Discussion:La politique monétaire/La création monétaire : vision comptable
Cet article est entièrement remis en cause par le document suivant, publié par la Banque d’Angleterre en juin 2019 :
Banks are not intermediaries of loanable funds — facts, theory and evidence
[ Zoltan Jakab et Michael Kumhof ]
Vous ne saisissez pas bien l’importance du mécanisme de compensation, par lequel les transferts interbancaires sont mis en attente et compensés avant règlement à l’échelle nationale. Les transferts de liquidités sont ainsi infimes au vu des montants échangés, et les soldes nets sont nuls en moyenne.
Le mécanisme de compensation est un jeu à somme nulle pour la chambre de compensation, car tout transfert sortant d’une banque entre dans une autre. Ainsi, la somme de tous les soldes nets des banques du pays est-elle par définition toujours nulle, et cela tous les jours de l’année.
Pour la même raison, dans la mesure où une banque est compétitive et conserve sa part de marché, ses soldes nets moyens sont également nuls.
Pour une banque donnée, le solde net interbancaire journalier est calculé en additionnant tous les dépôts et en soustrayant tous les retraits à l’échelle nationale. Comme une banque donnée n’a qu’un seul compte à la chambre de compensation, le solde net journalier intègre tous les transferts interbancaires de la banque à l’échelle nationale, moyennant quoi, en plus d'être nuls en moyenne, les soldes nets sont très faibles au regard des volumes échangés.
Étant donné que les transferts interbancaires se compensent, les crédits n’ont pas lieu d’être financés, comme l’explique ce document de la Banque d’Angleterre. Et les banques ayant des soldes nets positifs peuvent prêter à très court terme leurs liquidités excédentaires aux banques qui ne disposent pas un jour donné des liquidités suffisantes.
Le système bancaire fonctionne en réalité comme s’il n’y avait qu’une seule banque, compartimentée en banques commerciales individuelles qui se font concurrence.
Une conséquence de ce système est que si une banque prête plus que ses concurrentes en proportion de sa part de marché, elle subira des pertes de liquidités. Les banques doivent donc prêter au même rythme. Comme le disait fort bien John Maynard Keynes :
"There is no limit to the amount of bank-money which the banks can safely create, provided they move forward in step"
[ in Treatise on Money ]
Les banques doivent donc marcher au pas.
Ceci explique notamment les cycles bancaires récurrents d'expansion et de rétraction, qui provoquent périodiquement des périodes de resserrement des crédits (credit crunch). Car si toutes les banques refusent de prêter, aucune ne pourra rompre ce cycle sans s'exposer à de fortes fuites, et si toutes prêtent, chacune pourra prêter d'autant plus aisément.
- J'ai plusieurs remarques à faire sur votre commentaire.
- En premier lieu, l'article que vous citez, n'a pas été soumis au processus de Peer-review. Il s'agit d'un document publié par l'équipe d'économistes de la banque centrale, qui n'a donc pas été publié dans des journaux scientifiques, mais simplement publié sur le site de banque centrale sans autre forme de vérification et de relecture. C'est la même chose pour son article cousin, "Money creation in the modern economy: An introduction", très souvent cité dans les débats sur la monnaie endogène. Autant dire qu'il ne faut pas prendre ce qui est écrit dans de tels articles pour argent comptant et s'en méfier assez fortement.
- En second lieu, parlons du fait que les banques n'ont pas à financer leurs crédits et que leur création monétaire est illimitée tant qu'elles marchent au pas. Il s'agit de la vision de la théorie de la monnaie endogène naïve, dont je parle beaucoup dans les chapitres suivants en la nuançant et la réfutant en grande partie. La théorie endogène naïve que vous citez (qui ressemble beaucoup à la théorie MMT, au moins dans les grandes lignes) a de nombreux problèmes, aussi bien théoriques qu'empiriques, qui font qu'elle n'est pas défendue dans le monde académique/scientifique. Pour le dire franchement : cette théorie est marginale et a de bonnes chances d'être complètement fausse ! Ce n'est pas le cas des théories à monnaie exogène et des théories à monnaie endogène de type wickseliennes (celles qui tiennent compte des taux d'intérêt).
