La politique monétaire/Le canal des taux d'intérêts

Il existe plusieurs explications concernant la forme de la courbe IS. Il est possible de la dériver de plusieurs manières, que ce soit via quelques hypothèses ad hoc ou via de véritables fondations microéconomiques. Ces explications sont parfois contradictoires, ou tout du moins portent sur des aspects macro ou microéconomiques forts différents. Nous allons passer celles-ci en revue. La première explication, chère aux keynésiens, part du principe que le PIB est la somme de plusieurs dépenses : la consommation des ménages et entreprises, l'investissement, les dépenses gouvernementales et les exportations et importations (les exportations sont intégrés dans le PIB, alors que les importations en sont soustraites). Ainsi, on a :

, avec le PIB, la consommation, l'investissement, les dépenses gouvernementales, les exportations et les importations.

La courbe IS : l'influence des taux d'intérêt modifier

la consommation est totalement insensible aux variations des taux d'intérêts, du moins dans une certaine mesure, et on peut raisonnablement supposer la même chose pour les dépenses gouvernementales. Par contre, les taux d'intérêt ont une grande influence sur l'investissement. Aussi, il n'est pas étonnant que la macroéconomie keynésienne ait fait grand cas de la relation entre investissements et politique monétaire. Au passage, même si consommation et dépenses ne sont pas influencées par les taux d'intérêts, il est important de les étudier pour comprendre comment la politique fiscale et la politique monétaire interagissent.

La fonction de consommation modifier

La consommation réagit suite à une variation des taux, essentiellement car elle soulage ou durcit la situation des ménages qui ont un crédit à taux variable (très courant dans d'autres pays que la France). Cependant, cette situation a un effet sur l'économie qui peut être négligé dans notre analyse. Une spécification totale de la courbe IS ne se limite pas à l'influence des taux d'intérêts sur la consommation, mais prend aussi en compte l'influence du revenu Y (le PIB) et des encaisses réelles  . Dans le détail, cela amène à trouver une équation qui détermine la consommation sur la base du revenu, des impôts, des encaisses réelles, etc.

La consommation et le revenu disponible modifier

Pour simplifier, la consommation dépend essentiellement du revenu. La consommation dépendante du revenu dépend plus précisément du revenu disponible, le revenu après impôt. Le revenu total avant impôts, au niveau macroéconomique, est par définition égal au produit intérieur brut (nominal ou réel selon qu'on parle du revenu réel ou nominal). Si on note T les impôts/taxes et Y le PIB, le revenu disponible est égal à :

 

Les agents économiques sont supposés dépenser une fraction   de leur revenu disponible et épargner le reste, soit la fraction  . La fonction de consommation est alors la suivante :

 
 
Fonction de consommation.

Pour quelques raisons techniques, il est préférable de rajouter un terme de consommation indépendante du revenu. La consommation devient alors une fonction affine du revenu disponible, à savoir une équation de la forme :  . Dans ce qui va suivre, nous utiliserons la notation suivante :

 

Il est possible de raffiner l'analyse, en postulant que les impôts sont proportionnels aux revenus (et donc au PIB). Mathématiquement, cela donne :  . Les équations précédentes deviennent alors :

 
 

L'effet d'encaisses réelles modifier

La fonction de consommation précédente, inventée par Keynes, a par la suite été complétée suite aux remarques de Pigou. Divers arguments, liés à des controverses sur l'effet d'une baisse des salaires sur l'emploi, ont poussé Pigou à ajouter les encaisses réelles   dans la fonction de consommation. Le raisonnement est que la monnaie est une richesse, qui peut être dépensée pour consommer. Plus les agents ont d'argent placé, plus ils auront tendance à consommer. Par exemple, une personne avec plus de 200.000 euros sur son compte courant a de quoi consommer, même si son revenu est nul. La consommation dépend donc non seulement du revenu, mais aussi de l'épargne accumulée (rappelons que l'épargne est de la consommation différée. Pigou a donné un nom à l'influence de l'épargne monétaire sur la consommation : c'est l'effet d'encaisses réelles. La fonction de consommation devient alors :

 

Dans la suite de ce chapitre, nous négligerons l'effet d'encaisses réelles. Celui-ci sera cependant utilisé dans les chapitres sur les modèles IS/LM et AD/AS, dans la partie du cours portant sur les théories monétaristes. La raison est que cet effet est fondamentalement monétariste, lié aux agrégats monétaires, au point qu'il se marie assez mal avec les théories Wickseliennes (qui se basent sur des taux d'intérêts).

