Mémoire/Habituation et sensibilisation

Les apprentissages les plus simples en mémoire implicite sont ce qu'on appelle des apprentissages non-associatifs, et sont des cibles de choix pour commencer à étudier la mémoire. Il en existe deux :

  • l'habituation ;
  • et la sensibilisation.

Habituation

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Une aplysie

La majorité des expériences s'est faite surtout sur un petit mollusque nommé l'aplysie. Ces expériences peuvent aussi utiliser n'importe quelle espèce animale, mais l'aplysie a été choisie pour diverses raisons. Par exemple, il dispose d'un faible nombre de neurones, 939 neurones exactement, ce qui simplifie fortement les expériences. Cette aplysie possède un petit siphon, qui permet d'aspirer l'eau sous le mantelet qui recouvre son ventre. Quand on appuie sur le siphon, ce mantelet se contracte.

Si on répète l'appui sur le siphon à intervalles réguliers, le mantelet se contracte de moins en moins. Dit autrement, l'animal s’habitue progressivement aux stimulus répétés sur le siphon et finit par réagir de moins en moins fort à des stimulus répétés. C'est une première forme de mémoire à long terme, qui porte le nom d'habituation. Cette forme de mémoire n'est pas spécifique à l'aplysie, et est au contraire un phénomène général, qui s'applique à toutes les espèces. Par exemple, on peut prendre les chiens de chasse ou des bébés humains, qui apprennent progressivement à ne pas paniquer à des bruits forts. Cette habituation dépend fortement de l'intensité du stimulus : plus le stimulus est faible, plus l'animal s'habitue rapidement. De même, la distribution dans le temps des stimulus influe beaucoup sur la rapidité d'habituation et sur son intensité : l'animal s'habituera d'autant plus rapidement que les stimulus sont éloignés. Il faut toutefois noter qu'il existe deux formes d'habituation : une habituation à court terme, qui disparaît en quelques minutes, voire quelques heures, et une habituation à long terme, qui reste beaucoup plus longtemps. Ces deux formes d'habituation n'ont pas les mêmes causes.

Physiologie de l'habituation à court terme

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Voie réflexe du siphon l'aplysie

Pour comprendre comment l'habituation peut émerger des circuits neuronaux de l'aplysie, les chercheurs ont commencé par voir quels sont les neurones dédiés à ce comportement dans l'aplysie. Pour faire simple, ce circuit neuronal peut être décomposé en trois parties :

  • un ensemble de neurones détecteurs, qui s'activeront lorsqu'on appuie sur le siphon ;
  • des neurones effecteurs qui vont servir à rétracter la branchie ;
  • et entre le deux, on trouve une petite couche d’inter-neurones.

Dans ce circuit, les chercheurs ont effectué quelques mesures, en même temps qu'ils habituaient l'animal à un appui répété sur le siphon. Le bilan est que les synapses voient leur efficacité diminuer avec l'habituation. Cette baisse d'efficacité est ce qu'on appelle la dépression synaptique. Pour vérifier l'origine de cette dépression, Gingrich et Byrne ont fait quelques observations au microscope électronique sur des synapses déprimées : le nombre de synapses ne variait pas avec l'habituation, pas plus que le nombre de vésicules synaptiques. Par contre, le nombre de vésicules vides avait augmenté. Cette dépression vient donc du fait que les neurones situés avant la synapse usent leur stock de neurotransmetteurs assez vite : la quantité de neurotransmetteur libéré dans la synapse diminue avec les stimulations. On pense que ce mécanisme serait à l'origine des phénomènes d'habituation sur les autres espèces. Cela explique pourquoi l'habituation ne dure pas : les stocks de neurotransmetteurs se reconstituent avec le temps.

Physiologie de l'habituation à long terme

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L'habituation à court terme n'est toutefois pas la seule forme d'habituation chez l'aplysie. Si l'on répète les stimulations de manière répétée et espacées dans le temps, on constate que l’habituation perdure sur de très longues durées : on parle alors d'habituation à long terme. Celle-ci a une cause différente de l'habituation à court terme. Les expériences d'observations au microscope électronique sont claires : les neurones ayant subis une habituation à long terme contiennent moins de synapses fonctionnelles. Les connexions entre neurones ont tendance à s'affaiblir avec l'habituation à long terme.

Sensibilisation

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Dans certains cas, répéter une stimulation de manière répétée ne va pas diminuer le réflexe avec le temps, mais va l'augmenter. On est alors face à un phénomène de sensibilisation : l'animal devient de plus en plus sensible avec le temps. Prenons encore une fois un exemple avec l'aplysie. Prenons un animal dont le réflexe de contraction du siphon s'est habitué. En même temps qu'on appuie sur le siphon, envoyez un choc électrique sur la queue de l'animal. La conséquence est d'avoir totalement supprimé l'habituation. Pire : il arrive que le réflexe de contraction de la branchie soit encore plus vigoureux qu'avant. Et cette sensibilisation ne disparaît pas si vite que cela : elle peut perdurer jusqu'à quelques heures, voire plus encore si on répète la séance d'expérimentation

On remarque que la sensibilisation n’apparaît pas au même endroit que l'habituation : ces deux comportements demandent des conditions de mise en place différentes. Cela vient du fait que ces deux processus n'agissent pas sur les mêmes réseaux de neurones. Cette fois-ci, ce n'est pas la plasticité synaptique qui est à l'origine de la sensibilisation. Le mécanisme de sensibilisation est dû à la participation de nouveaux neurones dans le circuit décrit plus haut. En réalité, le circuit de l'aplysie ressemble à celui illustré ci-dessous. Comme vous le voyez, les neurones de la queue font contact un peu avant la synapse entre neurones de la queue et les interneurones/neurones du siphon. La synapse relie donc le bouton synaptique du neurone sensoriel (en réalité, il y a un inter-neurone entre les deux, mais peu importe...), et la fin de l'axone du neurone sensoriel du siphon et des interneurones.

