Mémoire/La subdivision de la mémoire à long-terme

Dans les chapitres précédents, nous avons considéré la mémoire à long terme (MLT) comme une entité unique. C'était une hypothèse secondaire du modèle d'Atkinson et Shiffrin, qui visait à simplifier le modèle et qui paraissait crédible pour l'époque. Mais les connaissances scientifiques actuelles nous disent qu'il existe deux systèmes de mémoire : un système pour les souvenirs et connaissances, et un autre pour les automatismes moteurs, cognitifs et sensoriels. La terminologie utilisée pour nommer ces deux systèmes de mémoire est assez simple, même si il y a deux acceptations distinctes. La première terminologie distingue la mémoire déclarative de la mémoire non déclarative. La mémoire déclarative correspond à la mémoire dont on peut verbaliser le contenu, alors que la mémoire non-déclarative comprend des apprentissages qu'on ne peut pas mettre en mots. Pour faire simple, il s'agit d'une distinction entre une mémoire verbale, liée au langage, d'une mémoire non-verbale indépendante du langage. La seconde terminologie distingue une mémoire explicite d'une mémoire implicite. La différence entre les deux tient dans le fait que l'apprentissage soit conscient ou non. Ce qui est appris en mémoire explicite l'est de manière consciente, alors que la mémoire implicite est celle des apprentissages inconscients (apprentissage perceptifs ou moteurs). Concrètement, les deux distinctions sont identiques : mémoire explicite et déclarative sont deux termes interchangeables, de même que mémoire implicite et non-déclarative.

Il est apparu que mémoire déclarative et implicite sont elles-mêmes subdivisées en mémoires séparées. Le découpage est encore mal connu, surtout pour la mémoire implicite et toutes les classifications ne sont pas d'accord. Pour la mémoire déclarative, le consensus actuel est qu'elle est séparée en deux : une mémoire sémantique pour les connaissances (conceptuelles ou factuelles) et une mémoire épisodique pour les souvenirs. Pour ce qui est de la mémoire implicite, les choses sont plus compliquées et le consensus plus complexe. Ce qui ne fait pas débat est la présence de quatre sous-systèmes distincts : une mémoire procédurale pour les automatismes moteurs et cognitifs, la mémoire liée au processus d’amorçage dont on parlera dans quelques chapitres, le conditionnement classique et des apprentissages non-associatifs qui sont des apprentissages archaïques associés à certains réflexes. On sait aujourd'hui que chaque type de mémoire est pris en charge par des zones du cerveau totalement différentes.

Zones cérébrales associées à chaque type de mémoire.

Les preuves de l'existence de deux systèmes de mémoire séparés

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La subdivision de la MLT en une mémoire explicite et une mémoire implicite ne sort pas de nulle part. De nombreuses observations ne peuvent s'expliquer que si on fait l'hypothèse de l'existence de deux systèmes mnésiques séparés. L'hypothèse a d'abord été formée suite à l'observation de patients profondément amnésiques qui avaient gardé une capacité d'apprentissage résiduelle bien particulière, qu'on détaillera plus bas. De là, d'autres expériences ont tenté de vérifier cette hypothèse, en soumettant des sujets à diverses épreuves, certaines ne mettant en œuvre que la mémoire explicite et d'autres que la mémoire implicite. Dans cette section, nous allons rapidement parler des indices en faveur de l'existence de deux systèmes de mémoire séparés.

L’observation des patients amnésiques

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L'observation de patients avec des lésions au cerveau est riche d'enseignements pour ceux qui étudient la cognition et la mémoire humaine. Les cas les plus spectaculaires, mais aussi les plus intéressants pour en apprendre plus sur la mémoire, sont ceux des amnésiques qui ont perdu toute possibilité de former des souvenirs ou d’apprendre des faits suite à une lésion cérébrale.