L'investissement et les taux d'intérêts modifier

 
Courbe concave qui relie l'investissement en fonction du taux réel.

L'investissement est souvent financé par le crédit. Les entreprises empruntent aux banques pour financer leurs investissements ou peuvent recourir à des obligations. Les ménages eux-même peuvent investir dans l'immobilier ou dans une voiture en utilisant le crédit. Le coût du crédit dépend fortement du taux d'intérêt : plus ce dernier est élevé, plus les intérêts seront élevés et moins il sera rentable d'emprunter. Plus les taux sont forts, plus le nombre de crédits sera faible. Il y a donc une relation entre taux d'intérêt et investissement total.

Il faut préciser que les entreprises et ménages basent leurs décisions d'emprunt/investissement sur la base des taux réels, et non sur les taux nominaux. Les investisseurs anticipent l'inflation et en déduisent un taux réel à partir d'un taux nominal. En fonction de ce taux réel anticipé, ils décident d'investir ou non si le taux réel est acceptable. Plus le taux réel est intéressant, plus les investisseurs sont attirés par le rendement. Inversement, un taux réel trop faible fera fuir les investisseurs.

De plus, ce sont les taux longs qui sont utilisés et non les taux courts. Les taux courts, décidés par la banque centrale, sont utilisés sur le marché monétaire pour négocier les crédits d'une durée très courte, trop courte pour financer des investissements qui mettent du temps avant de devenir rentables. Les investisseurs empruntent en fait sur des durées suffisamment longues pour que leurs investissements deviennent rentables. Et les taux associés sont les taux longs, pas les taux courts. Rappelons que les taux longs dépendent des taux courts, qui sont eux-même influencés par la banque centrale.

Pour résumer, l'investissement est une fonction décroissante des taux d'intérêt réels de long-terme. Par souci de simplification, nous allons supposer que l'investissement est une fonction linéairement décroissante du taux long réel. Ce choix est purement arbitraire et ne sert qu'à simplifier les calculs. Mais il va de soit que nous aurions pu prendre n'importe quelle autre forme, comme une forme concave ou convexe, plus réaliste. On obtient alors :

 

L'équation de la courbe IS modifier

Récapitulons. Nous avons établit les deux équations suivantes, qui donnent la consommation et l'investissement en fonction du revenu et des taux d'intérêt.

 
 

Dans ce qui va suivre, nous allons nous concentrer sur le cas d'une économie fermée, à savoir sans échanges commerciaux avec d'autres pays. Dit autrement, les exportations et importations sont nulles, ou tout du moins négligées. L'analyse en économie ouverte (avec prise en compte des exportations et importations) sera vue dans quelques chapitres. Mais que l'économie soit ouverte ou fermée ne change rien (ou presque) aux résultats que nous allons obtenir dans ce chapitre, qui sont valables dans les deux cas. La seule différence est qu'il faut tenir compte de l'impact indirect des taux d'intérêt sur les exportations et importations, ce qui ne fait que complexifier le tout tout en gardant des équations similaires. Toujours est-il qu'avec cette hypothèse, le PIB est définit comme suit :

 

En combinant les équations précédentes, on a :

 

On peut alors regrouper le terme   en un seul, que l'on note  . On retrouve alors l'équation de la courbe IS :

 

Les déplacements de la courbe IS modifier

 
Déplacement de la courbe IS suite à une politique fiscale ou monétaire restrictive.

On vient de le voir, la courbe IS dépend de nombreux paramètres, certains relevant de la politique monétaire, et d'autres de la politique budgétaire. Pour ce qui est de la politique budgétaire, la consommation dépend essentiellement du taux d'imposition, tandis que les dépenses gouvernementales sont du fait même des états. Par contre, l'investissement et les exportations nettes sont sous le contrôle direct de la banque centrale, ces deux facteurs dépendant essentiellement des taux d'intérêts.

