Le mouvement Wikimédia/Version complète
se cache une révolution culturelle oubliée
Avec l'aide de la communauté Wikimédia
Quatrième de couverture
Dans l’ombre du projet Wikipédia et depuis un peu plus d’une vingtaine d’années déjà, s’est développé un mouvement social pratiquement inconnu du grand public, que l’on nomme le mouvement Wikimédia.
Sa vision du futur est celle d’un monde dans lequel chaque être humain peut librement prendre part au partage du savoir. En plus d'être responsable de près d’un millier de sites web, dont les plus connus sont les différentes versions linguistiques de Wikipédia, cette organisation internationale rassemble également en son sein, plusieurs centaines de groupes d’usagers, d’associations régionales, étatiques ou thématiques, dispersées dans le monde.
Wikimédia est ensuite le seul acteur à but non lucratif du top 50 des sites les plus fréquentés du Web. Un simple fait qui permet d’affirmer, à ce jour et dans l’espace Web, que ce mouvement est devenu l’expression la plus visible, des valeurs de liberté et de partage perpétuées durant la révolution numérique, suite à l’influence de la contre-culture des années 1960.
Après avoir présenté les origines du mouvement et de sa quête du libre partage de la connaissance, cet ouvrage fournit une synthèse complète de son organisation. On y découvre alors comment des centaines d’instances, majoritairement composées de bénévoles, s’y développent tout en gardant une grande part de leurs autonomies. Une nouvelle spécificité propre au mouvement, qui suscite finalement l’envie d’imaginer autrement, une humanité confrontée aux enjeux d’un monde toujours plus global et numérique.
Lionel est docteur en sciences politiques et sociales, libriste et professeur invité en anthropologie à l’université UCLouvain. Il occupe plusieurs postes d’administrateur au sein du mouvement Wikimédia, qu’il observe de manière participative depuis 2011. Avant de réaliser sa thèse de doctorat sur le mouvement Wikimédia, il fut l’auteur d’un travail de master intitulé Culture fr Wikipédia, dans lequel il décrit l’organisation de l’encyclopédie libre en français.
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Sommaire
- Avant-propos
- Introduction : Wikimédia n’est pas Wikipédia
- Première partie : La naissance du mouvement Wikimédia
- L'utopie Wikimédia
- Le mouvement du logiciel libre
- Les licences et la culture libres
- Le réseau Internet et son espace web
- Les plates-formes Wiki
- L’encyclopédie libre et universelle
- L'arrivée des projets frères
- L'apparition du mouvement
- La création des organismes affiliés
- L'héritage d'une contre-culture
- Deuxième partie : Cosmographie du mouvement Wikimédia
- La constellation des projets en ligne
- Les projets de partage de la connaissance
- Les projets de gouvernance, de gestion et de sensibilisation
- Les projets de gestion technique
- Les espaces de communication et d’information
- La constellation de la Fondation et de ses affiliés
- La Fondation Wikimédia
- Le conseil d’administration de la Fondation
- Les comités, groupes de travail et conseils
- Les associations locales
- Les organisations thématiques et centrales régionales ou linguistiques
- Les groupes d’usagers
- Les projets d’assistances
- Les cycles de conférences et espaces de rencontres
- Les partenariats avec des entités externes au mouvement
- Conclusion : Un mouvement contre-culturel inspirant
- Remerciements
- Notes et références
- Bibliographie
Avant-propos
Ce livre fut produit à partir des premiers chapitres d’une thèse de doctorat publiée dans l’espace recherche du projet Wikiversité. Le travail de réécriture réalisé dans Wikilivres eu comme objectif de produire un ouvrage plus accessible au grand public, pour le publier, par la suite, aux formats Web, PDF, audio, et toujours sous licence CC BY-SA 4.0.
En vue de bénéficier d’un certain confort de lecture, tout en gardant la puissance du numérique, la page web qui reprend l’entièreté de cet ouvrage fut conçue de manière à garder le maximum de ses capacités lors de son impression. Pour ce faire, des Codes QR, lisibles à l’aide d’une tablette ou d’un smartphone connectés à Internet, sont placés dans l’ouvrage, afin de permettre un accès à tout ce qui est impossible ou couteux d’imprimé. Cela peut être des images, des vidéos, mais aussi des hyperliens qui permettent de se rendre sur des pages web contenant des compléments d’information, et dont certaines sont régulièrement mises à jour par la communauté Wikimédia.
Pour exemple, ce premier code QR placé à côté de ce paragraphe, permet de se rendre directement sur la page de l’ouvrage située sur le site Wikilivres. Une fois sur celle-ci, il devient alors possible de visionner certaines illustrations et vidéos, de les agrandir, ou de consulter leurs pages de description. Ensuite, on peut aussi utiliser les nombreux hyperliens repris dans le texte, afin de consulter des compléments d’informations disponibles sur Wikipédia, ou dans d’autres sites développés par le mouvement Wikimédia.
En sachant qu’il serait fastidieux de les recopier dans un navigateur, les URL des hyperliens présents dans les versions électroniques de ce livre, ne sont pas reprises lors de l’impression. L’économie de papier qui en découle, explique aussi pourquoi la section notes et références de l’ouvrage est absente du format papier. Cependant, ce code QR repris ci-contre permet de se rendre directement dans cette section, là où elle se situe dans la page web qui reprend l’entièreté du livre.
Grâce aux indices de renvoi chiffrés et placés en exposant dans le texte imprimé, il devient dès lors facile de retrouver, dans la section numérotée des notes et références, reprise à la fin de la version complète de l’ouvrage produite dans Wikilivres, la note ou la référence correspondante. Puis, dans la plupart des cas, d’utiliser le permalien qui s’y trouve, dans le but de se rendre sur le site web du projet Internet Archive. On y retrouve alors la copie sauvegardée des pages web citées dans le livre, ainsi qu’un lien pointant vers la page originelle, pour peu que celle-ci existe encore.
Étant donné que ce livre est produit sur une plate-forme collaborative, tout le monde est invité à participer à l’amélioration de ses prochaines versions. On peut le faire soit en corrigeant les éventuelles erreurs de syntaxe trouvées sur les pages web qui constituent les différents chapitres de l’ouvrage, soit encore en apportant des commentaires sur les pages de discussion qui leur sont associées.
Ajouté à cela, une page de discussion générale, accessible par ce nouveau Code QR, permet aussi de commenter le livre dans sa globalité, ou encore de poser une question à son sujet. Il suffit pour cela d’indiquer un titre dans le cadre « Démarrer un nouveau sujet », d’écrire le contenu du message dans l’encadré ouvert juste en dessous, et de cliquer sur le bouton « Ajouter un sujet de manière anonyme » afin d’enregistrer ses écrits.
Enfin, pour les personnes qui voudraient profiter d’un fond sonore agréable et original durant leur lecture, ce dernier code QR donne accès à une page web qui diffuse une musique mélodieuse. Celle-ci est composée de sons spécifiquement produits à chaque fois qu’une modification est faite sur un projet Wikimédia, ou lorsqu’un nouveau compte y est créé. De la sorte, ce processus ingénieux offre aux lecteurs, un enchevêtrement sonore particulièrement relaxant, et à l’ouvrage, une ultime dimension immersive.
Introduction : Wikimédia n’est pas Wikipédia
À partir de Wikipédia, de nombreux projets de partage de la connaissance et de nombreuses organisations et groupes de soutien ont vu le jour pour constituer aujourd’hui ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement Wikimédia. Bien que l’encyclopédie libre fut pionnière et qu’elle reste à ce jour le projet phare du mouvement, il ne faut pas pour autant confondre le terme Wikipédia, qui désigne un projet pédagogique parmi d’autres, avec celui de Wikimédia, qui est le nom d’un mouvement social, international, interculturel, et dans lequel se développe une myriade de projets.
Aussi importante qu’elle puisse être, une simple version linguistique du projet Wikipédia ne devrait ainsi jamais être, comme c’est souvent le cas, l’arbre qui cache la forêt. Il est vrai toute fois que l’on peut facilement s’y perdre dans cette forêt, tant elle est grande et complexe à la fois. D’ailleurs, si cinq mois d’observation furent suffisants pour produire une ethnographie du projet Wikipédia en français[1], plus de dix ans furent nécessaires pour comprendre et synthétiser ce qui se passe au sein du mouvement.
En janvier 2023 et rien qu’au niveau de son espace numérique, Wikimédia gérait en effet près de 64 millions d’éditions mensuelles[2], pour un total de 4.9 milliards de modifications, apportées à plus de 500 millions de pages Web[3]. Sans oublier que tout ce travail fut réalisé par plus de 250 millions d’éditeurs bénévoles, actifs dans plus de 960 sites web[4], dont seulement 318 représentent les différentes versions linguistiques de Wikipédia[5]. Une masse impressionnante d’activité donc, qui fait ensuite l’objet d’un archivage quasiment complet et permanent, avant d’être traitée statistiquement sur une centaine de sites web, tout aussi libres d’accès que les données qui y sont traitées.
À côté de cette sphère d’activités numériques, il faut ensuite tenir compte de ce qui se passe hors-ligne au sein du mouvement. En 2023 toujours, Wikimédia comprenait effectivement pas moins de 130 groupes d’usagers[6] et près d’une quarantaine d’associations étatiques[7] ou thématiques[8] réparties dans le monde. Au niveau international, cette effervescence d’activités est chapeautée par la Fondation Wikimédia et ses quelque 600 employés aux origines diverses[9]. Cela alors qu’au niveau national, des centaines d’associations étatiques, régionales ou thématiques affiliées au mouvement, prennent le relais. C’est le cas par exemple de l’association Wikimedia Deutchland, la plus grande d’entre toutes, qui regroupe plus de 150 employés.
Face à tous ces chiffres, on comprend mieux pourquoi distinguer le mouvement Wikimédia du projet Wikipédia est essentiel. Imaginons seulement que l’on se limite à citer le nom de Paris lorsqu’il s’agit de décrire et de comprendre cet immense pays qu’est la France. Certes, Paris est une ville connue mondialement et qui regroupe deux millions d’habitants et un patrimoine culturel impressionnant, mais est-ce pour autant qu’il faudrait oublier les autres villes, villages ou métropoles françaises ? Sans compter que la France, c’est aussi des départements et des territoires d’outre-mer et que la nation française entretient aussi des relations et des partenariats internationaux, qui dépassent de loin ce qui se passe entre Paris et le reste du monde. Ne pas confondre le mouvement Wikimédia avec le projet Wikipédia, est donc une question de bon sens.
Mais toujours est-il que dans le courant de l’année 2019, la Fondation Wikimédia eut l’intention de se renommer Fondation Wikipédia, pour substituer ensuite le terme Wikimédia par celui de Wikipédia, partout où il était utilisé dans la sphère hors-ligne du mouvement. Le but était d’acquérir une plus grande visibilité et d’attirer des milliards de personnes, grâce au nom de marque Wikipédia, considéré comme l’un des plus connus au monde[10]. Toutefois, ce changement ne fut pas accepté par un bon nombre de personnes actives dans Wikimédia. En janvier 2020, une page web d’appel à commentaires fut ainsi créée avant de devenir le siège d’un long débat[11]. Au terme de celui-ci, 73 représentants d’organisations affiliées et 984 personnes décidèrent d’adresser une lettre ouverte à la Fondation dans laquelle ils s’exprimaient en ces termes[12] :
Depuis 20 ans, les bénévoles ont bâti la réputation de Wikipédia en tant que ressource indépendante et communautaire. Les projets du mouvement Wikimédia, dont Wikipédia, se développent autour de la décentralisation et du consensus. Il est essentiel d’établir des distinctions claires entre la Fondation Wikimédia, les affiliés et les contributeurs individuels. Tout changement qui affecte cet équilibre exige le consentement éclairé et la collaboration des communautés. Il est donc très préoccupant de voir « Wikipédia » présenté pour le nom de l’organisation et du mouvement malgré le mécontentement général de la communauté.
En s’opposant à la Fondation, ces membres de la communauté Wikimédia firent ainsi preuve d’une grande sagesse, puisqu’un bon nombre de personnes côtoient le mouvement uniquement au travers de Wikipédia et sans se rendre compte de tout ce qui existe à côté de l’encyclopédie. Il est d’ailleurs interpellant de constater que cette méconnaissance s’observe aussi au sein du mouvement. L’article de Wikipédia en français consacré au mouvement Wikimédia par exemple, ne s’est développé, pour ainsi dire, qu’à partir de 2019[13], alors que celui situé sur le site anglophone est resté au stade d’ébauche jusqu’en 2016[14]. Quant aux plus de 300 autres versions linguistiques de l’encyclopédie, il est tout aussi étonnant de voir qu’en février 2023, seulement trente-et-une d’entre elles possédaient un article consacré à Wikimédia[15].
Même à l’intérieur de ses propres frontières, le mouvement Wikimédia apparait donc comme un phénomène social peu connu. Tandis qu’à l’extérieur du mouvement, ces quelques extraits tirés des débats apparus durant le mouvement d’opposition au changement de marque proposé par la Fondation, semblent démontrer que la confusion entre le terme Wikimédia et celui de Wikipédia est fréquente[11] :
Personne en dehors du mouvement n’a compris la différence entre Wikimédia et Wikipédia. Lorsque les gens contactent une filiale de Wikimédia, ils s’attendent en réalité à recevoir une réponse de Wikipédia. Quand j’ai essayé de faire un don à un chapitre de Wikimédia, la banque a essayé d’envoyer mon don à un chapitre de Wikipédia. Depuis de nombreuses années, nous essayons d’expliquer au public qu’il y a beaucoup plus dans Wikimédia que l’encyclopédie Wikipédia. Etc[16].
Tous ces commentaires justifient la nécessité d’offrir au monde, une meilleure connaissance du mouvement Wikimédia et des nombreux projets de partage de la connaissance qui s’y développent. En ce sens, ce livre peut apparaitre comme une contribution importante au défi stratégique que doit relever le mouvement Wikimédia à l’approche de 2030. Car suite à la résolution du conseil d’administration de la Fondation de développer de nouveaux processus participatifs et délibératifs au sujet des questions de marques[17], c’est avant tout un travail d’information et de sensibilisation du grand public qu’il reste à faire.
Finalement, ce différend entre la Fondation et certains membres de la communauté n’est aussi qu’un conflit parmi d’autres dans lequel s’opposent, d’un côté, des bénévoles actifs dans des projets fortement imprégnés des valeurs de liberté et de partage, et de l’autre, des personnes employées dans des associations nettement plus ancrées dans les habitudes de l’économie classique. Mais alors que cet aspect est abordé en détails dans la thèse de doctorat intitulée Imagine un monde[18], concentrons-nous ici sur les origines philosophiques et techniques du mouvement Wikimédia, juste avant d’en découvrir sa « cosmographie ».
Première partie : La naissance du mouvement Wikimédia
Il existe, dans l’espace web, d’innombrables archives à partir desquelles il est possible de revivre les événements qui ont conduit à la naissance du mouvement Wikimédia. Cette « préhistoire » du mouvement peut notamment être découverte sur le site de Framasoft, un réseau d’éducation populaire crée plus ou moins un an avant le lancement de la version francophone de Wikipédia. Le site web de cette association apparait de fait comme une vraie mine d’informations au sujet des logiciels libres et de la culture libre qui s’est développée tout autour. Soit deux évènements culturels majeurs apparus dans l’histoire du développement informatique, d’Internet et de ses applications, et pourtant restés peu connus jusqu’à ce jour.
Grâce à Framasoft et bien d’autres associations, il est ainsi possible de découvrir l’organisation et les motivations de milliers, voir de millions, de développeurs bénévoles actifs au sein du mouvement du logiciel libre. On y append, entre autres, que ce mouvement politique et sociale fut initié en 1983 par Richard Stallman, un programmeur du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui eu pour idée d’offrir à chacun et chacune, une alternative à la marchandisation du secteur de l’informatique.
Cette philosophie de libre partage, concrétisée par le projet de Stallman, découlait d’une organisation et d’une éthique originale, développée au sein d’une sous-culture en vogue dans le milieu informatique, qui fut documenté dans de nombreux ouvrages. Parmi ceux-ci se trouve « L’éthique hacker[19] », un livre remarquable, dans lequel le philosophe finlandais Pekka Himanen, analyse en détails les origines de la culture hacker », apparue au début des années 1950. Un simple extrait de la quatrième de couverture de cet ouvrage[20] permet de mieux comprendre la manière de penser de ce groupe d’informaticiens, qui fut rejoint par le créateur du premier logiciel libre durant ses études universitaires, pour en devenir, par la suite, l’une des figures les plus charismatiques :
On considérait jusqu’à présent le « hacker » comme un voyou d’Internet, responsable d’actes de piratage et de vols de numéros de cartes bancaires. Le philosophe Pekka Himanen voit au contraire les hackers comme des citoyens modèles de l’ère de l’information. Il les considère comme les véritables moteurs d’une profonde mutation sociale. Leur éthique, leur rapport au travail, au temps ou à l’argent, sont fondés sur la passion, le plaisir ou le partage. Cette éthique est radicalement opposée à l’éthique protestante, telle qu’elle est définie par Max Weber, du travail comme devoir, comme valeur en soi, une morale qui domine encore le monde aujourd’hui.
Cette citation nous aide à comprendre plus facilement les origines de Wikipédia et des nombreux projets frères apparus tout, avant la naissance de ce que l’on nomme aujourd’hui le mouvement Wikimédia. Un mouvement apparu au cœur de la révolution numérique, dans le contexte d’une transition culturelle dont l’un des aspects fondamentaux est sans nul doute : la concrétisation d’une utopie opposée à ce que Karl Polaniy[21] décrivait déjà, en 1944, comme un libéralisme économique, qui « subordonne les objectifs humains à la logique d’un mécanisme de marché impersonnel[22] ».
L'utopie Wikimédia
Imaginons un instant que l’espace Web serait une gigantesque ville électronumérique. Au sein de cette ville se trouve alors un immense quartier[23], dans lequel sont rassemblés près d’un millier d’édifices[24] que l’on peut visiter librement et gratuitement. Imaginons ensuite qu’à l’exception de quelques bâtiments administratifs[25], non seulement on peut parcourir librement tous ces lieux, mais on peut aussi y modifier presque tout ce qui s’y trouve. On peut y apporter de nouvelles informations, sous forme de texte, photo, vidéo et document sonore, et aussi, si on le veut, ranger les informations apportées par d’autres, afin de rendre leur présentation plus esthétique ou plus compréhensible.
D’une manière plus incroyable encore, on peut même faire disparaitre l’entièreté de ce qui est présent dans une pièce ! Suite à quoi, comme par un tour de passe-passe, un programme informatique remettra tout en place, avant de demander gentiment d’éviter ce genre de vandalisme. La prochaine fois peut-être, ou dans le cas d’un acte de vandalisme plus sournois qui ne serait pas détecté par les robots, ce sera sans doute l’une des personnes qui a préalablement enrichi ou enjolivé la pièce qui annulera les modifications, juste avant de contacter le perturbateur. S’il s’agit d’un multirécidiviste, il est alors sanctionné en se voyant interdit de modifier le contenu du bâtiment[26] qu’il a précédemment vandalisé. Une décision qui, par ailleurs, sera toujours mise en application par un des volontaires administrateurs choisis par la communauté des bénévoles actifs au sein des projets.
On comprend donc que tout le monde peut enrichir, mais aussi surveiller et protéger les richesses partagées dans le quartier Wikimédia. Il suffit pour cela de rejoindre le mouvement Wikimédia en se créant un compte qui permet, entre autres, de s’abonner à un système de notification, qui envoie un message, ou un courriel, à chaque fois qu’une des pièces des bâtiments Wikimédia[27] que l’on veut surveiller est modifiée.
Pour la création de ce compte, pas besoin de fournir une adresse ou un numéro de téléphone. Les seules informations personnelles indispensables au bon fonctionnement du quartier Wikimédia sont les adresses IP des ordinateurs au départ desquels sont faites les modifications de contenu[28]. Des adresses qui, de plus, deviennent invisibles suite à la création de comptes utilisateur.
Contrairement à ce qui se passe dans les quartiers commerciaux de la grande ville électromagnétique[29], aucune des informations récoltées lors des visites des bâtiments Wikimédia n’est ainsi vendue à des services de marketing. Même les adresses des visiteurs qui ne sont pas enregistrés sont appelées à disparaitre de la vue des autres internautes. Seules des personnes accréditées par la communauté pour effectuer des contrôles d’usurpation d’identité[30] pourront alors accéder à ces informations. C’est là une précaution nécessaire au bon déroulement des prises de décisions organisées au sein du quartier, durant lesquelles les personnes actives au sein des projets, tenteront souvent d’obtenir un consensus avant de passer au vote.
Wikimédia apparait ainsi comme le plus grand quartier de la ville électromagnétique dédiée au partage de la connaissance. Tandis que la partie la plus connue du quartier est composée de centaines de bâtiments encyclopédiques répertoriés par langues[31], derrière ceux-ci, et toujours séparés en versions linguistiques, se trouvent aussi de nombreuses autres bibliothèques. Celles-ci peuvent être soit générales[32], soit thématiques et spécialisées dans des domaines aussi variés que le traitement lexical[33], l’actualité[34], la pédagogie et la recherche[35], les voyages[36], les êtres vivants[37] et les citations d’auteurs[38]. Après quoi, il faut encore ajouter l’existence d’un immense musée médiatique[39] et d’une énorme banque d’informations factuelles[40] dont les fonctions sont d’enrichir les lieux précédemment cités. Le tout étant muni d’étages[41] spécialement dédiés à l’organisation technique ou politique des projets.
Parallèlement à cela et toujours de manière ouverte et libre de participation, on trouve dans le quartier Wikimédia plusieurs édifices entièrement dédiés à sa maintenance technique[42]. À côté d’eux, se trouve un building consacré à l’organisation générale des activités qui s’y déroulent[43], puis, un autre dans lequel s’opère le traitement des courriers adressés au quartier[44], et enfin, un dernier où s’organisent des activités de sensibilisation et de recrutement de nouveaux bénévoles[45].
