La politique monétaire/La création monétaire : vision comptable
Dans ce chapitre, nous allons voir comment la création monétaire se manifeste dans les bilans comptables des banques. Nous allons faire un rappel rapide sur le bilan d'une banque et comment celui-ci est structuré. Nous allons ensuite voir comment les banques peuvent créer de la monnaie, ou du moins semblent le faire, en prêtant. Nous allons voir comment le bilan d'une banque évolue quand elle accorde un prêt.
La création monétaire d'un point de vue comptable
modifierPour commencer, nous allons analyser la création monétaire d'un point de vue comptable. Précisons que ce mécanisme fonctionne aussi bien pour une banque commerciale que pour les banques centrales : la création monétaire se voit de la même manière dans leurs bilans comptables. Mais faites attention : la vision comptable que nous allons voir ne décrit que d'une manière très imparfaite la création monétaire actuelle. Beaucoup de choses sont passées sous silence et cette vision est même quelque peu trompeuse. Elle cache beaucoup de chose et ne fait que rendre compte d'une partie des faits.
Ne penser qu'en termes de bilan bancaire permet certes de comprendre en partie le processus de création monétaire, mais il amène facilement à des déductions fausses. Par exemple, certains pensent que les banques ne sont pas limitées par les dépôts bancaires ou par la quantité de réserves lorsqu'elles créent de la monnaie. D'autres pensent même que les banques ne sont pas des intermédiaires bancaires et qu'elles ne sont pas tenues de collecter des dépôts pour financer leurs crédits. Mais dans les faits, ce n'est pas du tout le cas. Soyez vigilants quand vous lisez des documents sur le sujet : beaucoup d'erreurs sont dites en se basant purement sur la vision comptable de la création monétaire !
Nous allons voir que, contrairement à ce que les interprétations naïves de la création monétaire font penser, les banques financent leurs crédits/actifs soit par des dépôts, soit par de la dette (en empruntant quand les dépôts viennent à manquer). Elles ne créent pas l'argent des crédits, bien qu'elles aient la capacité de créer de la monnaie (dans une certaine mesure). Tout cela est assez subtil, mais j'espère que la section qui suit l'expliquera clairement. En tout cas, sachez que les interprétations fautives de la création monétaire sont légion sur le net, et que le sujet est bourré de subtilités assez problématiques qui ne se voient pas dans les bilans comptables.
Le cas avec une seule banque
modifierPour détailler le fonctionnement de la création monétaire, nous allons commencer par un cas très simple où il n'existe qu'une seule banque dans toute l'économie. Nous verrons ensuite ce qui se passe quand on ajoute plusieurs banques dans l'économie, afin de rendre le tableau plus réaliste.
Pour commencer, étudions le cas où une banque achète un actif à un de ses clients, qui a un compte chez elle. Quand la banque achète quelque chose, elle crédite le compte du vendeur de la somme demandée. Ce faisant, son passif augmente de la somme voulue. En même temps, la banque augmente son actif d'une valeur égale à ce qu'elle a acheté. Actif et passif ayant augmenté dans les mêmes proportions, de la monnaie a été créée.
Actif | Passif |
---|---|
+ Actif acheté. | + Prix de l'actif (sur le compte courant de l'acheteur). |
Il en est de même lorsque la banque donne un prêt à un particulier où à une entreprise. Elle crédite le compte courant de la somme prêtée, mais augmente son actif de la valeur du prêt. Ce comportement bizarre peut se résumer par la fameuse maxime : "les crédits font les dépôts". Remarquons cependant que cette création monétaire implique cependant que la banque augmente son passif en même temps, ou au moins dans un temps assez proche. La banque doit avoir quelque chose à mettre en face de la monnaie créée, sans quoi elle n'équilibre pas son bilan. Ce quelque chose, c'est le contrat du prêt lui-même. Ce contrat est en effet un actif qui a une valeur, égale à la somme prêtée et que le créancier doit rembourser.