Dans les faits, une politique monétaire accommodante augmente l'investissement et les exportations nettes, ce qui augmente le PIB (la valeur dépendant du multiplicateur keynésien). Une augmentation des dépenses de l'état aura le même effet, à savoir que cette augmentation augmentera le PIB, par le biais du multiplicateur. Par contre, une politique fiscale à base de baisses d’impôts aura un effet plus faible, portant essentiellement sur la consommation (et sur la valeur du multiplicateur fiscal, dans les modèles plus complets). Dans tous les cas, une politique monétaire ou fiscale accommodante (baisse des impôts, hausse des dépenses, taux bas) augmente fortement le PIB, déplaçant la courbe IS vers la droite. Une politique monétaire ou fiscale restrictive aura l'effet inverse (baisse du PIB, ce qui déplacera la courbe IS vers la gauche.

La pente de la courbe IS et les multiplicateurs keynésien modifier

On vient de voir que divers composants du PIB sont dépendants des taux. Mais ceci sont aussi dépendants d'un paramètre nommé le multiplicateur keynésien. Ce multiplicateur n'est pas unique, et il faudrait faire la distinction entre multiplicateur de l'investissement, multiplicateur des dépenses et multiplicateur fiscal.

Précisons que pour les démonstrations qui vont suivre, nous allons devoir faire quelques suppositions. La plus importante tient dans les relations de causalité dans l'équation  . L'hypothèse suppose que I et G sont indépendants, mais aussi que ce sont des variables dites exogènes. Par exogènes, on veut dire que la causalité va dans le sens  , et non dans l'autre sens. Dit autrement, on suppose que les variations de I et de G surviennent "toutes seules", et qu'elles se répercutent sur le PIB et/ou la consommation. Pour cela, il faut que l'investissement ne dépend pas de l'épargne S, qui est égale à  , avec T les taxes. On fait donc une hypothèse implicite, qui est que l'investissement existe de manière totalement autonome, sans rapport avec l'épargne, la consommation ou quoique ce soit d'autre. Cette vision se marie donc bien avec les théories naïves de la monnaie purement endogène, qui supposent que les banques commerciales créent de la monnaie sans avoir besoin d’une épargne préalable.

Mais on peut aussi interpréter les choses d'une manière différente. On peut considérer que la causalité va du PIB vers ses composantes. Les agents économiques touchent un revenu, payent leurs taxes, et décident combien ils consomment et combien ils épargnent. On a alors l'équation  . Pour simplifier, l'épargne finance l'investissement, alors que les taxes financent les dépenses gouvernementales. Ce qui redonne l'équation  . Dans une telle situation, il n'existe pas de multiplicateur keynésien et il ne peut pas y en avoir. Notons que cette vision se marie mieux avec les théories à monnaie exogène, où les banques ne peuvent investir que de l'épargne préexistante.

Les multiplicateurs keynésiens modifier

Nous allons commencer par le multiplicateur de l'investissement. Celui-ci indique que l'augmentation de l'investissement a un effet sur le PIB qui est supérieur à l'augmentation de l'investissement lui-même. Dans le détail, si l'investissement augmente d'une quantité  , le PIB augmentera d'une quantité égale à :

 , avec   le multiplicateur de l'investissement.

Il existe un multiplicateur équivalent pour une hausse des dépenses gouvernementales, qui dit de combien augmente le PIB suite à une hausse des dépenses G. Il est défini par :

 , avec   le multiplicateur des dépenses gouvernementales.

Enfin, il existe la même chose, un multiplicateur fiscal pour les impôts et taxes T. Contrairement aux multiplicateurs précédent, il a une valeur négative, ce qui veut dire qu'une hausse des impôts réduit la production. Ce multiplicateur vaut :

 , avec   le multiplicateur fiscal.

La pente de la courbe IS modifier

Le multiplicateur de l'investissement modifie la pente de la courbe IS. Pour comprendre pourquoi, il faut partir de la formule de l'investissement que nous avons utilisée plus bas. Celle-ci est, pour rappel :

 

En étudiant les variations de I par rapport à r, on trouve (avec   constant) :

 

On combine cette équation avec la formule du multiplicateur keynésien  , ce qui permet d'obtenir la variation du PIB provenant d'une variation du taux réel.

 

Si on trace la courbe sur un graphique r-Y, on voit qu'il s'agit d'une fonction affine dont la pente est égale à  .

