour vous rendre compte par vous-même de ce phénomène de chunking, essayez de mémoriser le numéro de téléphone suivant, sans regrouper les chiffres :
- 0 3 2 4 5 3 4 6 7 8
Et maintenant essayez en regroupant les chiffres deux à deux :
- 03 24 53 46 78
La seconde suite était plus facile : le fait de regrouper les chiffres fait que le nombre de chunks à mémoriser était plus faible.
Il faut cependant préciser que ce phénomène a été observé pour des informations très différentes, qui dépassent de loin de simples suites de lettres ou de chiffres. Par exemple, quand on présente une configuration de jeu à un joueur d'échec expert, il a tendance à mémoriser 4 à 5 fois plus de pièces qu'un novice. Cela vient du fait que les novices doivent mémoriser des pièces indépendantes, tandis que les experts les regroupent en blocs de 3 à 5 pièces. Mieux : ces regroupements permettent de catégoriser des ensembles de pièces suivant leur sens stratégique, chaque regroupement étant associé au meilleur coup à jouer associée à cette configuration. Ce phénomène de regroupement est aussi utile en géométrie (Koedinger et Anderson, 1990) : les élèves qui ont de bonnes performances en géométrie ont acquis des regroupements visuels qui leur permettent de reconnaître des figures géométriques particulières (triangles, carrés, angles alternes-internes, etc), et d’accéder aux informations associées à ces figures. Ainsi, la capacité à résoudre certains exercices de géométrie dépend en partie de cette capacité à reconnaître des figures, comme des angles alternes-internes, des figures géométriques, et ainsi de suite. On voit que le phénomène de regroupement peut se produire pour des stimulus visuels.
Mieux : certains regroupements sont des regroupements non pas perceptifs, mais conceptuels. Pour donner un exemple, on peut prendre les recherches d'Egan and Schwartz, datées de 1979. Ces expériences comparaient les performances entre des spécialistes en électronique et des novices : les cobayes devaient mémoriser un circuit électronique qui leur était présenté durant quelques secondes. Tandis que les novices se rappelaient de chaque pièce indépendamment, les experts se rappelaient d'ensembles de pièces assez conséquents, chacun de ces ensembles ayant un sens. Par exemple, les experts regroupaient un ensemble de résistances électriques, condensateurs, et bobines dans un sous-circuit qui correspond à un amplificateur de tension ou un amplificateur de courant.
Notons que la capacité à faire des regroupements est dépendante des connaissances antérieures. Par exemple, les expériences de Yntema et Mueser montrent clairement que des contrôleurs aériens experts ne peuvent pas faire de regroupements dans des tâches de laboratoires déconnectées de leur expertise : leur mémoire de travail reste limitée à 7 informations en moyenne. Mais les études de Bisseret montrent que pour des tâches liées à leur domaine d'expertise, les contrôleurs aériens peuvent mémoriser jusqu’à 20 voire 30 informations dans leur mémoire de travail. Cette constatation a été vérifiée dans une grande quantité de domaines différents, comme l'expertise médicale, la programmation, la conception de circuits électronique, ou l'expertise mathématique. Pour reprendre l'exemple des joueurs d'échec experts, leur avantage mnésique ne vaut que pour des configurations de jeu rencontrées fréquemment, ceux-ci ayant des performances similaires à celles des novices pour des configurations de jeu aléatoires.
Pour résumer, les chunks sont des connaissances mémorisées en mémoire à long terme. La recherche dans le domaine de l'expertise a d'ailleurs montré que les performances des experts dans un domaine proviennent en partie de la mémorisation d’un grand nombre de regroupements spécifiques à ce domaine. On observe ce phénomène dans des domaines très divers, mais les premières études sur le sujet étaient celles des experts du jeu d'échecs. Comme le dit Mislevy : « […] comparés aux novices, les experts dominent plus de faits et établissent plus d’interconnexions ou de relations entre eux. Ces interconnexions permettent de surmonter les limitations de la mémoire à court terme. Alors que le novice ne peut travailler qu’avec au maximum sept éléments simples, l’expert travaille avec sept constellations incarnant une multitude de relations entre de nombreux éléments ».
Quelques critiques du modèle
modifierLe modèle modal a été l’une des meilleures synthèses qui soient des connaissances sur la mémoire du siècle dernier. Ses hypothèses sont diverses, mais peuvent se résumer simplement : existence de trois mémoires ayant chacune ses caractéristiques, transfert entre registre sensoriel et MCT basé sur l'attention, encodage basé sur le temps de maintien en MCT. Néanmoins, divers pans du modèle ont depuis été remis en cause. L'existence du registre sensoriel et sa subdivision en mémoire iconique et échoïque a remarquablement bien résisté, et fait depuis partie des acquis de la science. Mais les autres hypothèses sont aujourd'hui remises en cause. L'hypothèse de l'existence d'une MCT séparée, ou du moins indépendante de la MLT est aujourd'hui quelque peu réductrice, de même que l'unité de la mémoire à court-terme.