Le cas le plus connu est celui du patient H.M, un patient dont l'observation a révolutionné les neurosciences et les conceptions sur le fonctionnement de la mémoire. Pour soigner ses graves crises d'épilepsies, ce patient s'est fait retirer une partie de son cerveau. L'opération a retiré une partie de son hippocampe, du lobe temporal médian, et quelques aires cérébrales annexes. Le patient s'est remis de cette opération particulièrement lourde, ses crises d'épilepsies avaient grandement diminuées, mais au prix de séquelles permanente assez spectaculaires. Ses capacités intellectuelles et sa mémoire de travail étaient parfaitement conservées. Sa mémoire antérieure était intacte, il se souvenait de toute sa vie avant son opération, il n'avait pas d'amnésie au sens commun du terme. Cependant, le patient avait perdu toute possibilité de former de nouveaux souvenirs ou d'apprendre des connaissances. Concrètement, il était incapable de mémoriser un visage, de reconnaître les médecins qui le soignaient depuis des années, ne pouvait se souvenir de sa nouvelle adresse ni reconnaître les lieux alentours, etc.

Sa mémoire était littéralement celle d'un poisson rouge et il oubliait tout après quelques secondes. Concrètement, si un médecin lui parlait, il pouvait tenir une conversation avec lui sans trop de problèmes durant un court moment, preuve que sa mémoire de travail était conservée. Mais il suffisait que le médecin quitte la pièce pour y revenir pour que le patient oublie totalement avoir déjà vu le médecin et encore plus lui avoir déjà parlé. D'ailleurs, le patient pensa durant le reste de sa vie être dans la même année que celle de son opération. L'interprétation de son amnésie dans le modèle d'Atkinson et Shiffrin est relativement simple : la MCT et la MLT étant déconnectées, l'encodage en MLT est impossible chez ces patients (le transfert des informations ne pouvant aller que de la MCT vers la MLT).

Si H.M avait perdu la capacité de former de nouveaux souvenirs, ainsi que d'apprendre de nouvelles connaissances, il gardait une certaine capacité à mémoriser bien particulière. Sa capacité à apprendre des mouvements ou des séquences motrices était parfaitement conservée. Il a par exemple appris à dessiner une figure présentée à l'envers, par l'intermédiaire d'un miroir, de façon à ce que le dessin soit dans le bon sens. Il a aussi appris à lire un texte en miroir, suite à plusieurs séances d’entraînement. Dans un tout autre genre, H.M a aussi appris la procédure pour résoudre le problème des tours de Hanoï progressivement, par essai et erreurs. Il a été soumis plusieurs jours de suite à ce problème et ses performances augmentaient à chaque essai. Et cela sans que H.M garde le moindre souvenir des séances d'apprentissage : à chaque nouvelle séance, il disait n’avoir jamais eu affaire à ce problème des tours de Hanoï. En clair : il gardait la capacité à apprendre non pas des connaissances, mais des automatismes moteurs et cognitifs. Ces apprentissages avaient lieu sans conscience d'avoir appris quelque chose et s'exprimaient par une amélioration progressive de la performance dans certaines tâches bien précises, suite à des entraînements à base de nombreuses répétitions régulières.

De nos jours, ces observations ont été répliquées sur de nombreux autres patients amnésiques. Et par répliquée, on veut dire que les résultats précédents ont été refait à l'identique, mais aussi que les scientifiques ont soumis les sujets à d'autres tâches, certaines mettant en œuvre la mémoire explicite et d'autres la mémoire implicite. Le résultat semble être assez clair, quel que soit l'expérience : les sujets amnésiques ont des performances normales dans les tâches de mémoire implicite, alors que leurs performances dans les tâches de mémoire explicite sont particulièrement dégradées comparé à un groupe contrôle. Les scientifiques interprètent aujourd'hui cette dissociation entre souvenir/connaissances d'un côté et automatismes de l'autre, comme le signe de l'existence de deux systèmes de mémoire séparés, en l’occurrence une mémoire explicite et une mémoire implicite.

Les expériences avec des benzodiazépines et autres agents amnésiants

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Les observations avec les patients amnésiques sont certes très intéressantes, mais les patients en question sont peu nombreux. Cependant, les scientifiques ont trouvé un moyen pour induire une amnésie temporaire chez un sujet, sans qu'il en garde la moindre séquelle. La solution consiste à utiliser des médicaments qui ont un effet amnésiant. Ces médicaments ne sont de plus pas difficile à obtenir et il est même possible que vous en ayez chez vous, sans même le savoir. Il s'agit des médicaments de la classe des benzodiazépines, ainsi que les z-drugs, des médicaments couramment appelés "somnifères" en dehors du milieu médical. Les benzodiazépines et molécules apparentées sont surtout utilisées comme somnifères, mais elles peuvent aussi servir d'anxiolytique, d'anti-épileptique, de décontractant musculaire et j'en passe.