Le calcul du multiplicateur keynésien modifier

Reste à calculer le multiplicateur keynésien pour parfaire notre compréhension de la pente de la courbe IS. Pour cela, nous allons calculer le multiplicateur keynésien dans plusieurs cas : avec ou sans impôts, avec des impôts proportionnels, etc.

Le cas sans impôts ni dépenses gouvernementales modifier

Pour commencer, nous allons omettre les impôts et taxes, ainsi que les dépenses gouvernementales. Ce cas est irréaliste, mais permet de simplifier les calculs afin de mettre l'accent sur l'essentiel. L'équation qui définit le PIB devient alors :

 

Nous allons aussi utiliser la fonction de consommation simplifiée suivante :

 .

On combine avec l'équation précédente :

 

On soustrait   :

 

On factorise :

 

On divise par   :

 

L'équation donne le multiplicateur de l'investissement, qui est égal à  .

Le cas avec des impôts forfaitaires modifier

On peut raffiner l'analyse en utilisant la fonction de consommation suivante :

 .

On combine l'équation précédente avec l'équation   qui définit le PIB :

 

On développe :

 

Là encore, on soustrait   et on factorise, et on trouve :

 

Les calculs sont les mêmes que précédemment, sauf que l'investissement est remplacé par  . Mais le multiplicateur est le même.

Le cas avec des impôts proportionnels modifier

Il est aussi possible de raffiner l'analyse, en postulant que les impôts sont proportionnels aux revenus (et donc au PIB) :  . La fonction de consommation est donc :

 

En combinant avec la définition du PIB, on a :

 

On fait passer les termes avec Y à gauche et on factorise :

 

On divise alors par   :

 

Dans ces conditions, le multiplicateur vaut  .

Pourquoi cette courbe s'appelle-t-elle "courbe IS" ? modifier

Les premières démonstrations de la courbe IS keynésienne/classique partaient de la théorie classique des taux d'intérêt, que nous avions abordée dans les premiers chapitres du cours. Elles se basaient sur l'hypothèse que investissement et épargne sont égaux. Les formulations ultérieures ont réussit à s'affranchir de cette théorie des taux d'intérêt, mais conservent le fait que investissement et épargne sont égaux, bien que ce soit pour des raisons différentes. On a donc :

 , avec I l'investissement et S l'épargne (Savings en anglais).
Cette identité comptable a d'ailleurs donné son nom à la courbe IS (courbe Investment-Savings).

Les dérivations de I=S à partir des définitions du PIB modifier

Il est possible de retrouver cette égalité à partir de quelques raisonnements sur les identités comptables du style  , ce que nous allons faire dans ce qui suit.

Le cas d'une économie fermée sans état modifier

On peut "démontrer" cette égalité en partant de la définition du PIB. Dans un monde sans état et en économie fermée, les revenus sont soit dépensés, soit épargnés. On a alors :

 

Du côté de la production, ce qui est produit est soit consommé, soit investit. On a donc :

 

En combinant les deux équations précédentes, on trouve bien l'identité comptable :

 

Le cas d'une économie fermée avec état modifier

 
Interprétation des identités comptables dans la théorie keynésienne.

Maintenant, ajoutons un état qui lève des taxes et dépense. Dans une économie fermée avec état, les revenus sont soit dépensés, soit épargnés, soit utilisés pour payer des taxes.

 , avec Y le revenu (le PIB pour être précis), C la consommation, S l'épargne et T les taxes.

Inversement, si on regarde du côté de la production, le revenu provient soit des dépenses de consommation, soit des dépenses d'investissement, soit des dépenses gouvernementales.

 , avec Y le revenu (le PIB pour être précis), C la consommation, I l'investissement, G les dépenses gouvernementales, E les exportations et M les importations.

On a alors l'égalité suivante :

 

En simplifiant et en isolant S, on trouve l'équation suivante :

 

Le déficit public de l'état est égal, par définition, à  , ce qui donne :

 

Cette équation est assez logique quand on sait qu'un état en déficit public doit trouver de l'argent pour financer ses dépenses, car les impôts ne suffisent pas. La différence entre dépenses et impôts provient soit de l'épargne accumulée par l'état, soit d'un emprunt sur les marchés financier. Vu que les états avec de l'épargne sont rares, on peut considérer que le déficit est ce que doit emprunter l'état pour financer ses dépenses qui dépassent ses impôts. Et cet emprunt remobilise de l'épargne privée non-investie : l'épargne prête par l'état est en fait de l'épargnée privée qui est prêtée à l'état. L'épargne privée se répartit entre investissement et financement du gouvernement. Si l'épargne est donnée, un déficit public réduit l'investissement. On fait face à un effet d'éviction : l'épargne qui aurait été utilisée pour investir est redirigée pour financer l'état. Ce cas est courant, mais il existe des situations où l'effet d'éviction ne se manifeste pas, comme on le verra plus tard.