Actif | Passif |
---|---|
+ Montant du prêt accordé. | + Montant du crédit sur le compte courant de l'emprunteur. |
La situation est la même si le prêt est versé sur un compte dans une autre banque, si ce n'est qu'il faut prendre en compte la répartition de l'actif et du passif entre les banques.
On voit que, si on analyse la situation uniquement d'un point de vue comptable, les banques peuvent fabriquer de la monnaie, semble-t-il à partir de rien. Quand une banque prête, elle crée automatiquement la monnaie qu'elle prête, au moment où elle le verse sur le compte courant du créditeur. Même chose lorsqu'elle achète un actif quelconque. Elle doit simplement faire attention à avoir suffisamment de réserves pour respecter le taux de réserves obligatoires.
- Cette analyse comptable peut laisser penser que les banques peuvent créer de la monnaie à partir de rien. Mais dans la réalité, les banques doivent financer leurs prêts à partir des dépôts des clients, d'emprunts réalisés auprès d'autres banques, voire de levées de capital. Les banques doivent acquérir de l'argent avant de pouvoir le prêter, mais cela ne se voit pas dans le bilan comptable, si l'argent est acquis sous la forme de dépôts (ou de dettes). En effet, la banque prête l'argent des dépôts, mais fait croire que ce n'est pas le cas. Si je dépose 1000 euros à la banque, elle ne va pas réduire le montant de mes dépôts si elle en prête une partie. Elle va me faire croire que l'argent des dépôts n'a pas quitté la banque et me dit que j'ai toujours 1000 euros sur mon compte. Or, dans le bilan comptable, ces 1000 euros restent dans la colonne du passif, au même titre que l'argent qu'elle a prêté, d'où l'illusion que la monnaie des crédits est créée à partir de rien. On voit donc que la création monétaire n'est qu'un artifice comptable. Nous reparlerons de tout cela plus en détail dans le chapitre suivant.
Précisons que la majorité des prêts sert à rembourser des prêts préexistants. Beaucoup d'entreprises font cela régulièrement : elles remboursent certains prêts en empruntant l'argent à rembourser. On dit qu'elles rollent leur dette. Dans une telle situation, le prêt remboursé se traduit par une destruction de monnaie, mais l'emprunt réalisé pour rembourser se traduit lui par une création monétaire équivalente. Les deux se compensent : la quantité de monnaie n'a pas changé.
Le cas avec plusieurs banques
modifierLe cas avec plusieurs banques ressemble au précédent, si ce n'est que la banque peut prêter à des emprunteurs extérieurs, qui ont leur compte dans une autre banque. De plus, il faut ajouter les virements entre les banques, entre les clients de banques différentes.
Lors d'un virement, le montant viré passe des dépôts de la banque d'origine vers la banque destinatrice, ce qui diminue d'autant le passif de la banque d'origine et augmente le passif de la banque destinatrice. Le bilan des deux banques doit cependant rester équilibré, ce qui impose que quelque chose doit diminuer ou augmenter au niveau de l'actif. Ce quelque chose, ce sont les réserves bancaires. La banque d'origine du virement voit ses réserves bancaires diminuer du montant viré, alors que la banque réceptrice voit ses réserves augmenter du même montant. Pour faire simple, les réserves bancaires sont envoyées à l'autre banque, pour "payer le virement".
Actif | Passif |
---|---|
- Réserves excédentaires | - Montant du virement |
Actif | Passif |
---|---|
+ Réserves bancaires | + Montant du virement |
Pour ce qui est des prêts à des clients extérieurs, tout se passe comme si la banque prêtait de l'argent sur un de ses comptes, avant de faire un virement vers l'extérieur. La banque préteuse "crée la monnaie" du prêt et l'envoie à la banque réceptrice. Cet envoi est un virement interbancaire, qui implique un échange de réserves. Le passif de la banque réceptrice augmente donc du montant du prêt (le client reçoit le versement du prêt), les réserves à son actif augmentent du même montant. Pour la banque préteuse, les réserves échangées sont remplacées par le contrat du prêt, passé avec le client.