Dans les études sur la mémoire, les benzodiazépines sont utilisées à des doses plus faibles que la normale, pour ne pas endormir le sujet et pouvoir effectuer le test. À de telles doses, ces médicaments engendrent une amnésie très semblable à l'amnésie des patients comme H.M. Les sujets conservent leurs souvenirs, n'ont rien oublié de ce qu'il se passe avant la prise du médicament, mais ils deviennent incapables de mémoriser quoique ce soit pendant que le médicament fait effet. Précisons que les sujets conservent leurs capacités intellectuelles et leurs fonctions cognitives, même si elles sont un peu altérées (les temps de réponse augmentent, notamment). Une fois que l'effet de la drogue s'atténue, l'amnésie disparaît, dans le sens où le sujet recouvre sa capacité à mémoriser de nouvelles informations. Par contre, les informations acquises pendant que le médicament faisait effet n'ont pas été enregistrées.

Cependant, cette amnésie ne touche que la mémoire explicite et n'a pas ou peu d'effets sur la mémoire implicite. Lorsqu'ils sont sous l'effet des benzos, les sujets conservent cependant une mémoire implicite intacte et une capacité à apprendre de nouveaux automatismes sans problème. Ils peuvent aussi effectuer des apprentissage perceptifs, ont un amorçage préservé, n'ont pas de problèmes particuliers pour le conditionnement classique, et j'en passe. Là encore, comme avec les patients amnésiques, il est très facile d'interpréter les résultats comme une dissociation entre mémoire explicite et implicite.

La mémoire déclarative

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La mémoire explicite/ déclarative, correspond aux mémoires dont on peut verbaliser le contenu, le mettre en mots. Cette mémoire est souvent découpée en plusieurs mémoires séparées. En général, la mémoire déclarative est juste subdivisée en une mémoire sémantique pour les connaissances conceptuelles et les savoirs factuels encyclopédiques, et une mémoire épisodique pour les souvenirs. Quelques chercheurs pensent cependant que cette subdivision est quelque peu arbitraire et qu'il n'y a pas de différence notable entre mémoire sémantique et épisodique, mais ils sont minoritaires. D'autres auteurs ajoutent une mémoire lexicale et une mémoire spatiale. La mémoire lexicale est aussi appelée le lexique mental et regroupe toutes les informations sur les mots, sauf éventuellement leur sens : comment ils se prononcent, s'écrivent, leur morphologie (suffixes, affixes et autres), etc. La mémoire spatiale est celle des lieux et permet de s'orienter, de trouver son chemin dans des endroits connus. Il n'est pas certain que la mémoire lexicale et la mémoire spatiale soient vraiment séparées et il est possible qu'elles fassent partie de la mémoire sémantique proprement dit.

 
Mémoires explicites

La mémoire épisodique

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La mémoire dédiée aux souvenirs est appelée la mémoire épisodique. Cette mémoire permet de localiser les événements dans le temps où l'espace : tout souvenir indique donc au minimum, un "quoi", un "où", et un "quand". Ce qui distingue la mémoire épisodique de toutes les autres formes de mémoire, c'est la capacité de voyager dans le temps mentalement : un sujet peut s'imaginer dans le passé, et revivre le souvenir. Il ne faut pas confondre cette mémoire avec la mémoire autobiographique, qui contient aussi des informations sémantiques et factuelles. Par exemple, le fait de savoir la date de notre mariage ou de naissance est un fait lié à la mémoire sémantique, pas un souvenir que l'on peut revivre.