En découvrant l’existence de ce vaste quartier numérique libre d’accès et de transformation, on comprend donc pourquoi le mouvement Wikimédia apparait, pour certains, comme l’une des plus grandes utopies du XXIᵉ siècle[46][47]. Car au bout du compte, ce mouvement social aura permis la création du plus grand espace libre du Web, dont le contenu est presque intégralement produit et géré par des bénévoles. Sans oublier que ce mouvement représente aujourd’hui, la plus grande organisation mondiale non marchande présente sur le Web. Autant de particularités donc, qui suscitent finalement cette simple question : Comment tout cela fut-il rendu possible ?
La réponse se trouve dans une particularité peu connue de l’histoire de l’informatique. Celle d’un chamboulement culturel apparu tout au long de la révolution numérique, et dont les origines se situent au niveau de la contre-culture des années 1960. Quand on regarde de plus près cette facette de l’histoire, on y découvre un véritable changement de paradigme orchestré par des chercheurs et étudiants en informatique, tous pionniers des réseaux et de leurs applications durant les années 70, 80 et 90. Une révolution dont l’aboutissement fut l’apparition d’une philosophie et d’un mode d’organisation tout à fait spécifique, dont aura hérité le mouvement Wikimédia.
D’ailleurs, dès les débuts du mouvement et lors de la création du projet Wikipédia, qualifié un jour de « bazar libertaire[48] » par le journal Le soir, un principe fondateur, dont l’énoncé est repris ci-dessous[49], illustrait déjà très clairement l’orientation culturelle du mouvement naissant.
N’hésitez pas à contribuer, même si vous ne connaissez pas l’ensemble des règles, et si vous en rencontrez une qui, dans votre situation, semble gêner à l’élaboration de l’encyclopédie, ignorez-la ou, mieux, corrigez-la.
Il ne s’agissait là en fait que d’une simple recommandation, mais à elle seule, elle exprime toutes les valeurs d’universalité, de liberté, de décentralisation, de partage, de collaboration et de mérite décrites par Steven Levy dans son ouvrage L’Éthique des hackers[50]. Une éthique qui, bien avant l’apparition du mouvement Wikimédia, aura permis le développement de tout un environnement technique gratuit, sans lequel le lancement d’une encyclopédie, écrite et gérée par des millions de contributeurs et contributrices situés aux quatre coins du monde, n’aurait jamais été possible.
Dès 2011 cependant, l’idée d’ignorer ou de corriger une règle en cas de besoin ne fut pas reprise dans les conditions d’utilisations des sites web hébergés par la Fondation Wikimédia[51]. Parallèlement à ceci et de façons variables selon les projets et leurs versions linguistiques, les communautés d’éditeurs ont aussi produit une série de règles et de recommandations[52], qui aujourd’hui, s’apparente fort à une ligne éditoriale. Ensuite, dans le courant de l’année 2023, c’est même un code de conduite universel qui fit son apparition au sein du mouvement, dans le but d’établir un « référentiel minimum des comportements acceptables et inacceptables[53] ».
Quoi qu’il en soit, il faut garder à l’esprit que le mouvement Wikimédia n’aurait jamais pu voir le jour sans Internet, le seul réseau mondial de communication en libre accès, ni l’apparition de son application World Wide Web, qui facilita grandement les interactions humaines à l’échelle planétaire. C’était juste avant que le Web 2.0 fasse son apparition grâce au développement de logiciels informatiques, qui rendirent possible la modification de sites web, au départ d’un simple navigateur.
Et il se fait que parmi ces logiciels web, on retrouve les moteurs de Wiki dont le plus puissant d’entre eux, intitulé MediaWiki, est utilisé et développé avec le soutien de la Fondation Wikimédia. D’où ce préfixe « Wiki » appliqué à tous les noms des projets développés au sein du mouvement, tel l’héritage d’un passé qu’il est possible de découvrir de manière chronologique. Le moment est donc venu d’en savoir un peu plus sur ce mouvement social, qui a précédé le mouvement Wikimédia et que l’on nomme communément le mouvement du logiciel libre.
Le mouvement du logiciel libre
L’un des premiers épisodes remarquables de la préhistoire de Wikipédia et du mouvement Wikimédia débuta en septembre 1983, lorsqu’un programmeur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) appelé Richard Stallman, déposa un message sur la newsletter net.unix-wizards du système d’exploitation Unix. C’était un appel à soutien pour la création de GNU, un nouveau système d’exploitation qui devait réunir une suite de programmes que chacune et chacun pourrait utiliser librement sur son ordinateur personnel[54]. Dans son message transmis via ARPANET, le premier réseau informatique de longue distance qui précéda Internet, Stallman s’exprimait de la sorte[55] :
Je considère comme une règle d’or que si j’apprécie un programme je dois le partager avec d’autres personnes qui l’apprécient. Je ne peux pas en bonne conscience signer un accord de non-divulgation ni un accord de licence de logiciel. Afin de pouvoir continuer à utiliser les ordinateurs sans violer mes principes, j’ai décidé de rassembler une quantité suffisante de logiciels libres, de manière à pouvoir m’en tirer sans aucun logiciel qui ne soit pas libre.
Le projet de Stallman, qui reçut le soutien nécessaire à son accomplissement, marqua ainsi le début de l’histoire du logiciel libre. Et si l’on tient compte des nombreux soutiens reçus par le projet, il est alors permis de croire que Richard Stallman n’était pas le seul à voir l’arrivée des logiciels propriétaires d’un mauvais œil. Car selon lui et les autres personnes qui ont rejoint le projet GNU, ces derniers ne respectaient pas les quatre libertés fondamentales des utilisateurs ou utilisatrices[56]. Quatre libertés qui à elles seules définissent avec précision de qu'est un logiciel libre :
1. La liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages.
2. La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à vos besoins.
3. La liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin.
4. La liberté d’améliorer le programme, et de publier vos améliorations, pour en faire profiter toute la communauté.
Il faut en effet savoir qu’à cette époque, le marché de l’informatique était en pleine mutation, et que l’habituel partage des programmes et codes informatiques entre les rares étudiants ou chercheurs, qui bénéficiaient d’un accès à un ordinateur, était en train de disparaitre. Cette disparition était liée à la commercialisation des logiciels informatiques soumis, petit à petit, au copyright et aux interdictions de divulgation de leurs codes informatiques. De nouvelles clauses de confidentialité firent ainsi leurs apparitions dans les contrats des employés des firmes informatiques. Ce qui eu pour effet de remplacer le climat de solidarité et d’entraide, anciennement connu dans le monde de la recherche, par un nouveau paradigme basé sur la concurrence et la compétitivité.
Cette mutation était sans aucun doute liée à l’arrivée d’un nouveau marché basé sur la vente des ordinateurs transportables. Leurs productions ne furent toutefois possibles qu’au début des années soixante, suite à l’arrivée des circuits intégrés destinés à l’industrie aérospatiale. Sauf qu’à cette époque, leurs prix étaient beaucoup trop élevés pour pouvoir imaginer en faire un usage domestique. Par la suite cependant, et tout au long des années 70, le coût des puces électroniques ne cessa de diminuer jusqu’à permettre, en début d’année 80, la fabrication d’ordinateurs à des prix suffisamment bas pour développer un marché destiné aux ménages.
Suite à quoi, en 1982, le commodore 64 entrait dans livre Guiness des records, pour rester jusqu’à ce jour l’ordinateur le plus vendu au monde, avec plus de 17 millions d’exemplaires[57]. Mais juste avant cela, en 1981, l’IBM Personal computer avait déjà fait son apparition en offrant une architecture ouverte qui allait servir de modèle pour toute une gamme d’ordinateurs que l’on désigne, aujourd’hui toujours, par l’acronyme « PC ».
Pour faire fonctionner ses ordinateurs PC, la firme informatique avait confié à l’entreprise Microsoft la mission de les équiper d’un système d’exploitation. Le contrat signé avec IBM fut une véritable aubaine pour cette société commerciale créée en 1975 dans une logique diamétralement opposée à du mouvement du logiciel libre. Car grâce à celui-ci, la firme Microsoft pu en effet profiter d’un abus de position dominante[58] et d’une vente liée du logiciel avec le matériel informatique[59], pour établir un monopole dans la vente de logiciels.
Mais pendant que Microsoft renforçait sa position dominante, un nouvel évènement majeur allait marquer l’histoire du logiciel libre. Celui-ci fut à nouveau déclenché par un appel à contribution, qui fut cette fois posté le vingt-cinq août 1991 par un jeune étudiant en informatique de 21 ans, appelé Linus Torvalds. Via le système de messagerie Usenet, son message avait été posté dans une liste de diffusion consacrée au système d’exploitation MInix, une sorte d’UNIX simplifié et développé dans un but didactique, par le programmeur Andrew Tanenbaum.
Loin d’imaginer que cela ferait de lui une nouvelle célébrité dans le monde du Libre[60], Torvalds entama son message par le paragraphe suivant[61] :
Je fais un système d’exploitation (gratuit) (juste un hobby, ne sera pas grand et professionnel comme gnu) pour les clones 386 (486) AT. Ce projet est en cours depuis avril et commence à se préparer. J’aimerais avoir un retour sur ce que les gens aiment ou n’aiment pas dans minix, car mon système d’exploitation lui ressemble un peu (même disposition physique du système de fichiers (pour des raisons pratiques) entre autres choses)[62].
Bien qu’il fût présenté comme un passe-temps, le projet, intitulé « Linux », fut rapidement soutenu par des milliers de programmeurs de par le monde, pour devenir bientôt la pièce manquante du projet GNU. Le système d’exploitation développé par Richard Stallman n’avait effectivement pas encore terminé la mise au point de Hurd, son noyau de système d’exploitation, alors que c’est cette partie du code informatique qui est responsable de la communication entre l’ensemble des logiciels et le matériel informatique. La fusion des codes produits par du projet GNU et Linux permit dès lors de mettre au point un système d’exploitation complet, stable et entièrement libre baptisé GNU/Linux.
Suite à cette union, la communauté des développeurs eut ensuite vite fait de personnaliser le système d’exploitation libre dans le but de créer de nombreuses variantes que l’on nomme communément « distributions ». L’une de celles-ci s’intitule Debian et tire sa réputation du fait qu’elle est la seule à être en même temps gratuite et non produite par une société commerciale[63]. Une caractéristique qui explique peut-être pourquoi ce système d’exploitation est à la base de plus de 150 distributions dérivées. Quant à la grande stabilité de son fonctionnement, elle justifie pour sa part son adoption par de nombreuses organisations sans but lucratif, à l’image de la Fondation Wikimédia qui l’utilise pour héberger l’ensemble des projets Wikimédia[64].
L’un des premiers héritages du mouvement Wikimédia en provenance du logiciel libre, fut donc la possibilité de faire fonctionner les projets sur des serveurs informatiques équipés d’un système d’exploitation complètement libre et gratuit. Un système qui, grâce à l’ouverture de son code source, peut ensuite être adapté pour répondre aux besoins spécifiques du mouvement. Ce qui par la suite, et selon les règles formulées par Stallman et la communauté du logiciel libre, permettra à d’autres organismes de profiter, gratuitement et librement, des améliorations apportées par la Fondation Wikimédia.
À ce premier aspect révolutionnaire dont aura profité le mouvement Wikimédia, s’ajoute une innovation méthodologique apparue dans la sphère de production des logiciels libres. Dans un article intitulé La Cathédrale et le bazar[65], Eric Steven Raymond fait en effet référence à une « cathédrale » pour désigner le mode de production des logiciels propriétaire, alors qu’il utilise le mot « bazar » pour qualifier le développement des logiciels libres. D’un côté, il décrit une organisation pyramidale, rigide et statutairement hiérarchisée, comme on peut la voir souvent au sein des entreprises, tandis que de l’autre, il parle d’une organisation horizontale, flexible et peu hiérarchisée, qu’il a lui-même expérimentée en adoptant le « style de développement de Linus Torvalds – distribuez vite et souvent, déléguez tout ce que vous pouvez déléguer, soyez ouvert jusqu’à la promiscuité[66] ».
À l’image de la métaphore du quartier construit au sein d’une ville électronumérique, cette manière de mener des projets semble donc correspondre à ce qui se passe dans le mouvement Wikimédia. Tout d’abord, il y a cette « ouverture jusqu’à la promiscuité », que l’on rencontre aussi au niveau de l’accès des projets pédagogiques, et ce aussi bien par rapport à leurs consultations qu’au niveau de la production et de la maintenance de leurs contenus. Et par la suite, il y a le fait que tout le monde dans Wikimédia est en droit de s’impliquer, de manière bénévole et selon ses propres choix, dans les nombreuses tâches indispensables au développement des projets et du mouvement qui les entoure.
De ces deux observations, on peut donc déduire l’existence d’un nouvel héritage, d’ordre méthodologique cette fois, en provenance du mouvement du logiciel libre. Et il serait regrettable, comme le fit Eric Raymond, de s’arrêter en si bon chemin, en passant sous silence un nouvel événement culturel extrêmement important apparu au cours de la révolution numérique. Il s’agit cette fois de l’apparition des licences libres et d’une philosophie qui donna naissance au mouvement de la culture libre.
Les licences et la culture libres
Dans une autobiographie autorisée intitulée Richard Stallman et la révolution du logiciel libre[67], Christophe Masutti explique à quel point, la création de la Licence publique générale GNU (GPL), en tant que première licence libre, apparu comme un évènement culturel majeur au cours de la révolution numérique. Selon lui :
La GPL apparaît comme l’un des meilleurs hacks de Stallman. Elle a créé un système de propriété collective à l’intérieur même des habituels murs du copyright. Surtout, elle a mis en lumière la possibilité de traiter de façon similaire « code » juridique et code logiciel.
Il est vrai qu’en 1985 et avec l’aide du juriste Mark Fischer, Richard Stallman donna naissance à une première licence libre, pour protéger de toute forme de récupération commerciale et privative son Emacs, un éditeur de texte qu’il venait de créer. Cette démarche fut d’ailleurs très mal perçue par la firme Microsoft qui mit tout en œuvre, durant l’année 1989, pour interdire l’application de cette licence, mais sans y parvenir. Car grâce à l’implication des philanthropes comme John Gilmore et d’une grande communauté d’activistes hackers épaulée par des juristes compétents, tels que Jerry Cohen et Eben Moglen, non seulement la licence libre du logiciel Emacs resta en vie, mais elle finit par se voir appliquée à de nombreux autres logiciels.
Quant à l’aspect révolutionnaire de cette licence libre, il se situe principalement au niveau sa clause de reproductibilité. Une clause qui exige en effet que tout produit dérivé d’un code informatique soumis à la licence GPL doit obligatoirement à son tour être soumis à cette même licence. Cette idée, apparemment transmise à Richard Stallman par Don Hopkins lors d’un échange de courriers[68], aura ainsi abouti à la naissance d’une clause d’utilisation qualifiée de virale ou récursive, pour être ensuite surnommée par le terme « copyleft », que l’on peut traduire en français par l’expression « gauche d’auteur » et qui s’illustre graphiquement par le renversement à gauche du C de copyright.
Selon les vœux de Stallman, le copyleft est donc la clause des licences libres qui se rapporte le plus aux questions éthiques et de libertés des utilisatrices et utilisateurs[69]. Cependant, cette clause ne fut pas mise en évidence dans le concept d’open source popularisé par Éric Raymond. Ce développeur préféra en effet mettre de côté les questions philosophiques et éthiques liées à la propriété, pour valoriser uniquement l’idée d’accès et de transparence du code informatique, dans le cadre d’une approche beaucoup plus entrepreneuriale[70]. De cette différence naquit ainsi une polémique entre le logiciel libre de Stallman et le programme open source de Raymond, qui se dissout quelque peu suite à l’arrivée de l’expression générique, Free/Libre Open Source Software (FLOSS). Une expression qui a pour avantage d’être englobante, mais qui a pour inconvénient de placer la notion de copyleft en arrière-plan, alors que sans lui, le mouvement du logiciel libre n’aurait pu survivre au phénomène de privatisation et de commercialisation.
Quoi qu’il en soit, le copyleft s’identifie aujourd’hui au travers de l’expression anglaise « Share alike », traduite en français par celle de « partage à l’identique ». Une façon claire et synthétique de dire que toute reproduction d’une œuvre, ou tout travail dérivé produit en partie ou en totalité à partir d’une œuvre couverte par la clause en question, devra impérativement être soumis à cette clause, et ainsi de suite lors de la réutilisation en cascade.
Le copyleft reste donc finalement le moyen le plus efficace d’offrir son travail à la communauté, tout en s’assurant qu’il ne sera jamais repris sous un copyright propriétaire et privateur. Car en absence de cette clause, une œuvre pourrait être récupérée, puis modifiée, même de façon mineure, avant d’être renommée, de sorte à pouvoir la placer sous un habituel copyright de type : « tous droits réservés[71] ». Une démarche qui, par la suite, obligera généralement les utilisateurs et utilisatrice de l’œuvre modifiée à payer un droit d’usage, ou à se soumettre à des conditions d’utilisations, qui seront rédigées dans le but de profiter au détenteur du copyright, et non aux utilisateurs ou utilisatrices du produit.
Suite à la création des premières licences libres destinées à protéger le code source des logiciels informatiques, une organisation internationale sans but lucratif, intitulée Creative Commons, vit le jour le quinze janvier 2001, avec pour objectif de rendre les licences libres accessibles et utilisables par tous. Son but est de promouvoir le « partage et la réutilisation de la créativité et des connaissances grâce à la fourniture d’outils juridiques gratuits[72] ».
Pour ce faire, l’association choisit d’intégrer une variété de clauses aux licences libres, de manière à permettre aux auteurs de protéger, comme ils l’entendent, leurs propres œuvres libres. Grâce à la panoplie de licences proposées sous le label Creative Commons (CC), il est de fait possible d’exiger, ou de ne pas exiger : que l’auteur soit crédité (clause BY), que le copyleft soit respecté (clause SA), qu’une utilisation commerciale soit interdite (clause NC), ou qu’aucune modification ne soit faite à l’œuvre (clause ND).
De ce fait, et contrairement aux licences fournies par la Free Software Foundation qui sont plus adaptées à la protection du code informatique, les licences Creative Commons ont pour objectif de protéger du texte, des photos, des vidéos, de la musique, des bases de données ou toutes autres productions de l’esprit apparentées[73].
Le mouvement Wikimédia par exemple, a choisi d’appliquer la licence CC.BY.SA sur l’ensemble du contenu partagé de ses projets pédagogiques, à l’exception du projet base de données Wikidata, dont le contenu est placé sous licence CC0. Une licence qui a pour but de renoncer à tous les droits d’auteur dans les limites autorisées par la loi, de telle sorte à se rapprocher au maximum d’un dépôt dans le domaine public.
L’adoption de la licence CC0 fut une stratégie qui permit de faciliter le traitement de grande quantité de données par le fait qu’il n’est plus nécessaire d’en mentionner leurs auteurs. En contrepartie, l’application de cette licence provoqua la perte irréversible de toute garantie sur l’origine de l’information, tout en rendant possible l’application d’une licence privative sur les produits dérivés de la banque de données. Et pourtant, quelques années plus tard, la licence CC0 fut aussi appliquée à toutes les descriptions apportées aux fichiers téléchargés sur le site de la médiathèque centrale des projets Wikimédia, intitulée Wikimedia Commons.
En plaçant sous licences libres l’ensemble du contenu produit au sein de ses projets, le mouvement Wikimédia a ainsi adopté les valeurs défendues par la culture libre. Soit un mouvement plus large que celui du logiciel libre, dont les adeptes, communément appelés libristes, militent non seulement pour le libre partage des œuvres de l’esprit, mais aussi en faveur du respect de la vie privée et de l’accès aux codes informatiques, dans un but de contrôle, de réutilisation, ou d’amélioration. Ce choix philosophique ne fut toutefois pas suffisant pour permettre la création du mouvement Wikimédia, car pour que cela puisse se faire, il fallait encore attendre le développement d’un espace numérique mondial et libre d’accès à toute personne capable de s’y connecter.
Le réseau Internet et son espace web
L’histoire du réseau Internet et de l’apparition de l’espace web est un autre épisode passionnant de la révolution numérique, sans lequel l’émergence du mouvement Wikimédia n’aurait pas été possible. Selon une perspective purement technique, ce réseau informatique fut initié au cours de l’année 1977, sur base d’une suite de protocoles (TCP/IP) mis au point par Robert Elliot Kahn et Vint Cerf[74]. Alors qu’en 1973 déjà, une première présentation du projet avait déjà été faite, lors de la conférence sur les communications informatiques de l’International Network Working Group.
Contrairement à certaines idées reçues et comme l'explique le reprotage intitulé Une contre-histoire de l'Internet, le réseau ne fut pas entièrement conçu par les forces armées américaines, mais plutôt financé par celles-ci. Ces forces armées permirent en effet la création de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), une agence dans laquelle travaillait Robert Elliot Kahn[74] cité précédement, et qui était chargée du développement du réseau informatique ARPANET, considéré aujourd’hui comme l’ancêtre d’Internet. Cependant, et c’est là un fait moins connu, durant les années 1971 et 1972, ce réseau fonctionna, tout d’abord, sur base du protocole de communication intitulé : Network Control Program, alors que celui-ci fut mis au point, à partir de février 1969, par le Network Working Group, un groupe informel d’universitaires rassemblé autour de Steve Crocker[75], un étudiant détenteur, à l'époque, d'une simple licence universitaire.
Au cours des travaux réalisés par ce groupe, une procédure de gestion et de prises de décisions intitulée Request For Comments (RFC) fut mise au point. C’était un processus d’appels à commentaires reconnu par la suite comme « l’un des symboles forts de la "culture technique" de l’Internet, marquée par l’égalitarisme, l’autogestion et la recherche collective de l’efficience[75] ». Et il se fait que cette procédure est toujours d’application dans le site Méta-Wiki, dédié à la gestion communautaire du mouvement Wikimédia. Des pages RFC y sont en effet régulièrement créés, alors que d’autres processus similaires ont vu le jour autre part dans le mouvement.