Actif | Passif |
---|---|
+ Contrat de prêt |
Pas de changements |
Actif | Passif |
---|---|
+ Réserves bancaires | + Montant du prêt |
Les mouvements d'argent entre banques sont donc des mouvements de réserves, plus que des mouvements d'argent créé à partir de rien. L'argent créé lors d'un crédit ne peut donc pas passer d'une banque à l'autre. Cela fait dire à certains que cette monnaie-crédit, créée à partir de rien, est en fait une monnaie spécifique à la banque créditrice. Ainsi, la banque "BNP Paribas" aurait une monnaie différente de la monnaie "Banque Populaire", elle-même différente de la monnaie "Crédit agricole", etc. Les échanges de monnaie entre banques se feraient en utilisant une véritable monnaie, spécifique aux échanges interbancaires, à savoir les réserves bancaires. Cette interprétation a le mérite d'expliquer pourquoi les échanges interbancaires se font en réserves bancaires et pas en monnaie scripturale usuelle, mais utilise de manière un peu particulière la notion de monnaie. Avouons que dire que chaque banque a sa propre monnaie n'est pas du tout intuitif, tant le caractère fongible de la monnaie nous est une évidence.
Les banques commerciales sont des intermédiaires financiers
modifierLes banques commerciales sont des intermédiaires financiers, ce qui signifie qu'ils servent d'intermédiaire entre des personnes qui ont de l'argent à placer et des personnes qui ont besoin d'argent pour investir. Pour simplifier, elles servent d'intermédiaire entre des épargnants et des emprunteurs. Les épargnants placent leur argent à la banque, et celle-ci le prête à divers emprunteurs.
Faire ainsi a plusieurs avantages. Déjà, les épargnants n'ont pas besoin de chercher eux-mêmes des emprunteurs, et encore moins de vérifier leur solvabilité : la banque s'en charge. Ensuite, cela permet aux épargnants de diversifier leurs emprunts. Une banque ne prête pas qu'à une seule personne, mais à un grand nombre d'emprunteurs. Et tous ne font pas défauts sur leurs dettes. La plupart des emprunteurs remboursent effectivement leurs dettes, seule une minorité ne le faisant pas. Ainsi, on s'assure que le risque de perte est plus faible, car répartit sur plusieurs emprunteurs différents avec chacun une faible probabilité de défaut. Au lieu de jouer à la roulette russe en choisissant un emprunteur, l'épargnant répartit le risque et s'assure que le risque de pertes est moins volatil.
L'intermédiation financière en termes de bilan comptable
modifierAu niveau des bilans comptables, le système de dépôts est assez simple à comprendre. Sans intermédiation financière, la situation est la suivante, telle qu'illustrée ci-dessous. On voit que l'argent prêté passe du préteur à l'emprunteur, en échange de quoi ce dernier reçoit une reconnaissance de dette. L'argent prêté reste à l'actif, mais change de main, alors que la reconnaissance de dette est un passif pour l'emprunteur et un actif pour le préteur.
Avec un intermédiaire financier, la situation est légèrement plus différente. L'intermédiaire en question peut être une banque, un courtier de bourse, une assurance, etc. Suivant les cas, les bilans comptables ne sont pas les mêmes, mais la situation globale est la même.
Tout commence quand l'épargnant place son argent auprès de l'intermédiaire financier. L'argent passe donc à l'actif de l'intermédiaire financier (c'est lui qui possède l'argent), tandis qu'un contrat est passé entre l'épargnant et l'intermédiaire. Le contrat en question peut être une reconnaissance de dette ou un titre de propriété. Par exemple, si vous achetez une action d'une entreprise, le contrat sera un titre de propriété de l'entreprise, l'action proprement dite. Si c'est une obligation, ce sera une reconnaissance de dette. Partons du principe que c'est une reconnaissance de dette, pour simplifier les explications.
L'argent est placé et un contrat signé, c'était la première étape. Ensuite, l'intermédiaire financier va prêter cet argent ou l'utiliser pour investir. L'argent se retrouve dans la poche des investisseurs, tandis que l'intermédiaire signe avec lui un contrat (reconnaissance de dette dans le cas présent). La situation est illustrée ci-dessous, en supposant que les contrats sont tous des reconnaissances de dettes. On peut les remplacer par des titres de propriétés, mais qu'importe.
