Cosmologie/L'évolution adiabatique et isotherme des perturbations

Dans les chapitres précédents, nous avons utilisé des équations où la densité était un terme unique. Celle-ci n'est autre que la densité d'énergie, qui est elle-même la somme de la densité de matière, du rayonnement et de la courbure. La courbure moyenne est considérée comme homogène, identique en tout point de l'univers. Les modifications locales de courbures sont causées par l'accumulation de matière et/ou de rayonnement, pas par une fluctuation locale de densité de courbure. Toute surdensité peut ainsi être une surdensité de matière et/ou de rayonnement.

Reste à expliquer comment les surdensités de matière sont liées avec les surdensités de rayonnement. Il existe plusieurs possibilités : soit les surdensités de matières sont liées à des surdensités de rayonnement, soit les surdensités de matières sont compensées par des sous-densités de rayonnement, soit les surdensités de matière et de rayonnement sont indépendantes. Ces trois possibilités sont étudiées dans des modèles théoriques différents, notamment dans l'étude de l'inflation ou de l'univers primordial. Dans ce qui va suivre, nous allons nous intéresser à deux types de perturbations, résumées dans le tableau ci-dessous.

Les types de perturbations
Nom Description Équations
Perturbations adiabatiques Surdensité à la fois de matière et de rayonnement.

Le rapport entre densité de rayonnement et de matière reste le même dans la surdensité et en-dehors. De même, l'entropie reste la même dans et en-dehors de la perturbation, ce qui fait qu'on donne parfois le nom d'isentropique donné à ce type de perturbation.

Perturbations isothermes (d'isocourbure) Les surdensités de matière sont compensées par une sous-densité de lumière.

Du fait de cette compensation, la densité totale reste constante partout. En conséquence, la gravité/courbure reste la même dans la perturbation et dans son environnement, d'où le nom d'isocourbure donné à ce type de perturbation.

Dans ce chapitre, nous allons voir que les perturbations adiabatiques rendent bien compte de l'état de la matière avant le découplage des photons, alors que le découplage a rendu les perturbations de matière et de rayonnement indépendantes.

Le rapport entre densités de matière et de rayonnement

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Dans la suite du cours, nous allons avoir besoin du rapport entre densité de matière et de rayonnement avant et après le découplage pour rendre compte de ces perturbations. Dans les quatre premiers chapitres du cours, nous avons établit que :

  pour la matière.
  pour le rayonnement.

De ces équations, on peut déduire :

  et  

Les équations précédentes peuvent s'écrire comme suit :

  et  

Il est intéressant d'utiliser le rapport suivant, pour simplifier certaines équations qui vont suivre :

 

La vitesse du son dans l'univers primordial

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Pour calculer la vitesse du son, partons de sa définition :

 

Sachant que l'univers primordial contient du rayonnement et de la matière (l'énergie noire n'a pas encore un effet notable), on a :

 

La matière n'ayant pas de pression, la formule se simplifie en :

 

On peut ensuite utiliser la formule   pour le rayonnement, ce qui donne :

 

On sait que  ,  . En injectant dans l'équation précédente, on a :

 

Divisons par   en haut et en bas de la fraction :

 

On utilise alors le rapport R :

 

L'horizon sonore

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Chaque zone de surdensité, supposée sphérique, a créé des ondes sonores dont le front d'onde a une forme sphérique. La taille maximale que peut prendre cette sphère dépend du temps écoulé depuis le big-bang et la recombinaison. La sphère de taille maximale correspond à une onde sonore créée lors du big-bang et figée lors de la recombinaison : c'est pour cela qu'on l'appelle l'horizon sonore. Le rayon de cette sphère se calcule en faisant l'intégrale de la vitesse du son dans le plasma primordial sur l'âge de l'univers au moment de la recombinaison.

 

La vitesse du son dans un gaz de photons est égale à  . Elle augmente quelque peu du fait de la présence des baryons dans la réalité.

 

Il se trouve que l'horizon sonore correspond à la longueur de l'onde sonore de plus grande amplitude possible : la surdensité a eu le temps maximal pour se compresser.

Prenons le cas où deux régions de l'espace sont à une distance inférieure à l'horizon sonore. Dans ce cas, une onde sonore a pût se transmettre de la première région à la seconde, avant la recombinaison. Dans le cas inverse, où les deux régions sont plus éloignées que l'horizon sonore, c'est l'inverse. On est certain que les deux régions sont trop éloignées pour qu'une onde sonore ait pu passer d'une région à l'autre.

Avant le découplage : les perturbations adiabatiques

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Pour décrire le comportement de la matière et du rayonnement avant le découplage, il faut étudier les interactions entre matière ionisée et rayonnement. Avant le découplage des photons, les interactions entre photons et électrons libres étaient fréquentes, suffisamment pour redistribuer l'énergie des photons aux électrons (et réciproquement). Voyons dans le détail ces interactions, avant de voir leurs conséquences sur la densité de l'univers.

Le processus de diffusion Compton sans expansion

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Illustration du processus de diffusion Compton.

Avant le découplage, le processus d'interaction principal était la diffusion Compton, ainsi que le processus inverse, la diffusion Compton inverse. Celle-ci est une collision entre un photon et un électron libre, où les deux particules échangent de la quantité de mouvement et de l'énergie cinétique.

Les physiciens rendent compte de la fréquence de ces collisions par deux paramètres : le temps moyen entre deux collisions et la distance moyenne entre deux collisions. Le temps moyen entre deux collisions est appelé le temps de libre parcours moyen, tandis que la distance moyenne entre deux collisions est appelée le libre parcours moyen. Évidemment, les deux sont liés entre eux par la vitesse des particules du gaz : la distance de libre parcours moyen est ainsi égale au produit de la vitesse moyenne par le temps de libre parcours moyen. Ainsi, plus un gaz est froid, plus le temps et la distance entre deux collisions sont faibles. Il en est de même pour les gaz denses : ceux-ci ont un libre parcours moyen assez faible, vu que les particules sont plus proches.