Ainsi, pendant que Internet continuait à se développer dans le milieu universitaire, de son côté, l’armée américaine développait le MILNET, un réseau propre à leurs activités et totalement séparé du réseau ARPANET qui resta dédié à « la recherche et le développement[76] ». La séparation des deux réseaux s’effectua en 1983, précisément l’année où Richard Stallman postait sa demande d’aide pour le projet GNU via ARPANET, à une époque où le réseau comprenait moins de 600 machines connectées[77]. Un détail important, puisqu’il nous permet de comprendre que c’est bien plus tard seulement, soit au courant des années 90, que le réseau Internet prit la forme de ce vaste réseau mondial que l’on connaît aujourd’hui.
Sa construction fut confiée à l’Internet Society, une ONG créée en 1992, dans le but d’assurer l’entretien technique des réseaux informatiques, tout en veillant au respect des valeurs fondamentales liées à leur fonctionnement[78]. Car pour passer des quelques centaines d’ordinateurs connectés à ARPANET aux milliards d’appareils informatiques connectés à Internet aujourd’hui, il fallut d’abord installer, au cours des années 80, les premières dorsales Internets transnationales. Sans celles-ci en effet, le réseau n’aurait jamais pu franchir les océans, pour permettre au protocole TCP/IP d’être adopté par le monde entier.
Pour ensuite se faire une idée de l’état d’esprit partagé par les personnes qui ont cré Internet, on peut aussi s’intéresser à ce que raconte Michel Elie. Dans un article intitulé : Quarante ans après : mais qui donc créa l’internet ? » , cet ingénieur en informatique membre du Network Working Group, avant de devenir responsable de l’Observatoire des Usages de l’Internet[79], explique effectivement ceci :
Le succès de l’internet, nous le devons aux bons choix initiaux et à la dynamique qui en est résultée : la collaboration de dizaines de milliers d’étudiants, ou de bénévoles apportant leur expertise, tels par exemple ces centaines de personnes qui enrichissent continuellement des encyclopédies en ligne telles que Wikipédia.
Ce témoignage permet de mieux se rendre compte à quel point l’état d’esprit des créateurs d’Internet devait être proche de celui qui anima la création de Wikipédia, le tout premier projet apparu au sein du mouvement Wikimédia. Ceci tandis que l’atmosphère qui régnait dans les milieux universitaires, à l’époque de la création d’Internet, était fortement fortement influencée par la contre-culture des années 60, apparue aux États-Unis parmi les baby boomers, notamment suite aux déboires que connut cette première puissance militaire mondiale, dans le cadre de son intervention militaire au Viêt Nam[80].
Dans un ouvrage de 1970 intitulé Vers une contre-culture : Réflexions sur la société technocratique et l’opposition de la jeunesse[81], Théodore Roszak expliquait à ce sujet :
Le projet essentiel de notre contre-culture : proclamer un nouveau ciel et une nouvelle terre, si vastes, si merveilleux que les prétentions démesurées de la technique soient réduites à n’occuper dans la vie humaine qu’une place inférieure et marginale. Créer et répandre une telle conception de la vie n’implique rien de moins que l’acceptation de nous ouvrir à l’imagination visionnaire. Nous devons être prêts à soutenir ce qu’affirment des personnes telles que Blake, à savoir que certains yeux ne voient pas le monde comme le voient le regard banal ou l’œil scientifique, mais le voient transformé, dans une lumière éclatante et, ce faisant, le voient tel qu’il est vraiment.
Suite à cette lecture, il pourrait sembler paradoxal qu’une contre-culture qui voit dans la technique une chose « inférieure et marginale » et qui porte sur la science un regard « banal », puisse avoir eu un quelconque lien avec la création d’Internet et l’apparition des logiciels et licences libres. Or, c’est là une énigme qui fut résolue par la publication d’un ouvrage intitulé : « Aux sources de l’utopie numérique : De la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence[82] ».
Comme expliqué dans l’ouvrage, le mouvement Hippie « utilisera tout ce qui était à sa disposition à l’époque pour parvenir à ses fins : LSD, spiritualités alternatives, mais également objets technologiques les plus en pointe grâce à l’influent Steward Brand, génial créateur d’un catalogue interactif, ancêtre analogique des groupes de discussions numériques qui émergeront des années plus tard[83] ».
Comme autre témoignage qui permet d'établir un lien entre le contre-cutlure et le milieu informatique, il y eut aussi les propos tenus par David D. Clark, un autre pionnier d’Internet. Lors d’une plénière de la 24ᵉ réunion du groupe de travail sur l’ingénierie Internet, ce chef de projet prononça un discours, qui traduisait parfaitement les idées politiques des informaticiens de cette époque[84]. Celui-ci comprenait l’affirmation suivante : « Nous récusons rois, présidents et votes. Nous croyons au consensus et aux programmes qui tournent[85] ». Deux phrases seulement, à partir desquelles il est tentant de croire, que le mépris de la contre-culture des années 60 envers la technique et la science, se transforma, dans le monde informatique universitaire, en refus d’autorité.
Une fois le réseau Internet mis en place, de nombreuses applications s’y sont alors développées. La plus connue de toutes est certainement le World Wide Web que l’on intitule plus fréquemment « le Web » ou « la toile » en français. Tim Berners-Lee en fut l’inventeur, lorsqu’il était encore actif au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN). Il eut effectivement l’idée de créer un espace d’échange public par l’intermédiaire du réseau Internet. Et pour ce faire, il mit au point le logiciel « WorldWideWeb », rebaptisé Nexus par la suite afin d’éviter toute confusion avec l’expression World Wide Web[86]
Ce programme informatique, permis de produire et de connecter entre eux des ordinateurs contenant des espaces numériques intitulés sites Web, eux-mêmes composé de page web, ceci grâce à un système d’indexation intitulé hypertexte. Pour permettre ce type de référencement, Berners-Lee mit au point un protocole appelé Hypertext Transfer Protocol ou HTTP. Il s’agit d’un principe relativement simple en soi, mais techniquement difficile à mettre en œuvre puisqu’il consiste à créer un espace numérique formé par l’ensemble des pages et sites Web produits au sein de l’application.
Pour veiller au bon usage de cet espace, des règles et des protocoles de standardisation furent édictés par l’association Internet Society, ceci avant que Berners-Lee fonde le W3C, un consortium international qui a pour but de faire respecter ces protocoles, tout en défendant cette devise : « un seul Web partout et pour tous[87] ». Un slogan qui peut nous apparaitre bien naturel aujourd’hui, alors que l’invention de Tim Berners-Lee, et par conséquent, l’idée même du World Wide Web, a bien failli être repris par des acteurs commerciaux.
Le trente avril 1993, suite au dépôt du logiciel WorldWideWeb dans le domaine public par Robert Cailliau, un autre chercheur du CERN qui assistait Berners-Lee dans la promotion de son projet, ce scénario était en effet devenu tout à fait possible. Et c’est précisément ce que nous explique Quentin Jardon dans son livre intitulé Alexandria[88], dans lequel il raconte l’histoire de la création du Web, en s’intéressant à l’histoire de Robert Caillau :
La philanthropie de Robert, c’est très sympa, mais ça expose le Web à d’horribles dangers. Une entreprise pourrait s’emparer du code source, corriger un minuscule bug, s’approprier le « nouveau » logiciel et enfin faire payer une licence à ses utilisateurs. L’ogre Microsoft, par exemple, serait du genre à flairer le bon plan pour écraser son ennemi Macintosh. Les détenteurs d’un PC devraient alors débourser un certain montant pour profiter des fonctionnalités du Web copyrighté Microsoft. Les détenteurs d’un Macintosh, eux, navigueraient sur un Web de plus en plus éloigné de celui vendu par Bill Gates, d’abord gratuit peut-être, avant d’être soumis lui aussi à une licence.
Heureusement, en octobre 1994, et suite au départ de Berners-Lee, choisi pour présider le W3C, François Flückiger, qui avait repris la direction de l’équipe de développement technique du CERN[89], eut la présence d’esprit de se rendre à l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle suisse, pour retirer le code de l’éditeur HTML du domaine public et le placer sous licence libre. Cet acte salvateur eut pour effet d’apposer la propriété intellectuelle du CERN sur les inventions de Berners-Lee, et d’éviter une bataille commerciale telle que décrite précédemment, et qui par ailleurs, eu lieu entre les entreprises commerciales, mais uniquement au niveau de l’usage des navigateurs web, et non pas au niveau du droit d’accès et d’usage de l’espace web.
En prenant connaissance de ces nouveaux épisodes de l’histoire de la révolution numérique, on comprend que la préhistoire du mouvement Wikimédia a été faite de nombreuses innovations culturelles et techniques imbriquées les unes aux autres. On découvre aussi que ce passé fut traversé par une importante bataille idéologique, qui a opposé des acteurs en recherche de liberté et d’indépendance, à d’autres acteurs en quêtes de monopole commerciaux. Une bataille prit d’ailleurs un tournant décisif aux alentours de 1995, lorsque le réseau Internet s’ouvrir aux usages commerciaux. C’était à la suite d'un gros changement d’infrastructure du réseau, auquel succéda la disparition de l’Advanced Network and Services, une société à but non lucratif considérée comme épine dorsale d’Internet et qui permettait l’accès au réseau aux autres sociétés sans but lucratif.
Suite à cela, l’Internet est devenu petit à petit ce que nous connaissons aujourd’hui, à savoir un réseau dont l’usage se voit pratiquement monopolisé par des sociétés commerciales devenues les plus riches au monde. Heureusement, ce changement majeur dans l’histoire d’Internet, n’a pas empêché l’apparition et l’usage des plateformes wiki, cet ultime outil technique, qui permit à des internautes bénévoles, répartis aux quatre coins du monde, de produire une encyclopédie universelle, libre d’accès, d’usage et d’édition.
Les plates-formes Wiki
Un wiki ou moteur de wiki est un programme informatique, qui une fois placé sur un serveur, permet la production d’un site web éditable et configurable à l’aide d’un simple navigateur. Pour le dire de manière plus technique, c’est un système de gestion de contenu, dont les paramètres et le contenu peuvent être modifiés à partir d’un ordinateur équipé d’un navigateur web et connecté à l’aide d’une adresse IP. En se connectant à un compte via un login et un mot de passe, et en fonction des droits octroyés à ce compte, on peut alors participer à la construction du site web.
Chaque modification faite à une page d’un site web géré par un Wiki provoque un nouvel enregistrement complet du code informatique qui la compose, de telle sorte qu’il est toujours possible si besoin, au départ d’une page reprenant l’historique des modifications, de rétablir une de ses anciennes versions. Avec ce système d’archivage, on peut aussi savoir compte ou adresse IP est à l’origine d’un changement, tout en visualisant l’endroit où la modification se trouve, et même à la minute près, à quel moment il fut réalisé.
Le premier logiciel Wiki fut créé par Ward Cunningham en mars 1995 sous le nom de WikiWikiWeb et son code informatique fut placé sous licence libre GPL[90]. En raison de ce choix, de nombreux autres logiciels similaires ont pu voir le jour, en recopiant ou s’inspirant de ce qui avait déjà été réalisé, avant d’être placés à leur tour sous licence GPL, afin de respecter la clause de partage à l’identique.
Parmi les différents logiciels Wiki disponibles, la société Bomis, qui finança le premier projet Wikipédia en anglais, choisit UseModWiki. Ce programme avait pour avantage de répondre à toutes les attentes, puisqu’il était en même temps gratuit, simple d’utilisation et peu gourmand en ressources informatiques. Une véritable aubaine somme toute pour une entreprise qui peu après le lancement de son projet d’encyclopédie commerciale était confrontée à de grosses difficultés financières.
Environ un an après le lancement du projet Wikipédia, soit le vingt-cinq janvier 2002, UseModWiki fut remplacé par un autre moteur de Wiki sans nom, plus performant et toujours produit sous licence libre[91]. Ce dernier fut ensuite amélioré par plusieurs programmeurs, dont Brion Vibber, le premier employé de la Fondation Wikimédia. Raison pour laquelle sans doute, le logiciel fut finalement rebaptisé MediaWiki, en s’inspirant d’un jeu de mots proposé par un contributeur de Wikipédia.
Par la suite, la Fondation poursuivit le développement du logiciel avec le concours de nombreux employés, aidés par des bénévoles actifs sur le site mediawiki.org. Et comme vu précédemment, la mise au point de ce système de gestion de contenu, situé en tête de classement des wikis par son taux d’utilisation[92], profite ainsi à des milliers d’autres personnes, projets et sites Web[93], qui ne font pas partie du mouvement Wikimédia. Au vu de ce succès, ce sont d’ailleurs des centaines de personnes intéressées par le logiciel MediaWiki qui se rassemblèrent chaque année de 2016 à 2020[94], pour discuter de son développement et de ses usages[95].
Il faut enfin signaler que dans la liste des logiciels Wiki se trouvent d’autres logiciels libres intéressants, tel que DokuWiki, dont l’absence de base de données et la simplicité d’installation et d’usage a contribué à sa popularité. Jusqu’à ce jour néanmoins, seul MediaWiki semble suffisamment stable et puissant pour gérer de manière optimale la plus grande encyclopédie de tous les temps. Une encyclopédie qui, dès sa conception, fut imaginée comme ressource libre et universelle.
L’encyclopédie libre et universelle
Sans cette série d’innovations techniques et culturelles présentées précédemment, Wikipédia n’aurait donc jamais pu voir le jour, avant de devenir la plus grande encyclopédie libre et universelle connue en ce monde. Son objectif est de synthétiser la totalité du savoir humain. Ce qui n’est autre, finalement, qu’un vieux rêve de notre humanité. Car trois cents ans avant Jésus-Christ et durant la création de la bibliothèque d’Alexandrie, ce désir était aussi celui de Ptolémée Iᵉʳ. Puis, deux siècles plus tard, celui de Denis Diderot, qui mourut en 1784 après avoir coproduit l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Et de manière plus récente, celui de Paul Otlet, qui s’était mis en tête de répertorier l’ensemble du savoir humain tout au long de la première moitié du vingtième siècle.
Peu connu à ce jour, ce Belge fut, en 1905, le cocréateur d’une classification décimale universelle toujours en usage dans des bibliothèques du monde entier. Mais son rêve était avant tout de cataloguer le monde en rassemblant, au sein d’un Mundaneum, toutes les connaissances humaines sous la forme d’un gigantesque répertoire bibliographique universel[96]. En 1934, dans le Traité de documentation écrit par cet homme qui voulait « classer le monde[97] », apparait un songe particulièrement visionnaire. Dans celui-ci, Otlet décrit en effet d’une étonnante manière, pour son époque, comment le savoir et l’information pourrait être un jour partagés[98] :
Ici, la Table de Travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas, au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements, avec tout l’espace que requiert leur enregistrement et leur manutention…
De là, on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la question posée par téléphone avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut-parleur si la vue devrait être aidée par une audition. Une telle hypothèse, un Wells certes l’aimerait. Utopie aujourd’hui parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait devenir la réalité de demain pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation.
Il est ainsi incroyable qu’une utopie décrite en 1934 par Otlet se réalise exactement, ou à peu de chose près, au cours des années 2000. Car pour la plupart des usagers du réseau Internet, trouver une information se résume à accomplir ce qui est décrit dans ce songe visionnaire. Premièrement, allumer un écran d’ordinateur, avec ou sans fil, ensuite poser une question dans un moteur de recherche, puis, se voir rediriger, dans près de 88.7 % des cas, vers la célèbre encyclopédie libre[99].
Comme autre fait surprenant concernant l’histoire des encyclopédies, il y eut aussi ce qui fut réalisé cinq ans avant la naissance de Wikipédia par Aaron Swartz. À l’âge de douze ans seulement, cet activiste de la culture libre qui s’est donné la mort avant son procès pour fraude électronique, avait effectivement lancé une sorte de site encyclopédique, qui déjà se voulait être produite et gérée par ses usagers[100]. Intitulé The Info Network, ce projet lui aura même valu la remise du prix d’ArsDigita Prize, offert aux jeunes créateurs d’un projet « utiles, éducatifs, collaboratifs et non commerciaux[101] ».
Ensuite, il est important de signaler que le concept d' « encyclopédie libre et universelle » fut formulée pour la première fois par Richard Stallman en 1998, soit un an avant la naissance de Wikipédia, dans un essai intitulé The Free Universal Encyclopedia and Learning Resource[102]. Repris ci-dessous, un extrait de ce texte, qui, selon l’auteur, fut rédigé deux ans avant sa publication sur la liste de diffusion du projet GNU en décembre 2000[103], suffit à démontrer que le projet Wikipédia ne fut pas entièrement conceptualisé par ses fondateurs.
Le World Wide Web a le potentiel de devenir une encyclopédie universelle couvrant tous les domaines de la connaissance et une bibliothèque complète de cours d’enseignement. Ce résultat pourrait être atteint sans effort particulier, si personne n’intervient. Mais les entreprises se mobilisent aujourd’hui pour orienter l’avenir vers une voie différente, dans laquelle elles contrôlent et limitent l’accès au matériel pédagogique, afin de soutirer de l’argent aux personnes qui veulent apprendre.
Nous ne pouvons pas empêcher les entreprises de restreindre l’information qu’elles mettent à disposition ; ce que nous pouvons faire, c’est proposer une alternative. Nous devons lancer un mouvement pour développer une encyclopédie libre universelle, tout comme le mouvement des logiciels libres nous a donné le système d’exploitation libre GNU/Linux. L’encyclopédie libre fournira une alternative aux encyclopédies restreintes que les entreprises de médias rédigeront[104].
Lorsque Stallman fait référence à un « mouvement pour développer une encyclopédie libre universelle », il anticipe de la sorte, et bien avant l’heure, la venue du mouvement Wikimédia qui ne fut finalement conceptualisé que plusieurs années après la création du projet Wikipédia. Et dans la soixantaine de paragraphes qui décrivent son projet, on retrouve d’ailleurs à peu de choses près les 5 principes fondateurs[105] qui furent édités lors de la création de Wikipédia.
Le premier de ces principes consistait bien sûr à créer une encyclopédie. Le deuxième fit appel à une recherche de neutralité de point de vue[106], alors même que Stallman stipulait déjà qu’« en cas de controverse, plusieurs points de vue seront représentés ». Le troisième principe, marquait l’usage et le respect des droits d’auteur et l’adoption d’une licence libre, qui rappelons-nous fut produite à l’époque par Richard Stallman. Le quatrième, inscrivait le projet dans une démarche collaborative, alors que Stallman spécifiait que « tout le monde est le bienvenu pour écrire des articles ». Et le cinquième, finalement, stipulait qu’il n’y a pas d’autres règles fixes, chose commune dans la philosophie des hackers.
Le projet Wikipédia ne fut donc pas une idée originale en soi, mais plutôt une opportunité saisie par la société Bomis, pour enrichir son encyclopédie commerciale en ligne intitulée Nupedia. Celle-ci avait été créée en avril de l’année 2000, soit environ dix mois avant Wikipédia et sa rédaction était assurée par des experts engagés au sein d’un processus éditorial formel[107]. Malheureusement pour la firme, le nombre d’articles progressait très lentement. Ceci jusqu’à ce que Larry Sanger, docteur en philosophie et rédacteur en chef de Nupedia, fasse installer un logiciel wiki sur les serveurs de l’entreprise, malgré le manque d’enthousiasme de son employeur Jimmy Wales[108].
Ainsi donc commença l’histoire de Wikipédia[109]. C’était le quinze janvier 2001 et précisément le même mois où Richard Stallman avait ouvert son propre projet d’encyclopédie libre et universelle intitulé GNUPedia, avant d’être rebaptisée « GNE » compte tenu du fait que les noms de domaines gnupedia .com .net et .org avaient déjà été achetés par Jimmy Wales[110]. Un fait quelque peu surprenant quand on sait que Wales affirma un jour[111] : « n’avoir eu aucune connaissance directe de l’essai de Stallman lorsqu’il s’est lancé dans son projet d’encyclopédie[112] ».
Ce qui ne fait aucun doute par contre, c’est que le site GNE ne se présentait pas comme une encyclopédie, mais plutôt comme un blog collectif[113]. Certains ont même qualifié le projet de base de connaissance[114], alors que sa page d’accueil stipulait clairement qu’il s’agissait plutôt d’une bibliothèque d’opinions[115]. Ensuite, et même si le projet engagea une personne pour assumer sa modération, celle-ci s’avéra plus compliquée que prévu. Tandis que du côté de Wikipédia et en raison sans doute des spécificités de l’environnement Wiki, une certaine organisation fut spontanément mise en place par la communauté active au sein du projet.
Par la suite, et probablement en raison de la concurrence crée par le développement du projet GNE, Jimmy Wales abandonna le copyright que Bomis détenait sur son encyclopédie, pour le remplacer par une licence Nupedia Open Content[116], juste avant d’adopter finalement la licence de documentation libre GNU précédemment créé par Stallman. Ce fut là une action stratégique payante, vu que l’initiateur du logiciel libre décida finalement de suspendre le projet GNE, avant de transférer son contenu au sein de Nupedia, tout en encouragea les gens à contribuer sur Wikipédia[117].
Comme autre action de Jimmy Wales favorable à la réussite du projet Wikipédia, il y eut ensuite celle d’ouvrir le projet aux « gens ordinaires[118] ». C’était un choix qui s’opposait aux idéaux de Larry Sanger, qui de loin préférait le modèle de Nupedia avec sa relecture par un comité d’experts. Mais il avait pour avantage, aux yeux de l’homme d’affaires, de garantir une croissance plus rapide du contenu de son encyclopédie[111].
Par la suite, l’éclatement de la bulle spéculative Internet et des restrictions budgétaires qui suivirent le Krach boursier de 2001-2002, placèrent la société Bomis en incapacité de payer le salaire de Sanger. En mars 2002 et suite à un mois d’activité bénévole, l’ex-employé de la firme décida de quitter ses fonctions au sein du projet Nupedia et Wikipédia[119]. Ce qui n’empêcha pas le projet Wikipédia, par la suite, de poursuivre son développement avec le concourt d’une communauté bénévole soutenue par Jimmy Wales. Et il en alla ainsi jusqu’en septembre 2003, où, faute de productivité, ce fut finalement le projet Nupedia qui vit ses articles transférés vers Wikipédia.