Le cas d'une économie ouverte avec état modifier

Le cas précédent est celui d'une économie fermée, sans importations ni exportations, qui peu paraitre irréaliste. Mais si on ajoute les exportations et importations, alors le résultat change peu. Les importations s'ajoutent à la demande globale, alors que les exportations s'ajoutent à la production, ce qui donne :

 , avec M les importations.
 , avec E les exportations.

L'égalité donne donc :

 

On retrouve le résultat précédent, à ceci près qu'il faut ajouter le terme (M - E). Ce terme n'est autre que le déficit commercial, la différence entre importations et exportations.

Investissement (I) + Déficit public (G - T) = Épargne domestique (S) + Déficit commercial (M - E)

On verra dans le chapitre sur les taux de change que le déficit commercial est égal au flux de capitaux entrant dans le pays. Dit autrement il s'agit d'une épargne étrangère qui est investie dans le pays domestique. On a donc :

Investissement privé (I) + Emprunt public (G - T) = Épargne domestique (S) + Épargne étrangère (M - E)

Le terme de gauche n'est autre que la somme des flux d'emprunts, alors que le terme de droite est l'ensemble des flux d'épargne. l'équation nous dit que l'emprunt est égal à l'épargne, ce qui n'est qu'une reformulation de l'équation  .

Là encore, on peut étudier ce qui se passe dans divers cas particuliers. En premier lieu, on peut étudier le cas où I et S sont constants tous les deux. Dans ce cas, on voit que toute variation de l'épargne domestique publique est compensée par une variation de l'épargne étrangère. Le déficit commercial est alors égal au déficit public. On a alors un second effet d'éviction dans le sens où l'épargne publique évince l'épargne étrangère. L'un remplace l'autre lors de l'investissement. Dans le cas général, pour une économie au PIB potentiel, on n'a pas exactement cette variation. Cependant, l'effet d'éviction épargne-privée-publique se combine avec l'effet d'éviction épargne étrangère-publique, ce qui fait que déficit commercial, déficit public et épargne privée entrent en compétition. Toute variation de l'une se répercute sur les autres. Ainsi, un déficit public absorbe une partie de l'épargne privée au détriment de l'investissement, mais il va aussi absorber une partie de l'épargne étrangère.

L'interprétation de l'identité I=S modifier

L'égalité entre investissement et épargne peut sembler contre-intuitive. Rappelons que l'épargne est définie comme tout ce qui n'est pas dépensé/taxé. Mais cet argent peut être conservé de bien des manières. Il peut certes être placé dans une banque ou sur les marchés financiers, mais il peut aussi être thésaurisé et mis sous un matelas. Difficile de comprendre comment de l'argent conservé sous forme d'espèces peut donner lieu à de l'investissement... Mais c'est oublier que l'égalité I=S est une identité comptable qui dépend fortement de la nature de ce qui est compté comme investissement et comme épargne. En triturant les définitions, on peut faire en sorte que l'égalité I=S soit toujours vraie, et c'est ce qui est fait dans le monde réel. Nous allons voir pourquoi dans cette section.

Prenons le cas où les agents souhaitent thésauriser, c'est à dire augmenter leur épargne non-placée. On va supposer que les agents gardent leur consommation constante, mais qu'ils remplacent de l'épargne investie par de l'épargne thésaurisée, non-investie. En théorie, l'investissement devrait baisser, mais l'épargne devrait rester la même. L'égalité I=S devrait être violée, même en tenant compte de l'épargnée publique ou étrangère. Cependant, si les agents se mettent soudainement à thésauriser, les entreprises ne le voient pas venir et continuent de produire autant qu'avant. Elles vont alors accumuler des inventaires, des invendus, de la production pas encore consommée, mais destinée à l'être. Or, dans les normes comptables actuelles, les invendus sont comptés dans l'investissement. Et c'est assez logique : un invendu est destiné à être vendu dans le futur, donc à rapporter plus tard, comme tout investissement. Une augmentation de la thésaurisation entraine deux remplacements : le remplacement d'une partie de l'épargne placée par de l'épargne non-placée, et un remplacement d'une partie la consommation par des invendus. L'égalité I=S est donc vérifiée, même si c'est par une sorte de triche assez problématique.