La mémoire sémantique

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La première forme de mémoire déclarative est la mémoire sémantique, qui mémorise des connaissances, qu'il s'agisse du sens des mots, de la date de la mort de Napoléon, de la formule chimique de l'eau, de ce qu'est un arbre, ce à quoi ressemble une chauve-souris, ou comment faire du café. De manière générale, la mémoire sémantique est celle chargée de mémoriser les connaissances abstraites, essentiellement sous la forme de catégories (des ensembles d'objets similaires qui partagent des propriétés communes, comme "animal", "plante", "nombre premier", "molécules", et ainsi de suite). C'est la mémoire du langage, celle qui mémorise les informations sur les mots, leur signification, leur orthographe, et ainsi de suite.

La preuve de l'existence de cette mémoire provient de cas d'agnosies et d'anomies, des déficits de catégorisation ou de nommage d'objets, ainsi que des aphasies, des troubles du langage d'origine cérébrale. Les patients atteints d'anomies n'arrivent pas à nommer des objets, personnes ou concepts quand on leur présente. L'agnosie est similaire, dans le sens où il s'agit d'un déficit de catégorisation des objets et visages. Les patients agnosiques ou anomiques ont des difficultés pour nommer certaines catégories d'objets et ne peuvent donner des informations pertinentes à son propos. Par contre, elles peuvent dessiner cet objet sans problème : il n'y a pas de déficit perceptif. Certaines agnosies dégradent la capacité de reconnaître les visages : on parle de prosopagnosie. Les patients atteints de ce trouble ne peuvent pas reconnaître les visages de leurs proches, amis, ou connaissances. Ils peuvent voir les visages, les décrire, et n'ont pas de déficits de perception. Ils peuvent parfois identifier le sexe ou l'âge de la personne quand on leur présente un visage (sur photographie, ou en personne). Cette identification des visages, ainsi que de certains objets, est généralement causé par des lésions dans le cortex temporal, et notamment dans une de ses subdivisions : le gyrus fusiforme.

Fait étonnant, ces déficits sont souvent limités à certaines catégories bien précises. Par exemple, certains patients sont incapables de reconnaître les outils, mais gardent la capacité de catégoriser les êtres vivants. D'autres patients montrent des déficits inversés, avec une conservation parfaite des connaissances sur les outils et objets, mais des connaissances dégradées pour ce qui est des catégories naturelles, comme les animaux et autres êtres vivants. Shallice et Warrington ont notamment étudié un patient, surnommé JPB, qui a de fortes difficultés à nommer les objets animés, alors que les objets inanimés ne lui posent pas le moindre problème. Ces déficits peuvent aussi se propager à des catégories assez différentes : les patients qui perdent la capacité à nommer des êtres vivants perdent la capacité de reconnaître de la nourriture et des instruments de musique. De tels déficits spécifiques à des catégories sont très intéressants pour comprendre le fonctionnement de la mémoire sémantique.

Les patients anomiques et agnosiques peuvent parfois nommer des objets dans les catégories atteintes, mais ils donnent alors un nom de catégorie plus général. Par exemple, ils diront "mammifère" ou "animal" pour nommer un chien ou un chat. On observe la même chose chez certains patients atteint d'Alzheimer, dans les premiers stades de la maladie : les catégories les plus concrètes disparaissent alors que les catégories plus générales sont conservées. Plus les dégâts ou la maladie progressent, plus l'atteinte progresse et remonte vers les catégories les plus générales. On remarque aussi que ces erreurs donnent naissance à des temps de réaction et de catégorisation plus faible que celui de sujets contrôle. On remarque donc que les concepts généraux sont plus solides que les concepts concrets.

De tels déficits s'observent surtout dans des maladies cérébrales, comme la maladie d'Alzheimer ou la démence sémantique. Fait étrange, certaines de ces maladies, les aphasies primaires progressives, se traduisent par une dégradation de la mémoire sémantique, alors que la mémoire des souvenirs (épisodique) n'est pas dégradée. De telles atteintes spécifiques à la mémoire sémantique montrent que celle-ci est une mémoire indépendante, séparée de la mémoire des souvenirs.

Le lexique mental, la mémoire des mots

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diférence entre signifié et signifiant.