Trois ans plus tard cependant, Larry Sanger n’avait pas dit son dernier mot. Il décida de lancer en septembre 2006 et sur fonds propres, un projet analogue à Nupedia intitulée Citizendium. Il s’agissait d’une encyclopédie écrite en anglais, qui reposait sur un système d’expertise dans lequel les contributrices et les contributeurs doivent s’enregistrer sous leur identité réelle. En 2010 cependant, Citizendium ne dépassait pas les 30 000 articles, alors que le projet Wikipédia rédigé en anglais dépassait, pour sa part et à cette même période, les 3 millions d’articles.
En poursuivant le projet Wikipédia, Jimmy Wales a donc contribué à la construction d’une encyclopédie dont la taille et la visibilité n’avait jamais été égalée auparavant. Une encyclopédie qui rapidement, à l’image de sa version francophone apparue un peu moins de quatre mois après le projet en anglais[120], fut déclinée en de nombreuses versions linguistiques, et ce, jusqu’à constituer les premières bases d’une organisation mondiale.
Pendant ce temps, un autre fait remarquable allait contribuer à la création du mouvement Wikimédia. Ce fut l’apparition de plus d’une dizaine d’autres projets pédagogiques et collaboratifs en ligne. Appelés en français « projets frères de Wikipédia », ceux-ci se multiplièrent à leur tour, en de nombreuses versions linguistiques parallèles à celles de Wikipédia, tout au long du processus de création du mouvement Wikimédia.
L'arrivée des projets frères
Après Wikipédia, d’autres projets éditoriaux collaboratifs virent le jour dans l’écosystème Wikimedia, dans le but de développer des contenus pédagogiques, qui ne trouvaient pas leurs places au sein de l’encyclopédie. Tous ces projets furent par la suite répertoriés chronologiquement sur une page web accessible par le code QR repris à droite de ce paragraphe et qui se trouve sur Méta-Wiki, la plate-forme de référence en ce qui concerne tout ce qui est commun à l’ensemble des projets Wikimédia. Comme autre vue synthétique de l’arrivée des projets, il y a ensuite un graphique créé par Guillaume Paumier, à l’occasion du dixième anniversaire de Wikipédia. Accessible via le code QR repris à côté du prochain paragraphe, cette illustration permet de visualiser sur une ligne du temps, l’apparition des différents projets ainsi que d’autres évènements notoires.
Dans la partie libellée « sister projects » de ce document, on découvre que le premier site web créée après les premières versions linguistiques de Wikipédia fut Méta-Wiki. Suite à l’apparition de nombreuses versions linguistiques au niveau de l’encyclopédie libre, la nécessité de centraliser les questions communes aux projets devint effectivement une priorité. Méta-Wiki ne cessa ensuite de se développer, jusqu’à devenir aujourd’hui la plate-forme dédiée à la coordination et la communication entre tous les projets pédagogiques, mais aussi entre ceux-ci, la Fondation et tous les organismes affiliés au mouvement.
Pendant que les nouvelles versions linguistiques de Wikipédia ne cessèrent de se joindre au projet initial en anglais, sept autres projets de partage de la connaissance firent leur apparition avant de se voir distribués en plusieurs versions linguistiques. En général cela se réalise à l’initiative d’un petit groupe de personnes actives au sein d’un projet existant. Le projet Wiktionnaire en anglais, par exemple, créé le douze décembre 2002, fut ainsi le deuxième projet à voir le jour après Méta-Wiki, alors qu’il fallut encore attendre deux ans, soit jusqu’en mars 2004, pour que la version francophone du projet lexical soit mise en place[121].
Il est d’ailleurs intéressant de signaler que cette version n’a pas pris naissance au sein du projet anglophone, mais bien dans le projet Wikipédia en français où se développa un débat dans lequel apparaissaient les avis contraires sur la création du projet repris ci-dessous[122] :
En fait, ce qui me peine vraiment avec le projet Wiktionary, c’est que alors qu’on essaie de rassembler les gens (pas facile) pour créer une sorte de tour de Babel de la connaissance (tâche bien longue et difficile), ce nouveau projet va disperser les énergies pour une raison qui ne me semble pas valable. C’est la création de Wiktionary qui va créer des redondances. À mon avis il existera rapidement des pages sur le même mot, mais ne contenant pas les mêmes informations. Pour quelle raison ces connaissances devraient-elles être séparées ? Les encyclopédies sur papier devaient faire des choix à cause du manque de place, mais nous, pourquoi le ferions-nous ??? "Wikipédia n’est pas un dictionnaire" n’est pas un argument à mon avis... si vraiment c’était pas un dictionnaire, il faudrait virer tout un tas d’article. Je ne comprends vraiment pas cette volonté de séparer la connaissance entre ce qui est "encyclopédique" et ce qui n’est "qu’une définition".
Pour moi ce qu’est Wiktionary, c’est une partie de Wikipédia s’intéressant plus particulièrement aux aspects linguistiques des mots. La différence que je verrais entre la partie dictionnaire de Wikipédia et sa partie dite encyclopédique, c’est que la partie dictionnaire s’intéresserait au sens des mots eux-mêmes alors que la partie encyclopédie s’attache plus à faire ressortir un état des connaissances à un moment donné. Le pourquoi de la séparation d’avec la partie encyclopédie tient plus à des raisons techniques qu’à une volonté de monter un projet indépendant, en effet, à mon humble avis, un dictionnaire nécessite une plus grande rigueur (de présentation) qu’une encyclopédie. Ceci entraîne beaucoup de problème et entre autres le choix de la mise en forme des articles du dictionnaire.
Dans le cas du projet Wiktionnaire en français, sa séparation de Wikipédia fut donc motivée par des besoins techniques, mais également par un désir d’autonomie quant à la manière de concevoir et de présenter des ressources lexicales. Et ce désir ne fut toutefois pas partagé par tous, notamment compte tenu d’une fatale dispersion des énergies. Créer un nouveau projet, c’est effectivement créer un nouveau site web qui devra faire l’objet d’une nouvelle gestion, tant au niveau des serveurs de la Fondation, qu’au niveau d’une communauté nouvelle et forcément plus modeste. Bien sûr, il est toujours possible d’importer des pages d’autres projets frères ou de traduire celles d’une autre version linguistique, mais cela duplique alors aussi leurs maintenances et leurs mises à jour. Le choix de scinder un projet au profit d’une plus grande liberté a donc un prix.
Ce genre de considérations n’auront toutefois pas empêché le projet anglophone Wikibooks de faire son apparition le dix juin 2003, soit près d’un an avant la version francophone, apparue le vingt-deux juillet 2004, peu de temps avant que le projet soit rebaptisé Wikilivres. Cette création avait de nouveau été débattue à l’intérieur du projet Wikipédia en français et non dans celui du Wikibooks en anglais, bien que dans les deux camps linguistiques, l’objectif était de créer une « bibliothèque de livres pédagogiques libres que chacun peut améliorer[123] ».
Au niveau du projet anglophone, apparut ensuite en 2004 un nouvel espace de noms intitulé Wikijunior. Dans le but de répondre à un financement de la fondation Beck, il s’agissait en gros de créer un espace spécifique au sein du projet pour produire de la littérature pour des enfants de huit à onze ans[124]. Une fourchette d’âge qui passa de zéro à douze ans, quand le projet se développa sur le site du projet en français[125].
Un an plus tard, et à la suite de quelques débats apparus dans le projet anglophone[126], vint ensuite l’idée de créer un nouveau sous-projet intitulé Wikiversity. L’objectif était cette fois de « créer une communauté de personnes qui se soutiennent mutuellement dans leurs efforts éducatifs[127][128] ». Cependant, le douze août 2005, une longue discussion remit en question l’existence de ce sous-projet éducatif au sein de Wikibooks. Et il fut même question de le supprimer, juste avant que finalement, on décide de transférer son contenu vers le projet Méta-Wiki[129].
Après ce transfert, de nouvelles discussions aboutirent à l’idée de faire de Wikiversité un nouveau projet indépendant[130]. Les membres de la communauté Wikimédia furent ainsi invités à participer à un vote qui permit de rassembler une majorité des deux tiers en faveur de la création du projet, tel que cela avait été demandé par le conseil d’administration de la Fondation Wikimédia[131]. Cependant, le treize novembre 2005, le projet ne fut pas accepté par cinq membres du conseil qui demandèrent une « réécriture de la proposition pour en exclure la remise de titre de compétence, la conduite de cours en ligne, et de clarifier le concept de plate-forme e-learning[132][133] ».
Rectification faite, le projet pu ainsi bénéficier d’une période d’essai avant de trouver sa place de manière définitive au sein du mouvement. Voici repris ci-dessous et extrait des premiers débats tenus au sujet du lancement du projet, un commentaire qui commente des réticences présumées du conseil d’administration, concernant le lancement du projet[129] :
La principale raison pour laquelle la Fondation Wikimédia ne veut pas "lâcher le morceau" est une simple question de bureaucratie et la crainte que le projet ne devienne une autre Wikispecies. Wikispecies est une idée cool, mais les "fondateurs" du projet se sont dégonflés à mi-chemin de la mise en place du contenu et ont décidé de faire une révision majeure qui a pris plus de temps que ce que tout le monde était prêt à mettre. Le même problème s’applique à Wikiversity en ce qui concerne la Fondation, parce que les objectifs et les buts de ce projet ne sont pas clairement définis, et il semble que les participants essaient de mordre plus qu’ils ne peuvent mâcher en proposant une université de recherche multi-collèges entière (avec un statut de recherche et une accréditation Carnegie-Mellon également) à former de toutes pièces plutôt qu’un simple centre d’éducation pour adultes avec quelques classes. Si plus de réflexion est faite sur la façon de "démarrer" ce projet entier, peut-être que quelques pensées sur la façon de convaincre le conseil de la Fondation de laisser un wiki séparé être lâché pour laisser ce projet essayer de se développer par lui-même peuvent être faites[134].
Il fallut donc attendre le trente-et-un juillet 2006, soit neuf mois supplémentaires, pour que les amendements apportés au projet de départ[135] soient acceptés par le special projects commitee, spécialement conçu pour soulager le conseil d’administration de la Fondation dans ses fonctions[136]. Et c’est suite à ce feu vert, que le site Beta-Wikiversity, en tant qu’espace de lancement des différentes versions linguistiques, fut mis en place[137], avec pour objectif d’élaborer durant six mois les lignes directrices concernant les utilisations potentielles du projet Wikiversité dans le cadre de recherches collaboratives[138]. Depuis lors, à chaque fois qu’une nouvelle version linguistique développée sur Beta-Wikiversity connaît plus de 10 modifications par mois, et qu’elle regroupe au moins 3 participants, un nouveau site web est créé pour en permettre un développement autonome.
Avec la plateforme de lancement Wikisource multilingue[139], Beta-Wikiversity apparaît donc comme le deuxième espace de création de versions linguistiques externes au site Wikimedia Incubator[140]. La mission de cette dernière plate-forme créée à la même époque que Beta-Wikiversité, est de lancer les nouvelles versions linguistiques des projets éditoriaux Wikimédia à l’exception de Wikisource et Wikiversité.
Un transfert des activités de Wikivesity Beta vers Incubator fut aussi discuté, en 2008[141], 2013-2015[142] et 2017[143], mais toujours sans succès. Les raisons de ces refus furent essentiellement le manque d’enthousiasme de la communauté, la quantité de travail que cela représente et la prise en compte des spécificités d’un projet dans lequel on produit des recherches originales, des exercices, etc.
Dans un autre cas de figure, le projet Wikivoyage fit son apparition dans le mouvement d’une manière différente aux autres projets. Ce guide de voyage vit en effet le jour en 2003 dans un Wiki extérieur au mouvement Wikimédia intitulé Wikitravel[144]. Comme cela arrive parfois, ce projet, au départ sans but lucratif, fut racheté par une entreprise commerciale en 2006. Suite au changement de gouvernance et à l’introduction de publicités sur le site web, une scission est apparue au sein de la communauté d’éditeurs. Celle-ci déboucha sur la création de Wikivoyage, un projet parallèle à Wikitravel qui reçut en 2007, le Webby Award du meilleur guide de voyage Internet[145].
Puis, en 2012, un appel à commentaires rassembla plus de 540 personnes en faveur de l’intégration de Wikivoyage dans l’écosystème Wikimédia[146]. Comme cette nouvelle déclenchait une migration importante de personnes de Wikitravel vers Wikivoyage, une plainte fut alors déposée par la société commerciale. Mais comme celle-ci fut rejetée par le tribunal en charge de son traitement, le projet Wikivoyage pu alors prendre l’ampleur au sein du mouvement Wikimédia, avec la création de nouvelles versions linguistiques[147].
Il faut ensuite savoir que de nouveaux projets ou sous-projets pédagogiques sont toujours susceptibles de voir le jour au sein du mouvement Wikimédia. Comme exemple, il y a le WikiJournal apparu sur Wikiversité en anglais avant d’obtenir l’Open Publishing Awards en 2019[148]. Une récompense qui n’empêcha pas pour autant la demande de lancement du projet sur un nouveau site web, de rester en fil attente tant que le conseil d’administration de la Fondation considèrera que le projet n’est pas suffisamment abouti[149].
Tout comme Wikijournal, des centaines de demandes d’ouvertures de sites web dédiés à de nouveaux projets[150] sont ainsi en attente d’évaluation. Ces attentes se soldent bien souvent par un refus, à l’image du projet WikiLang[151] dont le but était de lancer un laboratoire linguistique. Ce qui n’empêche pas parfois certains projets de voir le jour, comme ce fut le cas du projet Abstract Wikipedia[152] et son extension Wikifunctions qui fut accepté par le conseil d’administration en mai 2020[153].
Il s’agit là de deux projets interconnectés de grande envergure, dont l’ambition consiste à produire des articles encyclopédiques automatiquement traduit dans la panoplie des langages naturels. Les phrases seraient formées par des fonctions informatiques qui tireraient profit de la gigantesque base de données sémantiques produites dans Wikidata, un autre projet relativement récent créé en octobre 2012. À terme, le contenu de Wikidata devrait donc se retrouver traduit et agencé par Wikifunctions, dans le but de produire des articles encyclopédiques rassemblés sur Abstract Wikipedia[154].
Il peut arriver ensuite qu’un projet vienne à disparaître, et il existe d’ailleurs sur la plateforme Méta-Wiki, une liste de sites web proposés à la suppression[155]. Dans celle-ci, on retrouve essentiellement des versions linguistiques de projets qui n’ont pas réussi à poursuivre leurs développements.
En 2005 et peu de temps après son lancement, le recueil de citations Wikiquote en français a ainsi failli disparaitre. Il était en effet accusé d’avoir récupéré le contenu d’une base de données soumise à un droit d’auteur incompatible avec la licence Creative Commons appliquée sur l’ensemble des projets éditoriaux Wikimédia. La plainte fut adressée à l’association Wikimédia France avant de parvenir sur le site Méta-Wiki où il fut question de fermier le projet[156]. Celui-ci fut toutefois maintenu, mais avec pour conditions de repartir de zéro et d’établir une charte pour garantir la traçabilité des citations reprises par le projet[157].
Sans prendre le temps de faire le tour de tous les projets apparus au sein du mouvement, voici donc de quoi se faire une idée sur la manière dont les projets frères et leurs versions linguistiques font leurs apparitions. Les exemples repris ci-dessus suffisent effectivement pour comprendre les principes généraux qui sous-tendent leurs créations.
Au-delà de sites Méta-Wiki, Wikidata, Wikifunctions, Abstract Wikipedia et Wikimedia Commons qui ont répondu à certains besoins de coordination et de centralisation, les autres projets semblent effectivement provenir d’un désir de spécialisation d’un projet préexistant au sein du même régime linguistique. Une idée généralement débattue avant son transfère sur la plate-forme Méta-Wiki, en attente qu’une autorisation de lancement soit accordée par le conseil d’administration de la Fondation. Cela alors que les nouvelles versions linguistiques des projets déjà existant doivent simplement faire leurs preuves sur le site Incubator, Beta-Wikiversité ou Wikisource Multilingue, avant de bénéficier d’un site web indépendant.
D’un point de vue chronologique enfin, il reste à signaler que certains projets frères et versions linguistiques, sont apparus avant même que le terme Wikimédia soit créé. Ce qui veut dire que bien avant que l’on parle de mouvement, toute une série de projets s’était déjà développée dans un brassage de langues et de cultures différentes, et avec l’aide d’une coordination centrale réalisée sur la plateforme Méta-Wiki. La naissance de Wikimédia en ce sens ne fut donc pas un événement ponctuel en soi, mais plutôt la réalisation d’un long processus, qui fut un jour identifié comme un mouvement social à par entière.
L'apparition du mouvement
Avant de parler de la conceptualisation du mouvement Wikimédia, on est en droit de se questionner sur l’origine d’une appellation aussi étrange pour un mouvement. On peut ensuite se demander si tous les sites dont les noms contiennent l’expression Wiki sont en relation avec le mouvement. Alors qu’en réalité, 95 % des 20 000 sites web fonctionnant sur une technologie wiki n’ont aucun lien avec celui-ci, à l’exception peut-être qu’ils utilisent le logiciel MediaWiki développé par la Fondation Wikimédia[158].
WikiLeaks par exemple, créé par Julian Assange dans le but de publier des documents classifiés provenant de sources anonymes, n’est à ce titre ni un projet Wikimédia, ni un site collaboratif ouvert à tous. À l’inverse, le recueil universel et multilingue de guides illustrés WikiHow, fonctionne quant à lui de manière collaborative et avec le logiciel MediaWiki développé par la Fondation Wikimédia[159]. Néanmoins, son ergonomie, radicalement différente de celle des projets Wikimédia, permet de comprendre au premier coup d’œil que ce site web ne fait pas partie du mouvement.
Le projet Wikimini, qui est une encyclopédie libre pour enfants, a en revanche une apparence très proche de celle des projets Wikimédia. Mais contrairement au souhait de Laurent Jauquier qui en fut le créateur, ce projet n’aura jamais été accepté par la Fondation Wikimédia, très frileuse à l’idée de gérer du contenu pour jeune public. Suite à quoi, les projets WikiTribune et Fandom (anciennement intitulé Wikia), jettent encore un peu plus le trouble concernant une éventuelle appartenance au mouvement. Ces deux projets furent en effet fondés par Jimmy Wales, tout comme Wikipédia et la Fondation Wikimédia[160], alors qu’il n’a jamais été question de les intégrer au sein du mouvement, vu qu’ils sont tous deux à finalité lucrative.
Concernant l’étymologie du mot « Wikimédia », retenons que celui-ci est un mot-valise composé du suffixe média et du préfixe « wiki » que l’on doit à cette expression hawaïenne « wiki wiki », qui peut se traduire par « vite, vite[161] » en français. Récupéré une première fois par Ward Cunningham, le créateur du premier moteur Wiki, la formule fut ensuite utilisée dans la composition d’autres noms de logiciels wiki. Ce fut le cas du programme UseModWiki, utilisé par la firme Bomis pour commencer à héberger son projet d’encyclopédie collaborative. Le terme wiki fut ensuite gardé pour créer le mot Wikipédia, en association avec le suffixe « pedia » qui fait référence au mot anglais encyclopedia, selon un principe qui fut ensuite repris lors de la création des nouveaux projets au sein du mouvement.
Quant au mot Wikimédia, il n’est apparu que le seize mars 2003, lors d’une discussion concernant la déclinaison possible de l’encyclopédie en d’autres types de projets éditoriaux participatifs. Durant celle-ci, l’écrivain américain Sheldon Rampton eu l’idée d’associer au terme wiki celui de « média » afin de mettre en évidence la variété des médias produits et partagés par Wikipédia et ses projets frères[162].
Quelques mois plus tard, le terme fut adopté lors de la création de la Fondation Wikimédia, après que Jimmy Wales décide d’y transférer les avoirs de sa firme Bomis que sont les noms de marques, noms de domaines et copyrights[163]. Il fallut ensuite attendre le mois de juin 2008, soit cinq années supplémentaires, pour que finalement Florence Devouard, présidente de la Fondation à cette époque, utilise le mot Wikimédia pour désigner le mouvement social qu’elle voyait apparaître à travers le développement d’une multitude de projets.
Affirmer que ce moment précis coïncide avec la naissance du mouvement serait quelque peu arbitraire. Car si l’on peut déterminer plus ou moins facilement l’apparition d’une expression dans les archives numériques, tout le monde sait qu’un mouvement social ne se forme pas en un jour. Dans le contexte du mouvement Wikimédia, sa naissance est aussi liée à celle du projet Wikipédia, ainsi qu’à tout ce qui permit la création de cette encyclopédie libre. Alors que dans une autre perspective, la naissance du mouvement pourrait tout aussi bien être associée à celle de la Fondation Wikimédia, créée le 20 juin 2003[164], ou encore à la mise en ligne de la plate-forme Méta-Wiki, déjà présentée précédemment.
Quoi qu’il en soit, l’expression « Wikimedia movement », apparut bel et bien sous la plume de Florence Devouard, dans un message datant de juin 2008, peu de temps avant qu’elle ne quitte son poste de présidente de la Fondation Wikimédia[165]. Sur la liste de diffusion de celle-ci[166], elle partagea en effet l’idée d’utiliser le nom de domaine Wikimedia.org pour y placer un site vitrine de présentation du mouvement Wikimédia selon cette description :
Le mouvement Wikimédia, comme je l’entends est
– une collection de valeurs partagées par les individus (liberté d’expression, connaissance pour tous, partage communautaire, etc.)
– un ensemble d’activités (conférences, ateliers, wikiacadémies, etc.)
– un ensemble d’organisations (Wikimedia Foundation, Wikimedia Allemagne, Wikimedia Taïwan, etc.), ainsi que quelques électrons libres (individus sans chapitres) et des organisations aux vues similaires[167]
Avant cette date clef, les personnes actives dans les projets éditoriaux en ligne ou dans les organismes affiliés, faisaient donc partie de ce que Ralf Dahrendorf appellerait un « quasi-groupe[168] ». Ou autrement dit, un ensemble d’individus qui ont un mode de vie semblable, une culture commune, mais dont les points communs ne gravitent pas autour d’une prise de conscience de leur position commune dans la relation d’autorité[169].