Les banques sont des intermédiaires financiers comme les autres. Elles empruntent de l'argent pour le prêter : elles empruntent aux épargnants et prêtent aux emprunteurs. Dans le cas des banques, les reconnaissances de dettes des épargnants sont soit des emprunts normaux, soit des dépôts bancaires. L'argent que vous avez sur vos comptes n'est en réalité pas dans les coffres de la banque : il est voué à être prêté, donc à sortir de la banque. Une fois que l'argent est placé, la banque peut le prêter à divers emprunteurs et recevoir un contrat de prêt en contrepartie. Ce qui est résumé par l'adage : "les dépôts font les crédits". Au passage, cela explique que vos comptes soient rémunérés avec des intérêts. Les intérêts de vos comptes bancaires et livrets correspondent donc à l'intérêt d'un prêt.
Par contre, la banque s'engage à vous rendre cet argent dès que vous en faites la demande, au distributeur ou lors d'un virement. C'est la différence principale entre les banques et les autres intermédiaires financiers : les banques acceptent que l'argent placé puisse être retiré à tout moment. Vous pouvez disposer de l'argent sur vos livrets comme bon vous semble, alors que ce n'est pas le cas pour les autres reconnaissances de dettes. Par exemple, vous ne pouvez pas convertir une obligation d'état (de la dette étatique) en argent liquide en demandant au trésor public. Ce dernier n'a jamais promis contractuellement qu'il acceptait de faire un tel remboursement sur demande. En conséquence, les obligations d'état ne sont pas considérées comme de la monnaie. Mais pour les dépôts, c'est l'inverse : vous pouvez les retirer comme bon vous semble, ce qui en fait une dette, mais aussi de la monnaie.
Au passage, cela explique comment les banques peuvent soi-disant créer de la monnaie. Si on reprend l'exemple illustré ci-dessus, on voit qu'il y a plus d'argent dans la situation finale que dans la situation initiale : seulement l'argent en vert dans la situation initiale, l'argent en vert et les dépôts en orange dans la situation finale. Tout se passe comme si l'argent des dépôts avait été créé à partir de rien lors du prêt. Le remboursement du crédit a l'effet inverse et détruit la monnaie que celui-ci avait créé. En quelque sorte, tout se passe comme si l'argent prêté était créé de toutes pièces lors du prêt et détruit lors du remboursement du crédit !
L'explication de la création monétaire par les banques commerciales est donc évidente. Quand elles prêtent, l'argent passe bien de la banque vers l'emprunteur, mais les dépôts sont toujours là. La banque fait croire qu'elle a toujours autant de monnaie dans ses coffres qu'elle n'a de dépôts, alors qu'une bonne partie de ceux-ci ont été convertis en prêts dans son bilan. L'argent réel (des espèces ou des réserves) passe bien de main en main, mais des reconnaissances de dettes sont créés par-ci, par-là et augmentent la masse monétaire. Tout cela trahit le fait que les dépôts bancaires ne sont en réalité pas de la vraie monnaie, mais sont en fait une dette que la banque s'engage à rembourser sous la forme de monnaie, la demande de remboursement n'étant autre qu'un retrait ou un virement. La vraie monnaie est donc limitée à l'argent qui circule réellement dans l'économie (on verra plus tard qu'il s'agit de l'argent crée par la banque centrale, la base monétaire), non l'argent sur les comptes bancaires (la masse monétaire).
