Les suites et séries/La convergence d'une série

Les sommes partielles, vues au chapitre précédent, se limitent à faire la somme des premiers termes d'une suite. Pour les suites finies, cela ne change pas grand-chose : le résultat sera naturellement fini, quoiqu'il arrive, même si la suite est elle-même très longue. Mais avec les suites infinies, on peut pousser le concept de somme partielle à son paroxysme : on peut faire la somme de tous les termes de la suite, sans exception. La somme ainsi obtenue n'est pas une somme partielle, vu qu'elle additionne une quantité infinie de termes. À la place, on lui donne le nom de série. Cette définition de série est quelque peu imprécise, la définition formelle est la suivante : une série est la limite de la somme partielle quand le rang n tend vers l’infini : .

On pourrait croire que ces séries donnent toutes un résultat infini, sauf dans quelques exceptions triviales (suite dont tous les termes sont nuls) : additionner une infinité de termes non-nuls doit naturellement donner un résultat infini, nous dit l'intuition. Mais l’intuition se trompe : certaines séries ont un résultat fini. Par exemple, Euler a montré que la base des logarithmes népériens est le résultat de la série associée à la suite des inverses des factorielles :

Les mathématiciens distinguent donc les séries dont le résultat est infini ou indéterminé, appelées séries divergentes, des autres au résultat fini qui portent le nom de séries convergentes.

Quelques suites problématiques modifier

Diverses subtilités se font jour avec les séries, subtilités qui n'existaient pas avec les suites "normales". La raison est que l'addition d'un nombre infini de termes peut jouer des tours lors des calculs. L'addition d'une infinité de termes est en effet quelque peu différente de l'addition usuelle : elle n'est pas forcément associative, distributive et commutative. Ce qui pose problème lors de l'addition d'une suite infinie de termes.

La suite de Grandi modifier

Pour donner un exemple de problèmes qui peuvent survenir avec certaines séries, prenons la suite de Grandi, une suite définie comme suit :

 
 

Si l'on souhaite en calculer la série, on peut remarquer qu'il y a plusieurs manières de faire l'addition des termes. Les deux plus simples donnent respectivement 0 et 1 :

 
 

Une autre manière de faire les calculs donne 1/2 :

 
 
 
 
Remarquons que cette valeur est compatible avec la formule  , avec  .

D'autres exemples modifier

La suite de Grandi n'est pas la seule suite problématique. On peut aussi citer l'exemple de la suite des entiers alternée, qui est divergente, mais dont la somme des termes a un comportement plus complexe. Là encore, on peut additionner les termes de plusieurs manières différentes, qui donnent chacune un résultat différent. Par exemple, Euler a écrit l'identité suivante :

 

Ou encore, on peut citer la série des nombres entiers que l'on peut faire converger vers -1/12 si l'on s'y prend bien :

 

Pour retrouver ces résultats, nous utiliserons les notations suivantes :

  (série de Grandi).
  (série alternée des entiers naturels).
  (série des entiers naturels).

Calculons maintenant la somme   :

 

On voit que :

 

Ce qui se reformule en :

 

En utilisant la formule  , on trouve bien :

 

Ensuite, calculons   :

 

En simplifiant les zéros, on trouve :

 

Ce qui donne :

 
 
 

En utilisant la formule  , on a :

 

La convergence absolue et conditionnelle modifier

Dans la section précédente, on a vu que l'ordre dans lequel on effectue les calculs change le résultat d'une série. L'addition n'est donc pas associative, distributive et commutative quand on additionne une infinité de termes. La série converge donc vers deux limites différentes selon la situation et on peut même réussir à la faire diverger si l'on s'y prend assez bien. Heureusement, certaines suites ne sont pas concernées par ce genre de problèmes : elles convergent toujours ou divergent toujours, peu importe l'ordre des calculs. On doit donc distinguer les séries qui convergent toujours de celles qui convergent seulement si les calculs sont faits dans un certain ordre.