Constituer un mouvement à partir d’un ensemble de communautés d’éditeurs distribués sur des projets en ligne et hors ligne, eux-mêmes déclinés dans une multitude de langues, aura donc pris plus d’une dizaine d’années. Sans compter qu’aujourd’hui, de nombreuses personnes actives dans les projets Wikimédia, contrairement aux personnes qui participent aux rencontres physiques organisées au sein du mouvement, ne réalisent tout simplement pas qu’elles prennent part aux activités d’un mouvement social. Et c’est là une raison de croire que les activités organisées par la Fondation et ses différents organismes affiliés, ont joué un rôle crucial dans la création d’un sentiment d’appartenance à une cause commune.
La création des organismes affiliés
Si c’est grâce à l’arrivée des groupes et des organismes affiliés à la Fondation Wikimédia que l’idée d’un mouvement apparut autour des projets Wikimédia, il est alors intéressant d’en décrire aussi leurs processus de création. Mais étant donné que cela représente plusieurs centaines d’instances, présenter l’histoire de chacune d’entre elles serait une entreprise beaucoup trop fastidieuse.
De plus, s’il existe énormément d’archives web concernant la naissance des sites Wikimédia, ce n’est pas le cas pour ces organismes qui se forment et se développent principalement durant des rencontres ou des réunions hors ligne qui ne font l’objet d’aucun enregistrement, ni d’aucun archivage. Du reste, une bonne part des échanges effectués au sein de ces associations se font au travers de canaux de communications privés auxquels seuls les membres actifs ont accès.
Je me limiterai donc ici à parler de l’association Wikimédia Belgique pour laquelle je fis partie des membres fondateurs. Celle-ci fut fondée le huit octobre 2014 en tant qu’association sans but lucratif et fut reconnue le six août par le conseil d’administration de la Fondation[170], suite à plus de trois ans d’activités et de rencontres[171].
Sous l’impulsion de Maarten Deneckere qui assuma le premier mandat de présidence, nous étions 8 personnes à signer la première version des statuts de l’association[172], dont l’objet social consiste jusqu’à ce jour à « impliquer tout un chacun dans la connaissance libre[173] ». Notre création ne connut malheureusement pas l’essor de Wikimédia Deutchland, la première association nationale qui vit le jour le treize juin 2004. En mai 2021, celle-ci rassemblait plus de 85 000 membres et près de 150 employés[174], tandis qu’à cette même date, l’association belge fonctionnait toujours sans salarié et comprenait seulement 115 membres[175].
Avant d’être reconnues par le comité d’affiliations chargé de seconder le conseil d’administration de la Fondation, toutes les associations nationales, dites « chapters » en anglais, doivent réaliser un bon nombre de démarches. Celles-ci consistent à répondre à un ensemble de prérequis qui ont évolué suite à la création du comité en avril 2006[176]. Parmi ces obligations qui diffèrent d’un groupe d’utilisateurs et utilisatrices d’une association locale ou thématique, on retrouve par exemple : un nombre minimum de membres et de référents, une mission et un règlement d’ordre intérieur conformes aux attentes du mouvement, la remise de plans et de rapports d’activités annuels, etc.[177].
On comprend donc qu’il n’est pas évident de créer une nouvelle instance au sein du mouvement. Car pour bénéficier du soutien logistique et financier de la Fondation réservé aux organismes affiliés, c’est finalement toute une série de rapports qu’il faut alors transmettre à divers comités et commissions chargés de leurs évaluations. Cela représente une quantité de tâches administratives qu’il n’est pas toujours facile d’assumer, surtout lorsque les membres de l’organisme affilié sont tous des bénévoles. D’où sans doute cette disparition régulière d’affiliations, pendant que d’autres se créent ou réapparaissent en fonction des énergies et du dynamisme disponibles dans les équipes.
Les activités liées à la récolte et la redistribution des dons offerts au mouvement, ainsi que les autorisations d’usage de marques déposées, contrastent ainsi quelque peu avec les valeurs de libre partage et d’autonomie maintenues au sein des projets pédagogiques. Ce qui laisse présumer que la partie hors ligne du mouvement est plus influencée par les habitudes d’un système économique dominant, pendant que la partie en ligne semble plus fidèle à l’héritage philosophique de la contre-culture des années 60.
L'héritage d'une contre-culture
Au terme de cette première partie d’ouvrage, il apparait évident que la révolution numérique, que l’on considère généralement comme une révolution technique, fut aussi, et peut-être avant tout, une révolution sociale et culturelle. Au cours de cette récente révolution, qui prit cours en ce début de XXIe siècle, le mouvement Wikimédia s’est ainsi développé, pour finalement apparaitre comme un symbole de contre-culture. Ce symbole est bien sûr moins visible que celui des années 60, apparut dans un mouvement d’opposition à la guerre du Viêt Nam, ainsi qu’à une hégémonie culturelle favorable à la marchandisation du monde. Mais le symbole du mouvement Wikimédia, tout comme celui des années 1960, repose sur des bases philosophiques similaires.
D’ailleurs, avec un peu d’imagination, le renversement du logo du mouvement Wikimédia et de sa Fondation, ne fait-il pas penser au renversement de celui du mouvement Hippie ? Si cette démonstration n’est pas convaincante, on peut alors se référer à ce qui lie le mouvement Wikimédia à Richard Stallman, le gourou de la contre-culture hacker[178] et le père du système d’exploitation hippie[179], dont la philosophie fut largement commentée en cette première partie d’ouvrage. Un lien parfaitement illustré encore une fois, par une photo reprise ci-dessous, où l’on voit apparaitre Richard Stallman, barbe grisonnante et cheveux long, dans une attitude triomphante face au drapeau Wikimédia, lors de la première rencontre internationale du mouvement Wikimédia.
Quant aux enjeux des valeurs de la contre-culture du mouvement Wikimédia transmises par celui des logiciels libres, André Gorz, père de la décroissance[180] et théoricien de l’écologie politique[181], nous en offre sa propre synthèse[182] :
La lutte engagée entre les "logiciels propriétaires" et les "logiciels libres" (libre, "free", est aussi l’équivalent anglais de "gratuit") a été le coup d’envoi du conflit central de l’époque. Il s’étend et se prolonge dans la lutte contre la marchandisation de richesses premières – la terre, les semences, le génome, les biens culturels, les savoirs et compétences communs, constitutifs de la culture du quotidien et qui sont les préalables de l’existence d’une société. De la tournure que prendra cette lutte dépend la forme civilisée ou barbare que prendra la sortie du capitalisme.
En possédant le seul nom de domaine non commercial du top 50 des sites les plus fréquentés du Web[183], le mouvement Wikimédia apparaît donc comme l’une des pierres angulaires de cette lutte entre monde libre et monde propriétaire. Car au-delà du code informatique, s’il y a bien une chose qui se voit marchandisé au sein de l’écoumène numérique, c’est sans aucun doute le savoir. Un savoir dans lequel se retrouve aussi tout type d’informations relatives à l’identité et aux comportements des personnes actives dans les espaces web. Un « nouvel or noir » disent certains, alors que d’autres préfèrent parler de « capitalisme 3.0[184] » ou de « capitalisme de surveillance[185][186] ».
Il est évident que les enjeux de cette lutte ne sont pas faciles à comprendre, en raison notamment de la complexité de l’infrastructure informatique, mais aussi parce que ce combat s’inscrit dans une révolution que Rémy Rieffel décrit à juste titre, comme : « instable et ambivalente, simultanément porteuse de promesse et lourde de menaces ». Cela alors qu’elle prend place « dans un contexte où s’affrontent des valeurs d’émancipation et d’ouverture d’un côté et des stratégies de contrôle et de domination de l’autre[187] ».
D’ailleurs, en fait d’ambivalence, n’est-il pas étonnant de découvrir que Jimmy Wales, qui finança le projet Wikipédia à ses débuts, est aussi un adepte de l’objectivisme ? Soit une philosophie politique dans laquelle le capitalisme est perçu comme la forme idéale d’organisation de la société[188] et pour laquelle, l’intention morale de l’existence est la poursuite de l’égoïsme rationnel[189].
Dix ans après les avertissements d’André Gorz, les enjeux soulevés par les logiciels libres au début des années quatre-vingt restent au cœur des problématiques actuelles. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que Tim Berners-Lee ne cesse d’implorer la « redécentralisation[190] » et la « régulation[191] » de l’espace numérique dont il fut le créateur, cela alors que dans un mouvement tout à fait inverse, des milliards d’objets connectés repris au sein d’un marché qui dépasserait déjà les 2.6 milliards d’euros rien qu’en France pour l’année 2020[192], collectent des informations à tout-va, colportées par de nouvelles technologies de transfert qui, en peu de temps, sont passées de la 3G à la 5G.
Au-delà de tous ces aspects économiques, il nous reste encore à tenir compte de la dimension politique de l’héritage contre-culturel transmis par les hackers. Au niveau du mouvement Wikimédia, cela se concrétise en effet par un désir de s’émanciper des contrôles étatiques. Une position qui parfois entraine la censure des projets Wikimédia par des gouvernements. Comme ce fut le cas en Turquie, en Russie, en Iran, au Royaume-Uni et même de manière permanente en Chine[193].
Des procédures juridiques peuvent aussi être mobilisées pour intimider les membres du mouvement. Ce fut le cas en France, lorsque le directeur de l’association locale fut menacé de poursuites pénales par la Direction Centrale du Renseignement Intérieures, dans le cadre d’une affaire liée à un article Wikipédia crée au sujet d’une station militaire[194]. Une intimidation qui dans ce cas se limita à des menaces, alors qu’en Biélorussie, l’éditeur Mark Bernstein fut condamné à quinze jours de prison suivit de trois ans d’assignation à résidence, en raison de propos tenus sur la guerre en Ukraine[195].
À côté de cela, l’espace Web se voient dominer par des projets monopolistiques et à but lucratif, à l’image des GAFAM, BATX, NATU et autres géants du web, qui sont souvent critiqués pour leurs abus de position dominante. Ceci pendant qu’en sens inverse, et toujours suite à un échec économique semble-t-il, des projets à prétentions commerciales, peuvent un jour donner naissance à des projets de partage autonomes. Avec pour exemple le projet commercial Nupedia qui abouti à la création de Wikipédia, ou encore le navigateur web commercialisé par la firme Netscape Communications, qui finalement permit la création du navigateur open source Mozilla Firefox.
Ensuite, un succès commercial tel que celui de la messagerie instantanée MSN Messenger, peut aussi promouvoir l’apparition d’autres succès commerciaux, à l’image des nombreux réseaux sociaux qui ont envahi le web. Alors qu’au niveau de la sphère du partage, un succès non commercial tel que le projet Wikipédia, aura inspiré la création d’autres projets collaboratifs et sans but lucratif, parmi lesquels figure le projet OpenStreetMap dédié à la cartographie du monde sous licence libre.
Tout se passe donc comme si au sein de l’espace numérique se perpétuait une lutte éternelle entre d’un côté, une recherche de pouvoir économique et politique centralisé au profit de quelques acteurs privilégiés, et de l’autre, un perpétuel désir de partage et d’autonomie ressenti par une autre couche de la population humaine.
Ce que l’on peut encore retenir de cette première partie d’ouvrage, c’est que certains courants sociaux que l’on pourrait croire entièrement disparus continuent à influencer la manière dont fonctionnent nos sociétés. Car cinquante ans plus tard, et même si les termes ont évolués, il semble évident que certaines figures emblématiques contemporaines, comme celle du lanceur ou de la lanceuse d’alerte, sont étroitement liées aux prises de consciences issues la contre-culture des années 60.
Certains Wikimédiens tels que Aaron Swartz, Bassel Khartabil, Pavel Pernikov, Ihor Kostenko et Mark Bernstein ont en effet perdu leur vie ou leur liberté pour défendre les valeurs présentées tout au long de cette première partie d’ouvrage. De manière similaire à Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning, on peut dire d’eux, qu’ils « ont perdu leur liberté pour défendre la nôtre »[196].
Au sein de la communauté Wikimédia, apparaissent ainsi des héros de ce qu’on appelle aujourd’hui la crypto-anarchie. Une philosophie qui prône la liberté d’information et le secret de la communication face à « l’interférence du gouvernement et des grandes sociétés[197] ». Ce qui est, somme toute, une nouvelle façon de lutter contre de nouvelles formes d’hégémonie culturelle[198], développées dans un monde toujours plus global et numérique.
Deuxième partie : Cosmographie du mouvement Wikimédia
Voici venu le moment de faire une présentation « cosmographique » de Wikimédia, ou pour le dire autrement, de présenter une sorte d’organigramme du mouvement en s’inspirant du mot « galaxie », utilisée lors du dixième anniversaire du projet Wikipédia[200].
La découverte de cette galaxie débuta pour ma part, quand j’ai commencé à surfer d’un projet Wikimédia à l’autre, avec l’intention de découvrir tout ce qui se cache dans l’ombre de la planète Wikipédia. Après quoi, il me restait encore à découvrir toute la partie hors ligne du mouvement. Ce que je fis à partir du dix octobre 2011, en rejoignant les membres fondateurs de l’association Wikimédia Belgique[201].
Lors de ces aventures, j’ai découvert que les activités hors ligne et en ligne du mouvement évoluaient dans deux sphères et environnements propices à une organisation et des comportements parfois très divergents[202]. Certaines dissonances cognitives me sont même apparues, mais sans que je puisse en déduire une réelle incohérence au sein du mouvement. Cela sans doute grâce à une forte adhésion générale au projet de libre partage de la somme des connaissances[203].
Finalement, j’en suis venu à percevoir dans Wikimédia une sorte de représentation miniature de cette hypercomplexité[204] qui caractérise notre société globale et numérique depuis le début du XXIᵉ siècle. Quant à l’étude de l’organisation du mouvement, elle me permit de mieux comprendre les enjeux suscités par le développement de nouvelles formes de mondialisation structurelle et de globalisation économique[205], apparues suite au développement d’Internet.
En offrant dans cette deuxième partie d’ouvrage, une vue d’ensemble de ce mouvement international, j’espère ainsi permettre à ses membres de pouvoir s’y situer plus facilement. Cela en offrant aux autres lecteurs, une belle occasion de voir à quoi peut ressembler de nos jours, une organisation cosmopolite, internationale, interculturelle, et fortement interconnectée au travers du réseau Internet.
La constellation des projets en ligne
Comme dit précédemment, l’espace numérique Wikimédia le plus connu du grand public est Wikipédia. Avec à la mi-mars 2023[206], 60 millions d’articles en provenance de 331 versions linguistiques, ce projet arrive en tête du classement des projets pédagogiques, avant les 187 versions du Wiktionnaire, 121 de Wikibooks, 95 de Wikiquote, 74 de Wikisource, 34 de Wikinews, 25 de Wikivoyage et 17 de Wikiversity, pour un total de 884 projets pédagogiques[207]. Ce à quoi il faut encore ajouter les projets multilingues ou techniques ainsi que tous les autres sites web hébergés par la Fondation, pour arriver, si l’on s’en réfère à ce qui est indiqué sur le site Wikiscan accessible grâce au code QR repris ci-contre, à un total de 954 sites web et 507 millions de pages[208].
Même s’ils sont développés au sein d’un même mouvement et avec le même logiciel informatique, tous ces sites ne se ressemblent pas pour autant. En date du deux juin 2023 et si l’on se fie cette fois à la page WikiStats accessible par ce nouveau code QR repris ci-contre, on découvre en effet, que le nombre de personnes ayant réalisé au moins une modification, peut varier de 221 pour le projet Wikiquote en Bicolano central, à 45 640 421 pour le projet Wikipédia en anglais[209]. Cela sans oublier que chacun de ces sites fonctionne sur un système de gestion de contenu configuré différemment[210] et que les règles en application dans les projets varient d’une version linguistique à l’autre, puisqu’elles sont créées par des communautés de contributrices et contributeurs différentes.
Le projet Wikipédia germanophone par exemple, possède des règles différentes du projet francophone. Le fair use n’y est pas d’application, les articles à l’état d’ébauche ne sont pas conservés et le bannissement d’un utilisateur ou d’une utilisatrice nécessite un vote favorable atteignant la majorité des deux tiers[211]. Cela alors qu’en octobre 2020 et uniquement dans le projet en portugais, il fut décidé que la modification de l’espace principal de l’encyclopédie serait dorénavant réservée aux personnes bénéficiant d’un compte utilisateur.
Quant au contenu des différentes versions linguistiques de l’encyclopédie libre, une étude de 2010, qui comparait 74 d’entre elles, a mis en évidence que 74 % des articles encyclopédiques n’existaient que dans une seule version linguistique[212]. Ce qui prouve donc que chaque version linguistique possède bien son propre contenu, alors que celui-ci est développé par des éditrices et éditeurs qui communiquent dans une langue commune, mais sans pour autant partager la même culture ou la même nationalité.
De plus, les projets pédagogiques ont chacun leur propre finalité. L’objectif d’une encyclopédie, étant effectivement différent de celui d’un dictionnaire, d’un guide de voyage, d’un répertoire du vivant, d’un recueil de citations, d’une plateforme de création de cours et travaux de recherches, d’une bibliothèque de livres repris dans le domaine public ou publiés sous licence libre, d’un site journalistique, d’une banque de données sémantiques, d’une autre de fonctions informatiques ou de fichiers médiatiques, etc.
Ensuite, qui dit finalités différentes, dit aussi règles éditoriales différentes. Il est effectivement interdit de produire du nouveau savoir, ou d’abuser de sources primaires sur Wikipédia, alors que parallèlement, tout cela est le bienvenu sur l’ensemble des autres projets, à l’image du Wiktionnaire[213]. Wikisource faisant toute fois exception à cette dernière règle, puisque le projet consiste à collecter et numériser des ouvrages répertoriés dans le domaine public ou déjà publiés sous licence libre.
Enfin, il faut se souvenir que le droit d’auteur peut aussi varier d’un projet à l’autre. Vu que les données reprises sur Wikidata par exemple, ainsi que les descriptions de fichiers reprises sur Wikimedia Commons, sont soumises à la licence CC0, contrairement au contenu des autres projets qui est sous licence CC.BY.SA. Un dernier argument qui justifie donc la nécessité d’effectuer un classement des projets et autres espaces d’activités numériques par fonctions[214], de sorte à rendre plus compréhensible leur vue d’ensemble.
Les projets de partage de la connaissance
Il existe ainsi dans l’espace numérique Wikimédia un ensemble de projets destinés au partage de connaissances qui sont déclinés en de nombreuses versions linguistiques. Ces différentes versions voient le jour dans des projets polyglottes intitulés Wikimedia Incubator, Wikiversity Beta et Wikisource multilingue. Avant d’obtenir leurs propres sites web, elles bénéficient ainsi d’un temps de test et de mise en place[215].
Puis, à l’intérieur de ces projets autonomes, il est parfois possible de rencontrer des sous-projets qui constituent eux-mêmes un espace spécialisé du projet principal, comme une bibliothèque d’ouvrages pour enfants dans le projet Wikilivres par exemple, ou un journal scientifique dans le projet Wikiversité en anglais et même de manière récurrente cette fois, de nombreux projets thématiques[216] et portails[217] qui ont pour but de rassembler les éditeurs passionnés autour de certains sujets.
En plus des projets de tests pour les nouvelles versions linguistiques, il existe d’autres projets multilingues, comme le projet Wikispecies qui répertorie l’ensemble du vivant ou le projet Wikimedia Commons chargé de centraliser les fichiers image, audio, vidéo, etc.[218] utilisés dans tous les autres projets Wikimédia. Un multilinguisme qui est aussi pratiqué dans le projet Wikidata, qui centralise des informations factuelles dans une immense base de données sémantique, récupérable souvent de manière automatisée sur les autres projets du mouvement[219].
Suite à quoi, il faut signaler que l’anglais sert souvent de lingua franca dans les sites plus techniques, comme ce sera probablement le cas des deux nouveaux projets actuellement en phase de test. Le premier s’intitule Wikifunctions et a pour but de produire des fonctions informatiques qui permettront au second, intitulé Abstract Wikipedia[220], d’afficher de manière automatisée des articles encyclopédiques dans tous les langages naturels.
Tous ces projets éditoriaux fonctionnent grâce au logiciel MediaWiki déjà présenté en première partie d’ouvrage. Ils sont aussi tous libres d’accès, collaboratifs au niveau de leurs éditions, indépendants dans leur gestion et soumis à la licence CC.BY.SA à l’exception, comme déjà mentionné, du contenu de la base de données du projet Wikidata et des descriptions de fichier sur Wikimedia Commons, qui dans les deux cas sont repris sous licence CC0. La liste de tous ces projets et versions linguistiques peut enfin varier d’un moment à un autre, en fonction des décisions prises par rapport à une liste des projets proposés à la création[221] et une autre reprenant les projets proposés à la suppression[222].
Wikimedia Commons est une médiathèque multilingue qui centralise les fichiers utilisés sur les projets Wikimédia. Ceux-ci sont placés sous licence libre CC.BY.SA. et leurs descriptions sous licence CC.0. | |
Wikidata est une base de données multilingue placée sous licence libre CC0 qui peut être lue et éditée par des humains ou des machines dans le but de fournir des informations aux autres projets Wikimédia. | |
Wikisource est une bibliothèque numérique de livres tombés dans le domaine public. | |
Wikispecies est un répertoire multilingue des espèces vivantes de la faune et de la flore. | |
Wiktionnaire est un dictionnaire descriptif et illustré. | |
Wikivoyage est un guide de voyage touristique. | |
Wikiquote est un recueil de citations. | |
Wikilivres est une collection d’ouvrages pédagogiques. | |
Wikinews est site journalistique collaboratif qui résument l’actualité sur base d’une neutralité de point de vue. | |
Wikiversité est une collection de matériaux pédagogiques combiné à un espace dédié aux travaux de recherches. | |
Wikifunctions est une bibliothèque de fonctions informatiques qui permettra, entre autres, de développer le projet Abstact Wikipedia, dont l’objectif est de produire des articles encyclopédiques indépendamment de tout langage naturel, en mobilisant les données récoltées par le projet Wikidata. | |
L’incubateur Wikimédia est le lieu de test et de lancement des nouveaux projets linguistiques des projets Wikipédia, Wikilivres, Wikinews, Wikiquote et Wiktionnaire. | |
Wikisource multilingue est la plate-forme de lancement des nouvelles versions linguistiques des projets Wikisource. | |
Wikiversity Bêta est la plate-forme de lancement des nouvelles versions linguistiques des projets Wikiversité. |
WikiJunior au même titre que Cookbook qui est un recueil de recettes de cuisine, est un sous-projet de Wikilivres qui reprend la littérature pour enfants. | |
WikiJournal est un sous-projet de Wikiversity destiné à produire des articles scientifiques dans différents domaines (médecine, sciences sociales et sciences dures) et selon une procédure de revue par les pairs. |
Les projets de gouvernance, de gestion et de sensibilisation
Au-delà des projets de partage de contenu, il existe un ensemble d’espaces numériques destinés à organiser les activités internes au mouvement Wikimédia. Parmi ceux-ci, il y a la plate-forme Méta-Wiki qui est le site web le plus utilisé au sein du mouvement après le projet Wikipédia en anglais[223]. C’est un espace dédié à la coordination, documentation, planification et analyse du mouvement Wikimédia. Et comme vu précédemment, c’est là que se tiennent de nombreux débats sur ce qui se passe dans le mouvement. On y organise la naissance des nouveaux projets ou entité affiliées[224], la distribution des subventions accordée par la Fondation, et même les élections des membres de comités et du conseil d’administration de la Fondation.