La banque fait comme si l'argent déposé restait sur les comptes des déposants, alors que ce n'est pas tout à fait le cas. Ce mécanisme ne pose pas de problèmes tant que ceux-ci ne le retirent pas. D'expérience, la banque sait que les épargnants ne vont pas tous retirer leur argent au même moment, ce qui fait qu'une petite quantité d'argent est réellement retirée chaque année. Une bonne partie de l'argent va rester sur les comptes d'épargne suffisamment longtemps pour que les prêts effectués avec soient remboursés. Mais il n’empêche que si un épargnant retire son argent, la banque doit trouver de l'argent liquide pour rembourser le déposant. Pour cela, la banque ne va pas prêter la totalité des dépôts, mais va en garder une partie en réserve, pour assurer la liquidité de ses placements. Elle a aussi besoin de garder des réserves pour respecter certaines règlementations, comme le taux de réserves, les ratios de liquidité ou d'endettement par effet de levier.
La création monétaire : le cas sans dépôts à la banque centrale
modifierMaintenant, étudions la création monétaire par les banques plus en détail. Peut-être avez-vous déjà lu des documents sur le sujet, que ce soit dans des livres ou sur le net. Les explications que l'on trouve sur le net ou dans les manuels commencent par le cas où une banque effectue des prêts sous forme de monnaie électronique/fiduciaire à ses déposants. Cet exemple est utilisé pour dire que les banques créent l'argent des crédits sans devoir les financer. Mais ce cas est en réalité extrêmement trompeur et les explications associées ne fonctionnent que dans ce cas bien précis et pas dans les autres. Aussi, nous allons prendre un cas tout aussi simple, mais bien moins trompeur et plus intuitif.
Pour expliquer comment se passe la création monétaire par les banques, mieux vaut d'abord étudier le cas où il n'y a pas de réserves bancaires électroniques. Dans l'exemple qui va suivre, nous supposons que la monnaie existe seulement sous forme de dépôts et d'espèces. Les espèces sont fabriquées par le trésor public ou par une banque centrale qui s'occupe uniquement de la création des espèces. Les banques ne peuvent pas placer d'argent à la banque centrale, ou alors leurs dépôts sont en espèces. Dit autrement, l'argent conservé par les banques ne l'est pas sous forme de réserves, mais l'est en espèces dans les coffres des banques, sous la forme de vault cash. Les prêts sont versés en espèces directement ou sous la forme de virements. Nous allons d'abord étudier le cas où les prêts sont versés à l'emprunteur en espèces. Ce cas est assez proche de ce qu'on observe dans les pays en cours de développement, où le micro-crédit est assez courant. Il ressemble aussi à ce qu'on avait avant les années 1800-1900, avant l'apparition des lettres de change, des chèques, des virements interbancaires et autres technologies bancaires élaborées.
Ce cas est illustré ci-dessous. La base monétaire est intégralement composée d'espèces, 1000$ en tout, et elle ne change pas du tout au cours de l'exemple. Au départ, un épargnant dispose de 1000$ en espèces : la masse monétaire est alors égale à la quantité d'espèces en circulation, soit 1000$. Puis, l'épargnant place ces espèces à la banque : la masse monétaire ne change pas, mais les espèces sont converties en dépôts. Les espèces en question disparaissent de la masse monétaire, qui prend en compte les espèces en circulation, mais pas les réserves en cash. Enfin, la banque prête 1000$ en espèces à un emprunteur : la masse monétaire est la somme du dépôt de l'épargnant et des espèces prêtées. Le total fait une masse monétaire supérieure à celle disponible avant le prêt : il y a eu création monétaire
Par contre, on ne peut pas vraiment dire que l'argent du prêt a été créé, comme le disent les interprétations naïves. On voit bien que l'argent prêté est l'argent de l'emprunteur, les espèces qu'il avait au départ. En réalité, la création monétaire vient du fait que la banque fait croire que l'argent prêté n'a pas quitté la banque, en faisant croire au déposant que le dépôt est toujours là. C'est donc l'argent des dépôts qui est créé lors d'un prêt, bien que ce ne soit pas très intuitif à comprendre. Mais on voit, avec cet exemple, que la banque ne peut pas prêter plus d'argent qu'elle n'en a dans ses coffres, plus d'argent qu'on en a déposé chez elle. Mieux : on voit que les espèces déposées se retrouvent dans les mains de l'emprunteur, signe que le dépôt a financé le crédit.
