Actes des états généraux du multilinguisme dans les outre-mer/Version imprimable
Une version à jour et éditable de ce livre est disponible sur Wikilivres,
une bibliothèque de livres pédagogiques, à l'URL :
https://fr.wikibooks.org/wiki/Actes_des_%C3%A9tats_g%C3%A9n%C3%A9raux_du_multilinguisme_dans_les_outre-mer
Introduction
Les politiques publiques mises en œuvre dans les départements et territoires d’outre-mer doivent nécessairement prendre en compte une réalité linguistique qui différencie profondément ces territoires de la métropole : le français, quoique « langue de la République » selon la Constitution, n’y est pas la langue maternelle de la majorité de la population.
La diversité des langues y est particulièrement riche : 28 langues pratiquées en Nouvelle Calédonie, 19 langues couramment usitées en Guyane dont 7 étrangères, 7 en Polynésie… En Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion, le créole est une composante essentielle de l’identité culturelle des citoyens. A Mayotte, le français n’est parlé que par 60 % des habitants de l’île. Sur les 75 « langues de France » dénombrées en 1999, une cinquantaine sont couramment parlées dans ces territoires.
Une telle situation appelle la définition d’une politique des langues spécifique qui, à partir des pratiques concrètes des populations, permette de concilier la nécessaire maîtrise du français (et, au préalable, la lutte contre l’illettrisme), avec la non moins nécessaire prise en compte des langues régionales : sans remettre en cause la place du français, langue de la République, un bilinguisme (ou un multilinguisme) équilibré pourrait ainsi contribuer au développement culturel de ces territoires, et dans une large mesure à leur développement économique et social.
C’est pourquoi a été décidée, dans le cadre du plan ministériel pour l’outre-mer, l’organisation en Guyane, du 14 au 18 décembre 2011, d’États généraux du multilinguisme dans les outre-mer, qui constituent le point d’orgue de « l’Année des outre-mer » français. Une occasion unique est ainsi offerte à ces territoires de dialoguer entre eux.
Microcosme représentatif de l’ensemble des problématiques linguistiques et de diversité culturelle des autres territoires, la Guyane - où sont parlés (outre le créole guyanais), 4 créoles bushinenge à base lexicale anglo-portugaise, 6 langues amérindiennes et une langue asiatique (le hmong) - a une légitimité particulière à accueillir une telle rencontre, à l’heure où s’esquisse par ailleurs la constitution à Cayenne d’un « pôle d’excellence dans le domaine de la politique linguistique et des traditions orales ».
Les États généraux rassemblent, sur une période de deux jours et demi, quelque 250 participants venus non seulement de la Guyane, mais de l’ensemble des territoires d’outre-mer, de métropole et de pays voisins, avec pour objectif de formuler des recommandations générales et des propositions concrètes, sur des thèmes aussi divers que l’emploi des langues dans la vie sociale, leur « équipement », leur transmission à l’école et en dehors de l’école, leur place dans la vie culturelle et dans les médias.
Éditorial de Marie-Luce PENCHARD, Ministère de l'outre-mer
L’Année des outre-mer, voulue par le Président de la République, a pour ambition de changer le regard que l’on porte sur les 12 territoires ultramarins. Son objectif consiste à mettre en lumière les atouts et les richesses des outre-mer pour témoigner de leurs contributions à la grandeur de la France.
Parmi les nombreuses manifestations d’importance organisées dans le cadre de cette Année, les États généraux du multilinguisme dans les outre-mer constituent à n’en point douter l’un des moments essentiels.
Ces États généraux témoignent de la richesse culturelle et patrimoniale des femmes et des hommes vivant dans les territoires ultramarins. Et je tiens à féliciter la Délégation générale à la langue française et aux langues de France d’avoir décidé l’organisation de cette manifestation qui se déroulera en Guyane du 14 au 18 décembre prochains.
Avec plus de 50 langues parlées outre-mer sur les 75 langues qui constituent le patrimoine linguistique exceptionnel de la France, ces États généraux vont permettre de mettre en lumière la diversité et la richesse unique de ce trésor national.
C’est toute l’ambition de ce Gouvernement de permettre aux langues de France de cohabiter sereinement afin que chaque personne connaisse la langue française et s’exprime à travers l’héritage linguistique qui est le sien. Car les langues doivent vivre, doivent être parlées et transmises afin que perdure cette richesse incomparable.
Je souhaite à tous les participants de profiter pleinement de ces États généraux qui remplissent admirablement les objectifs de cette Année des outre-mer.
Marie-Luce PENCHARD
Éditorial de M. Frédéric MITTERRAND, ministre de la Culture et de la Communication
« Aucune langue n'est, sans le concert des autres », écrivaient naguère Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant.
En organisant les États généraux du multilinguisme dans les outre-mer, qui clôturent et couronnent l'Année des outre-mer, j'ai voulu tout d'abord rendre hommage à l'inestimable apport ultramarin qui contribue à la richesse culturelle de notre pays. Cette richesse se manifeste à travers le foisonnement de la création culturelle qui s'exprime et se transmet dans plus de cinquante langues, de France et d'ailleurs. C'est le théâtre caribéen , c'est le déba chanté et dansé par les femmes de Mayotte, l'art oratoire tahitien, Orero, les berceuses kanakes, c'est enfin l'universalité des contes de notre enfance qui se disent chaque fois dans une langue différente. Et chacun sait que si la France fait entendre sa voix dans le concert des musiques du monde, c'est à l'outre-mer qu'elle le doit.
Chacun sait aussi que si la langue française est parlée sur les cinq continents, aux côtés d’un grand nombre d’autres langues, la France a le devoir de prendre en compte la diversité des langues parlées sur son territoire, et singulièrement dans les territoires d’outre-mer, là où cette langue n’est pas la langue maternelle de la majorité de nos concitoyens.
Cette rencontre, qui réunit à Cayenne, 250 personnes venues des quatre océans, est le fruit de la détermination et du travail de coopération de plusieurs services de l’État - notamment de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France dont je salue l'engagement remarquable -, de chercheurs, et de représentants de ceux qui travaillent au quotidien à faire vivre ces langues.
À partir des pratiques des locuteurs, des nombreuses initiatives individuelles ou collectives, des réussites et parfois des déceptions, à partir des expériences et des savoirs élaborés par les scientifiques, il s'agit d'engager une discussion ouverte sur la pluralité des langues dans notre vie sociale.
J'attends de cette confrontation de points de vue exprimés dans notre langue commune, le français, que se dessinent les lignes de force d'une politique linguistique qui réponde aux exigences de diversité, de modernité et de justice sociale que réclame une société démocratique.
Je souhaite que ces États généraux du multilinguisme soient un repère et un signe positif pour les jeunes générations qui auront à sauvegarder la polyphonie du monde, si l'on veut qu'il reste vivable.
Frédéric MITTERRAND
Le mot du Président de la Région Guyane, Rodolphe ALEXANDRE
Les États généraux du multilinguisme dans les outre-mer ne pouvaient sans doute pas trouver meilleure terre d’accueil que la Guyane. La Guyane représente en effet, à elle seule, un véritable laboratoire en termes de diversité des cultures et des langues, qu’il s’agisse des langues régionales (créole guyanais, langues amérindiennes et bushinengues) ou des langues étrangères (anglais, néerlandais, portugais, espagnol, créoles caribéens, mandarin...).
Outre la mise en valeur de la multiplicité linguistique et culturelle de l’ensemble des départements et collectivités d’outre-mer, ces États généraux seront donc également l’occasion pour la Guyane de faire valoir son exceptionnelle densité en la matière et, sans doute, de mettre en avant son savoir-faire en termes d’intégration de toutes les composantes de sa population.
Car, si la langue constitue indubitablement un lien fort entre les personnes, en ce qu’elle leur permet de communiquer entre elles, de se comprendre, et de partager et faire vivre leur culture commune, elle peut aussi contribuer à isoler les communautés les unes des autres si aucun effort n’est entrepris pour leur permettre de se rapprocher et surmonter la barrière de la langue afin d’apprendre à mieux se connaitre.
C’est pourquoi j’ai souhaité, avec l’ensemble de mon équipe, placer cette mandature sous le signe du décloisonnement et du rassemblement de l’ensemble des communautés qui composent la Guyane, en organisant plusieurs rencontres inédites et de grande envergure, telle la grande réunion des chefs coutumiers amérindiens et bushinengues en avril 2011, ou encore les Journée internationale des populations autochtones les 9 et 10 décembre 2011, à Cayenne.
Il va de soi qu’une bonne maîtrise de la langue française par le plus grand nombre est une condition nécessaire à l’aboutissement de notre projet. Car elle seule a vocation à constituer le dénominateur commun permettant de passer d’une langue régionale ou étrangère à une autre. Or, c’est précisément l’objectif que nous nous sommes fixés : ouvrir, et faire découvrir à la Guyane et au monde la richesse des cultures et des langues qui vivent et s’expriment sur l’ensemble de notre territoire.
Ce sera certainement l’un des enjeux portés par chacune des délégations présentes à ces États généraux, dont je ne doute pas qu’ils seront placés sous le signe de l’ouverture, de la diversité, de l’échange et du partage. Bons travaux à toutes et à tous.
Rodolphe ALEXANDRE
Déclaration de Cayenne
Principes généraux
Les langues ne sont pas seulement des instruments de communication, mais sont aussi l’expression de savoirs et de cultures ; elles ne sont pas interchangeables et portent un point de vue sur le monde qui leur est propre.
Toutes les langues sont d’égale dignité et toutes sont en mesure d’exprimer la complexité du monde : il n’existe aucun argument scientifique valide pour hiérarchiser les langues du point de vue de leur valeur intrinsèque.
L’affirmation des particularités linguistiques d’un territoire est un facteur d’attractivité, dès lors qu’elle s’accompagne d’une ouverture aux grands courants de la communication internationale.
Apprendre une langue n’implique aucunement d’en « désapprendre » une autre ; des compétences linguistiques en plusieurs langues peuvent coexister chez un même individu. En apprenant à construire le sens dans une langue première, on peut apprendre à construire le sens dans une langue seconde.
Or, dans les territoires ultramarins, la langue française n’est pas la langue maternelle de la majorité des citoyens, mais le plus souvent une langue acquise dans la vie sociale et par l’école au terme d’un processus d’apprentissage ;
Et les habitants de ces territoires sont appelés, dans la plupart des cas, à construire leur vie professionnelle et à exercer des droits de citoyen en français, langue de la République, langue du lien entre toutes les communautés linguistiques françaises ;
Les compétences linguistiques des locuteurs dans leurs langues premières n’en sont pas moins constitutives de leur identité et, à ce titre, doivent être prises en compte dans tous les secteurs de la vie sociale.
La diversité des langues parlées dans les territoires ultramarins constitue un patrimoine d’une richesse exceptionnelle et une réalité vivante, une cinquantaine de langues étant reconnues comme « langues de France » dans les départements et collectivités d’outre-mer ;
Les langues et les cultures ultramarines sont porteuses de valeurs et de savoirs, et sont en mesure d’apporter des réponses aux questions de la société contemporaine ;
Aussi le patrimoine constitué par les langues de l’outre-mer doit-il être mis en valeur, afin de permettre l’expression des langues autochtones et garantir leur transmission.
L’évolution accélérée des technologies de l’information et de la communication peut être mise à profit pour favoriser l’utilisation, la modernisation, la diffusion et la transmission de ces langues.
Le cadre législatif et réglementaire offre des possibilités qu’il revient non seulement aux administrations de l’État et aux collectivités territoriales, mais aussi aux citoyens eux-mêmes, d’exploiter ;
Ces possibilités concernent l’usage des langues de l’outre-mer dans l’espace public, leur « équipement » et leur enseignement, les pratiques culturelles et leur place dans les médias.
Objectifs poursuivis
C’est pourquoi les participants aux États généraux du multilinguisme dans les outre-mer, réunis à Cayenne du 14 au 18 décembre 2011, appellent de leurs vœux la mise en œuvre d’une politique des langues qui permette :
- D’organiser la coexistence du français et des langues de l’outre-mer sur un même territoire, et de concilier la nécessaire maîtrise du français et la non moins nécessaire prise en compte des langues parlées sur les territoires ;
- De contribuer ainsi, par des mesures de prévention et de remédiation, directement ou indirectement, à la lutte contre l’illettrisme.
Ils souhaitent l’instauration à cet effet d’un dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, selon un principe de responsabilité partagée, visant notamment à mettre en place une offre linguistique, de nature à répondre à l’attente des populations et à valoriser leurs ressources culturelles.
Cayenne, le 16 décembre 2011
Présentation des principales recommandations
Plus de deux cents professionnels de la culture, de l’éducation – mais aussi des responsables politiques et d’associations – ont participé au cours de trois journées d’intenses réflexions aux États généraux du multilinguisme dans les outre-mer, en Guyane.
Car dans les outre-mer, se concentre la plupart des langues régionales de France. Et la France a de la chance, car la diversité des langues parlées dans les territoires ultramarins constitue un patrimoine d’une richesse exceptionnelle. D’ailleurs, l’article 75-1 de la constitution de la République dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
La langue n’est pas seulement un instrument de communication, mais c’est surtout un vecteur essentiel de la culture du locuteur qui le forme et le structure dans un environnement spécifique.
Il est donc important de s’interroger sur la place de ces langues dans les sociétés ultramarines et au-delà dans la société française tout entière.
Longtemps, ces langues ont été considérées comme inférieures au français, la lingua franca, qui avait seule droit de cité, et les autres langues étaient non seulement ignorées mais très souvent déniées.
Les locuteurs en ressentaient un sentiment de honte et d’indignité, et des générations d’Antillo-Guyanais, de Réunionnais, de Kanaks, de Tahitiens, de Wallisiens ont souffert d’une perte d’identité en voulant oublier leur langue pour mieux réussir dans la langue dominante.
Si ces temps sont heureusement révolus et que à contrario, les scientifiques sont unanimes à affirmer que la maîtrise de la langue maternelle et d’une langue seconde a des avantages indubitables dans le processus d’apprentissage, force est de constater que la République n’a pas su faire la place qu’il convient à ces langues de ses confins…
Et pourtant, qui peut douter que la France ait jamais été aussi forte grâce à ses outre-mer ? Elle rayonne sur tous les océans du monde. Et son « soft power » – son influence – est aussi relayée grâce à ces créoles, à ces langues ultramarines qu’elle a occultées jusqu’à nos jours et qui peuvent constituer des relais de son influence dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, dans le Pacifique et l’océan Indien.
En ce début d’un siècle nouveau marqué par la multipolarité, il n’est nul besoin pour la France d’éradiquer les langues régionales pour affirmer son unité comme le préconisait jadis l’abbé Grégoire, « l’Ami des Noirs »… L’enjeu est d’établir un rapport dialectique – il faudrait plutôt dire dialogique au sens d’Edgar Morin – entre les langues de l’outre-mer et le français, dont personne ne conteste le rôle de langue nationale.
C’est pourquoi les participants aux États généraux du multilinguisme dans les outre-mer, réunis à Cayenne du 14 au 18 décembre 2011, appellent de leurs vœux la mise en œuvre d’une politique des langues qui apporte les améliorations déclinées dans le texte de la « Déclaration de Cayenne ». Ce texte est le résultat des travaux conduits en ateliers et des débats avec l’ensemble des participants aux États généraux.
(Lors de la clôture des États généraux, le 16 décembre 2011, la présentation des principales recommandations issues des États généraux a été confiée à M. Robby Judes, conseiller pour les affaires européennes, internationales et institutionnelles au commissariat général de l’Année des outre-mer.)
L’emploi des langues : plurilinguisme, pratiques individuelles et pratiques sociales
Présentation générale
L’introduction de cette thématique a permis de faire le double constat d’une idéologie monolingue dominante et persistante sur l’ensemble du territoire national, et d’une réalité multilingue des territoires d’outre-mer, dont la population est majoritairement plurilingue. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager les politiques linguistiques à mettre en place dans les différents secteurs de la vie sociale que sont l’école, la culture, la santé, la justice… En considérant le plurilinguisme des populations concernées comme une richesse favorisant le rapprochement entre les cultures, les participants se sont interrogés sur la façon dont les connaissances et les valeurs acquises dans le cadre familial pourraient être réinvesties dans les apprentissages scolaires, sur la nécessité de mieux connaître les savoirs traditionnels, pour mieux les préserver et les transmettre, et sur les moyens de prendre en compte des répertoires plurilingues d’une grande richesse, qui évoluent au cours du temps et selon les situations, et qui subissent le poids des représentations sociales et culturelles qui sont à l’œuvre dans les territoires, et au plan national.
Table-ronde
Que le chemin a été long pour arriver jusqu’à Cayenne. Je ne veux pas parler du trajet aérien que beaucoup d’entre nous ont dû faire pour parvenir jusqu’ici (encore que la fatigue du voyage ne soit pas tout à fait étrangère à cette exclamation liminaire) ; non je veux parler des travaux préparatoires à ces états généraux, menés depuis plus d’un an maintenant au sein d’un Conseil d’orientation auquel nombre d’entre vous ont participé, ou dans le cadre de rencontres organisées localement en Nouvelle-Calédonie, en Guyane, à la La Réunion ou en Guadeloupe ; et parce que la plupart de ceux qui ont contribué activement à ces travaux se trouvent réunis ici aujourd’hui, je voudrais d’entrée de jeu leur rendre hommage, comme je voudrais remercier l’équipe organisatrice, animée par Florence Gendrier à Paris, inspirée par Michel Colardelle depuis Cayenne.
C’est grâce à ces travaux que nous avons pu dégager pour nos débats 6 principaux thèmes, qui ont été couplés deux par deux afin que nous puissions les déployer sur trois demi-journées, le 7ème thème (« le plurilinguisme, une ressource à exploiter ») étant traité au cours de la quatrième demi-journée, c'est-à-dire au début de l’après-midi du deuxième jour (j’espère que tout le monde se retrouve dans cette architecture un peu complexe). Comme vous le savez, chaque demi-journée se déroule en trois temps, séparés chacun par une pause : exposé des problématiques sous la forme de deux tables-rondes correspondant chacune à un thème, puis travail dans les ateliers, et enfin restitution des ateliers en semi-plénière, chaque semi-plénière faisant écho à l’une des deux tables rondes par lesquelles aura commencé la demi-journée. J’espère que chacun aura pu s’inscrire à l’atelier ou à la semi-plénière de son choix, étant entendu que la plénière de vendredi après-midi permettra à tous de prendre connaissance de l’ensemble des travaux accomplis. Cette organisation signifie que chacun pourra prendre la parole à son gré, dans les ateliers, les semi-plénières de restitution, et même, si le temps nous le permet, dans la plénière de synthèse finale, l’objectif étant de faire alterner des exposés généraux, d’une part, et des « retours d’expériences » ou des présentations de « bonnes pratiques » pour aboutir, au bout du compte, à un ensemble de préconisations, adossées à quelques grands principes dont on pourra toujours, bien sûr, discuter la formulation, mais qui auront fait sur le fond l’objet d’un consensus. Ces recommandations feront l’objet d’une synthèse publique, en présence du ministre, qui nous rejoindra vendredi soir. Réalisée à chaud, elle sera nécessairement incomplète : c’est pourquoi nous prenons l’engagement d’établir un relevé plus détaillé de ces recommandations, sous la forme de conclusions qui feront autorité.