Parmi les sites dédiés à la coordination, on retrouve ensuite le site Wikimania comme espace de préparation et information sur les conférences internationales annuelles dédiées au mouvement[225], ainsi que le site Wikimedia Outreach qui focalise pour sa part, sur la promotion des projets Wikimédia. Cela se concrétise par un lot d’activités et de projets dédiées au milieu de l’éducation, des galeries, des librairies, des archives et des musées, tout en encourageant le partage de bonnes pratiques et d’exemples de réussites[226]. Ce à quoi il faut encore ajouter la plate-forme Fluxx, un nouveau portail apparu en 2021[227], dans le but de simplifier la gestion les demandes de subvention adressées à la Fondation.
Il faut savoir ensuite que plusieurs sites et projets organisationnels ont cessé leurs activités. Tel fut le cas du site Wikimedia strategy planning utilisé pour élaborer la stratégie du mouvement durant la période 2010-2020, et qui fut ensuite maintenu en qualité d’archive[228]. Pareillement pour le site Wikimedia Usability, qui était un projet d’amélioration de l’accessibilité des sites Wikimédia, lui aussi archivé suite au terme du financement de la Stanton Foundation[229], ainsi que le site survey.wikimedia.org/, une plateforme de sondage en ligne abandonnée aux alentours de 2013[230].
Concernant la gestion des courriels adressés au mouvement, le mouvement Wikimédia avait mis en place, en septembre 2004, un système de traitement via l’Open-source Ticket Request System, remplacé par la suite par le logiciel Znumy LTS au cours de l’année 2021[231]. Toutes les requêtes, plaintes, commentaires et autres types de demandes envoyés par courrier électronique au mouvement y sont ainsi traités, en première ligne, par des bénévoles accrédités par la Fondation. Un traitement qui s’organise à partir du site Wikimedia’s Volunteer Response Team wiki (VTR)[232], dans lequel 400 volontaires[233] sont actifs dans une quarantaine de langues, répondant à plusieurs centaines de messages journaliers[234].
Au sein de projets pédagogiques et principalement au niveau de Wikipédia, se trouvent ensuite différents sous-projets de sensibilisation selon des thématiques très variées. On y retrouve par exemple le WikiMooc[235] conçu pour apprendre à contribuer à Wikipédia, le projet Noircir Wikipédia[236] qui lutte contre le manque de contenu au sujet de l’Afrique et des afro-descendants, les projets Wiki Loves qui sont des concours photo sur différentes thématiques, ou encore de nombreux projets dédiés à la recherche d’une parité hommes femmes au niveau des articles encyclopédiques, tel que le projet Les sans pagEs par exemple.
Wikimedia Foundation Governance Wiki est le site sur lequel le conseil d’administration de la Fondation Wikimédia met à la disposition du public des documents relatifs à sa gouvernance. | |
Wikimedia Board est un site wiki dont l’accès est réservé aux membres du conseil d’administration de la Fondation Wikimédia pour leur communication interne. | |
Méta-Wiki est le site de gestion et de coordination générale du mouvement Wikimédia. | |
Le site Wikimania est dédié à la préparation des cycles de conférences annuelles dédiées au mouvement Wikimédia. | |
Wikimedia Outreach est un site Web destiné à coordonner la promotion des projets Wikimédia et les partenariats au sein du mouvement. | |
Wikimedia Mailservices est le service d’hébergement de toutes les listes de diffusion gérées par la Fondation Wikimédia. | |
Statistiques Wikimédia rassemble des plateformes d’informations statistiques au sujet de tous les projets Wikimédia gérés par la Fondation Wikimedia. | |
Volunteer Response Team est un projet qui regroupe des bénévoles désireux de répondre aux courriels envoyés au mouvement Wikimédia. | |
Wikimedia Usability (archivé) est un espace de travail dédié à l’amélioration de la convivialité de Wikipédia pour les nouveaux arrivants. | |
Wikimedia strategic planning (archivé) fut le site utilisé de 2009 à 2010 pour l’élaboration du plan stratégique 2010-2015. |
Le WikiMOOC est un cours en ligne gratuit et ouvert à tous, destiné à l’apprentissage de la contribution sur Wikipédia. Il est conçu par des contributeurs et contributrices bénévoles de Wikipédia, avec le soutien de Wikimédia France. | |
Noircir Wikipédia est une initiative visant à combler le manque d’informations sur la culture, les personnalités africaines ou afro-descendant et la diaspora africaine sur Wikipédia. | |
Les sans pagEs est un sous-projet de la version francophone de Wikipédia, initié en juillet 2016, dont le but est de lutter contre les déséquilibres de genre sur les articles de l’encyclopédie. | |
Wiki Loves Monuments, littéralement « Wiki aime les monuments », est un concours photographique international se tenant annuellement en septembre, dont l’objectif est de mettre en valeur les biens classés patrimoniaux. |
Les projets de gestion technique
Dans le but de gérer les questions techniques liées au fonctionnement du mouvement, un ensemble de sites et de projets ont petit à petit vu le jour. Le plus important d’entre eux est certainement le site MediaWiki, qui en étant couplé à des plates-formes de test, est un lieu multilingue entièrement dédié au développement collaboratif et à la documentation du logiciel MediaWiki, sur lequel tournent tous les projets éditoriaux. Puis, il y a aussi le projet Phabricator dont la mission principale est de résoudre des bugs informatiques en donnant priorité aux problèmes de sécurité. Celui-ci fut lancé en septembre 2014 pour remplacer le programme Bugzilla jugé obsolète, mais aussi sans doute parce que Phabricator permet de coordonner d’autres tâches qui ne sont pas forcément liées à la maintenance informatique[237].
Comme autre site dédié aux questions techniques, vient ensuite le site Wikitech, une plateforme d’information et d’orientation technique au sujet du Wikimedia Cloud Services (WMCS)[238]. En janvier 2020, plus de 16000 personnes[239] s’y rendirent pour bénéficier d’un accès aux dumps et aux systèmes de gestion de bases de données des projets Wikimédia[240]. Il reste ensuite à signaler, le projet Wikimedia Research, dans lequel se rassemble une équipe de « scientifiques et d’ingénieurs qui utilisent des données pour comprendre et responsabiliser des millions de personnes qui interagissent quotidiennement avec Wikipédia et ses projets frères[241][242] ».
Et puis finalement, en tant que dernier arrivant et unique projet commercial apparu au sein du mouvement, il y a le projet Wikimedia Enterprise. Son but est de vendre des services d’accès privilégiés aux grands utilisateurs commerciaux des projets Wikimédia ainsi qu’à des organisations. Les tarifs des services alloués peuvent varier entre la gratuité et un tarif variable selon la taille des demandeurs et la nature lucrative ou non lucrative de leurs activités[243].
Wikimedia Phabricator est une plateforme de gestion de tâches ouverte à tous les contributeurs et contributrices de Wikimédia principalement pour traiter des problèmes informatiques, tout en restant ouvert à la gestion d’autres types de tâches. | |
Le site MediaWiki est une plateforme de développement et de documentation du logiciel MediaWiki utilisé par tous les projets éditoriaux Wikimédia. | |
Wikitech est une plateforme destinée à documenter les projets et infrastructures informatiques d’aide au mouvement Wikimédia, hébergés sur le cloud par la Fondation Wikimédia. | |
Test Wiki est un site Wikimédia utilisé par les développeurs du logiciel afin de tester leurs codes avant de les appliquer à d’autres sites. | |
Toolforge (anciennement toolserver) est un sous-projet de Wikitech dédié à la gestion du cloud computing Wikimédia dédié à l’hébergement de projets assistés par la communauté. | |
Wikimedia Cloud VPS est un sous-projet de Wikitech composé d’un espace de gestion du cloud computing Wikimédia destiné à l’hébergement de projets autonomes. | |
Data Services est un sous-projet de Wikitech qui permet un accès direct aux bases de données et aux dumps, ainsi que des interfaces Web pour les requêtes et l’accès par programmation aux magasins de données. | |
Wikimedia Enterprise est un service payant d’accès privilégiés aux contenus des projets Wikimédia dédié aux entreprises commerciales et potentiellement gratuit pour des organisations non commerciales. |
Les espaces de communication et d’information
Dans le but de communiquer en interne, le mouvement Wikimédia héberge des centaines de listes de diffusion[244], privées ou publiques, répertoriées sur une page web accessible via le code QR repris ci-contre, ainsi que de nombreux salons de conversation ouverts sur IRC, Telegram, Discord ou Mattermost. Tandis qu’à côté de cela, il existe aussi de nombreux espaces d’échanges sur les réseaux sociaux spontanément créés par des groupes de contributeurs ou contributrices.
En septembre 2019, une plateforme intitulée « Wikimédia Space », fut aussi créé à partir des logiciels WordPress et Discourse afin d’offrir un lieu d’échanges d’informations et de conversations aux personnes actives au sein du mouvement[245]. Mais à la fin du mois de février 2020 et faute de fréquentation sans doute, le site web ne garda finalement que la fonction blogging[246] et fut rebaptisé Diff[247]. Cet espace reste uniquement dédié aux membres du mouvement, avec une attention particulière accordée aux communautés sous-représentées. Au travers d’un processus éditorial simplifié, des articles y sont créés et peuvent parfois être traduits en plusieurs langues[248].
Quelques journaux sont aussi apparus à l’intérieur des projets Wikimédia avant d’être répertoriés sur une page du site Méta-Wiki[249]. Du côté francophone, il y a le journal Wikimag[250] et l’infolettre Regards sur l’actualité de la Wikimédia (RAW)[251], qui sont tous deux des périodiques publiés par de Wikimédiens et pour les Wikimédiens. Un journal similaire existe aussi sur la page du Wiktionnaire intitulée : « Actualités du projet Wiktionnaire francophone[252] ».
Du côté anglophone, on trouve aussi le célèbre mensuel Signpost, le plus ancien journal du mouvement créé en janvier 2005. Il fait une synthèse des événements importants qui se sont déroulés dans l’encyclopédie et le mouvement[253]. Son fondateur, Michael Snow, devint d’ailleurs membre du conseil d’administration de la Fondation de 2008 à 2010, puis de son conseil consultatif composé de 16 membres invités[254], jusqu’à sa suppression en juin 2018[255].
Toujours en interne, il y a aussi le Wikimedia Techblog dédié à la communauté technique Wikimédia[256], dont les mises à jour sont faites par une équipe de soutien aux développeurs[257], puis la plateforme Phabricator qui héberge, elle aussi, une quinzaine d’espaces blog[258]. Pareillement aux espaces blogs actifs au sein du mouvement, on peut s’y abonner à l’aide de Planet[259] ou tout autre agrégateur de flux RSS.
Au niveau de la Fondation ensuite, le conseil d’administration utilise son propre wiki pour diffuser tout ce qui concerne sa gouvernance[260], pendant que les employés maintiennent un site vitrine[261] dans lequel se trouve une rubrique News[262]. D’autres espaces blog[263] ou sites web destinés au grand public sont gérés par des associations locales. C’est le cas de Wikimédia France[264] et Wikimédia Suisse[265], qui assurent leur auto-hébergement, avec un site officiel incluant aussi un espace blog[266]. Tandis que l’association canadienne[267] et belge[268] préfèrent utiliser un wiki hébergé par la Fondation, qui se voit complété, dans le cas de la Belgique, par un blog d’information séparé[269].
Des personnes ou groupes actifs dans le mouvement peuvent enfin créer leurs propres espaces d’information. Au niveau francophone, une dizaine de blogs furent ainsi ouverts pour commenter ce qui se passe dans Wikipédia. Parmi les créateurs ou créatrice de ces espaces autogérés, certain ou certaine ont pu émettre des critiques virulentes concernant le projet, sans pour autant afficher son identité de contributeur ou contributrice.
La mode étant passée, plus aucun de ces blogs ne resta actif après 2020. Alors que cinq ans au par avant, le site Wikirigoler, aussi intitulé le blog de Pierrot le chroniqueur, était perçu comme « l’un des blogues ayant le plus influencé la communauté de Wikipédia en français[270] ». Il fut d’ailleurs à l’origine d’une des plus grosses crises de confiance apparues chez les éditeurs de l’encyclopédie. Car suite à un bug survenu chez l’hébergeur, il fut possible d’identifier les personnes qui avaient contribué à la rédaction du blog. Parmi cette liste de gens dont certains ne modéraient pas leurs propos au sujet de Wikipédia, se trouvaient effectivement plusieurs personnes chargées de l’administration du projet[271].
Diff est un espace blog resté actif après la fermeture de Wikimedia Space, une plateforme d’information, de discussion, de collaboration et de support dédié aux membres de la communauté Wikimédia. | |
Le Service de courriels Wikimédia est dédié à la gestion des courriels pour les employés au sein du mouvement et gère par la même occasion l’ensemble des listes de diffusion. | |
Le Wikimag est un journal hebdomadaire qui permet de se tenir informé de ce qui se passe sur Wikipédia, les décisions de la communauté, les débats, etc. | |
Regards sur l’actualité de la Wikimédia (RAW) est un hebdomadaire qui a pour principal but de renseigner la communauté Wikipédia en français sur ce qui se produit en dehors de celle-ci. |
La constellation de la Fondation et de ses affiliés
À côté des projets développés dans l’espace numérique, un ensemble de groupes et d’associations sans but lucratif se sont rassemblés autour de la Fondation Wikimédia. Leur principal objectif est de coordonner et promouvoir des activités au sein du mouvement afin d’améliorer le contenu ou le fonctionnement des projets pédagogiques. Bien que ces regroupements se forment et s’organisent souvent de manière présentielle, certaines de leurs activités peuvent bien entendu se dérouler en ligne et parfois même exclusivement, comme cela s’est vu durant les différents confinements imposés lors de la pandémie de Covid-19.
Ces instances, répertoriées en mars 2023 au nombre de 178 sur une page du site Méta-Wiki[272] visible grâce au code QR repris ci-contre, diffèrent des projets techniques ou éditoriaux tant par leurs objectifs que par leur fonctionnement. Contrairement aux projets pédagogiques, les personnes actives dans ces groupes et associations sont généralement connues sous leur réelle identité, alors que l’utilisation de pseudonymes dans les sites web de partage du savoir est une pratique très répandue.
Comme cela a déjà été expliqué en première partie d’ouvrage dans la section « La création des organismes affiliés », toutes ces instances doivent préalablement faire leurs preuves avant de pouvoir bénéficier du statut d’affilié au sein du mouvement. Elles sont ensuite évaluées chaque année afin de déterminer si l’affiliation peut être maintenue[273]. En décembre 2022 par exemple, 33 instances reconnues par la Fondation Wikimédia ont ainsi perdu leur affiliation suite à une évaluation négative[274].
Cette affiliation permet d’adresser à la Fondation des demandes de subsides qui ne sont accordés qu’aux organismes affiliés. Elle donne en outre la possibilité d’utiliser les prés de 2 500 noms de marques déposées par la Fondation, tels que les noms de projets et leurs logos, dont une première version sonore a vu le jour en début d’année 2023[275].
En contrepartie, les affiliés doivent produire une série de rapports et les soumettre à inspection au départ d’une page du site Méta-Wiki accessible l’aide de ce nouveau code QR repris à droite de ce paragraphe. Quand ces rapports sont manquants, jugés insuffisants ou inadéquats, l’affiliation peut alors être remise en question, voire supprimée, le temps que les conditions requises pour un nouvel octroi soient réunies.
Voici donc présentés dans les prochaines sections de cet ouvrage, les différentes organisations, groupes et activités, que l’on peut rencontrer au sein du mouvement au-delà des projets pédagogiques. Ceci en commençant par découvrir ce qui se passe à l’intérieur de la Fondation Wikimédia.
La Fondation Wikimédia
La Wikimedia Foundation Inc (WMF) est le siège technique et administratif central au mouvement, dont les bureaux se situent dans la ville de San Francisco, non loin de la Silicon Valley[276]. Elle possède les noms de domaine des projets Wikimédia, les marques déposées, et est responsable de la majeure partie des collectes de fonds effectuées par le mouvement[277].
Identifiée comme ONG par l’Union européenne[278], cette organisation sans but lucratif regroupe plusieurs centaines d’employées et d’employés supervisés par un conseil d’administration, reconnu comme l’organe décisionnel le plus élevé du mouvement. Dans un organigramme relativement classique, les employées et employés de la Fondation se répartissent au sein de huit départements[279] supervisés par une équipe de direction composée de trois personnes[280], elle-même chapeautées par Maryana Iskander[281], la directrice générale arrivée en janvier 2022.
Selon les informations récoltées sur la page du site de la Fondation dédiée à la présentation de son personnel et accessible via le code QR repris ci-contre, le total des employés et employées est passé de plus de 450 personnes en janvier 2021[282] à plus de 550 en janvier 2022[283]. Alors qu’en mars 2023, on pouvait encore lire sur cette page, que « plus de 700 personnes de nombreux pays partagent un engagement envers la connaissance libre et travaillent avec notre communauté[284] ».
Afin de se faire une idée sur ce qui est accompli au sein de cette Fondation, voici la répartition de ses départements en janvier 2022, avec repris entre parenthèses, le nombre de personnes qui y travaillent :
Le département progrès (62 personnes) s’occupe de la collecte de fonds, des partenariats stratégiques et des programmes de subventions qui alimentent le mouvement[285].
Le département communication (32 personnes) assure le partage des informations au sujet du mouvement Wikimédia, des projets Wikimédia et du travail de la Fondation Wikimédia elle-même[286].
Le département finance et administration (38 personnes) gère les fonds et des ressources de la Fondation Wikimédia, en accord avec ses valeurs fondamentales de transparence et de responsabilité[287].
Le département juridique (29 personnes) gère les aspects juridiques de la Fondation, mais sans prendre en charge pour autant, le rôle d’avocat pour la communauté et les organisations affiliées[288].
Le département opération (5 personnes) exécute la stratégie et la vision de l’organisation en se basant sur la connaissance du marché, les points de preuve des données et l’excellence opérationnelle[289].
Le département public (163 personnes) construit, améliore et gère les fonctionnalités des sites Wikimédia[290].
Le département talent et culture (26 personnes) prend en charge le recrutement, le leadership, le développement organisationnel et la gestion du personnel[291].
Le département technologie (138 personnes) construit, améliore et maintient l’infrastructure des sites Wikimédia[292].
À côté de cette répartition, les employés de la Fondation peuvent ensuite se mélanger dans différents projets ou groupes de travail. Parmi ceux-ci se trouvent le projet croissance et engagement des nouveaux éditeurs dans les projets de tailles intermédiaires[293], le projet éditeur visuel[294], le projet application mobile[295], ou encore le projet améliorations de l’expérience pour les ordinateurs de bureaux[296].
D’autres équipes peuvent ensuite être formées temporairement, comme c’est régulièrement le cas durant les périodes d’élaboration de la stratégie du mouvement. Durant celle de 2018 à 2020 par exemple, huit personnes engagées momentanément[297] ont rejoint une équipe de cinq employés permanents[298], dans le but de favoriser la participation de la communauté au processus, tout en récoltant les informations et décisions apparues durant celui-ci[299].
À l’image du mouvement qu’elle soutient, la Fondation Wikimédia apparaît donc comme une organisation diversifiée, par le nombre de ses départements et groupes de travail, tout en étant très flexible au niveau de la composition de ses équipes. En revanche, et contrairement aux projets d’édition présentés précédemment, la Fondation possède un centre décisionnel au pouvoir important, composé de membres élus ou cooptés, rassemblés au sein d’un conseil d’administration.
Le conseil d’administration de la Fondation
Le conseil d’administration de la Fondation Wikimédia est composé de 16 sièges. L’un d’eux est attribué à Jimmy Wales en qualité de membre fondateur, tandis que les autres se répartissent en 7 sièges cooptés et 8 sièges élus par la communauté[300]. L’organisation actuelle de ce conseil fut adoptée en 2020[301], avant d’être reprise dans les statuts de la Fondation l’année suivante[302].
Lors de cette modification, le conseil est passé de 10 à 16 membres, en raison de l’accroissement du nombre de salariés actifs au sein de la Fondation. Ceci tout en veillant à ce que les personnes cooptées ne dépassent jamais de moitié celles élues par tous les membres du mouvement, employés compris[303].
Des réunions non périodiques mais régulières[304] sont organisées au sein de ce conseil, dans le but de voter l’approbation de chaque nouvelle résolution[305]. Depuis 2006, celles-ci sont répertoriées sur le wiki dédié à la gouvernance de la Fondation[306] pour constituer l’ensemble des textes décisionnels produit par l’organe le plus puissant du mouvement Wikimédia.
Une telle concentration de pouvoir contraste fortement avec ce qui se passe dans les projets éditoriaux, là où les bénévoles cherchent généralement à atteindre le consensus, avant d’organiser des votes entre éditeurs actifs. À l’exception des comités d’arbitrage formés dans certains projets et des groupes administrateurs élus par les communautés d’éditeurs, il n’existe en effet aucune autre instance décisionnelle au sein des projets. De plus, les décisions prisent par ces deux assemblées ne traitent que les conflits interpersonnels et les comportements déviants, et jamais de façon directe en tout cas, les choix éditoriaux ou organisationnels.