On pourrait penser que les mots et les concepts sont identiques en mémoire sémantique. Cependant, les linguistes ont depuis longtemps établi la différence entre signifiés et signifiants : la signification d'un mot d'un côté et son écriture ou sa prononciation de l'autre. Dit autrement les mots ne sont que des étiquettes qui permettent de référencer un concept, une idée. Ainsi, les scientifiques ont postulé d'existence d'une mémoire spécialisée dans les signifiants : le lexique mental, ou mémoire lexicale. Elle permet de savoir comment prononcer un mot, comment l'écrire, etc. Elle contient aussi les symboles comme les lettres, les syllabes, les sons d'une langue (maternelle ou non), et les chiffres, voire certains nombres. Ce lexique mental serait composé de plusieurs lexiques mentaux spécialisés. On trouverait ainsi :

  • un lexique pour la compréhension orale, qui stocke la prononciation des mots.
  • un lexique pour la lecture, qui stocke la représentation visuelle et/ou orthographique des mots ;
  • un lexique de sortie, qui stocke comment articuler pour prononcer un mot, et éventuellement comment l'écrire ;
  • et la mémoire sémantique, qui stocke le sens des mots, les concepts qui y sont associés.

Diverses observations permettent d'établir une distinction entre une mémoire spécialisée pour les signifiés et les signifiants. Premièrement, les zones du cerveau activées lors de la lecture d'un mot sont différentes de celles activées lors de la lecture de pseudo-mots, des suites de syllabes prononçables mais sans aucun sens. Certaines zones du cerveau sont activées aussi bien avec des mots qu'avec des pseudo-mots, tandis que d'autres ne sont activées que par des mots. Par exemple, la méta-analyse de Binder, Desai, Graves et Connant (2009) montrent que les signifiés seraient localisés et traités dans des zones spécifiques des lobes temporaux, pariétaux et frontaux. De plus, certains troubles du langage impliquent une dégradation de la prononciation ou de la lecture/écoute de mots, sans pour autant que la compréhension soit altérée. On observe ainsi une dissociation entre l'écoute (lexique phonologique), la lecture (lexique orthographique), la prononciation (lexique articulatoire) et la signification (mémoire sémantique).

La mémoire spatiale, la mémoire des lieux

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Les lieux, auraient aussi une mémoire dédiée, appelée la mémoire spatiale, parfois appelée mémoire topographique. Cette mémoire nous permet de reconnaître les lieux déjà visités, et de savoir où nous sommes. De nombreuses expériences ont étudié cette forme de mémoire, essentiellement chez les animaux. Elles ont commencé dans les années 1930, grâce aux travaux de Tolman. Ceux-ci portaient sur des rats, qui devaient s'orienter dans des labyrinthes et en trouver la sortie. À l'époque, on croyait que les rats s'orientaient dans les labyrinthes grâce à des séries de conditionnements. Mais cette théorie avait quelques problèmes : les rats apprenaient tout de même relativement vite, plus vite que ce que l'on pouvait attendre de conditionnements. De plus, certaines observations posaient problèmes.

Si on apprend à un rat à trouver la sortie d'un labyrinthe, celui-ci peut prendre jusqu'à une bonne dizaine ou centaine d'essais avant de trouver la sortie à coup sûr. Maintenant, si on entraîne un rat dans un labyrinthe, et que l'on bloque un passage stratégique dans le labyrinthe, le rat est censé devoir réapprendre de zéro, et retrouver son chemin à partir de rien. Or, une fois mis dans cette situation, les rats mettent très peu de temps pour retrouver la sortie, et certains la trouvent directement du premier coup. Tout se passe comme s'ils savaient s'orienter dans le labyrinthe, et qu'ils cherchaient simplement une voie alternative à partir de leur position et de ce qu'ils ont mémorisé du labyrinthe. Tolman supposa que les rats avaient une forme de mémoire topographique, et qu'ils pouvaient utiliser des cartes mentales.

