La politique monétaire/Le canal du cashflow

Après avoir vu le canal du taux d'intérêt, il est temps de voir un autre canal de transmission de la politique monétaire. Nous allons parler du canal du cashflow, un canal complémentaire au canal des taux d'intérêt et qui peut s'analyser avec des outils similaires.

Les canaux du cashflow

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Le canal du cashflow est en fait la réunion de deux canaux antagonistes. Le premier canal est appelé le canal des intérêts d'emprunt, alors que le second est appelé le canal des intérêts d'épargne.

Le premier canal est causé par le fait que les intérêts des emprunts sont pris sur le revenu disponible. Quand vous remboursez un emprunt, vous remboursez chaque mois un peu du capital emprunté, mais aussi les intérêts. La plupart des crédits sont dits à taux fixe, dans le sens où le taux est déterminé une fois pour toutes lors de la souscription. La mensualité est la même durant toute la durée du prêt et le taux d'intérêt ne varie pas dans le temps. Mais si ces crédits sont majoritaires en France, les autres pays utilisent des crédits à taux variable, où le taux d'intérêt évolue au cours du temps. Le taux est indexé sur d'autres taux techniques, mais on peut considérer qu'il est indirectement indexé sur les taux directeurs. Ce qui fait que quand la banque centrale diminue ses taux directeurs, le taux des emprunts à taux variable baissent et les mensualités d'emprunt font de même. Les emprunteurs voient donc leurs mensualités évoluer avec le temps, en fonction de la politique monétaire. Et une hausse ou baisse des mensualités se répercute sur le revenu disponible et donc sur la consommation et le PIB.

 

Les consommateurs ne sont pas les seuls emprunteurs potentiels. De nombreuses entreprises sont endettées, l'endettement étant un bon moyen de financer l'investissement. Une baisse des taux est donc favorable pour elles, dans le sens où elles auront moins d'intérêts à payer. Ce faisant, ces économies d'intérêts peuvent servir à consolider les comptes de l'entreprise ou être reversées en tant que dividendes, mais elles peuvent aussi financer de l'investissement. Les économies d'intérêts sont alors réinvesties pour faire grossir l'entreprise ou l'adapter au marché. Cet investissement supplémentaire, lié non pas à un endettement accru mais à une économie de charges d’intérêt, se répercute sur le PIB.

 

Le second canal est le pendant du précédent, mais pour les revenus de l'épargne. En effet, une partie de l'épargne est rémunérée sous la forme d'un intérêt, comme le sont les livrets bancaires, les comptes à terme, les fonds euro d'assurance-vie, et bien d'autres. Et les taux d'intérêt de cette épargne sont indexés sur les taux directeurs, par divers mécanismes qu'on a vu dans les chapitres précédents (courbe de s taux, autres). Ce qui fait que quand la banque centrale réduit ses taux directeurs, tous les autres taux baissent, ce qui impacte la rémunération de l'épargne. Or, la rémunération de l'épargne fait partie du revenu disponible. Sa baisse ou sa hausse se répercute sur le revenu disponible, ce qui impacte la consommation et par la suite le PIB.

 

La modélisation des deux canaux du cashflow

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Dans le chapitre précédent, nous avions vu que le revenu disponible d'un agent est égal à ceci :

 , avec Y ses revenus totaux, et T les taxes et impôts.

Pour un épargnant, les revenus d'épargne sont contenus dans les revenus Y. Mais on peut séparer les revenus d'intérêt et le reste. On a alors :

 , avec S son épargne et   le taux de rémunération de son épargne.

Cela peut se reformuler comme suit :

 , avec  .

Pour un emprunteur, il faut retrancher les intérêts à payer sur les crédits et le remboursement du capital.

 , avec R le remboursement du capital,   le taux d’emprunt et D le montant de la dette empruntée.

On peut raisonnablement penser que les taux d'intérêt d'épargne et d'emprunt sont reliés par la relation suivante, vue il y a quelques chapitres :  , avec   une prime de risque qui sert à se couvrir du non-remboursement des crédits. En faisant le remplacement, on trouve :

 

Dans ce qui suit, la prime de risque est supposée constante et n'est pas influencée par la politique monétaire (ce qui est partiellement faux, mais passons). La formule précédente se reformule alors comme suit :

 

Les équations précédentes se généralisent au niveau macroéconomique. Elles donnent la variation totale de revenu disponibles de tous les emprunteurs et de tous les épargnants. Si on considère que le revenu disponible est celui de tous les emprunteurs ou de tous les épargnants, on a :

 , avec D le stock total d'épargne dans l'économie.
 , avec D le stock total de dette dans l'économie.

En prenant les variations, et en supposant que S et D sont constants, on trouve :

 
 

L'influence du solde débiteur net

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On voit que les deux canaux vont dans des sens opposés : le premier stimule la consommation, alors que le second la réduit. Intuitivement, les deux devraient s'annuler. Un raisonnement simple nous dit en effet que la somme des emprunts devrait être égale à la somme de l'épargne, comme on l'a vu en parlant du canal des taux. Rien d'étonnant à cela, vu que les sommes prêtées viennent de l'épargne préexistante. En théorie, la baisse des taux doit impacter les taux d'emprunt et les taux de l'épargne de la même manière. Si l'un baisse de 1%, l'autre doit faire de même. Ce qui est gagné d'un côté l'est aussi de l'autre. En théorie, une hausse/baisse des taux n'a donc pas d'effets globaux, elle ne change pas le revenu disponible total de tous les agents économiques. Certains vont voir leur revenu disponible augmenter, d'autres vont le voir baisser, mais les hausses compensent les baisses au niveau global. Par exemple, une baisse des taux fait gagner de l'argent aux emprunteurs, mais fait perdre la même somme aux épargnants et le revenu disponible global ne change pas.