Je remercie les participants aux tables rondes, les modérateurs et les rapporteurs, qui ont bien voulu se porter volontaires pour structurer nos débats. Cela, je le précise, ne leur confère aucun statut, ni aucun privilège : dans des états généraux, comme je le laissais entendre hier soir, tout le monde est égal aux autres. Mais vous conviendrez avec moi que cela leur donne quelque titre à notre reconnaissance.
- Partager la parole est un art difficile, il faut du temps pour cela, donc je vais avoir un œil sur la montre, pour vous, tout au long de ces deux jours et, avant de démarrer nos travaux, je voudrais inviter Yvan Amar qui est présent ici, à venir nous dire en quelques minutes quel est son projet et son désir dans ces états généraux.
- Yvan Amar (Radio France Internationale)
Merci beaucoup Florence. Je travaille à Radio France Internationale où je m’occupe des émissions sur la langue, souvent sur la langue française, mais sur toutes les langues qui sont parlées dans les territoires français et même toutes les problématiques de langue. Je suis heureux d’être ici.
Je voudrais réaliser deux choses. Tout d’abord ramener des documents sonores pour pouvoir faire des émissions sur un certain nombre de situations linguistiques dans les outre-mer. Et aussi, me semble-t-il, pour garder une trace sonore de ces états généraux, interroger un certain nombre d’entre vous qui représentez des langues particulières pour les faire parler un temps très court. Cela peut durer 5 minutes ou 3 minutes peut-être suffisent, avec un certain nombre d’entre vous, pour que, dans leur langue, ils fassent une petite carte postale sonore, un photomaton : dire qui je suis, comment j’ai appris cette langue, était-ce la langue que je parlais avec mes parents, mes deux parents la parlaient-ils entre eux, la parlé-je avec mes enfants, si j’en ai, etc. ? Le tout agrémenté éventuellement d’une recette de cuisine, d’une petite chanson, d’un proverbe et, chaque fois, disons toutes les 30 secondes, traduit en français. Pour que, justement, on puisse, après, faire une sorte de petit album de photos qui servira d’abord d’album souvenir, ensuite d’archives pour peut-être les générations futures ou nous quand on sera un peu plus vieux. Se souvenir que, fin 2011, il y avait une situation linguistique dans les outre-mer dont on pouvait donner, aussi imparfait que ce soit, un petit instantané.
Donc tous ceux que cela intéresse et qui sont locuteurs d’un certain nombre de langues, je les engage à venir me voir, peut-être à la fin de cette matinée, pour que l’on puisse prendre rendez-vous pour une entrevue extrêmement courte. C’est 5, 6 minutes, si vous ne savez pas quoi dire, je vous aiderai, mais j’en ai déjà fait un tout à l’heure et je n’ai rien eu à dire, cela s’est extrêmement bien passé. Donc, n’hésitez pas à venir me voir et on essaiera de faire un petit calendrier et je vous prendrai à part, les uns et les autres, compte non tenu d’autres émissions, d’autres entretiens plus longs que je pourrais faire avec certains d’entre vous pour essayer de faire le point sur des situations linguistiques. Merci.
- Nous allons commencer nos travaux avec une première thématique : « L’emploi des langues , plurilinguisme, pratiques individuelles et pratiques sociales ». c’est Isabelle Léglise qui va faire le propos introductif de cette table ronde. Hidaya Chakrina qui nous fera part de son expérience et de son témoignage, Richard Waminya, si vous voulez bien venir vous installer sur l’estrade. Michel Colardelle nous donnera, à la fin de cette première table ronde plénière, le point de vue de l’institution, à savoir le ministère de la Culture et de la Communication.
Propos introductif : Isabelle Léglise (Structure et dynamique des langues - Centres d'études des langues indigènes d'Amérique / CNRS)
Bonjour,
il m’incombe la tâche difficile d’introduire des discussions sur multilinguisme et plurilinguisme, pratiques individuelles, pratiques sociales. Je vais rappeler un certain nombre de termes qui sont chargés de sens, chargés d’enjeux et il me semble que quand on parle de multilinguisme, il faut d’abord partir d’une idéologie dominante et de la méconnaissance ou de la négation de la diversité linguistique, en France, en général.
Nous sommes en France, et en France métropolitaine en particulier, dans le cas d’une idéologie monolingue qui est dominante. Quand je commence mes cours, souvent je pose cette question à mes étudiants : « À votre avis, combien y-a-t-il de langues parlées en France ? », la réponse qui arrive immédiatement c’est « le français » et ensuite, les étudiants sont très secs. Et pourtant, l’enquête famille de l’INSEE montrait qu’il y avait plus de 400 langues maternelles parlées en France métropolitaine. Cette idéologie monolingue dominante qui est au moins métropolitaine, probablement aussi nationale et qui déborde loin aussi dans les outre-mer, elle est présente et je pense qu’il faut partir d’elle. Pourtant, on connaît évidemment ces actes de la diversité linguistique en France métropolitaine et ces résultats de l’INSEE qui montrent, pour les langues issues de l’immigration, les questions de transmission en famille avec de nombreux locuteurs pour toutes ces langues.
La question que l’on peut se poser ici est : quelles sont les idéologies dominantes dans les outre-mer ? Je ne répondrai évidemment pas à cette question, mais je la pose. L’idéologie métropolitaine nationale agit-elle ? Probablement. D’autres idéologies agissent-elles ? Probablement également. En Guyane, je pense notamment, parce que c’est le terrain que je connais le mieux, qu'il y a une idéologie de la juxtaposition, de la mosaïque qui n’est pas la même que d’autres idéologies que nous pouvons avoir dans d’autres territoires.
Une autre question importante me semble être celle du statut et de la reconnaissance des langues et de cette diversité. Reconnaissance par l’État. On connaît évidemment les langues de France, et donc l’apport important des langues de l’outre-mer aux langues de France, 50 sur 75, à quoi il faut ajouter la grande diversité linguistique en outre-mer qui n’est pas reconnue comme langue de France. Donc je prendrai trois exemples : Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Guyane, à la fois pour des langues qui sont des langues proches des territoires environnants, comme des langues issues de mobilités plus lointaines, et on arrive à des nombres de langues très importants et des diversités linguistiques extrêmement importantes.
Ce n’est pas parce que nous avons une diversité linguistique et que nous la reconnaissons à un certain niveau que nous ne sommes pas encore entachés d’idéologie monolingue quand on s’intéresse à la coprésence des langues. Vous avez ici une carte de la Guyane avec des espaces de peuplement, c’est la façon dont on représentait traditionnellement où se situent les populations et quelles langues elles parlent. Donc vous avez ici, par exemple, des populations amérindiennes, ici des populations marrons, bushinenge, ici des populations traditionnellement créoles et métropolitaines, cela induit une vision cloisonnée des groupes et des langues.
Parler de multilinguisme et de plurilinguisme, voici les définitions que je vais utiliser : le multilinguisme, et j’utilise ici les définitions du conseil de l’Europe, renvoie à la coprésence, à la présence, sur un même espace géographique, d’un certain nombre de langues et, sur cet espace géographique, on peut avoir des locuteurs monolingues ou plurilingues. Par ailleurs, le plurilinguisme renvoie plus du point de vue du locuteur qui parle et cela renvoie au répertoire des variétés de langues que de nombreux individus utilisent sur un espace, que cet espace soit vu comme monolingue ou multilingue. Et donc, dans ces espaces multilingues, nous pouvons avoir des locuteurs monolingues ou plurilingues. Il me semble que cette distinction est importante à mettre en exergue.
Pour citer l’exemple de la Guyane, nous sommes ici face à une Guyane multilingue où il y a un certain nombre de langues qui sont parlées. Vous avez ici les résultats d’une enquête que j’ai menée dans les écoles en Guyane et qui montre la grande diversité de langues maternelles, de langues transmises en famille, on arrive à une quarantaine avec des pourcentages plus ou moins importants. Non seulement la Guyane est multilingue, mais elle est également plurilingue, majoritairement plurilingue. Si je m’intéresse aux élèves de 10 ans, 93% d’entre-eux déclarent parler deux langues, en général leur langue maternelle plus le français, c’est normal, c’est la langue de l’école, mais 41% déclarent parler au moins trois langues et 11% au moins quatre langues, etc. Donc, la Guyane,c'est non seulement un territoire multilingue mais aussi une population majoritairement plurilingue. Je vous ai parlé des répertoires, vous voyez ici que le français (là c’était une enquête à Apatou) est déclaré par 2% des élèves comme parlé avant d’aller à l’école et puis, évidemment, une fois qu’ils sont rentrés à l’école, ils le parlent tous au bout d’un certain temps. Vous avez par exemple ici le Sranan Tongo qui n’apparaît pas comme dans les langues maternelles des élèves mais qui est appris par la suite par les élèves, au contact de leurs amis, suite à des voyages dans la région environnante, etc. Et donc ces élèves plurilingues se retrouvent dans des classes multilingues, vous avez ici la représentation des langues maternelles parlées par des élèves dans une classe (ici dans la ville de Kourou) et puis vous avez la représentation sur le graphique, plus bas, de l’empilement des langues que l’on apprend progressivement, les langues que l'on apprend en famille, les langues que l'on apprend à l’école, les langues que l'on apprend auprès des amis, lors des voyages, les langues étrangères que l'on apprend ensuite à l’école, etc. Ce qui fait que les locuteurs possèdent des répertoires plurilingues et que ces répertoires évoluent au cours du temps, c’est-à-dire qu’évidemment le répertoire n'est pas le même à trois ans, à dix ans, à quinze ans, à vingt ans, quarante, etc.
Face à ces répertoires plurilingues, les individus utilisent leurs langues, gèrent leur plurilinguisme. Vous avez l’empilement des répertoires sur l’ensemble des élèves en Guyane, ce sont les résultats que j’ai pour l’instant, avec évidemment un poids extrêmement important du français, pas tant comme langue maternelle, mais ajoutée au répertoire par la suite avec les autres langues. Et évidemment, cela est à un instant T, pour des élèves qui ont 10 ans. On n’aurait pas les mêmes résultats si on prenait une tranche d’âge comme 25 ans, 40 ou 60 ans. Un individu, par exemple un enfant, qui déclare parler 5 langues dans son répertoire, quel que soit la compétence qu’il ait dans ces langues, il peut parler dans une langue à son père, son père peut lui répondre dans cette langue plus une autre langue, il peut s’adresser à sa mère dans une 3ème langue, par ailleurs, avec ses frères et sœurs le français rentre parce qu’il y a l’école et donc le français, et avec ses amis, non seulement les langues de la maison plus le français plus le créole, la cour de récréation, etc. Vous voyez là un autre exemple où l’on voit l’entrée des langues, comment les locuteurs gèrent les langues. Vous avez par exemple des enfants dans une famille. Tout ce qui est en rouge est leur langue maternelle, un créole à base anglaise, et puis vous voyez des entrées du français, à l’intérieur, dans leurs échanges entre eux, les enfants, mais aussi quand ils s’adressent à leurs parents, parents qui ne parlent pas le français par ailleurs. Donc, là, vous avez le vocabulaire d’origine scolaire qui entre. Là, vous avez des exemples plus complexes de communication en situation exolingue, c’est-à-dire une situation dans laquelle les interlocuteurs ne partagent pas les mêmes langues. C’est une chose très fréquente en Guyane et fréquente aussi dans d’autres contextes. Ici, vous avez par exemple des échanges à l’hôpital, entre l’équipe soignante et le patient, et la famille du patient, avec des essais pour communiquer minimalement. Mais on n’arrive pas à dépasser le stade du minimal. Vous avez là d’autres exemples de l’hôpital où, face à un patient brésilien, l’infirmière, alors que tous les échanges sont en français et le patient brésilien ne parle pas français, va essayer d’approximer le portugais du Brésil et donc utiliser ce qu’elle possède dans son répertoire plurilingue, l’espagnol qu’elle a appris à l’école il y a longtemps, qu’elle parle très imparfaitement, pour essayer, par une communication minimale l’un avec l’autre, et le patient brésilien va essayer d’aller du portugais vers l’espagnol pour que, finalement, ils arrivent à, établir le diagnostic, là en l’occurrence : il a mal au ventre quand il marche.
Face à de telles situations, face à tous ces points à la fois, multilinguisme et plurilinguisme, quelles politiques linguistiques implicites ou explicites ? Explicites, ce sont les politiques que l’on définit, auxquelles on croit, sur lesquelles on légifère. Et implicites, ce sont les politiques dont on ne parle pas, mais qui, par une analyse, permettent de remonter. Dans le cas des échanges à l’hôpital, par exemple, on peut dire que la politique explicite est uniquement de favoriser le français. En même temps, on voit bien que le fait de ne pas s’intéresser aux langues des autres ou de ne pas avoir les outils pour s’intéresser aux langues des autres, fait que sur les acteurs sociaux pèse un poids monumental qui est de devoir s’adapter ou de refuser de s’adapter à la personne que l’on a en face de soi. Et donc la question qui se pose est quelle politique linguistique peut-on mettre en place dans des lieux très différents tels que l’école, mais aussi la santé, la justice — la question des prisons, par exemple — et la question se pose à tous les niveaux, à la fois au niveau de l’État, des collectivités territoriales, mais aussi au niveau des familles qui se posent aussi la question de savoir si elles doivent ou non transmettre leurs langues et quelles langues transmettre, surtout s’il y en a plusieurs. Je vous remercie.
- Merci Isabelle. Hidaya Chakrina, je vous propose d’intervenir maintenant. Vous avez été chargée de mission pour les langues régionales au conseil général de Mayotte.
Expert 1 : Hidaya Chakrina (Conseil général de Mayotte)
Bonjour à tous.
J’ai eu en charge la direction des langues régionales du conseil général de Mayotte pendant deux ans, de 2009 à 2011, avant de rejoindre le Cabinet du Président du Conseil général, il y a quelques mois. C’est effectivement à ce titre, en temps qu’ancienne responsable de cette structure, que j’ai été conviée aujourd’hui. Cela dit, mon propos sera forcément en lien avec ma mission actuelle qui consiste à faire le suivi des orientations politiques du président auprès de l’administration.
En ce qui concerne mon travail à la direction des langues régionales, mon équipe et moi-même avons été sollicités par l’exécutif de l’époque pour mettre en place une politique de sauvegarde en direction des langues mahoraises, mais également pour sensibiliser la population tant mahoraise que non mahoraise, sur la nécessité de cette sauvegarde. Mais quand on parle de "nécessité", on comprend par là que le combat est loin d'être gagné, qu'il faut encore convaincre, gagner les autres à sa cause et leur faire prendre conscience d'une réalité, ici de nature linguistique.
Lorsque j'aborde cette question de "nécessité" donc, mes interlocuteurs me posent toujours la question de savoir si les langues mahoraises sont véritablement en danger pour que l’on ait besoin de les sauvegarder. Et de mon côté, je leur réponds toujours "oui". "Oui" quand l'on voit que l’utilisation de ces langues auprès des jeunes aujourd’hui, auprès du public scolaire, est une utilisation quelque peu approximative. Il y a, par conséquent, des raisons de s’inquiéter de l’évolution des langues mahoraises, que nous allons à présent identifier.
Nous avons trois langues qui sont majoritairement parlées à Mayotte : la langue française, langue officielle, le shimaoré qui est d’origine bantoue et le kibushi qui appartient à la famille des Langues malayo-polynésiennes.
S’interroger sur leur emploi dans la société mahoraise, cela signifie analyser les usages linguistiques, les codes de langage, les pratiques des locuteurs en tout temps mais également en tout lieu, dans la mesure où tout espace qui est physiquement occupé est potentiellement un espace de production verbale ou écrite ou un lieu d’interaction pour les individus. Ces usages ou ces pratiques sont nécessairement à mettre en lien avec les comportements généraux ou spécifiques des locuteurs et avec les choix opérés par ces derniers, étant entendu que les uns comme les autres sont tributaires des représentations sociales et culturelles qui sont à l’œuvre sur le territoire. L’emploi des langues présuppose la définition d’un territoire symbolique qui permette au locuteur de dire son identité, mais encore faut-il savoir quelle langue utiliser dans son environnement, dans les espaces que l’on investit, sur des territoires anciennement colonisés tels que les nôtres, tels que Mayotte, et dans lesquels les langues régionales n’ont pas encore véritablement leur place.
La pratique des langues mahoraises, jusque là inscrite dans un climat social apaisé, est un peu mise à mal, notamment par des discours idéologiques qui incitent le locuteur à subir l’impératif de la pratique de la langue française ou qui le placent dans une incapacité à se défaire de ces discours. L’un de ces derniers consiste ainsi à faire croire que la pratique libre du shimaoré ou du kibushi ne permet pas aux Mahorais de maîtriser la langue française, langue de la réussite scolaire.
Un tel propos ne peut évidemment pas être compris par les Mahorais parce que cela signifierait que l’inverse est également vérifiable, en ce sens que la pratique accrue du français est susceptible de freiner ou d’étouffer le développement des langues mahoraises. Mais affirmer l’un comme l’autre de ces discours, le discours réel et le discours hypothétique, reviendrait finalement à vivre le plurilinguisme plutôt comme une voie sans issue au lieu de le considérer comme une ouverture ou comme le début du rapprochement entre les cultures.
Affirmer cela reviendrait aussi à laisser sous-entendre que la coexistence des langues en présence sur le territoire mahorais constituerait un problème et que les institutionnels seraient dans l’impossibilité de prendre en charge une société où le multilinguisme a toujours existé et où les locuteurs sont plurilingues.