Les séries qui sont épargnées par les phénomènes vus plus haut sont appelées les séries absolument convergentes. Elles convergent vers une seule limite finie, qui est toujours la même, peu importe l'ordre dans lequel on fait les calculs. Les séries qui convergent ou divergent selon l'ordre des calculs sont appelées des séries semi-convergentes ou encore séries conditionnellement convergentes. Enfin, il existe certaines séries qui divergent, peu importe l'ordre des calculs, qui sont naturellement appelées séries absolument divergentes.

Toutes les séries qui ne contiennent que des nombres positifs ou nuls sont des séries absolument convergentes ou absolument divergentes. Même chose pour les séries qui ne contiennent que des nombres négatifs ou nuls, qui convergent toujours vers une seule limite ou divergent toujours. Pour qu'une série puisse diverger ou converger vers plusieurs limites, il faut impérativement que la suite contienne des nombres négatifs et positifs. Et encore, cela ne suffit pas pour que le phénomène apparaisse.

Déterminer si une série est absolument convergente modifier

Les séries absolument convergentes respectent toutes la propriété suivante : si on remplace tous les nombres négatifs de la suite par leur valeur absolue, la série doit converger. En clair :

  • Une série   converge si   converge.

On peut comprendre l'intuition derrière ce résultat avec un raisonnement heuristique assez simple. Prenons une suite  , qui contient à la fois des termes positifs et des termes négatifs. Nous allons la décomposer en deux sous-suites, une suite qui contient uniquement les termes positifs et une autre avec les termes négatifs. Nous les noterons respectivement   et  . La série   vaut donc :

 

Si la série   converge absolument, les deux sous-séries   et   convergent toutes deux. Il n'y a alors pas d’ambiguïté sur la convergence de la série. Mais si les deux sous-séries divergent, alors le résultat est indéterminé :   peut donner un résultat aussi bien fini qu'infini. La série est alors semi-convergente.

Un exemple de série semi-convergente modifier

Pour donner un exemple de série conditionnellement convergente, on peut prendre la série harmonique alternée, une variante de la suite harmonique où les signes sont inversés d'un terme à l'autre. La série de cette suite est la suivante :

 

Si on applique le critère précédent, on se retrouve en face de la série harmonique, connue pour diverger.

 

La série ne peut donc qu'être conditionnellement convergente.

Le théorème de réarrangement de Riemann et les méthodes de sommation modifier

Les séries conditionnellement convergentes ont une particularité : on peut obtenir n'importe quel résultat, si l'on sait s'y prendre correctement. En effet, le théorème de Riemann nous dit qu'il est possible d'obtenir n'importe quel résultat déterminé à l'avance, tant que l'on effectue l'addition des termes dans le bon ordre. Dit autrement : les séries conditionnellement convergentes n'ont pas vraiment de résultat.

Les méthodes de sommation modifier

Le théorème de Riemann n'a pas empêché les mathématiciens de définir des techniques de calculs pour ces suites, qui permettent d'obtenir des résultats reproductibles et déterministes à de telles additions. Ces techniques, qui indiquent comment faire l'addition d'une infinité de nombres, sont appelées des méthodes de sommation. Celles-ci doivent respecter certains critères pour avoir le nom de méthode de sommation. Ceux-ci sont donnés ci-dessous :

  • Critère de stabilité : La méthode de sommation doit donner le même résultat que l'addition normale, quand on ne prend en compte que les   premiers termes de la suite.
  • Critère de régularité : La méthode de sommation doit donner le résultat correct pour les suites absolument convergentes.
  • Critère de linéarité  : Si on note   et   le résultat des séries   et  , la méthode donne le résultat   à la série de terme  .

La méthode de Cesàro modifier

Les méthodes de sommation les plus connues sont les méthodes de Cesàro et d’Abel. La méthode de Cesàro consiste à faire la moyenne des sommes partielles. La limite de ces suites est prise comme valeur de la suite. Ainsi, la série   associé à une suite   est égale à la formule suivante. Le terme   est la somme partielle des n premiers termes.

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