Le noyau atomique/Les théories de la désintégration alpha

On pourrait croire que la désintégration alpha est une forme de fission comme une autre, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas. Quelques observations laissent penser que le noyau doit avoir une structure interne, à savoir que les nucléons sont regroupés en paquets de nucléons fortement liés entre eux. Et les particules alpha émises lors des désintégrations alpha seraient des paquets préformés, présents dans le noyau avant la désintégration. Une désintégration a lieu quand une particule alpha acquière une énergie cinétique suffisante pour vaincre l'attraction nucléaire et sortir du noyau. Cette théorie de la radioactivité a été formalisée mathématiquement par Gamow dans le formalisme de la mécanique quantique. Nous allons donner ci-dessous un petit aperçu vulgarisé de ce modèle.

La théorie de Gamow de la désintégration alpha modifier

La particule alpha possède une énergie potentielle qui est la somme de l'énergie potentielle nucléaire et de l'énergie potentielle liée à la répulsion entre protons. Pour simplifier, le potentiel nucléaire est constant dans le noyau, et nul à l'extérieur. Le potentiel électrostatique diminue avec la distance à l'extérieur du noyau et est complètement supplanté par la force nucléaire dans le noyau. Le potentiel ressemble donc à ce qui indiqué dans le schéma du dessous : il forme une sorte de puits, entouré par une barrière de potentiel.

 
Puits de potentiel utilisé dans le modèle de Gamow.
 
Illustration de la théorie de Gamow, avec son puits de potentiel nucléaire et le passage d'une particule alpha à travers celui-ci.

La particule ne reste pas immobile, mais circule dans le noyau. Pour simplifier, l’intérieur du noyau est considéré comme un gaz de particules alpha et de nucléons. Dans son mouvement intranucléaire, elle se cogne régulièrement sur les autres particules alpha et nucléons. De l'énergie est échangée lors de ces collisions, ce qui fait que la particule alpha peut gagner ou perdre de l'énergie. Entre deux collisions, elle se déplace grosso-modo en ligne droite (vu que le potentiel est supposé constant). Dans son mouvement, il lui arrive de toucher la barrière de potentiel. Deux possibilités s'offrent alors : soit la particule rebondit sur la barrière de potentiel et reste dans le noyau, soit elle a suffisamment d'énergie cinétique pour la traverser. D'après les lois de la physique classique, une particule alpha sort du puits de potentiel quand elle acquiert une énergie cinétique supérieure à la barrière de potentiel. La probabilité de sortie du noyau dépend de deux choses : la fréquence   des collisions sur la barrière de potentiel, et la probabilité de sortie  .

 

Calcul de la fréquence de collision avec la barrière modifier

La fréquence de collision avec la barrière de potentiel est assez simple à calculer. Il suffit de calculer le temps entre deux collisions, c'est à dire le temps pour passer d'un bout à l'autre du noyau, et l'en prendre l'inverse.

 , avec   le temps entre deux collisions sur la barrière de potentiel.

Pour une particule alpha de vitesse   et un noyau de rayon  , ce temps est le temps mis par la particule pour parcourir le diamètre du noyau (pour passer d'un bout à l'autre) :

 , ce qui donne :  

On peut relier la vitesse de la particule à son énergie cinétique   et à sa masse   :  . En injectant dans l'équation précédente, on a :

 

On peut simplifier cela en :

 

Calcul de la probabilité de sortie lors d'une collision modifier

 
Effet tunnel d'une particule alpha intranucléaire.

D'après ce calcul classique, on voit que la probabilité de sortie d'une particule alpha est proportionnelle à la racine carré de son énergie cinétique. On peut vérifier si cette expression est valide expérimentalement. Il suffit de compter le nombre de particules alpha émises en fonction de leur énergie cinétique, à savoir étudier le spectre alpha. Mais les résultats expérimentaux ne collent pas du tout avec la formule précédente. De plus, les calculs réalisés dans le cadre de la physique classique disent que la probabilité d'une désintégration alpha est très faible, bien inférieure à celle mesurée expérimentalement.

Le problème est cependant résolu dans le cadre de la physique quantique. Celle-ci dit que même si une particule n'a pas une énergie cinétique suffisante, elle a une certaine probabilité de passer à travers la barrière de potentiel : une vraie téléportation. Ce phénomène est appelé l'effet tunnel. La probabilité d'une désintégration alpha dépend donc de deux paramètres : la fréquence à laquelle la particule entre en collision avec la barrière de potentiel et la probabilité de téléportation à travers la barrière.

Les calculs réalisés dans le cadre de la mécanique quantiques nous donnent la probabilité de traversée de la barrière de potentiel. Une version précise est la suivante :

 , avec   et   la masse et l'énergie de la particule alpha,   le rayon du noyau et Z le nombre atomique (nombre de protons).

Dans sa version la plus simple, la probabilité de traversée est égale à :

 , avec   l'épaisseur de la barrière de potentiel et  , avec   l'énergie de la particule alpha,   l'épaisseur de la barrière de potentiel et m la masse de la particule.

On peut encore résumer cette équation comme ceci :

 , avec  .

On peut noter que  , avec Z le nombre de protons et   l'énergie de la particule alpha.

La dérivation de la loi de Geiger-Nuttall modifier

Prenons l'équation précédente :

 

Sachant que l'on a  , l'équation précédent devient :

 

Combinons-la avec l'équation   vue au début de la section. On obtient alors la probabilité de désintégration alpha :

 

Prenons le logarithme de l'équation précédente :

 

Le logarithme d'un produit est la somme des logarithmes :

 

On simplifie le second terme :

 

On posant  , on retrouve la loi de Geiger-Nuttall :

 

Les autres théories de la désintégration alpha modifier

Par la suite, d'autres théories ont postulé que le noyau est formé d'un liquide/gaz de particules alpha. La première théorie de ce genre est celle de Hafstad et Teller, qui a été complétée depuis par d'autres modèles du même genre : le modèle des spherons, ainsi que le modèle 2D d'Ising sont les plus connus. À l'appui de ces théories, les noyaux qui ont un nombre de nucléons multiple de quatre sont nettement plus stables que les autres. De tels noyaux ont en effet une énergie de liaison par nucléon plus importante que les noyaux de A proche (en moyenne). D'après ces théories, l’énergie de liaison devait être proportionnelle au nombre de liens entre particules alpha, ce qui est observé expérimentalement. L'énergie de liaison d'un lien entre deux particules alpha serait remarquablement constante, de l'ordre de 4,5 Mev. Mais ces théories ont malheureusement quelques défauts, le principal étant qu'elles ne s'appliquent que pour les noyaux avec un A faible. En effet, qui dit noyau formé de particules alpha dit autant de protons que de neutrons. Mais cette condition n'est respectée que pour les noyaux avec peu de nucléons. Les noyaux avec beaucoup de nucléons ont des nombres de protons et de neutrons inégaux.

Quelques expériences sur le sujet sont mentionnées dans cet article (en anglais) : Clusters in nuclei.