À côté de cette gouvernance horizontale, le conseil d’administration de la Fondation apparait donc au sommet d’une pyramide décisionnelle établie au sein du mouvement. C’est en effet au sein de cet organe que se décide la création ou la dissolution des différentes entités ou projets affiliés au mouvement, ainsi que les actions les plus importantes orchestrées par les personnes engagées par la Fondation. Cependant, toutes ces décisions suivent en général les recommandations émises par un ensemble de groupes de travail et comités composés de salariés et de bénévoles actifs au sein du mouvement.
Les comités, groupes de travail et conseils
Tout en tenant compte d’une politique interne favorable au pluralisme, à l’interculturalité et la diversité[307], le mouvement Wikimédia comprend de nombreux comités répertoriés sur une page du site Méta-Wiki accessible au départ du code QR repris ci-contre. Cinq de ceux-ci sont composés de membres du conseil d’administration de la Fondation, assistés par des conseillers non-votants et une personne qui assure le relais avec les équipes de salariés.
Le premier de ces comités s’occupe de la gouvernance du mouvement et de la fondation, tout en veillant à ce que le Conseil d’administration s’acquitte efficacement de ses responsabilités[308]. Le deuxième est un comité d’audit qui s’occupe des questions financières et comptables[309]. Le troisième est le comité des ressources humaines qui supervise les politiques et les pratiques relatives à la rémunération et au personnel[310]. Le quatrième est le comité produit et technologie dont la mission est d’évaluer et explorer la valeur offerte par les projets Wikimédia aux usagers du monde entier[311]. Et le cinquième enfin, est celui des affaires communautaires qui a pour objectif de veiller, en lien avec la mission du mouvement, aux bonnes relations entre la Fondation et la communauté[312].
Toujours en respectant une certaine diversité géographique, linguistique et culturelle, sept autres comités décisionnels indépendants sont formés de bénévoles en provenance de tous les projets et toutes les régions du monde. Parmi ceux-ci, on retrouve deux comités chargés de la distribution des fonds que sont le comité de subvention, qui se répartit en sept sous comités régionaux[313], suivit d’un comité de support aux conférences[314].
À cela s’ajoutent, le comité des langues[315], chargé de l’acceptation ou la suppression de nouvelles versions linguistiques au sein des projets pédagogiques, le comité des affiliations[316], responsable de l’octroi ou de la suppression du statut d’affilié, la commission de médiation[317], composé de volontaires désignés par le conseil d’administration[318] afin de prendre en charge les plaintes administratives ou juridiques adressées au mouvement, le comité de revue[319] situé au sein de l’équipe Trust and Safety, qui pour sa part s’occupe spécifiquement des plaintes à l’encontre des personnes actives dans le mouvement, et puis finalement, le comité des communications qui regroupe des salariés de la Fondation, quelques bénévoles et du personnel des associations affiliées, dans le but d’accomplir au mieux les tâches de relations publiques au sein du mouvement[320].
Tous ces comités indépendants sont permanents, assistés par le personnel de la Fondation et suivis par un membre du conseil d’administration de la Fondation. Mais il existe aussi d’autres comités ou groupes de travail temporaires tel que celui chargé de l’écriture de la charte du mouvement[321], puis les comités électoraux formés à l’occasion des élections du conseil d’administration de la Fondation[322], composés de volontaires supervisés par un membre du conseil d’administration et quatre membres du personnel[323], ou encore les groupes formés chaque année pour superviser les rencontres annuelles du cycle de conférences internationales Wikimania[324]. Tout cela sans oublier les équipes formées lors de l’élaboration de la stratégie du mouvement et qui comprenait en 2020-2030, un comité de pilotage[325], un groupe consultatif[326], et une équipe de rédacteurs[327].
Il apparaît donc clairement qu’au sein du mouvement, les tâches administratives, mais aussi décisionnelles, sont grandement distribuées et ouvertes à tout membre actif sur base de simple candidature. Les éditeurs et les autres bénévoles actifs dans les organismes affiliés, qu’ils soient membres d’un conseil d’administration ou pas, peuvent ainsi se mélanger aux salariés, dans le but d’assumer les nombreuses tâches, décisions et responsabilités inhérentes au mouvement. Dans des groupes de travail créés à l’occasion de l’élaboration de la stratégie 2030 par exemple, certains bénévoles ont travaillé côte à côte avec la directrice générale de l’association nationale Wikimedia Nederland[328] et même celle de la Fondation[329].
Tout cela indique que les hiérarchies statutaires affichées dans les organigrammes de la Fondation ou des organismes affiliés, ne sont plus opérationnelles dès qu’il s’agit de prendre des décisions concernant la répartition des fonds, la reconnaissance des projets, la gestion des activités bénévoles ou l’élaboration des stratégies du mouvement. Cela alors que précisément, celle de 2030, recommande la création d’un nouveau conseil globale[330] composé de bénévoles, qui dans le respect d’une charte en cours de ratification, devra veiller à la bonne mise des stratégies produite au sein du mouvement. À terme, ce conseil devrait donc produire des directives pour permettre la bonne répartition des budgets, tout en se chargeant de l’approbation et de la fermeture des projets pédagogiques et des organismes affiliés.
Les associations locales
Il existe au sein du mouvement Wikimédia, une quarantaine d’associations locales et souvent nationales, que l’on nomme chapitres en s’inspirant du terme chapter habituellement utilisé en anglais. Ces organismes peuvent être perçus comme des satellites de la Fondation Wikimédia autorisés à utiliser les marques déposées du mouvement, pour collecter de fonds propres et organiser des événements de manière administrativement indépendante. Elles ont aussi pour objectif d’apporter un support aux éditeurs des projets Wikimédia, tout en assurant la promotion des projets édités, au niveau de leurs zones géographiques[331].
Ces instances locales contribuent aussi aux recrutements de nouveaux contributeurs ou contributrices. Cela peut se faire durant l’organisation de rencontres hors-ligne par exemple, où des personnes intéressées peuvent rencontrer des éditeurs ou éditrices plus chevronnés, ou encore via l’organisation de concours d’éditions ou d’enrichissement des projets Wikimédia. Ceux-ci peuvent s’adresser à un public d’étudiants[332], ou à des photographes à qui on propose alors de télécharger leurs clichés sur Wikimedia Commons, à l’image des concours Wiki Loves[333], ou encore à tous types personnes que l’on invite à contribuer sur l’ensemble des projets, comme cela s’est fait lors du concours intitulé Wikicheznous[334].
Tout comme l’association Wikimédia France qui fut créée le vingt-trois octobre 2004 sous le régime de la loi 1901[335], les autres associations affiliées au mouvement sont toutes à but non lucratif. Elles diffèrent entre elles par leurs tailles, leurs moyens de financements, leurs infrastructures, leurs nombres de membres et d’employés, etc. Certaines profitent d’un financement d’État comme c’est le cas de l’association polonaise[336] et italienne[337]. là où d’autres ne fonctionnent qu’avec des dons bien souvent déductibles qui leur sont directement offerts et qui permettent de compléter les subventions annuelles accordées par la Fondation.
Les transferts d’argent en provenance de la Fondation ne sont toutefois accordés qu’à la suite d’un protocole rigoureux qui exige la production de plans d’action et de rapports d’activité[338]. Un fonctionnement valable pour tous, même pour les associations suisse et allemande, les premières à voir le jour[339], et qui sont les seules à pouvoir gérer indépendamment la bannière des récoltes de fond, adressées aux visiteurs des projets Wikimédia connectés dans leurs pays[340].
Comme indiquer sur une page du site Méta-Wiki régulièrement mise à jour et accessible à partir du code QR repris ci-contre, les associations locales, dont au moins l’une d’entre elles est présente sur chaque continent habité, étaient au nombre de 38 en janvier 2023[341]. Il s’agit d’un nombre en constante évolution, puisque de chaque année de nouvelles associations sont susceptibles de rejoindre le mouvement, au moment où d’autres peuvent perdre leur qualité d’affilié, suite à un manque de réactivité face aux exigences de la Fondation.
Enfin, il faut savoir que certaines associations locales sont beaucoup plus développées que d’autres. En fin d’année 2021, la majorité de celles-ci n’engageaient pas plus d’une dizaine de travailleurs, pendant qu’une vingtaine d’entre elles fonctionnent qu’avec des bénévoles et sans bureau[342]. Tandis que comme cela fut déjà expliqué précédemment, l’association allemande regroupe plus de cent cinquante salariés au sein d’un grand édifice situé au cœur de la ville de Berlin.
Toutes ces observations permettent de voir qu’au stade de développement actuel du mouvement, et à l’image de la société humaine dans son ensemble, l’organisation Wikimédia ne témoigne toujours pas d’une grande homogénéité en matière de financement, ou de répartition géographique des salariées. C’est donc là de nouveau un contraste important face aux projets de partage de la connaissance, puisque ceux-ci continuent à fonctionner de manière équitable et sur base d’une participation éditoriale censée être non bénévole et non hiérarchisé.
Les organisations thématiques, centrales et linguistiques
En mars 2023, il existait seulement deux organisations thématiques reconnues au sein du mouvement Wikimédia. Elles sont toutes deux à but non lucratif et furent créées pour soutenir et promouvoir les projets Wikimédia dans un domaine prioritaire et spécifié[343]. La première, intitulée Amicale Wikimedia, fut fondée en 2008[344]. Elle a pour mission de veiller à ce que la somme de toutes les connaissances humaines soit librement disponible en catalan et que toutes les connaissances sur la culture catalane soient accessibles à tous dans n’importe quelle langue[345][346].
La seconde est apparue en décembre 2012, sous le nom de WikiProjet Med[347]. Elle fonctionne pour sa part sous l’égide de la Wiki Med Foundation Inc[348], et sa vision est celle d’un monde dans lequel chacun aurait un accès libre à toutes les connaissances biomédicales[349]. Pour atteindre cet objectif, cette association travaille en étroite collaboration avec l’association Traducteurs sans frontières au sein d’un réseau international intitulé Healthcare Information For All[350].
Suite aux recommandations formulées par la stratégie 2030, et particulièrement celles qui abordent le thème de la décentralisation, de nouvelles entités appelées centrales, ou hubs en anglais[351], sont en train de voir le jour au sein du mouvement[352]. Leur but est de répartir de manière géographique, linguistique, ou thématique, le soutien apporté par la Fondation aux activités réalisées dans le cadre de la mission du mouvement. Le fonctionnement de ces centrales est défini par la charte du mouvement, dont la rédaction fut entamée au cours de l’année 2021 et qui devrait être ratifiée au courant de l’année 2023.
Comme exemple de centrales linguistique en cours d’implémentation, il y a WikiFranca[353], une organisation qui fonctionnait déjà depuis plusieurs années, notamment en coordonnant, depuis 2013, les mois de la contribution francophone[354], et depuis 2016, des conventions internationales francophones. Son premier conseil d’administration ne fut toute fois formé qu’en 2021, lors d’une assemblée constitutive organisée à Genève avant le dépôt officiel des statuts. En lisant ceux-ci, on découvre que le but de l’association est de « soutenir le partage de la connaissance libre dans l’espace francophone à travers la coopération entre ses membres[355] » et que cela doit se faire dans le respect d’une première charte de coopération[356] et une seconde de gouvernance[357].
Du côté régional, certaines associations avaient aussi vu le jour avant qu’apparaisse le concept de centrales. Depuis 2010 par exemple, des organisations affiliées au mouvement, toutes situées dans la zone ibéro-américaine, se sont confédérées sous le nom d’Iberocoop, pendant que d’autres associations similaires furent aussi créés dans d’autres régions du monde. Parmi celles-ci, on retrouve : l’ESEAP, en tant que collaboration entre les associations d’Asie de l’Est, du Sud-Est et quelques pays du nord de l’Indonésie, le South Asia Hub, une confédération des pays d’Asie du Sud, et puis enfin le Northern Europe ainsi que le Central and Eastern Europe, qui regroupent respectivement les organisations locales des pays nordiques de l’Europe et ceux d’Europe centrale et orientale. Cela sans oublier qu’il existe aussi au niveau des États-Unis, deux organisations interétatiques intitulées WALRUS et l’United States Coalition.
C’est donc en s’inspirant de ces regroupements préexistants que les nouveaux pôles régionaux devraient prochainement se mettre en places[358]. À terme, cette répartition du monde devrait ainsi décentraliser la distribution des fonds que le mouvement reçoit chaque année, lors des campagnes de récoltes de dons et autres activités de fundraising orchestrée par la Fondation Wikimédia. Autant d’instance intermédiaire donc auxquelles pourront s’adresser les usagers et groupes d’usagers des projets Wikimédia, dans le but de financer leurs projets.
L’Amicale Wikimedia est une organisation qui a pour mission de faire en sorte que l’ensemble du savoir humain soit disponible en catalan et que le savoir sur la culture catalane soit aussi disponible dans chaque langue. | |
Le WikiProjet Med et sa fondation a pour de promouvoir le développement et la distribution de contenu médical sur des projets Wikimédia, en donnant des conférences dans des universités et en travaillant pour développer un meilleur accès à la littérature médicale. | |
Wikifranca est une collaboration entre les groupes francophones du mouvement Wikimédia, qu’ils soient affiliés ou non, dans le but d’encourager les activités dans les différents projets Wikimédia autant sur le Web que sur le terrain. | |
L’ESEAP est une plateforme qui encourage les communautés de la région à partager leurs expériences et leurs idées, et à trouver des opportunités de collaboration avec d’autres communautés d’Asie de l’Est et du Sud-Est et de quelques pays du nord de l’Indonésie. | |
L’Iberocoop a pour but de lier les chapitres et les groupes de travail locaux de l’Ibéro-Amérique afin d’établir un chapitre dans la région, renforçant ainsi la collaboration et l’échange d’expériences. | |
Wikimedia Europe centrale et orientale est un partenariat dont l’objectif principal est de stimuler la croissance de tous les projets Wikimédia de cette région et d’aider à la coopération et à la compréhension des projets individuels qui font partie de la région CEE. | |
La Coalition Wikimedia États-Unis vise à regrouper les chapitres et organisations thématiques Wikimédia aux États-Unis, dans le but de promouvoir une coopération entre eux. | |
WALRUS (Wikimedians Active in Local Regions of the United States) est une coalition d’individus et d’organisations basée aux États-Unis qui soutient l’édition de projets Wikimédia. |
Les groupes d’usagers
Un groupe d’usagers des projets Wikimédia, plus communément intitulés par l’expression moins inclusive « groupes d’utilisateurs », est une possibilité d’affiliation simple et flexible qui demande moins de prérequis qu’un chapitre ou qu’une organisation thématique. Celui-ci peut en effet être constitué par trois éditeurs actifs seulement, dès lors que ceux-ci adoptent au sein de leur groupe le code de conduite en application au sein du mouvement.
En avril 2023, 141 groupes, dont certains n’existent probablement plus aujourd’hui, tandis que d’autres ont probablement vu le jour, étaient répertoriés sur une page du site Méta-Wiki accessible via le code QR repris ci-contre[359]. En consultant cette liste, on se rend compte à nouveau, de la diversité géographique et culturelle et de la variété des centres d’intérêts présents au sein du mouvement.
On constate aussi que la majorité de ces groupes affiliés, dont le nombre semble en augmentation, se sont formés autour du désir d’une meilleure représentation locale ou identitaire. En janvier 2021[360], sur le 138 existants, on pouvait effectivement dénombrer 54 groupes nationaux, 32 groupes régionaux, 27 groupes linguistiques, 16 groupes identitaires et de sensibilisation, contre 11 groupes thématiques, 16 groupes d’aide aux projets et 8 groupes de soutiens techniques. Tout parait donc indiquer que ces regroupements répondent prioritairement au besoin de se rassembler autour de ce que l’on est et de ce qui nous entoure, et donc a fortiori, de ce que l’on connaît le mieux. De cette nouvelle observation, on comprend donc à nouveau, qu’il est possible au sein d’un vaste mouvement international et interculturel, de combiner unité et diversité.
Les projets d’assistances
À côté des nombreux regroupements qui viennent d’êtres présentés, il existe aussi des projets d’assistances qui aident à la création de contenus ou à l’utilisation de ceux-ci par les usagers des projets Wikimédia. Le projet Kiwix par exemple, permet d’établir un accès hors ligne[361] à toutes les versions linguistiques des projets Wikimédia, ainsi qu’à de nombreuses autres ressources pédagogiques libres et produites à l’extérieur du mouvement[362]. Ce qui représente une véritable aubaine pour les personnes incarcérées, et toutes celles qui ne bénéficient pas de connexion internet[363].
Un autre projet intitulé Lingua Libre a pour ambition de produire sous licence libre, un corpus linguistique, audiovisuel, multilingue et collaboratif[364], pour enrichir les projets pédagogiques. Ce projet est principalement actif en ligne, alors que d’autres projets tels que Afripedia[365], WikiAfrica[366] et Wiki In Africa[367], qui pour sa part est multilingue, sont plus actifs hors ligne et ont pour ambition commune d’apporter des solutions locales au développement des activités Wikimédia sur le continent africain.
Parmi les projets d’assistances disparu à ce jour, il y eut aussi le projet Wikipedia Zero qui visait à fournir un accès gratuit aux projets Wikimédia, afin d’aider les populations précarisées dans l’utilisation du web. Lancé en 2012 par la Fondation, ce projet inspiré du marketing direct de Facebook Zero, fut l’occasion d’établir de nouvelles collaborations avec des producteurs de hardware[368], et de nombreux opérateurs de télécommunication[369].
Le projet fut cependant abandonné en 2018, suite à une baisse de fréquentation et l’apparition de certaines critiques concernant son manque de neutralité concernant l’usage du net[370]. Au même titre que les associations et groupes d’usagers, les projets d’assistance ainsi que les collaborations et partenariats qu’ils ont permis de créer, sont donc susceptibles, eux aussi, de disparaitre à tout moment, pendant que d’autres pourraient voir le jour.
Kiwix est un logiciel informatique pour lire les projets Wikimédia hors ligne. | |
Lingua Libre a pour but de produire un corpus audiovisuel multilingue collaboratif sous licence libre. | |
WikiAfrica vise à africaniser Wikipédia à travers différents réseaux, recherches, publications et événements. | |
Wiki In Africa a pour mission de rééquilibrer le type et la diversité des informations et des perspectives qui sont disponibles en ligne au sujet de l’Afrique. | |
Afripédia fournissait un accès hors-ligne aux projets Wikimédia dans les pays africains. | |
Wikipedia Zero était un projet visant à fournir un accès gratuit aux projets Wikimédia via l’Internet mobile pour les populations qui ont du mal à financer leur accès à Internet. |
Les cycles de conférences et espaces de rencontres
Au sein du mouvement Wikimédia, de nombreux évènements, dont la plupart sont repris dans un agenda collectif[372], permettent de réunir des personnes impliquées dans le mouvement, ou d’autres intéressées par ce qui s’y passe. Ces rencontres peuvent s’organiser de manière sporadique ou régulière, annuelle ou bisannuelle, à un niveau national ou international, en ligne ou hors ligne et durant un jour ou plusieurs jours. Certaines peuvent même s’organiser en périphérie du mouvement. Comme c’est le cas depuis 2016 de l’Enterprise MediaWiki Conference, qui réunit des acteurs publics ou privés, à but lucratif ou non, autour de l’usage du logiciel MediaWiki[373].
La plus importante de toutes ces rencontres est le cycle de conférences Wikimania, qui rassemble chaque année et en provenance du monde entier, près d’un millier de personnes[374]. Un évènement qui de plus, est traditionnellement précédé par un Hackathon, ou autrement dit, un marathon de programmation et de documentation qui rassemble des programmeurs, ou autres personnes intéressées par l’amélioration technique des projets Wikimédia[375].
D’autres conférences ou conventions plus modestes sont organisées dans le mouvement, tout en étant axés sur des thématiques plus spécifiques, ou conçues pour des publics plus restreint. C’est le cas du sommet de Berlin[376] organisé chaque année pour rassembler des représentants de toutes les instances affiliées au mouvement, ainsi qu’une vingtaine d’autres regroupements, parmi lesquels on peut citer Wiki Indaba[377], consacrée au continent africain, ou encore la WikiConvention francophone[378] qui comme son nom l’indique se déroule en français.
Comme autres évènements[379] propices aux rencontres[380], on peut aussi mentionner les ateliers ou édit-a-thons, dont certains sont organisés dans le cadre de campagnes internationales. Ce qui est le cas du projet « Art+Feminism » dédiées à la lutte contre les biais de genre sur Wikipédia. Ensuite, on peut encore citer les WikiPermanences[381], organisées par des associations locales pour permettre la rencontre entre Wikimédiens chevronnés et les autres usagers des projets. Sans oublier finalement, que de simple rendez-vous peuvent être fixés entre contributeurs et contributrice, juste pour se rassembler autour d’un verre, d’un pique-nique ou d’un resto[382], comme ce fut le cas des rencontres hebdomadaires, en Île-de-France et d’autres grandes villes, organisées sous le slogan : « mardi, c’est Wiki »[383].
Toutes ces rencontres hors ligne ont cependant été suspendues lors de la pandémie de la Covid-19[384]. Durant cette période, la Fondation, qui avait fermé ses bureaux et opté pour le télétravail[385], avait aussi suggéré à l’ensemble du mouvement de suspendre ses activités hors ligne, de sorte à renforcer celles en ligne pour à aider les étudiants[386]. Puis, suite au prolongement de la crise sanitaire, la conférence Wikimania 2020 fut annulée, alors que celle de 2021 fut organisée en vidéoconférence[387].
Cette période exceptionnelle donna aussi naissance à des conversations mondiales en ligne durant lesquelles tous les membres du mouvement furent invités à discuter de sa stratégie. Avec plus d’une centaine de personnes connectées à chaque session, ces rassemblements permirent ainsi de partager des avis et points de vue sur la manière d’opérer la transition[388] du mouvement vers l’application des principes[389] et recommandations[390] édictées dans le plan stratégique 2030[391].