Par la suite, d'autres expériences virent le jour, non pas sur des rats, mais sur des singes. La première de ces expériences utilisa un protocole assez simple. L'expérimentateur promenait un singe sur son dos, dans un enclos assez grand, très grand (quelques kilomètres carrés). L'expérimentateur faisait beaucoup de détours, tournait en rond, et faisait en sorte d'avoir un trajet le plus chaotique possible. Lors du trajet, l'expérimentateur cachait de la nourriture à un endroit bien précis, et faisait en sorte que le singe le voit cacher la nourriture. Ensuite, l'expérimentateur continuait sa promenade avec le singe sur les épaules. Par la suite, il relâchait le singe à un endroit très éloigné de la cachette de la nourriture. Là, d'autres expérimentateurs regardaient, avec des systèmes de caméras, quel était le trajet du singe. Évidemment, celui-ci se précipitait sur la nourriture, comme un gros goinfre. Mais chose surprenante, le singe ne refaisait pas le trajet de l'expérimentateur à l'envers : il prenait directement le chemin le plus court ! En clair : il avait mémorisé l'organisation de l'enclos lors de sa promenade et avait fabriqué une représentation suffisante pour lui permettre de s'orienter et de déterminer le chemin le plus court. Conclusion : les singes aussi ont une mémoire topographique.

Ces expériences ont mené les psychologues à créer le concept de carte cognitive : il s'agit d'une représentation mentale d'un ou de plusieurs lieux, qui permet de s'orienter et de se localiser dans l'espace. Pour résumer, ces cartes cognitives sont des schémas de lieux, dans le sens : schémas en mémoire à long terme comme on l'a vu il y a quelques chapitres). D'après les théories sur le sujet[1], ces cartes cognitives sont composées d’éléments, les régions, reliées ensemble par des relations. Les éléments en question sont des régions, tandis que les relations sont les routes qui relient les régions entre elles. Ces régions sont définies par des frontières, qui peuvent prendre différentes formes : ce peut être des frontières physiques, voire des frontières sans signification.

Les mémoires non-déclaratives

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La mémoire implicite correspond aux apprentissages que l'on ne peut pas mettre en parole, qui sont appris de manière inconsciente. Pour illustrer à quoi peut ressembler la mémoire implicite, le mieux est de citer une anecdote du docteur Edouard Claparede. Ce neurologue avait une patiente atteinte d'amnésie, au même titre que le patient H.M, ce qui fait qu'elle ne pouvait former de nouveaux souvenirs ni acquérir de nouvelles connaissances. L'apprentissage conscient, en mémoire explicite, était donc fortement altéré, si ce n'est impossible chez cette patiente. Pourtant, ce neurologue été persuadé qu'elle avait des capacités d'apprentissage résiduelles, totalement inconscientes. Pour le vérifier, il cacha une épingle dans sa main, avant de serrer la main de la patiente en début de consultation. Lors de la consultation suivante, la patiente refusa de lui serrer la main, contrairement à son habitude et sans trop savoir pourquoi. Quand le médecin lui demanda une explication, elle répondit sur le ton de la blague que certains farceurs cachaient des épingles dans leurs mains pour faire des farces. Elle avait oublié l'incident de la consultation précédente en raison de son amnésie), mais quelque chose en était resté sans forcément que cela soit conscient.

 
Mémoire implicite

Reste que le contenu de la mémoire implicite est encore sujet à débat. La seule chose certaine est qu'elle mémorise des informations sans qu'on en prenne conscience, et dont la récupération se fait aussi sans intervention de la conscience. Les apprentissages sont aussi totalement indépendants du langage. Par contre, la subdivision de la mémoire implicite en sous-systèmes d'apprentissage distincts est encore mal connue. Ce qui ne fait pas débat est la présence de quatre sous-systèmes distincts :

  • une mémoire procédurale pour les automatismes moteurs et cognitifs ;
  • l’amorçage, une forme d'apprentissage dont on parlera dans quelques chapitres ;
  • le conditionnement classique , découvert par Ivan Pavlov et ses collègues ;
  • les apprentissages non-associatifs, à savoir l'habituation et la sensibilisation, qui sont des apprentissages archaïques associés à certains réflexes.

À cela on peut potentiellement rajouter un système d'apprentissage perceptif qui permet d'apprendre à distinguer deux stimulus similaires, ainsi qu'un système de d'apprentissage de catégories inconscient qui permet de mémoriser des informations permettant de regrouper des objets dans des catégories distinctes.

Nous étudierons plus en détail le conditionnement classique, ainsi que les processus d'habituation et de sensibilisation dans les chapitres ultérieurs. Un chapitre sera consacré au conditionnement, et un autre à l'habituation/sensibilisation. Dans ce qui va suivre, nous allons surtout parler de l’amorçage et de la mémoire procédurale.