Cependant, les entreprises en continuent pas de produire des invendus durant bien longtemps. Elles remarquent que les invendus s'accumulent et comprennent que la demande a baissée (à cause de la baisse de l'investissement). Elles vont donc réduire leur production, couper leurs dépenses, virer leurs employés, et j'en passe. Le résultat est une baisse de l'investissement, qui entraine une baisse du PIB. Dit autrement, cela cause une récession. Et l'effet est encore plus fort si on prend en compte le multiplicateur keynésien : non seulement l'investissement baisse, mais en plus la consommation suit. Dans tous les cas, la récession réduit les revenus, et donc la capacité d'épargne des agents économiques... Les agents qui souhaitaient épargner plus n'y arrivent plus au bout de quelques temps. Ce raisonnement est ce qu'on appelle le paradoxe de l'épargne, un paradoxe vieux comme le monde qui dit que si tous les agents souhaitent augmenter leur épargne, la capacité d'épargne globale chutera. Résultat valide, mais contre-intuitif, d'où le nom de paradoxe qu'on lui donne.

L’identité I=S et le contrôle des taux d'intérêt modifier

Dans les économies modernes, la banque centrale a le pouvoir de contrôler le taux réel sur le court-terme. On peut se demander comment cela est compatible avec le modèle présenté, dans lequel I=S. En contrôlant les taux, elle contrôle le point d'intersection entre les deux courbes d'investissement désiré et d'épargne souhaitée. Formellement, elle n'a pas le pouvoir d'agir sur la courbe d'investissement, ce qui ne peut être fait que par des politiques budgétaires, financières, d'action pour la recherche et les entreprises technologiques, etc. Par contre le flux et le stock d'épargne peuvent être influencés par la politique monétaire. Rappelons que la banque centrale a le pouvoir d'injecter de la monnaie dans l'économie, par l'intermédiaire du système bancaire. Et une partie de cette monnaie sera épargnée, investie dans les marchés de fonds prêtables et de capitaux, ce qui augmente l'offre de fonds prêtables. En clair, elle déplace la courbe d'offre d'épargne S(r) là où il faut, là où le taux d'intérêt est celui voulu par la banque centrale.

Après, le raisonnement n'est pas parfait et il existe des situations où l'injection de monnaie dans l'économie n'influence pas l'investissement. Peut-être avez-vous déjà entendu, dans les médias, des commentateurs qui accusent les taux bas de réduire l'activité économique. Pour eux, des taux bas incitent les agents économiques à ne pas épargner, ce qui réduit l'investissement, et donc déprime l'activité économique et l'inflation. Néanmoins, ce raisonnement ne vaut pas si l'épargne est remplacée par de la consommation, car le PIB reste alors inchangé. Pour que ce raisonnement soit valide, il faut que les épargnants thésaurisent. S'ils thésaurisent tout l'argent crée par la banque centrale, la courbe d'offre de fonds prêtables ne changera pas. Les taux d'intérêt restent les mêmes et la banque centrale ne peut plus rien faire pour les changer. Quand cela arrive, l'économie tombe dans une trappe à liquidité, une situation où la banque centrale ne peut plus contrôler les taux d'intérêt. En général, cela survient quand les taux sont faibles, proches de zéro. La monnaie devient alors presque identique aux autres investissements. Pourquoi réduire ses liquidités et gagner des clopinettes, alors qu'on peut garder de l'argent liquide au cas où pour un rendement presque identique ? La demande de monnaie augmente alors fortement, alors que l'offre de fonds prêtables s'effondre. La consommation reste la même, mais l'investissement s’effondre effectivement, déclenchant une récession. Mais augmenter les taux ne résout pas forcément le problème : l'effet peut être délétère, suivant la valeur du multiplicateur keynésien, de l'ampleur de la substitution épargne investie-consommation, etc.