Le discours idéologique, qui, lui, est réel, est assez dévastateur. Il culpabilise le mahorais dans son effort d’apprentissage ou dans sa réappropriation de la langue française, mais également dans sa pratique de sa langue première. Sa force ou sa persistance est que ce discours joue sur la peur que le Mahorais peut avoir par rapport à l’avenir de sa progéniture. On lui fait comprendre que si cette progéniture ne maîtrise pas correctement la langue française, alors son avenir sera quelque peu compromis. Mais en vérité nous avons le sentiment que les affirmations idéologiques dont nous parlons ici ne font que détourner notre attention du véritable problème, en faisant des langues régionales de Mayotte des espèces de boucs émissaires. Ces affirmations idéologiques ne permettent pas de rechercher la ou les cause(s) véritable(s) de la défaillance de la politique de la maîtrise de la langue française au sein du territoire mahorais.
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur le devenir de notions telles que "plurilinguisme" ou "pratique linguistique", parce que l’une comme l’autre tendent à perdre de leur sens et de leur fonctionnalité, tout comme le locuteur mahorais perd actuellement ses repères linguistiques et culturels alors qu’auparavant il savait quand et comment employer les trois principales langues du territoire, à savoir : le français à l’école et face à un interlocuteur qui ne pratiquait pas les langues mahoraises, quel que soit le lieu d’expression, et les langues mahoraises dans d'autres circonstances.
Pour ce locuteur-là, l’essentiel était l’intercompréhension avec son interlocuteur, c’est pourquoi il ne s’inquiétait pas de savoir si l’espace de la pratique du shimaoré ou celui de la pratique du kibushi dévorait celui de sa pratique de la langue française. Aujourd’hui, le locuteur mahorais est dans l’obligation de réinventer d’autres espaces d’expression pour sa langue première, ce qui pose ici la question de la survivance des langues mahoraises à long terme, mais en même temps celle de la capacité à mettre en place des politiques linguistiques publiques adaptées sans que cela ne se fasse au détriment d’une langue et ce, quels que soient le statut et la valeur conférés à celle-ci.
Agir au lieu de subir. Cela est plus que nécessaire quand l’on voit que la perception du Mahorais à l’égard de ses langues premières a changé et que celui-ci finit par s’autocensurer dans sa pratique individuelle ou sociale des langues mahoraises car il considère que cette pratique est dévalorisante, qu’elle altère l’image qu’il souhaite projeter au reste de la société, à savoir celle d’un individu qui a réussi le défi de maîtriser la langue française et qui ne se trouve pas ou qui ne se trouve plus dans le groupe peu envieux, selon lui, de ceux qui peinent encore dans leur acquisition linguistique.
Pour le locuteur mahorais décrit à l’instant, parler français est valorisant et ne plus parler shimaoré ou kibushi, quel que soit son interlocuteur, est encore plus valorisant. C’est paradoxal à dire mais cela fait partie des choses qui sont ressenties. Ce rejet de la langue première est, avant tout, la négation consciente ou dont la portée n’est pas encore complètement mesurée, de sa propre identité. Il ne permet pas de se construire dans et à partir de sa culture. Alors le discours de la culpabilisation permanente finit-il par déteindre sur ce locuteur ? C’est une question qui resterait à approfondir. Agir au lieu de subir, voilà précisément où nous en sommes à Mayotte et voilà la gageure que le politique mahorais doit relever avec des moyens financiers qui resteraient à redéfinir, si l’on estime que la question des langues fait partie des priorités du pays.
Je vous remercie.
- Merci Hidaya Chakrina. Alors Richard Waminya, vous travaillez dans la province des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie et vous essayez de mettre en place des processus d’apprentissage des mathématiques à partir de la philosophie et des langues kanakes.
Expert 2 : Richard Waminya (Province des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie)
Tout d’abord, c’est parti d'un objet d'étude qui est sur la perception des gens de dire que les langues sont un obstacle dans l’apprentissage des mathématiques. Il est avéré que dans la situation que l’on connaît au niveau du pays, en libérant 20% des élèves qui sont en réussite au niveau des autres champs disciplinaires, on se rend compte que la plupart des enfants qui rencontrent des problèmes au niveau du pays sont des enfants qui sont d’origine mélanésienne et même océanienne. La question que l’on s’est posée a été : la langue kanake ou océanienne est-elle un véritable obstacle dans l’apprentissage des champs disciplinaires comme les mathématiques, ou est-ce un potentiel ? Selon l’approche d’Ubiratan d’Ambrosio qui est un chercheur brésilien qui utilise l’approche ethnomathématique qui dit qu’à partir de la culture, de la philosophie et d’un peuple, on peut comprendre les concepts mathématiques qui sont perçus au niveau de l’école. On est parti de cette étude et on s’est rendu compte au niveau de la culture kanake puisque c’est dans cette culture que je me suis engagé à travailler, notamment à Lifou. Je me suis rendu compte que dans la culture, il y avait des concepts mathématiques qui étaient inscrits et que si on pouvait extraire ces concepts mathématiques qui sont logés à l’intérieur de ces cultures, on pourrait aider l’enfant à procéder à une sorte de continuité pédagogique du milieu social, c’est-à-dire de la famille, directement dans l’école. Et si on arrivait à articuler ces deux types d’enseignement, ces deux types de culture, on arrivait à aider ces enfants à mieux s’intégrer dans l’apprentissage scolaire. Alors on s’est attaché au fait que si on devait percevoir la langue, il ne fallait pas simplement rester au niveau de la langue, mais il fallait revenir sur la philosophie qui a permis de mettre en place cette langue. La philosophie, il fallait la retrouver au niveau des tribus c’est-à-dire faire des recherches au niveau des anciens et essayer de percevoir toutes ses connaissances, ses techno pédagogies, c’est-à-dire comment ils ont su enseigner à leurs enfants dans les tribus. Parce que dans les activités sociales qui sont mobilisées dans les tribus, se retrouvent des concepts mathématiques qui sont similaires au niveau de l’école : construction d’une case, la forme triangulaire ou la forme rectangulaire ou la forme circulaire. Ce sont des formes qui sont vues au niveau géométrique et mathématique, au niveau de l’école. Comment procéder à une articulation entre 2 espaces soi-disant différents mais qui travaillent sur des analogies, qui sont pareils. Ainsi on se rend compte qu’au niveau du milieu social se dégage ce que l’on appelle une conceptualisation implicite. C’est-à-dire des concepts dans lesquels on est incapable de réexpliquer au niveau de l’école mais qui sont vraiment vécus concrètement au niveau de la maison. Et cet espace scolaire où se pratique ce que l’on appelle une conceptualisation explicite, c’est-à-dire où l’enseignant demande à l’enfant d’expliquer ce qu’il est en train de faire. Il se trouve entre deux espaces, entre deux formes de conceptualisation et il lui manque le pan qui relie ces deux espaces. Alors on a mis en place le fait de dire que c’est la langue qui entrave cette articulation entre ces deux espaces. Mais dans l’autre manière de voir, la langue, si c’est un vecteur de transmission, c’est avant tout chez nous un élément important car à l’intérieur de cette langue, sont inscrites des valeurs philosophiques comme le concept de relation qui sont la base même de notre philosophie dans la culture kanake, mais qui sont aussi travaillées au niveau de l’école. À partir de ces concepts de relation, se dégage par rapport à notre philosophie kanake, une approche multidimensionnelle, c’est-à-dire que l’on voit deux types de conception au niveau de l’école : la conception que l’enfant a perçue chez lui et la conception qu’on lui fait admettre au niveau de l’école. À partir de ce moment-là, on se rend compte que les pratiques sociales existantes à la maison sont pratiquées dans les gestes de l’enfant, sont associées aussi à des mots, mais des mots qui ont un sens et qui ont une valeur philosophique et ce sont ces mots-là qu’on travaille, qu’on essaie d’étudier, de manière à trouver, au travers de ces mots, ces processus mentaux qui vont aider l’enfant à mieux intégrer tout l’apprentissage qu’il va découvrir à l’école. À partir de ce moment là, on va établir une véritable continuité pédagogique entre l’espace social, c’est-à-dire l’espace culturel de l’enfant et l’espace scolaire qui est beaucoup plus formalisé. D’Ambrosio parle des mathématiques informelles qui sont pratiquées quotidiennement à la maison. Et ces mathématiques formelles, demandées à partir d’un programme officiel, pratiquées à l’école. Comment faire ? L’expérience qui est menée dans les îles consiste à repartir, à partir des activités sociales comme la confection de nattes, la construction d’une case qui est le symbole de la culture kanake, et à partir de ces constructions, se dégage derrière tout cet aspect philosophique important pour donner du sens à l’apprentissage. Et c’est dans ces processus que l’on appuie notre étude pour permettre non seulement à l’enfant mais à l’enseignant, pour qu’il puisse savoir quels sont les types et quelles sont les situations qu’il doit mettre en place en classe pour permettre à l’enfant de continuer cet apprentissage qu’il a perçu à la maison et qu’il continue à apprendre à l’école. L’approche multidimensionnelle est tout à fait différente, étant donné que l’on ne considère plus une seule dimension, un seul aspect du savoir, mais dans la culture kanake, notre manière de faire est de pouvoir mobiliser toutes les dimensions d’une manière simultanée pour comprendre un seul concept. Vérîot parle de la définition du concept. Qu’est-ce que le concept ? Trois éléments :
-le signifiant : les mots, les choses que l’on voit, qui sont palpables -le signifié : qui est du domaine psychologique, qu’on ne voit pas, dans le domaine de l’implicite - le référent : ce qui est lié à la culture ou à la situation dans laquelle la personne va vivre.
J’ajouterais un 4ème élément qu’on appellerait -l’inférent.
Dans cet infèrent, on va loger toute cette approche multidimensionnelle. C’est-à-dire qu’au moment où un ancien va parler dans la tribu, il parle d’un concept, il ne restera pas dans cette dimension. Il va parcourir plusieurs dimensions pour arriver, à la fin, à la compréhension du même concept. Et cela, c’est l’image philosophique de la pensée du kanak. C’est une pensée qui est circulaire. Il est capable de mobiliser toutes les émotions en même temps pour parler d’un seul objet. Le problème est que l’enfant qui arrive en classe, on lui apprend à rentrer dans une approche qui est plutôt linéaire et à ce moment, l’enfant est confronté à 2 types de langues : le français perçu comme une langue seconde et les langues kanakes perçues comme langues maternelles. On se rend compte que l’enfant qui a bien appris sa langue à la maison, qui est bien rentré dans la culture, quand il rentre à l’école, il arrive à rentrer facilement dans les apprentissages, il rentre facilement dans le français. Et les enfants qui arrivent à l’école, soit ils apprennent la langue à l’école ou soit ce sont des enfants qui ont grandi à la maison qui parle la langue française, quand ils arrivent à l’école, ils rencontrent des difficultés d’apprentissage, ils rentrent moins vite dans l’apprentissage du français. En fin de compte, dans le triangle dont on parlait tout à l’heure, entre les 2 langues, la langue seconde et la langue maternelle, il y a une relation qu’on appelle la « conceptualisation tacite ». C’est-à-dire que lorsqu’un enseignant parle en français et qu’un enfant ne comprend pas, rien ne lui dit qu’il restera en français, de temps en temps, il fait l’appointement dans sa langue mais le processus de compréhension continue. Il rentre dans sa langue et il revient au français et cette alternance, cette conceptualisation tacite, permet à l’enfant de rentrer progressivement dans les deux langues. Cette approche multidimensionnelle est importante dans le sens qu’elle n’est pas applicable seulement dans la culture kanake, mais c’est une approche utilisable dans toutes les autres cultures. L’important est que l’enfant puisse acquérir ce savoir culturel, c’est-à-dire la philosophie de chez lui, sa culture, les pratiques sociales, il faut qu’il donne du sens à ces pratiques sociales. Pourquoi ? Parce qu’à l’intérieur de ces pratiques, sont logés ces processus mathématiques et ces processus d’apprentissage qu’il va redécouvrir à l’école. Le problème est que quand il part de la maison pour aller à l’école, il y a rupture. Quand il revient à l’école, l’enfant a l’impression de recommencer l’apprentissage alors qu’il a déjà commencé son apprentissage à la maison. Il faut maintenant établir cette continuité en s’appuyant sur tous ces aspects culturels ou linguistiques ou langagiers, pour permettre à l’enfant de rentrer progressivement à l’école, de maîtriser la langue kanake, le français, mais aussi d’autres langues. Au niveau de l’expérience menée à l’école, on se rend compte que les enfants de la maternelle sont des enfants qui rentrent dans cette perspective et les résultats sont assez satisfaisants par rapport à ce travail de recherche. Merci beaucoup.
- Merci Richard. Michel Colardelle, directeur des affaires culturelles en Guyane, quel peut être le point de vue de l’institution face à des situations telles qu’elles viennent de nous être décrites, individuelles ou sociales ?
Représentant de l'institution : Michel Colardelle (Direction des affaires culturelles de Guyane)
Bonjour à tous.
Je dois dire que ma position est difficile parce que parler d’une posture cohérente de l’institution serait déjà présumer que nos états généraux se soient tenus, qu’ils aient été conclus de manière un peu consensuelle, que l’Administration avec un grand A en ait tiré les conséquences et que, ensuite, la déclinaison régionale en ait été faite et que, au-delà des textes éventuellement promulgués, les esprits aient été convaincus. Vous pensez bien qu’en disant cela, je vous laisse penser qu’il n’en est rien, et c’est ce qui est d’ailleurs passionnant dans nos états généraux.
Je voudrais d’abord dire que la seule position de l’institution pour celle que je représente, celle des affaires culturelles, c’est celle de l’acte et d’un acte aux côtés de. Nous ne concevons pas notre action dans ce domaine comme une action d’initiation ou de prescription. C’est très différent d’une très grande part de nos métiers qui sont justement des métiers d’application de normes, de règles et éventuellement de contraintes. Je pense au patrimoine matériel, je pense aux monuments et à bien d’autres choses.
Ici, ce qui nous anime, c’est la volonté d’être avec et je ne voudrais en prendre qu’un exemple, c’est le spectacle que vous avez vu hier, conçu, écrit, composé, y compris la musique, y compris les paroles, par des enfants venant de tous les quartiers de Kourou, venant de 3 lycées et de 4 collèges et rassemblés miraculeusement autour d’un grand texte classique d’un grand homme de théâtre de la Grèce classique.
À partir de là, je vais vous décliner quelques postulats que j’essaie d’expliciter chaque jour davantage et, par conséquent, aujourd’hui vous n’en serez pas étonnés, mon discours est assez prudent. D’abord, premier postulat :
l’inquiétude. Nous sommes inquiets, ici, devant le constat du réel. Des langues sont en voie de disparition. Ce n’est pas original, c’est commun sur la planète, mais c’est la situation et elle n’est pas acceptable. C’est lié au nombre des locuteurs, mais ce n’est pas seulement lié à ce nombre des locuteurs, c’est aussi lié aux politiques publiques, de façon d’ailleurs plus large, des politiques françaises. Les transmissions qui sont partiellement interrompues, j’entends transmissions intrafamiliales, transmissions trans générationnelles, ce qui signifie que l’on est bien au-delà de la langue. Lorsque les transmissions s’interrompent, cela veut dire que la relation, je me réfère à l‘intervenant précédent, la relation d’une certaine manière se dégrade. Et c’est aussi important bien sûr, que les faits. La difficulté d’accès à une scolarité normale et, nous n’en serons pas étonné, à un emploi. C’est évident aujourd’hui, ici, la situation est, de ce point de vue, complexe. Et puis, les effets toujours croissants, toujours plus rapides d’une mondialisation de la communication sur laquelle je n’ai pas besoin de revenir, mais qui évidemment touche, au-delà de tout, le plus profond du territoire, le plus éloigné sur les fleuves, au fil de l’arrivée de ces moyens de communication qui, par ailleurs, sont évidemment indispensables, nous n’en doutons pas non plus. Un dilemme par conséquent. Dilemme encore quand on se pose la question de la valorisation des cultures comme une valorisation touristique, ce qui n’est pas non plus scandaleux, mais qui pose de multiples problèmes. L’arrivée du tourisme n’est pas indolore dans le paysage des langues et des cultures minoritaires et éloignées.
Deuxième grand principe après cette inquiétude, j’aurais pu continuer mon propos, il est banal et je ne le continuerai pas, c’est évidemment un concept de culture-langue. Pas de langue, pas de culture, mais de culture-langue. Rien ne sert de parler de diversité culturelle si on ne se préoccupe de diversité linguistique. Il y a évidemment une relation étroite entre l’un et l’autre, même si les champs ne se recouvrent pas exactement, si les apparentements sont également distincts, mais de toute manière, il y a là, évidemment, quelque chose de fondamental. Nous avons des patrimoines immatériels, nous avons des patrimoines matériels, nous avons des formes de convivialité et de sociabilité, c’est-à-dire des formes de cohérence et de concordance, donc des formes de solidarité. Tout cela s’articule autour de langue et cela s’articule autour de culture, les uns et les autres étant au fond de même nature, c’est-à-dire de l’ordre de la représentation et de l’ordre du symbolique et de l’ordre aussi de la reconnaissance entre soi et vis à vis des autres, bien sûr, c’est ce qui pose les problèmes de la confrontation. Ce qui en sort, c’est évidemment une position, vous allez me dire qu’elle est un peu lâche et je le reconnais avant même de vous le dire, c’est que ne pouvant agir sur la massivité des problèmes, dans la complexité de l’inter administratif, de façon efficace, nous en sommes réduits, mais c’est aussi parce que nous le pensons, à proposer que la question symbolique soit mise au centre de la réflexion d’une administration comme la nôtre. Je dis symbolique, c’est-à-dire que la considération apportée par l’état aux représentations culturelles dans leur diversité, le combat contre l’idée que certaines seraient, parce qu’elles sont minoritaires, moins importantes, moins structurées, moins cultivées, c’est quelque chose qui est important. Lorsque la parole de l’État par la voix du préfet, vient au secours, vient affirmer que chaque langue et chaque culture a un égal droit de dignité, à ce moment-là, je pense que ce symbole est puissant se doutant, finalement, qu’il contredit, d’une certaine manière, le fondement même de l’histoire de la République qui, comme nous l’avons les uns et les autres dit, est un fondement d’éradication. Je reprends le mot de l’abbé Grégoire, des patois, c’est-à-dire des langues. Tout cela se décline ensuite en une réflexion sur à la fois la lutte contre la dévalorisation externe, mais aussi contre l’auto intimidation. Quand on sort adolescent, enfant, persuadé que sa culture n’est pas la plus enviable, qu’elle est peut-être même un défaut, un péché, une tare et que, par conséquent on ne se donne pas soi-même le droit d’être audacieux, d’aller dans la société et d’y affirmer son être, je crois que là c’est une chose très importante. Encore une fois, ne pouvant agir sur l’ensemble, nous pouvons agir pour trouver des leviers, mais on sait bien qu’avec un point d’appui, on peut soulever le monde. Alors, essayons !