L'amorçage

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L'amorçage apparaît une fois qu'on a présenté un stimulus (que ce soit la première fois ou non) : le stimulus est alors perçu plus rapidement ou avec plus de détails lors des prochaines présentations. Cette forme de mémoire peut être vue comme une mémoire perceptive, qui mémorise les stimulus et permet de reconnaître plus facilement les stimulus déjà connus. Cette forme de mémoire touche toutes les modalités sensorielles : la vision, l'audition, le toucher, etc. Il s'agit d'une mémoire implicite, comme le montre les exemples de patients atteints de déficits lourds de la mémoire déclarative, qui gardent un amorçage parfaitement normal.

La reconnaissance des mots est un bon exemple d'amorçage. Le meilleur moyen de montrer que la reconnaissance des mots est un processus automatique provient des tâches d'effet Stroop. Cet effet nous dit que dans certains cas, les automatismes vont interférer avec les processus mentaux conscients. Prenons un exemple : essayez de donner la couleur dans laquelle sont écrits les mots de la liste ci-dessous. Logiquement, la seconde liste devait être plus dure. Cela vient du fait que les mots de la seconde liste sont plus souvent coloriés dans des couleurs qui ne correspondent pas au mot écrit (vert colorié en rouge, par exemple), tandis que la majorité des mots de la première liste ont une couleur qui leur correspond (rouge écrit en rouge, par exemple). Pour les mots écrits dans une couleur qui ne leur correspond pas, la reconnaissance automatique du mot va venir perturber le processus d'identification de la couleur : le cerveau devra alors faire un effort pour réprimer la lecture automatique du mot pour se concentrer sur sa couleur (chose qui est assez difficile, vu que les lecteurs normaux ne sont pas trop habitués à ce genre d'exercice).

Vert Rouge Bleu Jaune Bleu Jaune

Bleu Jaune Rouge Vert Jaune Vert

La mémoire procédurale

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Les automatismes moteurs, perceptifs ou cognitifs que l'on appelle habilités, disposent de leur propre mémoire : la mémoire procédurale. Cette mémoire est celle qui stocke les mouvements habituels que l'on a à faire dans notre vie quotidienne, comme faire du vélo, marcher, appuyer sur une pédale de frein, etc. Faire passer des mouvements dans cette mémoire s'effectue d'une manière les plus simples qui soit : il suffit de répéter le mouvement jusqu'à ce qu'il rentre. On peut prendre l'apprentissage du vélo, par exemple : c'est à force de répéter qu'on finit par savoir faire du vélo. Bien sur, c'est pas forcément facile, et ça fait toujours mal au début, mais on finit par y arriver.

Cependant, la mémoire procédurale prend aussi en charge divers automatismes cognitifs, son implication étant notamment supposée dans l’exécution de tâches liées à la grammaire ou à certains automatismes mentaux. Si on sépare cette mémoire implicite des autres, c'est tout simplement sur la base d'observations cérébrales, qui montrent que les zones du cerveau activées par l'apprentissage ou la récupération en mémoire procédurale sont spécifiques. Celles-ci incluent le cervelet, le striatum et les autres structures des ganglions de la base.

Résumé des chapitres précédents

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Avec ce chapitre, nous avons appris qu'il existe plusieurs formes de mémoires (mémoire sensorielle, à court-terme, à long-terme), elles-mêmes subdivisées en sous-formes de mémoires séparées. Le schéma ci-dessous résume l'ensemble des chapitres précédents, et récapitule toutes les formes de mémoire connues à ce jour.

 
Schéma du fonctionnement de la mémoire.

Dans les chapitres suivants, nous allons détailler comment ces différentes formes de mémoire fonctionnent. Nous allons d'abord étudier la mémoire déclarative, et notamment les processus de rappel, de mémorisation et de stockage de l'information. En bref, nous allons voir comment on fait pour se rappeler de quelque chose, comment le cerveau fait pour mémoriser une information quelconque, etc. Par la suite, nous étudierons les différentes formes de mémoires non-déclaratives, comme le conditionnement ou l'habituation.

Références

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  1. McNamara, Hardy and Hirtle (1989)