Le cas où le prêt est viré sous la forme de dépôts dans une autre banque n'est pas si différent. La banque du préteur envoie 1000$ à la banque de l'emprunteur, et celle-ci crédite son compte courant du même montant. Du point de vue comptable, la situation est identique à celle qu'on aurait si le prêt était accordé sous forme d'espèces, mais que l'emprunteur plaçait ces espèces sur son compte courant.
Enfin, étudions le cas où l'emprunteur est un client de la banque préteuse et a un compte chez elle. Le prêt est donc versé sur un compte de la banque, il reste dans la banque. Dans ce cas, la situation est identique, si ce n'est qu'il n'y a pas besoin de virement. On remarque que les espèces sont adossées au prêt, pas aux dépôts.
La création monétaire : le cas avec des dépôts à la banque centrale
modifierLes explications précédentes sont encore valides dans le monde actuel, sous réserve d'une petite modification : les réserves sont un substitut aux espèces, un équivalent électronique aux espèces. La seule correction à faire est de remplacer le vault cash par les réserves bancaires. Le fonctionnement du système bancaire actuel est le même à ce détail près. Les banques ne s'échangent donc pas forcément des espèces, mais peuvent s'échanger de la monnaie électronique, détenue sur des dépôts à la banque centrale.
Les échanges interbancaires de réserves
modifierLa monnaie des dépôts circule par le biais des virements, paiements et retraits. Elle passe d'une banque à l'autre et les échanges interbancaires se font avec des réserves. Si je fais un virement de 1000 euros la banque A vers la banque B, la banque A doit envoyer 1000 euros de réserves bancaires à la banque B. Pour être plus général, les banques peuvent aussi d'échanger des actifs autres que les réserves, mais c'est un détail. Cela simplifie fortement les échanges interbancaires, qui peuvent se faire sous forme électronique, sans que cela change grand-chose au fonctionnement de principe du système.
Pour être plus précis, les banques ne s'échangent pas des réserves à chaque virement, mais elles font le solde des échanges. Plus précisément, deux banques A et B font la somme des entrées et sorties et calculent le montant net qu'elles se doivent l'une l'autre, montant qui est échangé ensuite sous la forme de réserves. Les mouvements d'argent entre deux banques ne se compensent pas forcément, certaines recevant un surplus de réserves tandis que d'autres subissent des fuites. Si une banque a trop de fuites, elle perd des réserves excédentaires et se rapproche du seuil du taux de réserves, ce qui est mauvais signe. À l'inverse, une banque avec trop de surplus a des réserves en trop, qu'elle va essayer de faire fructifier d'une manière ou d'une autre. Le système bancaire étant rarement à l'équilibre, on a des banques en manque de réserves et des banques avec des excès de réserves.
Pour équilibrer le tout, les banques peuvent prêter leur excès de réserves aux banque qui en manquent. Si jamais une banque n'a pas assez de réserves, elle peut emprunter les réserves manquantes auprès d'autres banques. Par autres banques, on veut dire à d'autres banques commerciales qui ont des réserves excédentaires, ou à la banque centrale. Ces emprunts interbancaires de réserves s'effectuent sur le marché interbancaire, un marché informel sur lequel interviennent les banques commerciales, la banque centrale, et quelques autres participants. Sur ce marché, les banques peuvent se prêter ou emprunter des réserves. La plupart des prêts sont gagés, ce qui signifie que la banque emprunteuse fournit en contrepartie un ensemble d'actifs financiers appelé collatéral. Ces prêts ont une durée inférieure à deux ans, les durées les plus communes étant de quelques jours à quelques mois. Les emprunts des clients ont des maturités plus longues (supérieures à l'année), ce qui montre bien que les banques emprunter à taux courts pour prêter à taux longs.
Il est souvent dit que si on fait la somme des mouvements sur le marché interbancaire, le montant total de réserves ne change pas. Les échanges entre banques ne peuvent pas créer des réserves ni en détruire, du moins en première approximation. Mais cela n'est qu'une première approximation, qui met de côté plusieurs points.