Essayer c’est quoi ? D’abord faciliter la réflexion et l’échange autour des questions linguistiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés aux côtés de Xavier North et de la délégation générale dans ces états généraux. Fondamentalement, c’est pour que la réflexion sur la Guyane et la réflexion que nous avons s’enrichisse et se confronte aux réflexions des autres pays qui ont, d’une certaine manière des problèmes à la fois semblables et différents et dont nous pouvons peut-être extrapoler quelques lois. Mais c’est aussi tout simplement la réunion qui a été organisée hier par l'association Mama Bobi avec l'aide de Reine Prat pour travailler sur la question de l’équipement linguistique du saramaka. On vient à l’appui pour essayer d’être très concret et faciliter le débat, parce que les langues sont un sujet de débat et même de conflit. Il ne faut pas l’éviter, il ne faut pas se cacher derrière je ne sais quel angélisme et irénisme, c’est une situation de combat et, par conséquent, il faut laisser s’exprimer les contradicteurs de façon à ce que quelque chose puisse naître. On sait toujours que de la contradiction peut naître, à tout moment, quelque chose de positif, c’est même mieux que le consensus quelquefois.
L’aide à l’expression artistique plurilingue. Je ne vais pas insister beaucoup mais nous essayons d’être systématiquement aux côtés des expressions plurilingues. Dans les festivals : lorsqu’un festival fait appel à des artistes qui ne sont pas forcément des artistes professionnels, mais qui sont des gens qui ont l’expression de leur culture et qui viennent, dans leur langue et dans leur forme artistique, exprimer leur être profond au plan social et au plan individuel. Les scènes théâtrales : nous essayons de faciliter les festivals, on pourrait en citer beaucoup comme les transamazoniennes, les biennales du marronnage et il y en a bien d’autres qui sont extrêmement dynamiques de ce point de vue. On pourrait parler également des scènes de théâtre et nous essayons d’encourager des expressions artistiques comme celle, par exemple à Saint-Laurent du Maroni de la compagnie Ks and Co, qui mixe des expressions artistique saramaka et des expressions artistiques et des modèles qui sont plus occidentaux.
C’est aussi l’aide à la formation. Nous essayons d’encourager — puisque les transmissions sont, pour une part seulement, bien sûr ça dépend des groupes, du nombre des locuteurs, etc. interrompus —, nous essayons de faciliter des transmissions d’arts qui sont vraiment représentatifs d’un groupe culturel, toujours avec ce principe que la relation entre culture et langue est tellement forte qu’en aidant l’expression artistique, même lorsqu’elle n’a pas, comme la danse, une transcription à proprement parler phonétique, il y a quand même quelque chose qui se passe et qui est de l’ordre de la préservation, mais aussi de la préservation dans la vie, c’est-à-dire dans un éventuel mixage — je n’ose dire métissage, c’est un mot très difficile à utiliser de façon intelligente — avec d’autres formes de cultures, avec d’autres formes artistiques.
C’est aussi, c’est très important de le dire, je veux l’affirmer ici parce que je suis non seulement directeur des affaires culturelles mais aussi, je ne l’ai pas oublié, un ancien conservateur, le rôle important du musée. Non pas comme un musée de vieilles choses poussiéreuses mises derrière des vitrines, mais un musée qui interroge le monde, qui interroge soi-même, un musée qui n’est pas un reflet de ce que l’on est mais qui est un reflet des inquiétudes que l’on porte. Et ce qui est très intéressant dans la démarche qui a été menée par le conseil régional, au cours de ces derniers mois, pour l’élaboration de son schéma régional de développement culturel qui va se conclure dans les prochains mois et qui donne lieu, actuellement, à la préparation d’une convention de développement culturel avec l’État, c’est vraiment au cours de l’enquête et de la réflexion à travers tout le territoire, la remontée non pas d’un désir, mais d’une volonté, d’une requête de considération pour le patrimoine. Le patrimoine immatériel en particulier, et la création de la « maison des mémoires et des cultures de la Guyane », en cours de préparation avec le conseil général de la Guyane, le conseil régional, à l’ancien hôpital Jean Martial, en plein cœur de la ville, peut répondre à cela. Les langues sont un objet culturel que l’on peut muséifier. Je crois que c’est un sujet dont il sera parlé plus tard. Nous affirmons cela et nous affirmons que le patrimoine immatériel dans toutes ses formes, y compris les langues, y sera présent.
Puisque j’ai parlé de patrimoine immatériel, je ne peux pas manquer de faire référence à l’UNESCO. Nous avons ici, et cela a été initié très largement avec la direction des affaires culturelles et le parc amazonien de Guyane et, évidemment par définition, les communautés concernées, l’inscription sur la liste « sauvegarde du patrimoine immatériel » de l’UNESCO du rite du Maraké dont vous avez certainement déjà entendu parler et par conséquent, pour ne pas alourdir mon propos, je n’en ferai pas la description, mais qui est ce grand rituel qui dépasse très largement l’image classique des piqûres par les abeilles et les fourmis sur le dos des jeunes, qui est tout un rituel de passage, tout un rite de passage, selon la terminologie de van Gennep, qui permet de franchir l’étape de l’adolescence pour accéder à l’âge adulte, c’est-à-dire à l’âge de la sociabilité.
Enfin, l’aide à la consolidation des langues maternelles. Sujet que nous partageons difficilement, douloureusement, évidemment, avec le rectorat qui fait des efforts aussi puissants que possible dans les conditions juridiques, administratives, financières qui sont les siennes. Mais je voudrais insister beaucoup là-dessus : la langue est la première transmission culturelle d’organisation et de structuration de l’esprit et de la pensée, et avoir des jeunes qui sont en insécurité linguistique, qui n’ont pas acquis les fondements de façon parfaite et complète de leur langue d’origine et qui se retrouvent, je l’ai dit hier et je le redis, parce que c’est très fort, devant un maître qui ne parle pas leur langue et lorsqu’ils n’ont pas l’accès à la langue du maître, vous imaginez les problèmes que cela peut poser. Bien entendu un retard scolaire qu’on ne rattrape jamais, mais aussi un sentiment d’insécurité, un sentiment de déchéance vis à vis de ses parents qui parlent la langue que l’on ne parle pas dans l’institution. Excusez-moi de dire les choses avec un peu de violence, mais je ne sais pas me réfréner, je n’en ferai pas plus, mais c’est un problème majeur qu’on ne pourra régler qu’avec des mesures exceptionnelles. Donc voilà la position de l’institution, une position que je vous dis en toute sincérité, très hésitante, très consciente de l’insuffisance et de la limitation mais qui, en même temps, est déterminée. Et je voudrais dire que, puisque l’on ne peut pas agir fondamentalement beaucoup plus au niveau scolaire à cause des difficultés que rencontrent, je répète, de façon réelle et irrépressible, les instances de l’Éducation nationale, malgré tous ses efforts, il faut aussi penser à tout ce qu’on appelle le périscolaire, à tout ce qui est autour de l’école.
Et je reviens, par une pirouette, par où j’ai commencé, le spectacle d’hier, c’est un spectacle qui vous montre le travail qui est fait par des gens qui, justement, ne sont pas strictement dans le cadre scolaire, sont à la fois dans le cadre scolaire et dans le cadre extrascolaire, parmi les jeunes qui ont joué devant vous hier, qui ont composé, écrit, vous avez des jeunes qui n’ont pas d’identité française, qui n’ont pas de papiers comme on dit, des jeunes qui ne sont pas scolarisés, d’autres qui le sont et certains qui ne parlaient pas le français il y a deux ans, me disait Isabelle hier soir, et qui aujourd’hui s’expriment comme vous l’avez entendu. Je crois que partout aujourd’hui, ce genre d’action doit être encouragé. Je reprendrai un autre exemple à Saint-Laurent du Maroni dans lequel la violence de la confrontation est extrême et risque d’un jour à l’autre, d’ailleurs, de se traduire par quelque chose d’encore plus brutal, où c’est exemplaire. La ville d’art et d’histoire qui est un label du ministère de la culture strictement et classiquement patrimonial, se décline ici avec des visites en langue Saramaka dans les quartiers, avec des prises de documentaires, de recueils de la parole des gens des différents quartiers, en s’exprimant dans leur langue, en faisant ce que le journaliste a tout à l’heure expliqué : comment vous dites les choses, comment vous les traduisez, qu’avez-vous envie de dire et donnez-nous vos légendes et vos contes et dites ce que vous avez envie de dire. Et on le partage.
Je voudrais juste terminer en disant que les langues c’est aussi une merveilleuse musique, une merveilleuse poétique, une merveilleuse rythmique du corps et de l’esprit, et c’est cela qu’il faut arriver à partager : l’amour des langues et c’est comme cela que l’on arrivera, pour ce qui me concerne, dans l’institution, à faire partager, au-delà des textes, une passion pour une cause qui est essentielle.
Restitution des ateliers
Inscription des langues dans les territoires, histoire(s) et actualité
- Modérateur : Georges-Daniel Véronique (Université de Provence Aix-Marseille I)
En premier lieu, je dirais que l’atelier a, effectivement, évoqué une question qui est venue de la salle tout à l’heure sur la reconnaissance des textes, donc je suis obligé de dire que notre atelier s’est posé la question de la ratification par l’État français d’un certain nombre de textes comme cela a été dit dans la salle. Cette question est prépondérante. Ensuite, dans les préconisations plus concrètes, je n’en retiendrais que deux qui m’ont beaucoup frappées. L’une, concerne la valorisation des patrimoines linguistiques à plusieurs niveaux. D’une part, il a été dit, et je trouve que c’est une très bonne idée par rapport à l’école, qu’à l’école, dans le cadre de l’éducation civique ou dans le cadre du socle commun, une place soit faite à l’histoire des langues, alors ces langues sont évidemment tissées différemment dans les territoires, mais qu’une place soit faite à cette information sur les langues, que les élèves soient initiés aux grandes lignes de l’histoire de leur langue et à la place que cette langue peut occuper. Quand on dit langue, cela veut dire évidemment langue et culture. Dans le même temps, il est apparu, c’est lié à la même question, qu’une information était nécessaire auprès des parents. Il apparaît très nettement que les parents ne sont pas informés de la totalité des textes qui, dès maintenant, permettent, par exemple, d’organiser des enseignements bilingues. C’est apparu très souvent dans l’atelier. Il y a donc un désir d’information. Le deuxième trait qui m’a frappé, pour notre atelier, donc il y a la territorialité, c’est un désir de savoir savant, nous l’avons dit à plusieurs reprises. À plusieurs niveaux là encore, à la fois qu’il y ait un travail de collectage qui est en cours, qui soit plus systématique, qu’il y ait un travail de mise en forme et donc de transmission et que, par ailleurs, il y ait un recensement, parce que des initiatives en matière de transmission des langues, parce qu’on voit bien que la situation est variée selon les territoires et que nous n’en avons pas une connaissance très précise. Donc, c’est à la fois une demande en tant que connaissance et une demande en terme de diffusion. Voilà, c’est ce que je retiendrais essentiellement.
Légitimité, rapports de forces entre les langues et "marchés" linguistiques : statuts et valeurs symboliques
- Modérateur : Lambert Félix Prudent (Université de La Réunion)
Nous avons fait un tour sur les différences des situations. Il est clair qu’il n’y a pas un outre-mer français, que même quand on dit des outre-mer, il faut faire attention, parce qu’évidemment, il y a des pays où le nombre de langues est incalculable, en tout cas il est difficilement calculable, on a des difficultés à donner un chiffre global, et il y a des situations où le nombre de langues est plus restreint, je pense à Mayotte, et il y a des pays créoles, pour la plupart, en tout cas pour la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et peut-être une partie de la Guyane où le face à face est entre une langue créole et le français. À partir de ces différences de situations, de l’atelier débouche une question qui est celle de l’aménagement. Et aménagement à deux niveaux, des demandes qui ont été perçues y compris lors de la restitution comme étant essentiellement tournées vers l’État, mais je ne crois pas qu’il faille comprendre qu’on demande à l’État de donner, on demande à l’État de garantir un certain nombre de choses. Il y a une demande essentielle d’organisation dans les différents pays et il y a des pays où ça a déjà commencé d’ailleurs. Un conseil de la langue, une institution de la langue, une institution des langues, une institution du plurilinguisme qui veille au respect des choses qui ont déjà été dites. Autrement dit, puisqu’on parle de légitimité et de rapport de force, notamment dans les pays créoles, que l’on ne se sente pas minoré dans sa langue, que l’on ne sente pas toujours le poids d’une autorité, notamment, autour de l’école, c’est le lieu de fixation, où des chefs d’établissements, des inspecteurs, des recteurs, des maîtres, des parents d’élèves ont des attitudes un peu dérogatoires vis à vis de la langue et de la culture créole. Donc, que l’État garantisse et protège. Ce ne sont pas des demandes de sous, ce sont des demandes de droit. Et ça n’est pas moins important. D’autre part, il y a, d’une certaine manière, la question de la définition qui a ressurgi autour de cette légitimité qui est transversale : comment appelle-t-on ces langues de l’outre-mer ? À certains moments on a dit langues locales, à d’autres moments on a dit langues vernaculaires, à d’autres moments on a dit des langues d’origine, vis à vis de ça, on met le français. Peut-être qu’il faudra, là aussi, solliciter des aménageurs et des réflexions de tout le monde, sur la manière d’appeler les langues et de les aider à accéder à une certaine dignité, à une certaine égalité dans leur dénomination et dans leurs usages. D’une certaine manière, on pourrait dire que le principe était, pour analyser les marchés, analyser les rapports de force et travailler à une certaine estime de soi, c’était une demande de méta communication, qu’on puisse parler des langues. Et en ce sens, cette manifestation est déjà, à mon avis, essentielle.
Langue, savoirs scientifiques et savoirs traditionnels
- Modératrice : Valelia Muni Toke (Délégation générale à la langue française et aux langues de France)
L’atelier qui s’appelait « Langues, savoirs traditionnels et savoirs scientifiques » est parti d’un double constat. La première chose était que les savoirs qui sont attachés aux langues des outre-mer sont d’une très grande richesse. Savoirs qui sont liés principalement à l’environnement, à la faune, la flore, la pharmacopée, mais d’autres domaines ont été évoqués. Et la très grande richesse de ces savoirs est, malheureusement, liée à un déficit de légitimité qui est attaché, et ce déficit de légitimité attaché à ces savoirs est, malheureusement, parfois entretenu par les locuteurs eux-mêmes qui ne sont pas convaincus de détenir des savoirs importants à transmettre et à partager. Les quelques préconisations qui ont été évoquées mettent l’accent sur l’intérêt de la formation des acteurs qui sont concernés par la transmission des savoirs. Par exemple, les savoirs liés à l’environnement. Il paraît important dans les politiques de préservation de l’environnement, de faire appel au savoir des populations locales pour penser ces choses là. Donc formation à l’interculturel, formation des personnels concernés. Et ce qui est ressorti aussi, c’est que le déficit de légitimité de ces savoirs ne pourra être renversé que si les projets qui sont construits à partir de ces savoirs s’inscrivent sur un temps long. C’est-à-dire que les communautés concernées ont besoin aussi d’inscrire les projets liés à ces savoirs sur une perspective de long terme et que ces projets s’inscrivent dans un intérêt général bien compris. Il ne s’agit pas d’utiliser ces savoirs uniquement pour remédier à des situations problématiques, par exemple dans le domaine de l’enseignement. Utiliser les langues d’origine ou les savoirs mathématiques, par exemple, qui sont attachés aux langues d’origine uniquement pour entrer ensuite du côté de l’enseignement des mathématiques dites traditionnelles ou justement pas traditionnelles, mais il faut inscrire l’utilisation de ces savoirs sur le temps long pour en permettre la véritable valorisation. Et donc, ce qui a été évoqué in fine, c’est la possibilité de continuer à faire vivre ces savoirs, c’est-à-dire non pas seulement les considérer comme un patrimoine à collecter puis à conserver dans un musée, mais bien en préserver la transmission et continuer à les faire vivre. Par exemple du côté linguistique en enrichissant aussi la terminologie des langues pour qu’elles puissent dire d’autres domaines de savoirs que les domaines qu’elles ont investis de façon privilégiée jusqu’à présent.
Recommandations
- Reconnaître chaque langue de l’outre-mer français se trouvant dans la liste des langues de France dressée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), à tous les niveaux de l’appareil d’État :
- comme langue de France à part entière avec ses caractéristiques propres ;
- lorsque c’est le cas, comme langue maternelle ou co-maternelle ;
- comme langue partenaire du français dans l’enseignement public, dans les médias de service public, dans la sphère publique.
- Développer les savoirs savants sur les langues de l’outre-mer par la collecte et la numérisation des traditions orales, et organiser leur conservation sous la forme de corpus, leur diffusion et leur restitution auprès des populations concernées.
- Reconnaître le droit de tout enfant ou adulte à apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle, et offrir un cadre institutionnel à cet apprentissage, y compris en dehors du système scolaire.
- Développer les pratiques de traduction et d’interprétation dans les services publics.
- Organiser la défense des langues menacées de disparition.
- Dresser un bilan des situations linguistiques et des initiatives prises en matière d’aménagement linguistique et éducative en outre-mer.
- Ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe par la République française, et d’autres textes internationaux tels la convention N° 169 sur les populations autochtones de l’Organisation internationale du travail (OIT), etc.
- Dispenser dans le cadre du socle commun de l’école des formations sur les langues de l’outre-mer, sur leurs origines et leurs développements.
- Développer auprès des parents d’élèves, à travers des campagnes de communication multisupports, une information sur les textes régissant l’enseignement des langues régionales, et sur ces langues elles-mêmes, afin qu’ils puissent en tirer avantage et intervenir dans les politiques éducatives.
- Encourager et soutenir la production et la diffusion d’une création littéraire, audiovisuelle et numérique qui contribue à la diffusion et à l’attractivité des langues, en particulier pour inciter les jeunes à utiliser ces langues et à les apprendre.
- Mettre en place des institutions paritaires (État, Région, Département, associations) pour la définition et l’application d’une politique linguistique à l’échelle du territoire, intégrant la défense et la promotion des langues régionales dans l’enseignement, dans les médias, dans l’aménagement urbain, et constituant des lieux ressource dans le domaine de la traduction, etc.
- Encourager les échanges régionaux entre zones partageant des langues proches ou identiques.
- Prendre en compte, notamment pour les questions environnementales, les savoirs traditionnels qui sont attachés aux langues locales. La valorisation de ces savoirs ne doit néanmoins pas être réduite à des remédiations ponctuelles, mais doit pouvoir s’inscrire sur le long terme.