Mis en équations, voici ce que cela donne. On a naturellement :

 

Prenons la variation, on a :

 

On utilise les équations de la section précédente :

 

On factorise :

 

Si on a D = S, alors on a :

 

Mais dans la réalité, l'égalité D=S n'est pas respectée. On a pourtant vu dans le chapitre précédent que l'égalité I=S est tout le temps respectée, mais le diable est dans les détails. La différence D-S est liée à l'existence d'une épargne non-rémunérée par des intérêts, comme l'argent sur les comptes courants. De plus, une partie de la dette est détenue dans des plans d'épargne en prévision de la retraite, du chômage, ou autre. Les intérêts associés ne font pas partie du revenu disponible, ce qui fait que l'épargne associée ne compte pas.

L'influence de la propension à consommer

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Outre la différence D-S, il faut aussi prendre en compte la propension à consommer. Les épargnants ont par définition de quoi épargner et ne sont pas spécialement limités par leur revenu disponible pour ce qui est de consommer. Il est naturel de penser qu'un épargnant préfère épargner que consommer, ce qui lui donne une propension à consommer faible. Pour les emprunteurs, c'est l'inverse : ils empruntent car ils n'ont pas assez d'épargne et/ou de revenu pour obtenir ce qu'ils veulent (une maison, une voiture, ou autre). Sans compter qu'il est difficile d'épargner avec un crédit sur les bras. Ils ont donc vraisemblablement une propension à consommer plus grande. En prenant en compte cet effet, une hausse/baisse des taux peut toucher la consommation par le canal du cashflow, même quand épargne et dette sont égales. Avec une baisse des taux, la consommation des emprunteurs augmente et celle des épargnants se réduit, mais l'ensemble ne se compense pas et la consommation augmente. Et cette hausse de la consommation se répercute sur le PIB, par le biais du multiplicateur keynésien. Au final, l'effet n'est pas exactement nul.

Pour mettre cela en équations, nous allons séparer la population en deux catégories : les emprunteurs et les épargnants. Nous allons calculer le revenu disponible total pour chaque catégorie, puis faire de même avec la consommation, et ainsi de suite. La consommation de chaque catégorie est alors la suivante :

 , avec   la propension moyenne à consommer des emprunteurs et   la propension moyenne à consommer des épargnants.

Prenons la variation, en supposant les propensions à consommer constantes :

 

On utilise les équations   et   :

 

On factorise :

 

On trouve donc une généralisation de l'équation :  , qui tient compte des propensions à consommer. Mais ce qui est intéressant, c'est d'étudier le cas où D=S. On a alors : :

 

On voit que la consommation est stimulée par la différence de propension à consommer, même si la dette et l'épargne sont identiques. Et cette différence de consommation se répercute sur le PIB par le biais du multiplicateur keynésien. Pour résumer, le canal du cashflow a un impact par le biais du nombre d'emprunteurs et leur propension à consommer.

Conclusion

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Ce chapitre nous a appris que la politique monétaire redistribuait du pouvoir d'achat entre emprunteurs et épargnants. Une baisse des taux sera favorable aux emprunteurs et défavorable aux épargnants, alors qu'une hausse aura l'effet inverse. Si en première approximation, cette redistribution n'a que peu d'impact sur le PIB, il existe quand même un petit effet lié aux propensions à consommer. Vu que les emprunteurs dépensent plus leur revenu que les épargnants, une baisse des taux remet de l'argent en circulation dans l'économie. De l'argent qui aurait été épargné se retrouve dans la consommation, et l'équilibre épargne-consommation est alors chamboulé, ce qui a un impact macroéconomique sur le PIB et l'inflation.

Néanmoins, le canal du cashflow n'est pas le seul à toucher l'équilibre épargne-consommation. À ce titre, on pourrait aussi citer le canal de substitution intertemporel, qui est l'équivalent du canal du cashflow, mais lissé dans le temps. Il décrit comment les agents décident d'épargner ou de consommer en fonction de leurs anticipations de l'avenir. Plus ils pensent avoir des revenus futurs élevés, plus ils auront tendance à consommer maintenant et à peu épargner. Et inversement, les agents peuvent épargner pour se prévenir contre une future baisse de revenus. Et les taux d'intérêt ont leur rôle à jouer dans cet arbitrage, ceux-ci déterminant à quel point l'épargne sera rentable dans le futur. Mais nous verrons cela vers la fin de ce cours. Pour poursuivre ce chapitre, nous allons devoir parler de ce qui se passe pour les épargnants dont l’épargne n'est pas rémunérée sous la forme d’intérêt, mais sous la forme de dividendes, de loyers, ou autres. Et pour cela, nous allons devoir parler du canal des prix d'actifs, ce que se propose de faire le prochain chapitre.