Il est possible de calculer le libre parcours moyen en utilisant une relation très simple entre celui-ci et deux autres variables : le nombre de particules par unités de volume et la probabilité moyenne d'une collision. Le nombre de particules par unité de volume remplace en quelque sorte la densité : plus il y a de particules par unité de volume, plus celles-ci ont de chances d'entrer en collision. Quant à la probabilité d'une collision, elle se calcule à partir des équations de la diffusion Compton. Nous ne ferons pas ces calculs ici, d'autres articles sur la diffusion Compton le feront certainement mieux que moi. Elle se calcule avec la formule suivante, avec   la constante de structure fine et   la masse d'un électron.

 

Le libre parcours moyen est égal, par définition, à l'équation suivante :

 , avec   le libre parcours moyen,   le nombre d'électrons par unité de volume et   la probabilité d'interaction Compton entre deux particules.

Le temps de libre parcours moyen se calcule en divisant cette distance par la vitesse d'un photon, ce qui donne :

 

Avec expansion, les équations de la diffusion Compton change un petit peu. Avec l'expansion, le libre parcours moyen va naturellement augmenter, à cause de l'évolution du facteur d'échelle. On peut remarquer que l'expansion n'influence pas la section efficace d'interaction Compton : son influence se fait sur la densité des électrons, qui diminue d'un facteur   avec l'expansion. Suite à l'expansion, il arrive un moment où le libre parcours moyen devient plus grand que l'horizon cosmologique, que l'univers observable. Lorsque cela arrive, la diffusion Compton entre un photon du CMB et un électron libre devient "impossible", ou tout du moins fortement improbable. Les photons cessent d'interagir complètement avec les électrons libres, qui sont alors libres de former des atomes avec les noyaux. C'est ainsi qu'à lieu le découplage. Et cela a des conséquences sur l'évolution des perturbations.

Avant le découplage, les perturbations étaient adiabatiques, isentropiques. La diffusion Compton redistribuait la quantité de mouvement entre matière et rayonnement, et le couplage fort liait les densités de photons et de baryons entre elles. Du fait des interactions entre rayonnement et matière, le rayonnement restait prisonnier des surdensités de matière. Là où il y avait de la matière, le rayonnement devait suivre. Ne pouvant s'échapper sous forme de rayonnement, la chaleur restait coincée dans les surdensités. La chaleur ne pouvant s'échapper, l'entropie reste constante dans ces perturbations adiabatiques. Ce n'est qu'après le découplage des photons que la matière et le rayonnement ont commencé à évoluer indépendamment l'une de l'autre. Le rayonnement a pu alors quitter les zones de surdensité, vu qu'il n'interagissaient plus avec elles, et échanger de la chaleur avec l'environnement. Le rayonnement s'est progressivement dilué dans l'espace, alors que les surdensités de matière sont restées, donnant des perturbations de matière pure. Les perturbations ne sont alors ni isothermes, ni adiabatiques.

L'approximation du couplage fort

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La diffusion Compton ne faisait pas que redistribuer la quantité de mouvement : elle couplait aussi fortement le nombre de photons et de baryons. Si on prenait un volume d'espace fini, le nombre de photons et de baryons ne différait pas sensiblement l'un de l'autre. Il y avait bien quelques variations ci et là, mais on peut parfaitement supposer qu'en moyenne, le nombre de particules par unité de volume était le même pour les photons et les baryons. Le résultat est ce qu'on appelle l'approximation du couplage fort : le nombre de baryons et de photons dans un volume d'espace fini est approximativement le même. La densité de baryon et de rayonnement étaient alors fortement liés par une relation que nous allons démontrer.

L'approximation du couplage fort nous dit que, avec   et   le nombre de photons et de baryons par unité de volume, on a :

 

On sait de plus que   et que  , ce qui donne :

 

Ces informations nous sont utiles pour calculer la vitesse du son. Pour rappel, la vitesse du son se calcule avec la formule suivante :

 

En combinant les deux équations précédentes, on trouve :

 

Après le découplage : les perturbations isothermes et leur évolution

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Après le découplage, la matière et le rayonnement ne sont plus couplées. Les densités de matière et de rayonnement deviennent indépendantes l'une de l'autre et évoluent chacun dans leur coin. Elles suivent alors les relations vues dans les premiers chapitres :

 
 

Une vitesse du son en chute libre

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Rappelons que la vitesse du son est la suivante :

 , avec  .

Calculons le rapport R :

 

En combinant les deux équations précédentes, on trouve :

 

L'équation précédente dit que la vitesse du son diminue avec l'expansion, du moins après le découplage.

On peut s'en rendre compte avec l'approximation  , qui transforme l'équation précédente en :

 

Si on attend suffisamment longtemps après le découplage, le facteur d'échelle sera devenu suffisamment grand pour que l'on ait :  . On obtient alors :

 

La réduction de la vitesse du son n'est pas sans conséquences sur la formation des perturbations et leur évolution. En effet, les ondes sonores sont en effet des ondes de pression (compression/décompression). Elles naissent quand la pression varie en un point d'un objet et transmettent cette variation aux alentours. La vitesse du son est aussi la vitesse de transmission des forces de pression. Or, la pression est ce qui permet de lutter contre la gravité dans les surdensités. Si la vitesse de transmission de la pression est trop faible, les forces de gravité peuvent l'emporter sur la pression dans certaines circonstances. Une surdensité peut ainsi s'effondrer si les ondes de pression sont trop lentes et ne permettent pas de lutter assez rapidement contre leur contraction gravitaire.