« L’équipement » des langues : de l’oral à l’écrit, description et outillage linguistique
Présentation générale
Une mise en perspective historique des travaux de descriptions des langues a permis de mieux appréhender l’évolution du rôle des linguistes et des locuteurs eux-mêmes, et la nécessité vitale de poursuivre ces travaux, pour comprendre, sauvegarder et transmettre les langues et les cultures d’outre-mer. Les systèmes traditionnels d’organisation sociale présents dans les territoires d’outre-mer, la famille et les modes d’expression des jeunes générations ont été considérés comme un vivier culturel qu’il est important de prendre en compte pour élaborer des grammaires, dictionnaires, outils didactiques, programmes d’enseignement, etc. Des pistes ont été proposées afin de créer les conditions d’une production régulière et de qualité de supports de diffusion, de connaissance et d’apprentissage des langues.
Table-ronde
Propos introductif : Odile Renault-Lescure (Institut de recherche et de développement / Structure et dynamique des langues - Centres d'études des langues indigènes d'Amérique)
Je voudrais commencer cette table ronde en vous disant que l’on m’a chargée d’une tâche que j’ai trouvée un peu difficile à faire, c’est-à-dire, en 15 minutes, parler à la fois des questions de codification, de grammaire, de dictionnaire, de matériel pédagogique. J’ai donc essayé d’aborder quelques points dont je vais vous faire part, et surtout de poser des questions pour que vous puissiez y répondre pendant les ateliers. J’ai appelé ce papier : « processus de formalisation et d’externalisation des langues » en m’inspirant d’un épistologue qui a beaucoup réfléchi sur l’histoire des sciences du langage, Sylvain Auroux, et qui nous livre en particulier des réflexions sur les révolutions techno linguistiques qui ont marqué les langues du monde.
La première révolution techno linguistique, d’après lui, vient avec l’invention de l’écriture. Pourquoi ? Parce que c’est une des conditions nécessaires à l’apparition d’une réflexion sur le langage humain. Elle en permet l’objectivation et, sans écriture, nul autre document ne pourra apparaître. Deuxième révolution techno linguistique dont il nous parle, est celui d’un processus de grammatisation. C’est-à-dire que c’est un outillage d’analyse des langues du monde, avec la production de grammaires, de dictionnaires. L’apparition des grammaires classiques des langues européennes, surtout à partir du 15ème siècle, est un processus qui a entrainé extrêmement rapidement un transfert de cette technologie de langue vers l’autre et on observe très rapidement, dès la découverte du nouveau monde, l’application de ces techniques de grammatisation à des langues du nouveau continent américain. Deux simples petits exemples : une introduction à la langue des Galibi, ce sont les kalina aujourd’hui, par Père Pel-Leprat en 1655, sur la côte des Guyanes. Un autre exemple est un dictionnaire caraïbe-français élaboré par le Père Raymond Breton décrivant une langue des Antilles en 1665. Et puis, Auroux nous parle d’une nouvelle étape qui, au-delà de ces années passées à rédiger des grammaires classiques, va marquer l’avènement du statut scientifique des études sur les langues avec l’arrivée de la grammaire comparée et de la linguistique historique.
Maintenant je vais revenir de l’oral à l’écrit, sur les questions de codification des langues. Un peu partout et depuis longtemps pour certaines régions, des réflexions sur la codification des langues d’outre-mer ont été réalisées mais, en 2000, il y a eu un colloque organisé par la DGLFLF sur la codification des langues de France, en 2002, la publication des actes, je pense que ce sont des dates qui nous intéressent parce que, pour la première fois, les langues des outre-mer y étaient présentées dans un travail sur la codification des langues de France. Il y avait les créoles des Antilles et de la Réunion, les langues de Guyane, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie. Les constats qui ont pu être faits après les présentations et les travaux de cette réunion sont doubles. Il y a d’abord des divergences. Ces divergences consistent en des divergences entre présenter des graphies spontanées ou bien des graphies élaborées. Des discussions ont eu lieu entre des graphies phonétiques ou bien des graphies englobantes ou morpho-phonologiques. Comment gérer la variation ? Quel est le choix et quelle est l’attente des locuteurs qui se trouvent parfois en rupture avec les options qui sont proposées par les linguistes ? Mais il y a eu aussi des points de convergence. Par exemple, la redéfinition du rôle des linguistes, non plus comme maîtres d’œuvre et pouvant faire les choix parce qu’ils avaient la science, mais une redéfinition de ce rôle comme expert et comme au service d’une société de locuteurs qui cherchent à codifier sa langue. Des convergences aussi sur l’importance des contextes politiques et de l’usage social des langues. Une importance accordée au processus d’apprentissage dans l’écrit fonctionnel ; et le côté incontournable de l’enseignement méthodique de l’écriture, de la lecture et de l’écriture. C’est-à-dire que ce sont, à part entière, des codes qu’il faut apprendre et qu’il va falloir décoder. Et puis, est resté un problème crucial qui existe partout, c’est comment passer de la graphie, une fois qu’une langue a été codifiée, à l’écrit et à la production d’écrits.
Donc je vous ai préparé quelques petites questions pour l’atelier. Faut-il adopter une norme ? Faut-il attendre cette norme pour enseigner une langue à l’école ? S’il y a une norme, doit-il y avoir une instance spécifique de prise de décision ou non ? Une autre question qui a l’air plus simple mais qui est, en fait, souvent assez complexe et qui gère des conflits : le choix des graphèmes, des lettres, des signes qui vont représenter les phonèmes. Quel compromis adopter quand il existe déjà une graphie qui fonctionne mais qui paraît imparfaite ? La conserver ? Travailler dessus pour la modifier ? Comment graphier les emprunts qui, aujourd’hui, sont extrêmement nombreux dans toutes les langues ? Comment écrire les alternances codiques dans des phrases à double langue ? Comment familiariser les locuteurs avec la graphie de leur langue, mais aussi avec les graphies des autres langues présentes ? Puisque nous imaginons que nous pourrions rencontrer, ici comme ailleurs, des panneaux écrits dans diverses langues et nous aimerions tous pouvoir les déchiffrer. Ensuite, dans l’enseignement : comment familiariser les locuteurs avec la graphie de leur langue, avec les graphies des autres langues, est-ce que cela doit se faire dans l’enseignement formel ou hors de l’école ? Et enfin, comment familiariser les locuteurs avec les supports de l’écrit dans les régions, les maisons, les endroits où il n’y a pas de papier et pas de livres ?
Je vais passer à la question de la description et de l’outillage linguistique. Décrire les langues, première constatation, c’est constituer une base de données fiable et de première main sur laquelle les linguistes vont travailler pour analyser ces langues. Et je voudrais insister sur l’extrême importance de l’analyse très fine de ces langues, parce que tous les travaux qui vont en être issus, que ce soit des travaux pédagogiques ou autres, vont dépendre de la qualité de ces travaux. De ces travaux de description, vont naître des grammaires ou des dictionnaires qui vont permettre de découvrir de nouveaux phénomènes grammaticaux par exemple. Vous avez, dans une langue polynésienne, le futunien, des mots qui sont complètement polysémiques et polyfonctionnels. Je m’explique. Un même mot peut être un nom, un verbe, un adjectif ou un adverbe. Seul le contexte va nous éclairer sur la nature qu’a le mot dans la phrase dans laquelle nous le rencontrons. Les recherches typologiques qui sont aujourd’hui de plus en plus développées, vont nous montrer des découpages linguistiques particuliers mais qui se retrouvent dans des langues des outre-mer, mais aussi bien, si vous vous rappelez la carte, dans des endroits complètement opposés les uns aux autres. Par exemple, vous retrouvez dans les langues océaniennes, dans des langues amérindiennes, en Hmong, des phénomènes comme les classificateurs numéro qui sont des choses complexes, mais qui sont intéressantes parce qu’on va pouvoir avoir des points de contact en travaillant, et il faudrait trouver comment, sur des phénomènes qui sont similaires et qui se retrouvent dans des langues tout à fait différentes. Voici quelques questions pour l’atelier. Sur les grammaires : quel type de grammaire souhaite-t-on ? Pour quel public ? Est-ce une grammaire pour la vulgarisation ? Grammaire scolaire ? Grammaire universitaire ? Dans les grammaires pédagogiques : souhaite-t-on des grammaires spécifiques d’une langue à l’autre ? Avec quelle terminologie ? Pour en revenir aux terminologies, des terminologies en langue, ce qui nécessite la création de nombreux néologismes, des grammaires utilisant le français pour le métalangage ? Des grammaires différentes suivant le niveau scolaire ? Des grammaires passerelles entre le français et la langue concernée ? Toutes ces questions, nous aurons à les discuter dans les ateliers.
Pour continuer avec les dictionnaires : dictionnaire alphabétique simple ou encyclopédique ? Dictionnaire véritablement bilingue ? C’est-à-dire avec une partie aussi développée pour le français et qui puisse servir à l’élève non francophone pour des traductions, pour chercher des mots qu’il ne connaît pas. Ou des dictionnaires plurilingues ? Des dictionnaires thématiques ? Ou des usuels illustrés pour public scolaire, sur support papier ? Des dictionnaires informatisés ? Ouverts, auxquels on peut ajouter des choses ?
Enfin, et c’est l’une des questions les plus cruciales, quelle ressource humaine pour faire tout ça, et financière ? Quelles conditions pour réaliser ces matériaux pédagogiques ? Quelles formations imaginer pour que les personnes puissent les réaliser ? Formation continue des enseignants ? Formation universitaire en linguistique générale pour que les locuteurs natifs puissent prendre en charge tous ces travaux, comme c’est déjà le cas depuis longtemps pour les créoles, ou débutant en Océanie et inexistant en Guyane ?
En conclusion, je voudrais insister sur le fait qu’une langue, et on en a déjà parlé, ou nombre de ces langues sont fragiles. Et sans écriture ni grammaire ni dictionnaire ni tout ce processus de grammatisation dont nous parlions tout à l’heure, cette langue est d’autant plus fragilisée dans son devenir. Et puis je voudrais conclure sur le fait que tous ces travaux continuent puisque, comme on l’a déjà dit tout à l’heure, il y a eu, hier, un séminaire sur la codification de la langue saramaka, donc chaque jour voit se passer de nouveaux événements. Merci.
- Axel Gauvin, président de l’office de la langue créole et auteur. Vous écrivez en créole et en français, je vous laisse prendre la suite et nous apportez votre témoignage.
Expert 1 : Axel Gauvin (Office de la langue créole à la Réunion)
Bonjour à tous,
un nombre relativement important de projets d’équipement de la langue créole de la Réunion est mis en place depuis le début des années 60. Dans le domaine de l’écriture, du lexique, de la syntaxe et même de la phonétique. Chacun de ces projets a fait avancer les choses, mais plusieurs d’entre eux ont, après coup, montré leurs limites et se sont même révélés être, à long terme, des freins à la valorisation de la langue. J’y reviendrai rapidement tout à l’heure. L’équipement d’une langue exige certains préalables et Madame Lescure vient de le montrer, je vais reprendre malgré tout certains des éléments qu’elle a déjà énoncés. L’équipement de notre créole a bénéficié de nombreux travaux scientifiques. Dans le domaine du lexique, il y a les travaux fondamentaux de Robert Chaudenson ou de Michel Carayol. Dans le domaine de la syntaxe, Robert Chaudenson lui-même, ou alors Pierre Sellier, Ginette Ramassamy, Gillette Valliamée-Staudacher. Mais il nous est arrivé plus d’une fois de ne trouver nulle part des données qui nous semblaient importantes et courantes. Des mots qui nous semblaient bien connus, par exemple, le mot missoukan* qui veut dire soigneusement, on ne le trouve ni chez Chaudenson ni chez Carayol ni dans les dictionnaires d’Alain Armand. Le mot ondoyer qui veut dire tromper, berner, rouler ; la faimvale* qui veut dire une faim irrépressible ; en rapport qui veut dire en chaleur, pour une femelle d’animaux. Nous n’avons trouvé ces mots nulle part, et puis aussi des structures grammaticales non plus. L’atlas linguistique ou ethnographique de la Réunion qui est un magnifique ouvrage ne couvre que certains domaines. Il n’a pas exploré le milieu urbain, les réunionnais d’origine chinoise, gudjarati, n’ont pas été questionnés. Alors, il reste à faire un gros travail de poursuite de la collecte du patrimoine oral et écrit. Par exemple, les archives judiciaires qui ont commencé à être étudiées n’ont pas livré toutes leurs richesses. Il y a ensuite un travail de vérification, de croisement des informations, entre autres, celles fournies par des amateurs souvent éclairés mais non formés. Nous avons plusieurs lexiques qui sont des travaux faits par des poètes. Alors il faut absolument contrôler ce qu’ils disent et croiser avec d’autres informations. En fait, il faut aussi faire un classement. Alors je ne crois pas m’avancer en disant que de nombreuses langues des outre-mer sont encore peut-être moins bien loties que la notre. Nous avons absolument besoin, je vais parler en terme de demande, de structures capables de faire la collecte avant qu’il ne soit trop tard, les vérifications nécessaires, le classement. Mais là, on est déjà dans le domaine de l’équipement. Le créole réunionnais est déjà partiellement équipé. Deux dictionnaires créole français, l’un de Daniel Baggioni, l’autre d’Alain Armand, deux linguistes, deux dictionnaires dont nous avons dit, malgré tout, les limites. Des propositions pour la standardisation de la syntaxe, propositions faites par le professeur Pierre Cellier. Certaine méthode d’apprentissage du réunionnais, choisie même, certaine au singulier, parmi les variantes de prononciation, celle qui pourrait être mon conseiller aux apprenants. Alors ici je me pose le problème de savoir si on veut aller jusque là. Des thèses de doctorat soutenues dans les cinq dernières années, la formation d’enseignants de lycée et de collège, des professeurs du primaire plus en plus nombreux et de mieux en mieux formés, des ouvrages de réflexion ou de formation en voie de publication, tout cela fait avancer, continue à faire avancer les choses. L’office de la langue créole de la Réunion œuvre pour la fédération des énergies nécessaires à l’équipement. Malgré l’ampleur des tâches à accomplir : compléter, parfaire les dictionnaires créole réunionnais français, écrire des dictionnaires français-créole, créole-créole, rédaction de grammaires, populariser les propositions déjà faites, tâches toutes plus urgentes les unes que les autres sont à faire. Une langue, comme on l’a si bien dit, qui n’est pas fixée, dérive très rapidement. Que la langue évolue, il n’y a rien d’anormal à cela, au contraire, mais quand vous avez les formes du futur qui s’en vont, quand la forme passive est introduite à tout bout de champ dans une langue créole, quand les mots changent en permanence de sens et que les anciennes générations ne comprennent plus les nouvelles sur certains points, là, cela pose un problème réel. Parmi les tâches les plus urgentes, il y a sans doute la mise au point d’une graphie suffisamment fonctionnelle, consensuelle, pour qu’elle puisse un jour évoluer vers une orthographe. Il y a eu plusieurs entreprises d’équipement à ce niveau-là et c’est, d’abord, aux défauts de ces propositions, à leurs limites que je vais m’intéresser, et je crois avoir le droit de le faire puisque j’ai toujours été dans ce genre d’entreprise, avec les limites que nous voyons aujourd’hui. En 1977, nous avons mis au point une graphie ; l’écriture octobre 77 est une écriture qui se voulait phonographique, même si le mot n’a pas été prononcé. Il n'y avait aucune préoccupation sémio graphique, on peut le regretter amèrement. Elle se base sur une variété de langues, une variété dite basilectale, c’est une variété que, personnellement, je trouve belle, je peux le dire puisque je ne suis pas linguiste, et cette variété qu’il faut prendre en compte est malheureusement la plus dévalorisée. Donc la prendre seule en compte, cela peut poser un certain nombre de problèmes et cela a posé un certain nombre de problèmes. En 1983, une graphie encore plus phonographique qui tente une correspondance biunivoque entre graphème et phonème, qui va plus loin dans la distance avec le français et dans le basilectale. Alors il y a eu des réactions violentes. Un monsieur bien connu à la Réunion a parlé de créole zoulou, je m’excuse auprès des zoulous d’avoir quelqu’un de chez nous qui a employé cette expression-là, et nombreux sont ceux qui sont devenus ennemis de l’écriture du créole du fait que nous n’ayons pas, ne serait-ce que réfléchi à la prise en compte de leur lecte. Alors nous avons tenté une troisième entreprise qui voulait résoudre ce genre de problème. On a tenté une graphie supra lectale ou inter dialectale, avec la prise en compte des prononciations, en particulier, des différents lectes. Et alors, on a utilisé des signes complètement étrangers aux habitudes de lecture des locuteurs du créole réunionnais. On a utilisé des z, des z caron, ça a donné une petite allure tchèque ou slovaque à notre écriture, on a utilisé des n tildé, e tildé pour noter des semi nasalisations. Alors les problèmes se sont très vite posés. Il y a d’abord des gens qui ont rejeté ces solutions, puis quand il a fallu imprimer, ne serait-ce que nos solutions à nous, il a fallu que, pour chaque signe, le maquettiste fasse une opération particulière pour réussir à noter cela. Ces erreurs sont dictées quelquefois par l’idéologie, la distance maximale d’avec le français. Quand la distanciation règle un problème, pourquoi pas. Mais si elle est le but en soi, alors c’est de l’idéologie et ça peut être complètement négatif. Il y a aussi une insuffisance de nos connaissances. Peut-être aurions-nous évité ces graphèmes, disons pittoresques, si nous avions pu être au courant de certains travaux, en particulier des travaux anciens mais qui restent toujours extrêmement intéressant, les travaux de Kenett Pike dans le livre phonémique, par exemple, qui date de 1947, c’est ancien mais cela nous aurait été très utile de réfléchir à ce qu’il a écrit. Mais nous n’avions qu’une photocopie de photocopie et largement illisible. Et peut-être que pour les écritures 77 et KWZ, celles qui ne prennent en compte qu’une variété de langues, aurions-nous pu éviter d’écarter, de rejeter certaines variétés de langues si nous étions au courant des travaux, par exemple, il y en a bien d’autres mais des bretons ou des basques, pour l’unification de leur graphie. Ou encore si nous avions pu bénéficier comme on en bénéficie aujourd’hui, de conseils de sociolinguistes avertis et je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier Mr le Professeur Lambert-Félix Prudent qui n’arrête pas de nous aider, nous conseiller et est toujours disponible.
- Cher Axel, vous avez créé une petite pause avec ces applaudissements. Je vais vous demander si vous pouvez être court pour passer la parole à Marie-Adèle Jorédié et ceci n’interrompt pas définitivement ce que vous avez à dire, puisque l’on ira travailler en atelier par la suite. Merci.