Le premier est que la banque centrale peut intervenir sur les marchés pour créer ou détruire des réserves. Les banques centrales ont en effet la capacité de créer des réserves à volonté. Les banques commerciales peuvent emprunter des réserves à la banque centrale, réserves qui sont créées lors du prêt. La seconde est que les réserves peuvent disparaître. Rappelons qu'elles peuvent être converties en cash sans restriction, sur simple demande. Les banques commerciales peuvent demander à la banque centrale de convertir des réserves électroniques en cash et la banque centrale n'a aucun moyen de refuser.
De plus, les réserves comprennent aussi le vault cash, qui peut être retiré à tout moment par les dépositaires. Les retraits des clients transforment ainsi des réserves en espèces circulantes, réduisant la quantité de réserves. D'autres mécanismes peuvent convertir des réserves et les faire disparaître ou apparaître. C'est le cas de certaines interventions sur le marché des change, par exemple. Tout cela pour dire que le montant de réserves n'est pas fixe, mais varie d'un jour à l'autre.
Les réserves sont une limite à la création monétaire
modifierDans les exemples précédents, la banque ne peut pas prêter des espèces qu'elle n'a pas dans ses coffres. Si on analyse la situation avec non pas des espèces, mais des réserves en général, c'est la même chose. Les banques ont besoin de réserves pour prêter et sont donc limitées par la quantité de réserves dont elles disposent. Et cela est encore aggravé par le fait que les banques doivent disposer de réserves obligatoires, ce qui peut limiter sa capacité à fabriquer de la monnaie. Si une banque veut créer de la monnaie, elle doit avoir un encours de réserves excédentaires suffisant pour le faire. Si elle n'a pas assez de réserves, la création d'un nouveau dépôt/crédit risquerait de la faire passer sous le niveau réglementaire.
Par exemple, supposons que la banque prête à ses clients sur des comptes qu'elle gère. En faisant cela, elle augmente son bilan, à savoir que le passif de la banque augmente en même temps que son actif. Dans une telle situation, elle "transforme" les réserves excédentaires en réserves obligatoires. Au bout d'un moment, les réserves obligatoires deviendront insuffisantes et la banque ne pourra pas prêter plus.
Et il en est de même si la banque prête à des clients extérieurs. Dans ce cas, elle doit transférer des réserves à l'autre banque et remplace les réserves excédentaires par un contrat de prêt dans son bilan. Précisons que ce cas est de loin le plus fréquent. Aux états-unis, près de 90% des prêts sont des prêts immobiliers qui sont versés directement au propriétaire de la maison vendue, pas à l'acheteur. Et si l'acheteur va voir sa banque pour avoir un prêt, rien n'oblige le propriétaire à avoir un compte dans la banque de l'acheteur. La banque doit donc posséder les réserves quand elle verse le prêt, sans quoi le propriétaire ne reçoit pas le virement/versement.
Pour résumer, la création monétaire est limitée par la quantité de réserves bancaires. Une banque qui veut prêter de l'argent doit avoir suffisamment de réserves bancaires pour ce faire, que ce soit pour respecter le taux de réserves obligatoires ou pour réaliser le virement de la somme prêtée. Les banques peuvent financer leurs prêts soit en utilisant les dépôts, soit en empruntant l'argent nécessaire sur le marché monétaire, voire par d'autres mesures.
À ce propos, il n'est pas rare que certaines banques aient un encours de prêts supérieurs à l'encours de leurs dépôts. Le rapport entre prêt et dépôts est souvent proche de 100% pour la plupart des banques, mais il arrive qu'il dépasse cette limite et atteigne des valeurs de 110%, 120%, etc. Lorsque cela arrive, c'est signe que la banque a financé ses prêts non seulement par ses dépôts, mais aussi par d'autres méthodes. Un rapport prêt/dépôts élevé est souvent mauvais signe pour une banque et est d'ailleurs assez mal vu par les marchés financiers. Précisons que dans certains pays, il existe une limite légale au rapport prêts/dépôts, qui ne peut pas dépasser une valeur maximale précisée par la loi.