- En troisième lieu, les transferts entre banques commerciales, s'ils sont certes à l'origine d'une partie de la demande de réserves de la part des banques, n'en sont pas le seul déterminant. D'ailleurs, les transferts interbancaires, prêts compris, ne s'annulent pas quand on prend en compte la banque centrale et sa capacité à échanger des réserves contre des actifs. La banque centrale peut très bien injecter ou retirer des réserves de la circulation comme bon lui semble, avec des opérations d'open market. Or, pour que sa politique monétaire ait un impact sur l'économie, la banque centrale fait toujours en sorte que le système bancaire se trouve en pénurie de réserves, c'est à dire qu'il existe une demande non-nulle de réserves agrégées (toutes banques comprises). Les banques se retrouvent alors à devoir financer leurs crédits en empruntant à la banque centrale ou en lui échangeant des actifs contre des réserves nouvellement créés. Et vu que la banque centrale a le contrôle de la création des réserves, elle en contrôle soit la quantité, soit le taux d'intérêt, ce qui limite de ce fait la création monétaire et ce peu importe qu'il n'y aie qu'une seule banque ou plusieurs. Le mécanisme exact se base sur l'interaction entre demande de réserves, taux directeurs et taux du marché monétaire, comme expliqué dans les chapitres suivants.
- Mewtow (discussion) 27 mai 2020 à 16:28 (CEST)
Vous dites : "les transferts interbancaires, prêts compris, ne s'annulent pas quand on prend en compte la banque centrale et sa capacité à échanger des réserves contre des actifs."
En quoi la banque centrale intervient-elle dans la compensation des transferts journaliers entre banques commerciales ? Si la banque centrale peut fournir de la monnaie banque centrale pour réapprovisionner les comptes des banques à la chambre de compensation, elle n'est pas partie prenante aux transferts interbancaires et ne peut donc pas en modifier le solde.
- Peu importe ce qui se passe au niveau des chambres de compensation, peu importe que le solde des virements soit nul en moyenne : cela ne suffit pas dire que les banques peuvent créer autant de monnaie qu'elles le veulent, peu importe qu'elles marchent au pas ou non. C'est totalement accessoire. En situation de pénurie de réserves, les banques commerciales vont quand même avoir besoin d'emprunter des réserves sur le marché monétaire, que ce soit en raison des contraintes réglementaires en réserves obligatoires ou pour d'autres raisons, et le taux d'emprunt des réserves à la banque centrale va influencer la création monétaire. Pareil dans un cas d'excès de réserves, quoi que ce soit le taux de rémunération des réserves qui joue alors le rôle de limiteur de création monétaire. Je le répète, tout cela est expliqué dans les chapitres suivants. Mewtow (discussion) 27 mai 2020 à 19:12 (CEST)
Le fait que le solde net des transferts interbancaires soit nul est un point essentiel. Car les fuites de liquidités d'une banque sont compensées par les excès de liquidités d'une autre, moyennant quoi les banques sont en mesure de se prêter mutuellement les liquidités manquantes à très court terme. Cela signifie que les crédits ne doivent pas être financés par des actifs liquides - dans les limites bien entendu des règles prudentielles des accords de Bâle. Il en résulte à n'en pas douter un changement de paradigme qui peut être difficile à intégrer.
- Mon point est qu'au niveau agrégé, les fuites de liquidités d'une banque ne sont pas compensées par les excès de liquidités des autres, même si les virements interbancaires ont un solde net nul, pour diverses raisons techniques (soldes de change, mouvements de billets, solde des opérations du trésor public, et autres "facteurs autonomes" et "facteurs induits"). Et certes, les banques peuvent se prêter des réserves, mais cela ne suffit pas à compenser exactement les besoins/excès de liquidité induits par tout ce qui ne relève pas des virements bancaires. Dans le cas le plus courant, les fuites sont supérieures aux besoins de liquidité, ce qui fait que la banque centrale doit injecter de la monnaie. C’est pour cela que les banques commerciales empruntent des réserves à la banque centrale et que ce taux directeur commande les taux long-terme. Dans d'autres cas plus rares (l'ancien floor system qui prévalait aux USA entre 2008 et 2019), il y avait plus d'excès de liquidité que de fuites, ce qui fait que les taux long-terme sont commandés par le taux de rémunération des réserves.Mewtow (discussion) 27 mai 2020 à 21:07 (CEST)
- Je crois que je vais ajouter une section sur les facteurs autonomes, dans le chapitre qui parle du bilan de la banque centrale. Histoire de bien expliquer comment la banque centrale compense les excès et manques de liquidité sur le marché monétaire.Mewtow (discussion) 27 mai 2020 à 21:07 (CEST)