Mais avant, je voudrais traduire ce que j’ai dit en demandes. Une bibliothèque centrale, hexagonale, pluridisciplinaire, avec de la linguistique interne, de la sociolinguistique, de la psycholinguistique, avec des ouvrages généraux mais surtout le maximum de la littérature concernant l’équipement des langues. Et puis des antennes locales de cette bibliothèque reprenant l’essentiel de cette bibliothèque centrale. Un ensemble de spécialistes référents avec, si possible, un blog nous permettant un dialogue avec eux. Des spécialistes auxquels on puisse s’adresser sans trop déranger. Maintenant il faudra, mais cela dépend largement de nous, que l’on mette en place un conseil de la langue créole de la Réunion, avec concertation avec des usagers spécifiques de la langue, des journalistes, des publicitaires, des personnels qui font de la prévention de santé, des artistes en même temps que des chercheurs, des enseignants, des écrivains, de traducteurs. Tout cela dépend essentiellement de nous, mais cela nous serait bien plus facile s’il y avait l’aide des services compétents et des institutions compétentes. Merci.
- Merci Axel. Marie-Adèle Jorédié, vous êtes enseignante en Nouvelle Calédonie et vous êtes à l’initiative d’un projet qui s’appelle « bébé lecture » et à travers lequel vous initiez les enfants aux livres et à l’entrée dans la langue orale et écrite.
Expert 2 : Marie-Adèle Jorédié (Association Bb lecture en Nouvelle-Calédonie)
(Marie-Adèle Jorédié commence son intervention par une berceuse kanake) Une petite mélodie qui appelle les mamans des enfants à tendre l’oreille. Ici, on les appelle pour écouter l’histoire d’un poisson du grand récif. Moi je vous l’ai bourdonnée d’abord pour baisser la tension qui est à quatre cent à l’heure là-dedans, puis pour vous dire bonjour et merci à l’équipe qui organise ces états généraux et qui nous permettent de pouvoir partager avec beaucoup plus de monde ce que nous faisons tranquillement dans notre petit espace, là-bas. Pour aujourd’hui, j’ai essayé d’inscrire le travail que nous faisons dans ce thème de « l’oral à l’écrit ». Alors, comment l’association « Bb lecture » s’inscrit-elle dans ce travail de conduire nos enfants, mais nos enfants sur les genoux de leurs mamans ? De cette parole orale et les emmener là où elles sont excellentes ces mamans pour les amener à aider l’enfant à se préparer à l’appréhension de l’écrit, plus tard à l’école. À travers notre objectif premier de vulgariser la présence du livre en tant qu'objet dans la case, comment nous avons privilégié un mode d’immersion précoce dans la langue orale comme postulat majeur à la préparation sereine d’une entrée désirée, j’insiste sur ce mot, entrée désirée dans la langue écrite.
L’association s’est mise en place à un moment de rupture du lien. Dans les années 70, notre région perdait déjà beaucoup la langue, la pratique de la langue. On privilégiait le français parce que c’est le conseil qui nous était donné à l’école. « Il ne faut pas parler votre langue parce que vous allez continuer à être bête à l’école. » Je le dis simplement comme ça, parce que c’est la parole qui était dite tous les jours. C’est la première raison. La seconde raison de la mise en place de l’opération « Bb lecture », c’est que la rupture se situait surtout dans un endroit où la télé avait pris la parole à la maman. Tous les soirs les mamans baignaient leurs enfants et les laissaient : « Allez, tu ne te saliras plus, va devant la télé et moi je fais autre chose ! » Et c’est la télé qui parlait au bébé. Alors qu’avons-nous donc essayé de faire pour mettre en situation réelle de pratique de la langue et les mamans et les adultes et les tout petits ? Et le tout petit, ce n’est pas le tout petit qui est né, c’est le petit qui est aussi dans le ventre de maman. Voilà.
Alors nous avons fait deux choses. Nous nous sommes obligés à puiser régulièrement dans le vivier culturel immédiat, et ce vivier c’est la famille, le clan, les chefferies, toutes les formes de support porteur de transmission, au travers des berceuses, des devinettes, des petits récits, des chansonnettes, des comptines, des histoires brèves pour enfant, des contes, des poèmes auxquels, plus tard, nous avons ajouté des chansonnettes jeu de mot, des chansonnettes toponymiques à rythme et à rimes. Ce sont les premières choses que nous avons faites pour dire que l’on avait besoin de travailler sur cela, parce que j’ai parlé de rupture tout à l’heure. La seconde chose que nous nous sommes obligés de faire, c’est de pratiquer, de prendre le temps d’utiliser au quotidien, dans nos familles, ces différents supports dans leur aspect culture de l’implicite pour les tout petits, donc de 0 à 33 mois, parce que c’est l’âge des bébés avant leur entrée en maternelle qui est à 3 ans, 2 ans neuf mois. Et ce, dans les formes diversifiées, adaptées. Pour les berceuses, nous les avons adaptées aux besoins d’aujourd’hui, innovées, voire transformées. Et toutes ces activités mises en place sont renforcées dans nos regroupements collectifs sur nos sites le lecture avec nos bébés, et qui permettent à nous, parents, de réévaluer nos capacités et nos limites quant à l’utilisation des cinq organes des sens. L’oral ne peut se faire que si l’enfant a quelque chose à dire. Parce que nous disons : « Les oreilles pour bien entendre »* et quoi entendre ? Les bruits familiers du milieu de vie, ce ne sont pas les bruits de la télé, ce sont les bruits de la maison, les bruits du jardin quand on va ratisser avec les enfants, etc. On dit aussi : « Les yeux pour voir »* et pour voir quoi ? Premièrement, les personnes de la maison, ce que les personnes de la maison font, donc la maman, la grand-mère, je parle de la grand-mère parce que c’est elle qui garde les enfants quand la maman est aux champs ou est au travail comme c’est aujourd’hui dans nos tribus. Les mouvements, tous les mouvements, les couleurs, les changements des choses dans l’environnement du milieu. « Le nez pour sentir »* les différentes odeurs de la maison, du jardin, des plantations. « Les mains pour toucher »*. Sentir, reconnaître les objets familiers, les choses, les formes, les aspects par le toucher, le contact physique. "Goûter et reconnaître les saveurs de chez nous", avant de reconnaître les saveurs du Mac Do, par exemple. Et nous avons rajouté quelque chose : « Sentir par l’intérieur pour pouvoir l’exprimer quand c’est beau »*, parce que nous avons dit que dans nos cultures, les sentiments c’est quelque chose qui est intime, que l’on réserve dans un coin secret. Et nous sommes ici pour préparer l’enfant à quelque chose que nous avons remarqué : l’échec scolaire. Donc toutes nos actions au niveau de l’oral, c’est réguler, préparer la régulation de ce problème-là : l’échec scolaire. Voilà. Donc tout simplement, pour nous, tout est source possible de gestes et ou de paroles à explorer et à exploiter au quotidien.
Pour nous, parler et faire parler la langue à nos enfants, commence d’abord chez nous, dans nos maisons, dans nos familles. Et pour nous, le bruissement de la feuille sèche du bananier perçu, reconnu et nommé par le petit s’inscrit dans notre souci de faire une large place à la reconnaissance auditive non phonologique. Le mot du petit garçon sur le passage de la mouette en direction de la chaine de montagne centrale, les bouquets de fleurs du cerisier rose préparés par la petite fille de l’intérieur des terres avec sa comptine sur la danse des marsouins dans la baie, sont autant de marqueurs de l’existence d’un terreau culturel de lecture orale du symbole des choses. Voilà dans quoi nous nous sommes inscrits pour ce travail important de l’oral. Merci.
- Merci Marie-Adèle. Le représentant de l’institution ici, c’est le représentant d’une institution du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, l’Académie des langues Kanakes. Quel est le rôle de cette institution sur tous les sujets que nous venons d’aborder ?
Représentant de l'institution : Weniko Ihagé (Académie des langues kanak en Nouvelle-Calédonie)
Merci Florence.
Weniko Ihagé démarre son propos en langue kanake. Toute suggestion de transcription dans la langue est la bienvenue
Cette parole, en préambule, de la culture kanake, comme quoi je ne suis qu’un humble porte-parole de cette société gérontocratique, pour vous dire que si vous soulevez vos consciences à quelques années en arrière, en 1988, il a été signé en Nouvelle-Calédonie ce que l’on a appelé « les accords de Matignon », avec à la fois le FLNKS représenté par Jean-Marie Tjibaou, le gouvernement français et le RPCR. Lequel « accord de Matignon » a été prolongé dix années plus tard avec ce que l’on a appelé « l’accord de Nouméa » qui permet à la Nouvelle-Calédonie de vivre un contexte institutionnel assez singulier puisque nous sommes en train de vivre un transfert progressif des compétences qui appartiennent à l’État français et qui vont revenir progressivement à la Nouvelle-Calédonie. Et dans ce contexte de « l’accord de Nouméa », il a été stipulé qu’une académie des langues kanakes, c’est-à-dire un établissement public doit être créé. C’est ainsi que Déwé Gorodey, un ministre de la culture de la Nouvelle-Calédonie de ce gouvernement a mis en place en 2007/2008 l’Académie des langues kanakes, cet établissement qui a pour rôle et pour mission essentielle de codifier et de normaliser les langues kanakes en Nouvelle-Calédonie et de les développer.
Le contexte linguistique de la Nouvelle-Calédonie fait que, là-bas, il y a 28 langues kanakes toutes très différentes les unes des autres, 11 dialectes et un créole, le tayo, qui est une langue parlée dans le sud de la Nouvelle-Calédonie. Ces quarantaines de langues font toutes partie d’une société à tradition orale et depuis l’arrivée des missionnaires jusqu’à aujourd’hui, on a essayé de codifier, c’est-à-dire de mettre en place des systèmes d’écriture, et le rôle de l’académie des langues kanakes est de codifier les langues majoritaires qui sont actuellement le drehu qui est la langue parlée à Lifou, le nengone qui est parlé à Maré et deux langues de la Grande Terre dont est issue Marie-Adèle Jorédié, le paicî-camuki et le ajië. Donc la codification de ces langues fait partie des missions prioritaires de l’académie et, croyez-moi, ce n’est pas chose simple, parce que non seulement ces langues ont déjà été écrites auparavant par les missionnaires, mais nous devons reprendre ces travaux pour, à la fois les réactualiser et trouver un système d’écriture accepté par tous. Mais l’académie des langues kanakes n’a pas uniquement ce rôle de codification et de normalisation des systèmes d’écriture, elle doit aussi mettre en place un certain nombre de partenariats, soit avec des partenaires locaux qui sont du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, des provinces. Tout à l’heure vous avez entendu notre ami Richard qui parlait du système éducatif qui est de compétence des provinces pour un système éducatif adapté aux trois îles Loyauté, mais il faut faire la même chose pour les autres provinces. Nous avons aussi des partenariats avec un certain nombre d’institutions, internationales, Rozenn Milin tout à l’heure, parlera sans doute de ce que nous avons fait avec l’association Sorosoro, avec le CNRS, j’ai ici des collègues, notamment Claire Moyse-Faurie, qui nous aident beaucoup sur la codification des langues du nord. Et puis nous faisons aussi des enquêtes sur le terrain. Des enquêtes pour pouvoir repérer la littérature orale locale. La particularité de cette littérature orale kanake, c’est qu’elle est différente de la classification occidentale, bien évidemment, des contes, mythes, légendes, proverbes, etc., puisque nous avons nous-mêmes notre propre classification, notre définition de nos genres littéraires qui se définissent, qui se pratiquent dans des circonstances sociales bien déterminées et il convient de les définir par rapport aux contextes et aux pratiques sociales, pour savoir et décoder leur sens, leur valeur, leurs symboles et fonctions, et qui sont différents. Donc notre rôle est de repérer, d’identifier, d’enquêter sur ces textes de la littéralité orale pour pouvoir ensuite les écrire, les transmettre, les codifier, les archiver pour mettre à la disposition des institutions qui s’occupent, elles, de l’enseignement des langues kanakes.
Nous avons déjà un secteur de publication qui est très développé aujourd’hui. Nous avons également organisé des colloques internationaux sur les problématiques qui nous intéressent tous. La semaine dernière ou le mois dernier, nous étions également à Tahiti et je salue les collègues de Tahiti qui ont organisé le séminaire ECOLPOM qui retrace un peu les problèmes de l’enseignement du bilinguisme par rapport au français, puisque c’est le français en Nouvelle-Calédonie comme dans la plupart des états ou des pays où la France est passée. Le français a un statut de langue officielle. Donc la problématique a été soulevée par nos collègues tahitiens qui a été appuyée par nos collègues. Je ne vais pas m’arrêter sur des situations que nous avons déjà évoquées, je vais simplement relever l’idée, à partir de cette océanitude, fraternelle océanienne, que quand on parle de développement des langues, il n’y a pas de développement d’une langue si elle n’est pas rattachée à d’autres politiques linguistiques dans le monde. Et c’est tout à fait l’esprit, je crois, des états généraux du multilinguisme, mais la particularité de la société kanake, je l’ai dit en Calédonie, je l’ai dit à Tahiti et je le redis ici, c’est extrêmement important : la singularité de la société kanake, c’est que c’est une société initiatique. C’est-à-dire que la transmission des valeurs linguistiques, sociales et culturelles se pratique dans le cadre d’un rituel. Hier, lorsque vous avec vu, je crois que c’est Monsieur Colardelle qui parlait du spectacle que nous avons vu hier avec ces enfants que je félicite au passage, nous avons fait ce que l'on appelle une coutume chez nous et cette coutume se pratique aussi lorsqu’on arrive chez quelqu’un. La coutume n’a de sens que lorsque vous rentrez dans une case, la porte de la case est petite, c’est-à-dire que quand vous rentrez, vous vous baissez et vous faites ce geste coutumier pour respecter celui qui est à l’intérieur. Donc cela veut dire que quand vous rentrez, que vous respectez celui qui est à l’intérieur, l’autre va avoir une parole en retour pour vous accueillir chez lui comme chez nous ou chez nous comme chez lui. Mais à l’intérieur de la case, vous avez ce feu qui éclaire les poteaux qui sont aux alentours dans cette circonférence de la case. Ces poteaux représentent différents clans. Mais pourquoi Raymond Tyuienon, hier, le directeur de cabinet de Déwé Gorodey, a fait ce geste coutumier, c’est tout simplement pour dire qu’il y a des parallélismes, des comparaisons entre une société kanake initiatique et symbolique. On fait cette coutume parce que lorsque l’on rentre dans une case où on est éclairé par la conscience des différents clans qui sont autour, on sort grandi par la différence.
C’est comme ce colloque, c’est comme ces états généraux du multilinguisme où nous sommes entrés humblement avec notre singularité et notre particularité, avec notre histoire, on va revenir chez nous, grandi de la différence, des différentes étapes, recherches, partages qu’on aura ici, pour être encore plus humble parce que le travail, chez nous, est énorme. Pourquoi le travail en Nouvelle-Calédonie et particulièrement dans la société kanake est énorme ? Tout simplement parce que la société kanake est une société initiatique. Pendant longtemps, pendant 150 ans, la France n’a pas réussi à nous comprendre. On a toujours parlé à notre place et aujourd’hui, non seulement on nous donne un micro — je suis aujourd’hui très bcbg, beau kanak belle gueule —, mais je suis là , et j’ai le micro, aussi pour vous dire que le point fort de nos engagements, aujourd’hui, en Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas seulement de dire aux autres : « Arrêtez de dire que les kanaks forment un état particulier parce qu’on ne peut jamais comprendre les kanaks, justement parce qu’il fait partie de cette culture initiatique », mais il faut dire aussi aux kanaks de sortir de leur rituel, de rendre les symboles de leur propre culture initiatique compréhensible par d’autres, pour que nous puissions avoir ces passerelles d’intercompréhension. C’est toute la difficulté que l’on a aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie où, quand on a un état français qui ne nous a pas donné la possibilité de nous exprimer, aujourd’hui, dans ce transfert de compétences particulier à la Nouvelle-Calédonie où on nous demande de nous construire, non seulement nous devons construire notre identité à travers la diversité linguistique mais, parallèlement, nous devons aussi essayer de comprendre les autres, puisque dans l’accord de Nouméa, il y a un concept politique qu’on appelle citoyenneté, mais en Nouvelle-Calédonie, on continue à coexister sans vivre ensemble. Et c’est toute la difficulté que l’on a, nous, à travers l’académie des langues, parce que quand on fait des recherches sur cette littérature orale dont je parlais tout à l ‘heure, elle est initiatique.
Je conclurais en rappelant ce que Martin Luther King disait : « I have a dream ». Moi je n’ai pas de rêve. Je préfère vivre mes rêves que rêver toute ma vie. Et mon combat aujourd’hui, parce que cette dame, elle a fait de la prison pour les langues kanakes, pour ses idées, vous avez Nidoïsh Naisseline qui était un élu, qui a fait de la prison parce qu’il était le premier à avoir diffusé des langues kanakes à l’école en 1970. Et bien nos jeunes générations vont continuer à développer nos langues qui sont des vecteurs d’identité pour que l’on soit compréhensible non seulement à l’intérieur de nos singularités, mais aussi que nos combats soient compris par l’universel humain. Je vous remercie.