De telles expériences confirment donc que de nombreuses activités en ligne s’organisent ou peuvent s’organiser, en dehors des sites web hébergés par la Fondation. Au moment où, durant les activités organisées en présentiel, le brassage de personnes extérieures au mouvement apparaissent comme autant d’opportunités de voir naitre d’éventuels partenariats entre des associations externes et la Fondation ou toute autre entité affiliée au mouvement.
Les partenariats avec des entités externes au mouvement
Après avoir présenté l’organisation du mouvement au niveau de la Fondation et de ses affiliés, voici venu le moment de parler des nombreux partenariats établis entre le mouvement et des entités externes à ce dernier. On peut tout d’abord parler des membres du mouvement Wikimédia employés dans les galeries, bibliothèques, archives et musées ou dans le domaine de l’éducation, en tant que wikimédiens ou wikimédiennes en résidence. Ce sont là des personnes expérimentées dans l’usage des projets Wikimédia qui ont pour principale fonction d’apporter leur expertise dans le partage d’informations ou la diffusion de documents en lien avec le savoir et le patrimoine[392]. Dans le monde et En 2019, 170 postes de ce type étaient répartis dans le monde, avec des contrats qui pouvaient varier entre quelques heures par semaine à plusieurs mois sur l’année[393].
Bien avant qu’apparaissent ces programmes de résidences, d’autres partenariats avaient déjà été établis avec des institutions impliquées dans le développement du logiciel libre. Le premier de ces partenariats date de 2005, lorsque la distribution Linux KDE intégra du contenu de Wikipédia au niveau de ses applications[394]. Suite à quoi, ce sont de nombreux autres partenariats qui se succédèrent dans le cadre d’échanges de services, comme ce fut le cas avec le projet OpenStreetMap[395], un projet de cartographie du monde collaborative et sous licence libre, la free software foundation et Creative Commons[368] présentés en première partie d’ouvrage, ainsi que l’Open Knowledge Foundation, ou encore WikiToLearn dont les missions sont très proches de celle du mouvement Wikimédia.
Des conventions sont ensuite établies avec des organismes de plus en plus variés et parfois par l’intermédiaire d’associations affiliées au mouvement et non plus via la Fondation. Ce fut le cas par exemple de l’association Wikimédia France qui établit un partenariat avec le musée de Cluny situé à Paris, ou encore avec les Archives du département français de l’Hérault, afin d’enrichir la médiathèque Wikimedia Commons et les articles Wikipédia avec les fonds d’archives[396].
Au-delà de la francophonie, il y eut aussi le partenariat Noongarpedia[397] établi avec le conseil australien de la recherche dans le but d’ajouter du contenu en langue Noongar dans les projets Wikimédia, tout en cherchant à ajouter des informations concernant ce peuple australien dans les différents projets et versions linguistiques du mouvement. Pendant qu’en Suède cette fois, un autre partenariat du genre fut établi entre l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture (Unesco) et l’association Cultural Heritage Without Borders, dans l’optique de mettre sous licence libre des informations traitant de certaines formes d’héritages culturels en péril[398].
À cela, on peut encore ajouter des accords établis en 2019 avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans le but d’améliorer la qualité et la quantité du contenu relatif aux droits de l’homme sur Wikipédia[399]. Ou encore ceux établis en 2020 avec l’Organisation mondiale de la Santé, dans le but d’offrir aux projets Wikimédia un accès gratuit à toute une série d’informations concernant la pandémie Covid-19, associé d’une mise à jour automatique[400].
On peut ensuite aussi parler de la Fondation Wiki Education, une spin-off de la Fondation Wikimédia qui a pour mission de faire le trait d’union entre les projets Wikimédia et le monde universitaire aux États-Unis et au Canada[401], ainsi que le laboratoire CivilServant’s Wikimedia studies qui travaille sur l’amélioration de la rétention des nouveaux éditeurs et nouvelles éditrices, tout en cherchant à améliorer l’expérience et la motivation des personnes les plus expérimentées[402].
Ensuite, il reste encore à citer les autres projets liés à l’éducation dont nombreux sont décrits sur le site Wikimedia Outreach[404]. On y retrouve de nombreux échanges entre le mouvement Wikimédia et le milieu de l’enseignement. Que ce soit lors de collaborations officielles, ou d’initiatives informelles en provenance d’enseignants actifs dans les écoles ou universités, il arrive en effet fréquemment que des étudiants soient invités à utiliser et même éditer les projets Wikimédia. Parmi ces activités d’étudiants, se trouvent des travaux personnels encadrés, des projets personnalisés de scolarisation ou encore des plans d’accompagnements personnalisés[405], qui sont parfois organisés sur plusieurs projets Wikimédia simultanément[406].
Comme exemples, il y a les cours au format MOOC[407] du Centre National d’Enseignement à Distance réalisés sur Wikiversité, ainsi qu’un projet de valorisation de ses connaissances sur Wikipédia orchestré par une l’université Paris Ouest Nanterre[408], ou encore plusieurs travaux pratiques encadrés organisé dans Wikilivres [409]. Sans compter que dans Wikipédia, et souvent sans que cela ne se remarque, de nombreux étudiants améliorent ou créent des articles à la demande de leur professeur.
Puis, au-delà des partenariats établis avec des organismes d’intérêt public, il existe enfin des collaborations avec des entreprises commerciales. Cela peut s’établir soit dans le cadre d’un support technique, soit par une aide financière ou l’apport gratuit de nouveau contenu au bénéfice des projets Wikimédia.
Au niveau technique, un des premiers partenariats du genre apparut en 2005, lors d’un accord très médiatisé entre la Fondation Wikimédia et l’entreprise Yahoo[410] qui accepta de prendre en charge l’hébergement du contenu des projets Wikimédia diffusés en Asie[411]. Google avait précédemment proposé ses services pour ce type d’hébergement, mais la proposition était restée sans suite[412]. Ce qui n’empêcha pas l’entreprise de garder de bons contacts avec la Fondation, puisqu’en 2010, elle lui fit un don de deux millions de dollars américain[413][414].
Ce genre de dons est évidemment très apprécié par le mouvement. D’ailleurs, certains géants du Web, qui exploitent eux aussi le contenu des projets Wikimédia dans le cadre de leurs activités commerciale sans offrir de réelle compensation, sont parfois montrés du doigt par la Fondation[415]. Ce qui n’est pas le cas de Google qui fait office de bon élève, en apportant d’autres soutiens techniques et financier au mouvement. Ce fut encore le cas en 2018, dans le cadre du projet Tiger[416], un projet gagnant-gagnant dont le but est de développer des langues minoritaires indiennes au niveau des projets Wikimédia[417], ou encore en 2019, lorsque Google Translate fut utilisé pour la traduction de contenu en langues locales[417].
Les aides financières en provenance des grandes compagnies sont toutefois plafonnées, de telle sorte à ce qu’elles restent négligeables comparées aux millions de dons individuels, d’un montant moyen de 15 dollars, récoltés chaque année par la Fondation. Cela a pour objectif de garantir la liberté de gestion du mouvement, sans pour autant priver la Fondation d’une marge d’exploitation qualifiée en 2017 de « très enviable » par le journal Quartz[418]. La quantité importante de dons récoltés chaque année depuis 2007, a en effet permis la création d’une réserve budgétaire évaluée à plus de 166 millions de dollars en 2020[419].
Cela étant dit, il peut arriver qu’un partenariat soit à l’origine d’une polémique. Ce fut le cas en 2009 par exemple, lorsque la firme Orange fut autorisée à diffuser le contenu des projets Wikimédia sur certains de ses portails web et mobile[420]. Car lorsque que la présence d’encarts publicitaires fut constaté sur les pages de rediffusion du contenu Wikimédia, cela fut très mal perçu par la communauté des éditeurs bénévoles qui manifestèrent leur mécontentement[421].
Cependant, quatre ans plus tard et sans que cela ne suscite aucun commentaire, la Fondation établit un partenariat avec la société commerciale Coinbase, dans le but de faciliter le traitement des dons offerts en bitcoins[422]. Tout semble donc indiquer que la collaboration avec des entreprises à buts lucratifs, alors que le mouvement ne l’est pas, ne pose pas de problème, pas plus que l’optimisation les gains de la Fondation par diverses manières. Seul l’usage de publicités en lien avec la diffusion des contenus Wikimédia semble être une chose intolérable pour les bénévoles qui les produisent.
Même la revente d’un support reprenant du contenu des projets Wikimédia ne pose pas de problème en soi. Et c’est d’ailleurs dans ce contexte que la société commerciale allemande Pediapress fut autorisée à vendre des livres qui contiennent des compilations d’articles en provenance des projets Wikimédia[423]. Toujours à ce jour, il est effectivement possible, en utilisant son navigateur et les hyperliens présents dans les projets Wikimédia, de se rendre sur le site web de l’entreprise pour commander un livre de son choix. En contrepartie de quoi, 10 % des bénéfices liés à la vente de ces ouvrages sont reversés à la Fondation[424].
Le Dico[425] est un autre exemple de publication commerciale d’un contenu en provenance des projets Wikimédia. Ce dictionnaire au format papier, publié par les Éditions Garnier Frères, fut en effet imprimé suite à un partenariat établit entre la maison d’édition, l’association Wikimédia France et le projet Wiktionnaire en français, qui permit l’impression et la diffusion d’un ouvrage reprenant les 40 000 mots de la langue française les plus consultés sur le dictionnaire en ligne.
Finalement, le mouvement Wikimédia apparaît donc comme un allié intéressant dans le cadre d’une mission de diffusion de la connaissance, ou pour l’amélioration d’un enseignement au départ de plate-formes libre et gratuites. Quant à la cosmographie du mouvement, sa présentation permet certainement de mieux comprendre comment des acteurs individuels ou collectifs, privés ou publics, commerciaux ou sans but lucratif, institutionnels ou non, peuvent se rassembler autour de cet objectif commun, qu’est le libre partage de la connaissance.
En terminant la lecture de cette deuxième partie d’ouvrage, on découvre donc, qu’un mouvement social peut être complexe au niveau de son organisation, tout en restant sain par le fait que chacun est libre d’y choisir sa place. D’un côté, les principaux acteurs du mouvement, que sont les contributeurs et contributrices bénévoles actifs au sein des projets, sont effectivement libres d’entamer ou de mettre fin à leurs activités quand ils le veulent. Alors que de l’autre côté, la Fondation et les organismes affiliés établissent des partenariats très variés et dans un vaste champ de coopération planétaire, sans pour autant établir de réels liens de subordination entre les parties, grâce aux précautions prises pour éviter l’apparition de toute pression financière ou politique, qui pourraient apparaitre en liens avec d’organismes commerciaux ou étatiques.
Conclusion : Un mouvement culturel inspirant
Tout au long de cet ouvrage, le mouvement Wikimédia fut présenté comme un vaste système ouvert, dans lequel se trouvent d’un côté, une sphère d’activités numériques mondialement connue grâce au projet Wikipédia, et de l’autre, une sphère d’organisations hors ligne nettement moins populaire, qui s’articule autour de la Fondation Wikimédia et des organismes affiliées au mouvement. Au niveau des projets éditoriaux, les activités se font essentiellement sur base bénévole, tandis que du côté des organismes affiliées, celles-ci peuvent être réalisées par des travailleurs rémunérés.
Ces employés sont toutefois minoritaires par rapport aux bénévoles, qu’ils ont souvent pour charge d’aider. Cela contrairement à ce qui se passe au sein de la Fondation, où les contractuels ont pour tâche de gérer, à l’échelle du mouvement, les questions d’infrastructures informatiques, logistiques, administratives, juridiques, financières, et parfois organisationnelles, lorsqu’elles se posent dans le cadre d’un événement d’envergure internationale.
Durant leur temps de travail, les salariés du mouvement sont en revanche inactifs dans les projets pédagogiques, sauf pour diffuser des messages d’information dans les espaces de discussion, ou pour répondre à des questions. Alors qu’en dehors des projets éditoriaux, ils peuvent participer aux élections des membres du conseil d’administration de la Fondation, ainsi qu’à d’autres activités en lien avec la stratégie du mouvement et sa gestion politique.
Les bénévoles quant à eux, peuvent s’investirent dans des activités de promotion, de formation, de gestion, de coordination ou de prise de décision. Ce qui peut se faire en rejoignant un conseil d’administrations, un comité ou un groupe de travail ou en participant à l’élaboration des stratégies du mouvement. Ceci à côté bien sûr, de tous les espaces pédagogiques où leur participation est grandement sollicitée. Et ce contrairement aux salariées qui, s’ils éditaient les projets durant leur temps rémunéré, risquerait d’attribuer à la Fondation ou aux organismes affiliés, le statut d’éditeur du contenu des sites web, plutôt que celui d’hébergeur ou d’organismes de soutien.
Cela ne veut pas dire qu’en dehors de leurs activités professionnelles, les employés du mouvement sont incapables de modifier le contenu des projets Wikimédia. Mais ils savent dès lors qu’à la moindre dérive pouvant être mise en lien avec leur statut d’employé, cela peut aboutir à un licenciement[426]. D’ailleurs, au sein des projets éditoriaux, toutes les personnes rémunérées pour leurs participations, y compris par une entité extérieure au mouvement, doivent respecter une règle de divulgation d’identité ou de fonction, reprise dans les conditions générales d’utilisation des projets[427].
Contrairement à cela, il est tout à fait naturel que les bénévoles, un minimum actifs au sein des projets et en possession d’un compte, aient accès à la quasi-totalité des activités du mouvement. Et ce, jusqu’aux prises de décision les plus importantes, puisque tous les membres des conseils d’administration du mouvement sont bénévoles. Suite à quoi, il faut se rappeler qu’au niveau des comités, des groupes de travail, et autres lieux de gestion et de prise de décision formellement établis au sein du mouvement, les volontaires travaillent côte à côte avec les personnes employées par le mouvement, y compris celles actives dans les équipes de directions.
À l’intérieur de l’organisation Wikimédia, apparaît ainsi une structure très horizontale par sa mixité et dans laquelle il est possible de passer du statut de bénévole à celui de contractuel et réciproquement. À ce propos, un contributeur expliquait qu’il était employé pendant un an par l’Institut international pour la Francophonie de Lyon afin de travailler sur le Dictionnaire des francophones. Lorsque son mandat fut terminé, c’est de nouveau en tant que bénévole, qu’il posta ce message à l’attention de la communauté des éditeurs du projet Wiktionnaire francophone[428] :
Tout au long de cette année, j’espère avoir été à l’écoute de la communauté et j’espère que mes modifications ne sont pas allées à l’encontre des usages en vigueur. N’hésitez pas à me faire part de toute remarque ou question sur des choses que j’aurais pu faire ou ne pas faire, je me tiens disponible pour en assurer le suivi. J’ai appris énormément de choses sur les façons de faire, la lexicographie en général et j’ai aujourd’hui une vision assez précise de ce qu’est une bonne entrée, une bonne définition. Aujourd’hui, avec mon compte personnel Sebleouf, j’ai l’ambition de continuer ces missions d’amélioration de la qualité à titre bénévole.
Comme l’explique ensuite très bien Alexandre Hocquet en paraphrasant Michel Foucault au sujet de Wikipédia, dans une vidéo accessible via son code QR, ce projet encyclopédique peut être vu tel une hétérotopie, ou autrement dit, comme un espace différent au regard de ce qui est habituellement observé au sein des sociétés. Une analyse tout à fait transposable au mouvement dans son ensemble, vu ses particularités liées à la liberté des acteurs et à l’esprit de partage, qui divergent fortement avec ce que l’on a l’habitude de voir dans le monde politique ou marchand.
Rappelons-nous en effet que la vision de Wikimédia est de développer un système de partage de la connaissance humaine à un niveau planétaire. Et que pour ce faire, le mouvement semble avoir tenu compte, de manière inconsciente sans doute, de cette composante importante dans l’organisation de la vie sociale que représente le nombre de Dunbar. Selon les capacités cognitives de chacun, ce nombre qui se situe entre 100 et 203, indique en effet le nombre maximum de personnes au-delà duquel, il devient très difficile d’établir des relations de confiance et une bonne communication au sein d’un groupe[430]. En sachant cela, l’idée de développer et maintenir au sein de l’immense structure Wikimédia, de nombreux petits groupes autonomes et interdépendants, est tout à fait remarquable.
À l’opposé des États-nations ou des religions qui divisent les êtres humains tout en établissant des hiérarchies statutaires, le mouvement Wikimédia, tout au contraire, développe une organisation extrêmement cosmopolite, dans laquelle cohabitent autour d’une mission commune, de nombreuses entités autonomes et peu hiérarchisées. Il s’agit donc bien là d’une manière très astucieuse de penser l’organisation du monde, au travers de ce que l’on pourrait considérer comme une sociocratie[431] ou holacratie planétaire, dans lequel les différents groupes d’humains autonomes fonctionnent tels des « holons[432] » sociaux. Ou autrement dit, un ensemble d’organismes autosuffisants capables de gérer des imprévus sans forcément ou obligatoirement se référer à une autorité supérieure.
En cette fin d’ouvrage, il devient donc évident que le mouvement Wikimédia est quelque chose de plus vaste, plus complexe et surtout plus intéressant qu’une simple encyclopédie. Car au sein de l’écoumène numérique, et grâce à un refus catégorique de toute forme de publicité, c’est finalement l’espace du savoir que le mouvement a réussi à maintenir à l’écart de l’espace des marchandises[433]. Cela pendant que dans le reste de l’espace Web, pourtant initialement conçu comme lieu d’émancipation, les entreprises commerciales finirent par prendre le dessus, en créant des espaces à but lucratif pourvoyeurs d’exclusions sociales[434].
De manière moins flagrante sans doute, ces inégalités existent aussi dans le mouvement Wikimédia. Ce qui explique peut-être pourquoi la majorité des membres qui ont participé à l’élaboration de sa stratégie à l’approche de 2030, ont décidé d’orienter celle-ci vers un partage plus équitable des connaissances humaines selon deux grands principes[435] :
La connaissance en tant que service : Pour servir nos utilisateurs, nous deviendrons une plate-forme offrant des connaissances libres à travers le monde, sans limites d’interfaces ni de communautés. Nous bâtirons des outils pour que nos alliés et partenaires puissent organiser et partager des connaissances libres au-delà de Wikimédia. Notre infrastructure permettra que nous et d’autres puissions rassembler et organiser différentes formes de connaissances libres crédibles.
L’équité au sein de la connaissance : En tant que mouvement social, nous focaliserons nos efforts sur les connaissances et les communautés qui ont été exclues des structures de pouvoir et de privilège. Nous accueillerons des personnes de toutes les origines pour construire des communautés fortes et diverses. Nous surmonterons les obstacles sociaux, politiques et techniques qui bloquent l’accès et la contribution des personnes aux connaissances libres.
Bien sûr, il ne s’agit là que d’affirmations théoriques formulées dans un mouvement social qui n’est pas épargné par les inégalités sociales et économiques qui caractérisent notre époque. Car il va de soi, qu’entre les employées et employés de directions et les bénévoles en situation précaire, les élus dans les conseils d’administration et les contributeurs ou contributrices sans compte, les programmeurs d’interfaces et les utilisatrices ou utilisateurs novices, certaines inégalités sont aussi présentes au sein du mouvement, et même pourvoyeuses de certaines tensions.
C’est là sans doute un paradoxe qui, au-delà de Wikimédia, nous invite à réfléchir sur la meilleure façon d’organiser notre société humaine, confrontée aux enjeux d’un monde toujours plus global et numérique. Et il se fait que cette invitation représente précisément l’objet d’un second ouvrage intitulé Imagine un monde[436], dans lequel le modèle de partage et d’autodétermination bénévole Wikimédia est analysé, dans le but d’imaginer un monde plus juste et plus sain. Un monde dans lequel une révolution culturelle oubliée, mais remise en lumière dans cet ouvrage, pourrait achever son œuvre.
Remerciements
Étant sujet à une certaine dyslexie et dysorthographie, je tiens à entamer ces remerciements en les attribuant en premier lieu à toutes les personnes qui ont pris le temps de corriger l’orthographe de mes écrits. Je ne remercie pas en revanche, l’académie française d’avoir développé et maintenu une orthographe du français aussi inutilement complexe. Car comme l’expliquent deux linguistes dans une conférence TED que l’on peut visionner grâce au code QR ci-dessous, « La faute de l’orthographe » est que sa complexité repose sur peu de fondement, autres que le désir de discriminer une certaine frange de la population.
Heureusement, il existe aujourd’hui des correcteurs automatiques libres et très efficaces, créés par des personnes bienveillantes pour leurs parts, à qui j’adresse toute ma gratitude. J’en utilise trois différents de telle sorte à minimiser autant que possible le travail de mes relecteurs. Le premier est le correcteur natif de mon navigateur, le second est LanguageTool que j’ai utilisé dans sa version gratuite, et le dernier, qui m’est apparu de loin comme le plus complet, est Grammalecte, un logiciel libre que l’on peut installer aussi bien sur Firefox que LibreOffice.
Je tiens ensuite à remercier aussi toutes les personnes qui m’ont soutenu en m’offrant leurs commentaires, suggestions, réflexions et encouragements, tout au long de mon travail d’écriture. Je pense ici bien sûr, mais pas seulement, aux membres de la communauté Wikimédia qui m’ont gracieusement offert de leur temps et que je me dois de présenter comme coauteurs et coautrices de cet ouvrage. Au total, ce fut ainsi plus d’une centaine de personnes qui m’ont apporté leur aide, lors de nombreux échanges réalisés dans différents espaces de discussion en ligne ou hors ligne situés au sein du mouvement.
Plutôt que de chercher à reproduire ici tous les noms et pseudonymes de ces personnes, pour finalement en oublier certaines, je préfère terminer ces remerciements en m’adressant à tous les bénévoles du monde entier. C’est-à-dire à toutes ces belles personnes que l’on retrouve dans le mouvement Wikimédia, mais aussi dans d’autres mouvements ou organisations, ainsi que dans des familles, des groupes d’amis ou d'amies, et puis finalement en chacun d’entre nous, lorsque nous décidons de partager notre temps, nos compétences ou nos biens, avec des connaissances ou des inconnues. Car au bout du compte, qu’il s’agisse d’un sacrifice de soi-même ou d’un simple sourire, ce sont tous ces gestes volontaires et bienveillants, qui forment la beauté humaine. Ne l’oublions jamais.
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