 
Voie réflexe du siphon de l'aplysie.

Lorsque le neurone de la queue émet des influx nerveux, ceux-ci seront transformés dans la synapse en sérotonine. Cette sérotonine sera alors captée par l'axone des interneurones et des neurones sensoriels du siphon, et entraînera des modifications durables de la transmission synaptiques : celle-ci libérera un plus grand nombre de neurotransmetteurs de façon durable, et transmettra donc plus facilement les influx nerveux entre siphon et neurones moteurs. D'où la sensibilisation.

Théories de l'habituation et de la sensibilisation

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Diverses théories ont été inventées pour modéliser le phénomène de l'habituation et de la sensibilisation. Certaines de ces théories font intervenir la plasticité synaptique, et permettent d'expliquer l'habituation à court terme dans un arc réflexe. D'autres sont des théories plus générales. Dans tous les cas, il existe des théories qui tentent d'expliquer habituation et sensibilisation dans un grand nombre de cas, et chez un grand nombre d'espèce. De nos jours, deux théories de ce genre ont survécu aux divers tests expérimentaux auxquels elles ont été soumises :

  • la théorie du comparateur de modèle de stimulus ;
  • et la théorie du double processus de Groves and Thompson.

Théorie du comparateur de modèle de stimulus

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La théorie du comparateur de modèle de stimulus suppose que le stimulus sensoriel est relié indirectement à la réponse : entre les deux, on trouve un système amplificateur, qui se chargera d'amplifier le stimulus jusqu'à un certain seuil. Cette amplification peut cependant être inhibée par un second système lié à la mémoire, qui permet de mémoriser le stimulus : il s'agit ni plus ni moins d'un réseau de neurone qui peut reconnaître le stimulus. Quand un stimulus inconnu est présenté, le système mémoire ne reconnaît pas le stimulus et laisse l'amplificateur amplifier à son niveau maximal. Le stimulus perçu est comparé aux stimulus mémorisés dans le système mémoire, histoire de reconnaître des stimulus semblables à ceux déjà connus. Plus le stimulus perçu est familier, plus l'inhibition sera forte. Plus le nombre de présentations antérieures a été élevé, plus le système mémoire va reconnaître efficacement le stimulus et inhiber fortement la réponse : il y a alors habituation. Il est supposé que le système mémoire mémorise progressivement le stimulus, sa représentation étant raffinée à force de répétition : cela explique l'augmentation de l'habituation avec le nombre de répétitions.

 
Illustration de la théorie du comparateur de stimulus, une théorie qui explique le phénomène d'habituation et de sensibilisation.

Cette théorie n'est malheureusement utilisable que pour des espèces évoluées, dans lesquelles le système nerveux peut effectivement implémenter un système de mémorisation des stimulus, et un amplificateur. Pour des animaux comme l'aplysie, cette théorie est presque inapplicable.

Théorie du double processus

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La théorie du double processus suppose qu'habituation et sensibilisation sont des processus séparés dans des groupes de neurones différents. L'habituation a lieu dans un arc réflexe, composé de neurones sensoriels, de neurones moteurs, et éventuellement d'interneurones. Cette habituation à court terme est telle que décrite au-dessus : plus efficace avec des stimulus forts, ou avec des délais raccourcis entre deux stimulus. La sensibilisation dépendrait d'autres neurones, qui viendraient projeter leurs synapses sur les interneurones de l'arc réflexe (ou directement sur les neurones moteurs dans certains cas précis). Ces neurones ne sont pas soumis à l'habituation et sont commandés par des influx nerveux qui proviennent d'un système d'activation, qui se charge d'activer ou de désactiver la sensibilisation. Ainsi, pour de faibles stimulations, le système d'activation de la sensibilisation ne s'active pas, laissant l'habituation faire son travail. Mais avec de fortes stimulations ou une convergence de stimulations simultanées, l'activation du système de sensibilisation prend le dessus. Selon cette théorie, la déshabituation et la récupération spontanée sont juste des conséquences d'une sensibilisation plus ou moins cachée, ou alors d'une diminution de l'habituation avec le temps.

Cette théorie, bien que très utile pour décrire ce qui se passe au niveau d'un arc réflexe, ne permet pas vraiment de comprendre ce qui se passe pour une habituation au niveau du cerveau ou dans des circuits très complexes. Et elle ne permet pas de savoir pourquoi l'habituation a lieu à long terme. Aussi, des théories plus spécifiques, dédiées à une espèce en particulier, ont ajouté un système nerveux central pour expliquer habituation et sensibilisation, ainsi que des processus qui permettent d'expliquer l'habituation à long terme. Dans ces théories, les modèles précédents sont adaptés de manière à rajouter un grand nombre d'  « arcs réflexes » (en réalité, des connexions synaptiques entre différentes aires cérébrales), et des systèmes de sensibilisation multiples.