Restitution des ateliers
La graphie des langues : le passage du parlé à l’écrit
- Modérateure : Marie-France Patte (Institut de recherche et de développement / Structure et dynamique des langues-Centre d’études des langues indigènes d’Amérique)
Comme nous avons 2 ou 3 minutes pour ce compte-rendu de l’atelier intitulé « la graphie des langues, le passage du parler à l’écrit », je vais lire un résumé des recommandations. On verra que beaucoup de choses ont déjà été dites, mais peut-être que ce n’est pas un mal d'en répéter certaines. La première recommandation serait de reconnaître le droit de tout enfant ou adulte à apprendre à lire et écrire dans sa langue d’origine. Et pour cela, offrir un cadre institutionnel à cet apprentissage. Les initiatives sur la base du volontariat ont souvent une durée de vie limitée car elles épuisent la bonne volonté de leurs initiateurs. La seconde recommandation serait de favoriser le développement d’une documentation en langues. Ces écrits peuvent et doivent être de différents types et formats adaptés à des publics différents. Ne pas négliger l’intérêt des publications légères qui peuvent être fabriquées à moindre coût pour un public éventuellement restreint et pour une occasion particulière. Autre recommandation, prendre en compte, dans l’établissement d’une orthographe, le fait que les canaux sensoriels sollicités à l’écrit sont différents de ceux qui sont mis à contribution à l’oral. La bouche et l’oreille sont les organes de l’oral alors que c’est l’œil qui guide la lecture. Il peut donc y avoir débat lorsqu’il s’agit d’écrire ce qui a été entendu. Jusqu’où une écriture peut et doit être phonétique ? Autre point. Créer des académies de la langue ou soutenir celles qui existent déjà, pour que soient discutées les règles d’orthographe qu’il convient d’adopter collégialement. Et cela concerne toutes les langues, mais ça a été vraiment mis en avant en ce qui concerne les créoles, les créoles par ici en Guyane. Des études particulières menées par des psycholinguistes tentent de prouver que l’apprentissage parallèle dans deux langues, la langue d’origine des enfants et le français, est non seulement favorable au développement harmonieux de la personnalité de l’enfant, mais aussi à l’apprentissage du français. Ensuite, veiller à mettre en place des dispositifs adaptés pour des publics différents — ça aussi c’est quelque chose qui a été déjà dit plusieurs fois —, les enfants seront d’autant plus performants dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture de leur langue d’origine que leurs parents seront convaincus que, loin de nuire à leurs résultats en français, la pratique de la lecture et de l’écriture de leur langue d’origine en milieu scolaire les rend plus aptes à l’acquisition des connaissances en français et est donc apte à leur assurer l’ascension sociale à laquelle les parents aspirent pour leurs enfants. Et dernière, mais en fait première, mesure à mettre en place, c’est sans doute la création d’une instance officielle chargée de vérifier l’application effective des textes juridiques déjà existants sur les droits de tout locuteur à apprendre à lire et écrire dans sa langue d’origine.
La production d’outils didactiques en langues maternelles
- Modérateur : Ernest Marchal (Inspection du ministère local de l’Éducation en Polynésie française)
Je vais restituer l’essentiel de ce qui a été dit lors de l’atelier : « la production d’outils didactiques en langues maternelles ». Il nous a semblé important avant tout de mettre en place des politiques linguistiques qui fixent clairement les orientations en matière linguistique. De ceci, découlera la production d’outils, c’est nécessaire. En deuxième point, il nous a paru important également de développer la production d’outils didactiques en langue maternelle dans tous les domaines. Ne pas se focaliser uniquement dans le domaine de l’éducation, mais également penser à la santé, au droit et, en fait, à tout ce qui est lié aux actes de la vie quotidienne. Ces outils devront prendre en compte l’oralité. Ça a été évoqué ça et là. Certains individus ne sont pas encore entrés dans l’écrit et donc il faut absolument prendre en compte ces individus qui sont dans l’oralité et produire des outils qui sont donc de l’ordre de l'audio plus que du visuel. Ensuite, il nous a paru important, ça a été dit là, mais je le redis, nous sommes allés un peu plus loin, me semble-t-il, il faut organiser la coexistence du français et des langues maternelles sur un même territoire. L’enseignement des langues maternelles en gestion coordonnée avec le français doit faciliter les apprentissages dans tous les domaines : mathématiques et sciences inclus. En termes d’outils didactiques, il nous a paru important de créer un portail internet pour que les langues d’outre-mer soient présentes et que tous les outils didactiques soient mis à la disposition de tous. Chacun pourrait venir télécharger, y puiser ce qui y apparaît ou est proposé. Dernière chose également, en termes d’outils, il nous a paru important d’utiliser les médias comme outil didactique en langue maternelle.
Le rôle de la description linguistique (grammaires, dictionnaires, dictionnaires visuels en langue des signes…) pour la sauvegarde des langues
- Modérateure : Claire Moyse Faurie (Langues et civilisations à tradition orale / CNRS)
Troisième pan qui complète les deux premiers ateliers, « le rôle de la description linguistique, en particulier l’élaboration de grammaires et de dictionnaires ». Nous avons rappelé les objectifs de cette description linguistique qui est de mettre en valeur la richesse et la spécificité tant lexicale que grammaticale des langues d’origine, des langues régionales. La grammatisation est une nécessité pour la reconnaissance de la langue, sa sauvegarde et sa transmission dans un cadre éducatif. Concernant les dictionnaires, nous avons eu une longue discussion sur les différents types de dictionnaires. Certains étant partisans de dictionnaires monolingues pour mettre réellement en valeur la langue en tant que telle et aussi lorsque la maîtrise du français n’était pas suffisante pour rendre compte de la richesse sémantique de la langue. D’autres étaient plutôt partisans de dictionnaires bilingues qui permettent l’échange. Mais dans les deux cas, on s’est mis d’accord pour prendre en compte à la fois l’aspect spatial en incluant toutes les variantes régionales et, en même temps, l’aspect temporel en incluant les termes anciens, le parler des jeunes et les néologismes que ça soit des emprunts ou de la création lexicale. Concernant l’aspect grammatical, outre le matériel, les documents, les outils pédagogiques évoqués par Ernest, outre la nécessité de grammaires de référence, de grammaires fondamentales, nous avons pensé que l’élaboration de bi grammaires mettant sur un pied d’égalité le français et chaque langue régionale, avec la mise en évidence à la fois des ressemblances et des différences les plus marquantes entre les deux langues était un outil à la fois de reconnaissance et une aide certaine pour les enseignants, à la fois des enseignants de français et des enseignants des langues régionales. Nous avons aussi pensé que la mise en place d’une instance collective aidant à des prises de décisions consensuelles et à leur application était nécessaire dans le domaine de la graphie, bien sûr, dans le domaine du choix de la terminologie, afin que toutes les discussions sans fin sur le choix d’une orthographe plutôt qu’une autre, sur le choix d’un terme plutôt qu’un autre, soit résolu par une instance nous forçant à l’adoption d’un consensus. Et puis, on a aussi souligné qu’il fallait continuer à aider à la documentation des langues, des petites langues, qui restent insuffisamment décrites et qui n’ont ni dictionnaire ni grammaire à l’heure actuelle.
Recommandations
- Reconnaître chaque langue de l’outre-mer français se trouvant dans la liste des langues de France dressée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), à tous les niveaux de l’appareil d’État :
- comme langue de France à part entière avec ses caractéristiques propres ;
- lorsque c’est le cas, comme langue maternelle ou co-maternelle ;
- comme langue partenaire du français dans l’enseignement public, dans les médias de service public, dans la sphère publique.
- Développer les savoirs savants sur les langues de l’outre-mer par la collecte et la numérisation des traditions orales, et organiser leur conservation sous la forme de corpus, leur diffusion et leur restitution auprès des populations concernées.
- Reconnaître le droit de tout enfant ou adulte à apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle, et offrir un cadre institutionnel à cet apprentissage, y compris en dehors du système scolaire.
- Développer les pratiques de traduction et d’interprétation dans les services publics.
- Organiser la défense des langues menacées de disparition.
- Dresser un bilan des situations linguistiques et des initiatives prises en matière d’aménagement linguistique et éducative en outre-mer.
- Ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe par la République française, et d’autres textes internationaux tels la convention N° 169 sur les populations autochtones de l’Organisation internationale du travail (OIT), etc.
- Dispenser dans le cadre du socle commun de l’école des formations sur les langues de l’outre-mer, sur leurs origines et leurs développements.
- Développer auprès des parents d’élèves, à travers des campagnes de communication multisupports, une information sur les textes régissant l’enseignement des langues régionales, et sur ces langues elles-mêmes, afin qu’ils puissent en tirer avantage et intervenir dans les politiques éducatives.
- Encourager et soutenir la production et la diffusion d’une création littéraire, audiovisuelle et numérique qui contribue à la diffusion et à l’attractivité des langues, en particulier pour inciter les jeunes à utiliser ces langues et à les apprendre.
- Mettre en place des institutions paritaires (État, Région, Département, associations) pour la définition et l’application d’une politique linguistique à l’échelle du territoire, intégrant la défense et la promotion des langues régionales dans l’enseignement, dans les médias, dans l’aménagement urbain, et constituant des lieux ressource dans le domaine de la traduction, etc.
- Encourager les échanges régionaux entre zones partageant des langues proches ou identiques.
- Prendre en compte, notamment pour les questions environnementales, les savoirs traditionnels qui sont attachés aux langues locales. La valorisation de ces savoirs ne doit néanmoins pas être réduite à des remédiations ponctuelles, mais doit pouvoir s’inscrire sur le long terme.
La transmission des langues : la prise en compte des langues d'origine et des acquis culturels dans l'apprentissage du français ; leur place dans le système éducatif
Présentation générale
Le consensus qui a réuni les participants est la nécessité, pour tous les élèves de France métropolitaine et d’outre-mer, de parvenir à une maîtrise de la langue française et de sa langue maternelle. Il est entendu que les langues sont des créations de l’esprit humain qui permettent l’élaboration et la transmission du sens, et qui constituent le véhicule des connaissances et des concepts, dès la petite enfance. C’est pourquoi, il est crucial, dans un contexte scolaire, d’intervenir sur la langue maternelle, dès la petite enfance, car c’est en formant de bons bilingues que l’école formera de bons francophones.
- L’enjeu de cette thématique était d’élaborer des propositions de travail concrètes, appuyées par des arguments rationnels et scientifiques.
- Multilinguisme, éveil à la diversité et intercompréhension.
- L’enseignement des langues d’origine, en lien avec le français, dans une perspective plurilingue.
- La prise en compte des langues d’origine dans l’acquisition de compétences linguistiques, hors du système scolaire.
Table-ronde
Propos introductif : Michel Launey (Institut de recherche et de développement)
Je voudrais exprimer ma reconnaissance aux organisateurs de ces états généraux pour m’avoir associé à ces travaux, adresser mes félicitations pour la qualité de l’organisation et aussi ma reconnaissance pour m’avoir permis de retrouver la Guyane et, au delà de ma personne, d’avoir permis à un certain nombre de gens de connaître la Guyane et c’est donc collectivement que nous sommes un certain nombre à accueillir et à rendre la Guyane plus familière à des personnes qui ne la connaissaient pas encore, chose qui a été mon grand plaisir au temps où j’habitais en Guyane d’accueillir des gens qui venaient de loin et qui ne la connaissaient pas.
Je voudrais, pour commencer, dire que j’adhère à deux idées ou propositions. Premièrement il faut que tous les élèves de France métropolitaine et d’outre-mer arrivent à la maîtrise du français, je suis pleinement d’accord avec cette proposition. Deuxième proposition, il existe un ensemble langue-culture avec des relations extrêmement complexes qui ne peut pas être en droit dissocié alors, cela dit, je vais faire un petit coup de force pour coiffer ma casquette de linguiste et vous inviter à prendre en considération les aspects proprement linguistiques des langues qui nous intéressent ici et de toutes les langues en général d’ailleurs, et je vais m’en expliquer et voir avec vous quelles peuvent en être les conséquences. Ceci afin d’un côté d’éviter un certain nombre de contresens sur les langues et d’inciter, d’inviter, de supplier les pouvoirs publics d’ajuster les politiques linguistiques en conséquence.
Chaque langue est l’une des manières d’exister du langage humain qui est une propriété universelle de l’espèce. Et le mode d’existence du langage humain, c’est la diversité des langues. Cela a des tas de conséquences, en particulier sur le travail des linguistes, dans quelle mesure peut-on dire que quand on décrit une langue on fait quelque chose qui est valable et quel est le degré de validité de nos propositions sur une langue pour les autres langues ? Cela veut dire surtout qu’un être humain développe le langage, en fait l’expérience à travers sa langue maternelle, on peut quelquefois avoir une langue co-maternelle. Le problème pour une politique linguistique c’est en quoi peut on dire qu'un enfant qui fait l’apprentissage du langage ou plus exactement qui développe le langage à travers le français, à travers le créole, à travers le tahitien, à travers le shimaoré, à travers le kali'na, à travers l’aluku, et je m’excuse auprès des locuteurs des 45 ou 46 langues que je n’ai pas citées, en quoi peut-on dire que ces enfants font la même chose, puisqu’ils développent le langage alors que, de toute évidence, ils ne le font pas de la même façon ? Quel est le degré d’équivalence et, une fois qu’on a dit que ce n’était pas fait de la même façon, est-ce que ces différences sont irréductibles ou est-ce que l’on va pouvoir passer d’une langue à l’autre ? Et là, je signale deux contresens sur le langage. Premièrement, ceci veut dire que le moment crucial où, dans un contexte scolaire, il faut intervenir sur la langue maternelle, le plus crucial de tous c’est la petite enfance. Je dis cela car j’ai entendu des gens de l’Éducation nationale dire que l’école est en français, elle est en français point, et si les élèves veulent entre guillemets apprendre leur langue maternelle, et bien ils peuvent le faire dans les grandes classes. C’est un contresens total ; l’apprentissage de la langue maternelle ne se fait pas de façon pénible ou de façon scolaire, il se fait sur le tas, de façon indolore et selon des procédures qui ne sont pas du tout les procédures d’apprentissage d’une langue seconde qui sont, elles aussi, parfaitement respectables. Le deuxième contresens est qu’il n’y a pas nécessairement d’enfermement sur la langue maternelle. On dit aussi que c’est une affaire personnelle, individuelle, de la sphère privée, que c’est comme la religion on peut pratiquer sa langue maternelle à la maison, alors que ce n’est pas du tout comme la religion. Il n’est pas possible d’être à la fois chrétien et musulman. Ni même d’être à la fois catholique et luthérien. En revanche, il est parfaitement possible d’être locuteur de plusieurs langues. Et cela change complètement les données. Je dirais même que ce sont probablement les gens qui sont locuteurs de plusieurs langues qui sont le moins enfermés sur leur langue maternelle. Et puisqu’il a été beaucoup question de breton, je dirais que des locuteurs francophones, purement francophones, et qui n’ont d’autre expérience du langage que la francophonie et ils sont nombreux, en revanche, aucun bretonnant n’est enfermé sur la langue bretonne du moins à l’époque actuelle. Ils sont tous au moins bilingues. À partir de là, je voudrais évacuer, bien que je ne puisse pas les nier, deux dimensions reconnues et acceptable des langues, premièrement : instrument de communication, véhicule d’une culture, culture pouvant être employé en deux sens, au sens culturel ou esthétique de culture ou pouvant être employé au sens anthropologique de culture, c’est à dire un ensemble de références et quand les textes de l’UNESCO nous disent la langue c’est aussi un véhicule de connaissances, c’est parfaitement clair, en particulier il y a de la conceptualisation, de la classification, de l’organisation du monde dans des tas de domaines en particulier dans les sciences de la nature.
L’angle sous lequel je vous invite à considérer les langues, c’est celui de constructions intellectuelles. Constructions qui sont des constructions collectives et individuelles à la fois, c’est l’ensemble du groupe qui créé sa langue, en même temps chaque individu, au moment où il développe et s’approprie sa langue et se donne les possibilités au niveau infinitésimal de la changer. C’est pour cela que les langues changent petit à petit. C’est une création de l’esprit humain. Ces créations de l’esprit humain servent pour l’élaboration et la transmission du sens. C’est le cœur de l’activité significative en situation et voilà pourquoi je vais encore restreindre mon propos à la grammaire. C’est à dire qu’on ne parle pas par mot, on parle par phrase, par énoncé, je vais faire comme si les deux termes étaient équivalents et synonymes. A tout moment quand nous utilisons notre langue, ou une langue seconde, on informe, on demande des renseignements ou des faveurs, on harangue, on séduit, on plaisante, on engueule, on menace, on réfléchit ensemble, on émet des hypothèses, on entretient de la convivialité, dimension qui paraît absolument essentielle et à laquelle tout le monde est très attaché bien évidemment, on compte, je ne sais pas si j’aurais le temps à la fin de mon exposé de développer cet aspect absolument essentiel et surtout dans les contextes dans lesquels nous travaillons, cela veut dire que nous parlons du monde et nous parlons d’événements qui sont réels, qui peuvent éventuellement être imaginaires, à ces événements participent des entités, des êtres, animés ou inanimés, qui ont un certain nombre de propriétés, qui sont quantifiés, on va les dénommer, on va préciser, on va catégoriser, on va voir se développer du temps, de l’aspect, du genre, du nombre, de la détermination, etc. de façons différentes selon les langues mais nous verrons toujours se développer ce genre de phénomènes qui sont au cœur de la grammaire. On va voir aussi se développer une syntaxe qui ne se réduit pas forcément à un ordre des mots, quoique ce soit important, nous avons ici dans l’ensemble ultramarin des langues qui disent en gros "le chat mange la souris", d’autres qui disent "le chat la souris mange" d’autre qui disent "mange le chat la souris", c’est ainsi et ce n’est pas le plus important me semble-t-il, il peut y avoir des choses beaucoup plus subtiles, plus intéressantes dans les différences entre les langues, par exemple je n’en prendrai qu’une, on dit en français « Marie travaille et Marie rit », on pourrait dire c’est la même chose, on a un sujet un verbe, cela peut être plus compliqué que cela parce que quand Marie travaille, il y a une activité, un agent, une activité qui est opérée, dans Marie rit on peut dire qu’elle fait l’action de rire, en même temps si elle rit c’est en réaction à des événements qui la font rire et donc vous avez des langues dans l’ensemble ultramarin, certaines qui disent « Marie travaille » mais qui traduisent ou qui donnent l’équivalent de « Marie rit » par une construction où Marie serait dans la position qui rappelle plutôt celle de complément d’objet. C’est à dire qu’elles disent quelque chose comme « il rit Marie » où le il est le il impersonnel comme on a il me souvient ou quelque chose comme cela. Il va de soi que quand on passe d’une langue qui dit « il rit Marie » à une langue qui dit « Marie rit », ce n’est pas insurmontable mais il ne faut pas faire comme si il n’y avait pas de problème. De ce point de vue là les langues d’outre-mer sont une mine d’observation d’une richesse extraordinaire, d’une complexité extraordinaire dont la république, en général, et son école, en particulier, auraient le plus grand tort de ne pas profiter et tirer parti. Dans l’outre-mer on a deux catégories de langues, il y a d’un côté les créoles et d’un autre côté les autres langues. Je commence par les autres langues c’est à dire langues amérindiennes, les deux langues de Mayotte, les langues kanaks, les langues polynésiennes, sont des langues extrêmement différentes du français et qui présentent par rapport à des gens qui ont l’habitude du français ou des langues européennes, un certain nombre de phénomènes tout à fait inattendus et qui montrent quel est l’éventail des possibilités du langage humain. Les langues créoles se sont constituées dans des conditions historiques tout à fait particulières avec des gens qui se trouvaient dans les pires situations matérielles et morales et qui ont développé le langage, se sont créés des langues et ont créé des grammaires dans ces conditions, ont eu dans le malheur qui les affligeait assez de ressources dans leur tête pour inventer une langue. Dans les deux cas, je dirais chers collègues ultramarins, vous pouvez être fiers de vos langues. Je le dis sans démagogie et je pense qu’il incombe aux linguistes, non pas de militer dans vos rangs avec exactement les mêmes motifs qui peuvent vous faire militer pour la dignité de vos langues, mais de vous appuyer par des arguments rationnels et scientifiques pour une défense de vos langues qui s’adresse à toute personne de bonne foi qui veut bien considérer que les langues sont des créations remarquables. Le patrimoine linguistique dans ce cas-là prend une dimension tout à fait particulière bien évidemment, c’est une création de l’esprit humain, le patrimoine de l’humanité, les langues d’outre-mer, les langues de France ou les autres langues ne sont pas les propriétés de leurs locuteurs, excusez moi chers locuteurs, ces langues que vous parlez, à travers lesquelles vous avez développé le langage sont des langues de l’humanité et, en continuant ces langues, vous servez l’humanité toute entière à maintenir sa diversité linguistique, c’est extrêmement important et les revendications que vous pouvez porter sur vos langues n’en sont que d’autant plus légitimes puisque ce n’est pas seulement pour votre intérêt que vous demandez le maintien de vos langues, c’est pour l’humanité toute entière. Vous en êtes les gardiens plus que les propriétaires. Personne, je l’espère ici, ne refusera que je m’intéresse au tahitien, au saramaka ou au kali'na, toutes les langues doivent pouvoir intéresser tout le monde. Ceci veut dire aussi que dans le système éducatif, il faut prendre au sérieux la langue première. C’est à dire que pour passer au français, il faut que la procédure qui vise à construire le bilinguisme chez l’enfant, soit une procédure non seulement plus respectueuse et moins douloureuse, mais aussi plus efficace que la procédure qui consiste à étouffer la langue maternelle et à dire qu’il faut faire des monolingues bilingues, des monolingues francophones. C’est en formant de bons bilingues qu’on formera de bons francophones et je pense que de toute bonne foi, toutes les personnes de bonne foi dans l’Éducation nationale ne peuvent pas s’opposer à cela et, en réfléchissant à des procédures qui mettront en bonne place la langue maternelle, nous avons un certain nombre de dispositifs en Guyane et d’autres territoires et collectivités, alors c’est le moment absolument essentiel puisque le langage n’est pas complètement développé, encore il faut avoir des activités de langage en langue maternelle. Un peu plus tard dans le cycle trois de l’enseignement primaire et dans tout le secondaire me semble-t-il, puisque les langues sont avec leur richesse, avec leur beauté une telle source d’observation, une telle source de réflexion sur la sophistication intellectuelle de l’être humain que ce serait absurde de ne pas s’en servir, de ne pas avoir des activités d’observation réfléchies qui ne portent pas seulement sur le français mais qui porte aussi sur les langues maternelles et qui d’ailleurs, au delà des langues maternelles, peuvent porter sur des langues non maternelles puisque si je suis petit métropolitain, mettons à Mayotte par exemple, et bien j’ai des copains qui parlent shimaoré, je regrette : soit je suis borné, soit le shimaoré m’intéresse aussi. Et quand je découvre ce que c’est, la complexité du shimaoré où on peut avoir ce que j’appelle l’effet latin, c’est à dire ce phénomène où on retrouve la syntaxe dans la morphologie avec des langues qui disent « il a mangé le chat la souris » et « elle a été écrite une lettre par Paul » et vous avez toute une sorte de bourgeonnement de la morphologie verbale dans lequel vous avez toute la syntaxe de la phrase, ne pas aider les élèves à réfléchir la dessus, ne pas les aider à réfléchir sur ce qu’ils font quand il parlent comme cela ou ce que font leurs camarades quand ils parlent comme cela, ce serait absurde.