Le processus d'encodage
modifierLe modèle modal d'Atkinson et Shiffrin postule que la qualité de l'encodage dépend uniquement du temps passé par l'item en MCT. La répétition mentale, en augmentant le temps passé en MCT par l'item, favorise donc l'encodage. Mais les expériences faites sur le sujet ont montré que la répétition avait non seulement un effet relativement faible, mais aussi que d'autres mécanismes favorisent un encodage de qualité. Dans les grandes lignes, donner du sens aux items, les relier à des connaissances antérieures, ou organiser/classer les items favorise leur encodage. Chose que le modèle modal ne peut pas permettre de rendre compte.
La passivité du stockage en MCT
modifierLa vision de la MCT comme simple lieu de stockage passif est aussi remise en cause par les résultats d'expériences de double tâche, où un sujet doit traiter simultanément des informations et les mémoriser. Elles montrent que traitement et mémorisation entrent en conflit, une forte charge de traitement diminuant les performances de mémorisation et réciproquement. De nos jours, la mémoire à court-terme est vue non seulement comme une forme de mémoire, mais aussi comme une capacité cognitive plus générale liée à l'attention, indispensable pour des tâches comme le raisonnement, la résolution de problème, ou l'apprentissage. Cette nouvelle forme de mémoire est appelée la mémoire de travail et nous la détaillerons dans le chapitre suivant.
L'unité de la mémoire à court-terme
modifierDe nos jours, diverses expériences et observations sur des patients cérébrolésés ont montré que la mémoire à court-terme n'est pas une mémoire unique, mais est elle-même subdivisée en plusieurs sous-mémoires indépendantes. Cette hypothèse permet de rendre compte des expériences où les sujets doivent mémoriser à la fois des informations verbales et visuelles. Dans sa première expérience de ce type, Baddeley utilisa plusieurs groupes de cobayes. Ceux-ci devaient mémoriser les informations présentées sur un écran et les rappeler quelques secondes plus tard. Le premier groupe de cobaye ne voyait que des mots sur l'écran, le second des icônes carrées dont il devait prononcer la couleur, et le troisième voyait à la fois icônes et mots et devait prononcer soit les couleurs, soit les mots affichés. Les différents groupes n'avaient pas exactement la même performance à ce test : le groupe 1 est capable de mémoriser environ 4 icônes, le groupe 2 peut mémoriser 7 mots, et le groupe 3 peut rappeler environ 7 mots et 4 icônes. Cette observation ne va pas dans le sens d'une mémoire à court terme unitaire, à capacité limitée fixe.
Ces constatations sont de plus renforcées par les observations sur certains patients cérébrolésés. Certains patients ont une mémoire de travail verbale déficitaire, alors que leur mémoire de travail visuelle est intacte. D'autres ont le déficit inverse. Cette double dissociation montre donc que mémoires de travail verbale et visuelle sont séparées. Les patients dont la mémoire de travail verbale est lésée ont des déficits de l'apprentissage du vocabulaire, ainsi que des déficits d'apprentissage phonologique. On peut citer le cas d'une patiente, étudiée par Baddeley, dont la mémoire de travail phonologique/articulatoire est atteinte à la suite d'un accident vasculaire cérébral. La patiente n'avait aucun problème pour lire des mots familiers ou qui ressemblaient à des mots connus, mais l'apprentissage de nouveaux mots d'une autre langue était laborieux, quand il était seulement possible. On voit donc que l'apprentissage de nouveaux mots dépend de la mémoire de travail auditive, du moins dans les premières étapes de l'apprentissage de la lecture. Par la suite, cette influence diminue, l'élève apprenant de nouveaux mots en les reliant à des mots déjà présents en mémoire à long terme, par analogie.
L'indépendance de la MCT et de la MLT serait un résultat en trompe-l’œil
modifierLe modèle des processus emboîtés de Cowan postule que la MCT et la MLT seraient en réalité beaucoup plus liées qu'on ne peut le croire. L'idée du modèle est que la MCT est la portion activée de la MLT. Par activée, on veut dire que les informations en MLT ont un niveau d'activation qui correspond à leur facilité à être rappelée. Plus une information est active, plus elle a de chances de nous venir à l'esprit. Cependant, il ne suffit pas qu'une information soit activée pour qu'elle soit en MCT. Il faut aussi qu'on y fasse attention et qu'on décide de se focaliser dessus. Pour cela, il existe dans le cerveau un superviseur attentionnel, qui gère notre attention, notre concentration et toutes les capacités mentales associées. L'activation, peu importe son origine, pré-sélectionne les informations pouvant entrer dans la MCT, et le superviseur attentionnel s'occupe de la sélection finale. En quelque sorte, la MCT serait le résultat de l'interaction entre notre capacité d'attention et la mémoire à long-terme.