- J’invite maintenant Modou Ndiaye à prendre la parole. Vous participez au programme ELAN qui est un programme d’évaluation de l’introduction des langues maternelles nationales en Afrique francophone.
Expert 1 : Modou Ndiaye (Université de Cheikh Anta Diop de Dakar au Sénégal)
Mesdames et messieurs, chers participants, la prise en compte des langues nationales au Sénégal est, aujourd’hui, encore au stade expérimental, ce qui n’est pas le cas pour le système non formel. Ce qu’on appelle système non formel au Sénégal, ce sont les écoles communautaires de base qui accueillent des enfants d’âge assez avancé et également les structures d’alphabétisation. Pour le système non formel, l’enseignement bilingue est déjà bien installé. Cependant, pour le système éducatif formel et général, on a toujours le monolinguisme avec le français unique comme langue d’enseignement, français langue officielle, et cela dans un contexte sociolinguistique où nous avons une vingtaine de langues dont six qui sont des langues d’envergure régionale et une, parmi ces six, le wolof qui est plutôt une langue territoriale répartie dans les grands centres urbains, les centres semi-urbains et même dans les grosses agglomérations.
Il y a eu quatre expérimentations de l’enseignement bilingue dont la dernière a été menée de 2002 à 2008 et c’est sur cette expérimentation que nos réflexions vont porter. Cela a fait l’objet d’une étude, LASCOLAF langues de scolarisation en Afrique subsaharienne, un programme mené en partenariat entre six pays africains et l’OIF, le ministère français des affaires étrangères européennes et l’AFD. Le bilinguisme adopté est dit transitionnel dans notre jargon. C’est à dire que les langues sénégalaises sont employées comme langues d’enseignement dans les trois premières classes, puis le français introduit la première année comme objet prend le relais et devient langue d’enseignement tout le reste de la scolarité. L’objectif visé dans la mise en œuvre de cet enseignement est de trouver une solution au défi de la qualité auquel est confronté le système éducatif sénégalais qui, malgré le fait que l’État y consacre 43% de son budget, est resté peu rentable avec un taux de déperdition élevé et surtout une faiblesse chronique du niveau des élèves en français et, par ricochet, dans les autres disciplines. Et cela dans un contexte de massification des effectifs dû à la perspective de la scolarisation universelle qui, comme vous le savez, est un objectif OMD qu’il faudra atteindre en 2015. La cause principale de la faiblesse du système est liée au fait que le français, langue unique, est enseigné comme une langue maternelle alors qu’elle aurait dû être enseignée comme une langue seconde, on est dans un contexte de multilinguisme. C’est une langue seconde dans certains endroits du Sénégal (les villes), et dans d’autres endroits, le français est une langue étrangère, je pense aux zones rurales. Et par conséquent, il aurait dû être enseigné suivant une didactique qui prenne en compte les langues premières. Au bilan de cette dernière expérimentation, il est apparu que l’enseignement bilingue est plus performant que l’enseignement monolingue avec un taux de réussite à l’examen final de 65% contre 50% et un taux d’achèvement de 71,34% contre 58,4%.
La supériorité de l’enseignement bilingue est connu de longue date, il était simplement important de faire ici et là des expérimentations afin de confirmer cette évidence et les facteurs qui expliquent cette supériorité pédagogique sont, entre autres, des facteurs cognitifs qui ont été évoqués ce matin assez explicitement. Je voudrais me limiter aux facteurs les plus saillants que nous avons dégagés au cours de notre expérimentation. Il y a d’abord une plus grande participation des parents à l’encadrement et au suivi des élèves à la maison, étant donné que la langue d’apprentissage leur est connue. Pour la même raison, une plus grande participation et motivation des élèves au cours qui leur est dispensé, l’enseignant ayant plus de facilités à employer une pédagogie active et cela, aussi bien pour la classe de langue nationale que de français. Enfin et surtout, une didactique plus efficace se traduisant par l’enseignement du français par une exploitation des acquis en langue nationale. Il y a là un gain important puisqu'il s'agit d'un simple transfert du savoir qui est acquis en langue régionale et acquis avec beaucoup plus de facilités. Cela permet une meilleure identification et un meilleur traitement des points de difficultés et des points de divergence qu’il y a entre les deux langues. Par exemple, pour l’enseignement de la lecture, la démarche comparative permettra de mettre l’accent sur des sons qui n’existent pas dans les langues sénégalaises, des sons tels que ZE, CHE, JE, ou les voyelles comme U ou E et pour la grammaire, cette démarche permet d’insister sur la différence formelle entre les pronoms personnels LE et LUI, différence formelle qui est liée à une différence fonctionnelle qu’on observe pas dans les langues sénégalaises. Ce qui entraine très souvent comme erreurs, chez l'apprenant sénégalais, la réalisation d’un LE à la place d’un LUI. Compte tenu du temps qui nous est imparti j’approfondirai certains éléments abordés ici dans les ateliers. Je vous remercie.
- Je vais demander à Isabelle Nocus de prendre la parole.
Expert 2 : Isabelle Nocus (Centre de recherche en éducation de Nantes)
Je vais m’associer aux remerciements qui ont déjà été faits depuis ce matin pour l’organisation de ce colloque. Mon exposé sera en deux temps. Je vais partir du témoignage de nos travaux de recherche pour arriver à quelques questions posées pour les ateliers qui vont suivre. Ma réflexion personnelle a débuté dans le Pacifique marqué par trois grands moments.
Tout d’abord celui d’un colloque mis en place en 2007 où c’était la première fois qu’on réunissait dans le Pacifique des personnes qui pouvaient parler autour de l’éducation plurilingue et donc, ce colloque a donné lieu à des actes vers une école plurilingue et réunissait aussi bien des chercheurs que des gens de terrain, enseignants, conseillers pédagogiques etc., pour parler de cette expérience de terrain au niveau de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie, de Wallis et Futuna et de la Guyane. Autre colloque, celui de 2010 dans le Pacifique où l’on a fait un point sur ces expériences sur l’école plurilingue et le dernier tout récent qui a été réalisé en Polynésie le mois dernier, et je rends hommage à la délégation polynésienne présente ici, Ernest Marchal, Christian Morhain, ainsi que Jacques Vernaudon, Mirose Paia qui ont organisé ce colloqe. Le titre est évocateur : « Apprendre plusieurs langues, plusieurs langues pour apprendre ». Donc ce questionnement abordé au cours de ce colloque.
Je vais partir de cette recherche ECOLPOM que nous avons imaginée à plusieurs, puisque c’est une recherche inter pluridisciplinaire qui a joué sur la comparaison de plusieurs dispositifs. L’objectif de ce programme qui a été mis en place entre 2009 et 2011, a été d’évaluer l’efficacité des programmes pédagogiques qui valorisent les langues locales et on a opté pour une vision interdisciplinaire avec deux axes principaux, un axe plus psycholinguistique qui s’intéressait à l’impact de tels dispositifs pour la réussite des élèves, leur développement langagier, aussi bien en français qu’en langue locale, sur des indicateurs de la réussite scolaire ou de l’adaptation scolaire, notamment l’entrée dans l’écrit, les mathématiques et puis le développement conatif au niveau de variables plus affectives comme l’estime de soi, l’espoir de réussite, des élèves. Et puis un autre axe, l’axe sociolinguistique qui avait pour objectif d’évaluer l’impact de tels dispositifs sur les pratiques linguistiques familiales et sur les représentations linguistiques aussi bien au niveau des familles que des enseignants pour les langues locales mais aussi pour le français et le rapprochement des familles avec l’école. Et puis, bien sûr, il s’agissait d’avoir une photographie ou d’évaluer l’adéquation des dispositifs bilingues à leurs caractéristiques. Pour cette recherche, trois collectivités ont été impliquées, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française et la Guyane, et quatre dispositifs ont été impliqués dans ce travail d’évaluation. L’important pour nous était de travailler sur le CP et le CE1 parce que, étant l’entrée dans les apprentissages fondamentaux, on s’est aperçu que cela provoquait des appréhensions aussi bien pour les enseignants que pour les parents de pouvoir rentrer dans les apprentissages fondamentaux en travaillant sur deux langues conjointement. Cette recherche a impliqué beaucoup de monde, je n’ai pas le temps de remercier toutes les personnes qui ont été impliquées, c’est un travail qui a été fait avec douze chercheurs de disciplines différentes puisque l’interdisciplinarité nous a semblé importante pour traiter une question aussi complexe, des partenaires institutionnels, des inspecteurs, des conseillers pédagogiques des enseignants sans lesquels nous n’aurions pu mener tout ce travail, et puis aussi des associations, je citerai l’association Mama Bobi pour la Guyane. Je vais laisser dans les ateliers, les collègues chargés de rapporter leurs résultats pour les aspects sociolinguistiques, je vais plutôt parler des aspects psycholinguistiques qui m’intéressent et juste vous dire que ce sont des recherches qui s’appuient sur des travaux internationaux dans le domaine, ce n’est pas une découverte, on connaît les effets depuis très longtemps du bilinguisme et des dispositifs pédagogiques sur le développement cognitif et on a des travaux au Canada, aux États-Unis, dans les pays anglophones, … sur les aspects positifs et aussi sur les aspects conatifs, sur l’estime de soi, l’espérance de réussite, ce sont des travaux qui sont menés et dont on montre les aspects positifs mais à deux conditions bien sûr, à condition que les langues soient suffisamment pratiquées, je fais bien sûr référence aux travaux de Jeff Cummings, mais aussi, à condition que ces langues soient valorisées aussi bien dans la famille qu’à l’école et là, bien sûr, on a des travaux qui montrent que la valorisation des langues d’origine dans la famille renforce la transmission, l’apprentissage de la langue de l’école et la réussite scolaire.
Alors nos propres données, dans les recherches antérieures en Océanie, montrent que lorsqu’on introduit très précocement un enseignement de 5 heures hebdomadaires de langues des cultures d’origine, ce sont des études menées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, lorsqu’on introduit très précocement cet enseignement, on a des effets positifs bien sûr au niveau de la langue maternelle mais sans effet négatif sur le français et donc, on a des enfants qui deviennent plus performants dans leurs langues et qui sont sans effet négatif sur le français. Ce sont des résultats au niveau de l’école maternelle, dans ECOLPOM nous avons travaillé sur l’école élémentaire et notamment le CP et le CE1, et l’objectif du dispositif de l’axe psycholinguistique était de voir l’impact de tels dispositifs sur les pratiques linguistiques familiales et les représentations du plurilinguisme par les familles sur le développement langagier en langue locale, le développement langagier en français sur l’entrée dans l’écrit dans les deux langues, sur les mathématique et sur le fameux concept d’estime de soi dans les deux langues. Je n’ai pas le temps de développer les résultats et d’affiner la méthodologie utilisée, je vais juste donner les grands axes, les grands résultats obtenus et qui ne sont que provisoires. Mais on a pu montrer un impact positif de ces dispositifs sur les pratiques linguistiques familiales et les représentations parentales du plurilinguisme, et cet effet-là est différent selon les collectivités, selon l’importance du travail qui a été fait avec les familles. On a pu montrer un effet positif sur le développement langagier en langue locale, notamment dans les aspects production et, notamment en Polynésie française, on a pu montrer que des enfants étaient bien meilleurs en production alors que dans des groupes contrôles, des enfants qui venaient d’écoles voisines qui ne recevaient pas ce type de dispositif, étaient performants en compréhension mais moins bons en production en langue locale. On a pu montrer des effets positifs en lecture en langue locale et puis sur les variables conatives, mais avec, bien sûr, des résultats nuancés en fonction des collectivités.
Alors on a pu conclure que participer à un enseignement de langue locale et en langue locale n’entrave pas l’acquisition de la langue enseignée à l’école, à savoir le français. Nous avons pu montrer aussi que l’enseignement de la langue locale à la fois à l’oral et à l’écrit favorise l’émergence de transferts vers le français, mais pas dans n’importe quelles conditions, on a pu le montrer plutôt en Polynésie quand il y avait eu un travail spécifique sur l’écrit, sur l’entrée dans l’écrit. Et puis, bien sûr, ces conclusions qui sont provisoires nous amènent à réfléchir sur les activités proposées aux élèves dans les différentes langues et à prendre en compote la dynamique des apprentissages sur plusieurs années. Nous avons mené des études longitudinales qui montrent que ces effets ne sont pas immédiats, qu’il faut du temps. Dans la recherche internationale on montre qu’il faut six ans pour avoir un effet positif d’un dispositif, quel qu’il soit d’ailleurs, sur les compétences des enfants. Il faut laisser du temps au temps.
Juste pour revenir aux ateliers et aux questions à se poser et aux pistes de réflexion, on pourrait s’interroger sur la prise en compte des langues d’origine et des acquis culturels dans l’apprentissage du français, c’est l’un des axes, qu’entend-on par langue d’origine ? Et on ne peut pas réfléchir de la même manière qu’on soit en Polynésie ou en Guyane sur ce qu’est la langue d’origine(s) avec un S ou sans S, les acquis culturels c’est une réflexion à avoir sur les terminologies utilisées, qui est chargé de la transmission de la langue d’origine ? Les parents, l’école, les associations, c’est une question qui ne se pose pas dans les mêmes termes en Guyane et en Polynésie, puisqu’en Polynésie les parents déclarent à 70% parler et le tahitien et le français ; pourtant 5% des parents parlent à leur enfant en tahitien. Je pense que la configuration est tout à fait différente en Guyane. Ce travail fait auprès des familles me semble tout à fait essentiel et notamment les activités de recherche doivent obligatoirement associer un travail fait par les familles, on sait qu’un dispositif novateur quel qu’il soit ne peut avoir un succès si, premièrement, les familles n’adhèrent pas à ce dispositif et deuxièmement, si elles ne prennent pas le relai. Donc quelles recommandations aux familles par rapport à leurs pratiques linguistiques familiales ? On peut se poser la question de savoir si les langues d’origines sont prises en compte à côté du français ? Mais quel impact sur le français et sur la langue d’origine ? Comment lutter contre les représentations négatives ? Ce qu’on dit du mélange des langues qui est une étape normale du développement bilingue de tout individu. Les représentations négatives qu’on donne sur la surcharge cognitive, la perte de temps, les risques de mise en retard au niveau du français. On pourrait peut être profiter de ces états généraux pour faire une cartographie des dispositifs existant dans le monde, parce que ce n’est pas un problème purement local, la question se pose partout dans le monde, en métropole il existe des dispositifs, on parle du breton, mais il en existe bien d’autres et puis en outre-mer français. On peut aussi s’interroger sur comment fonctionnent-ils, comment faut-il faire et faire au mieux ? Quelle place pour les langues d’origine ? Langues enseignées et langues d’enseignement ? La mise en œuvre : comment s’y prend-on ? Qui assure cette formation, quelle formation, quel statut, le volume d’heures ? Faire 2 heures et 5 heures ou 7 heures ou un enseignement bilingue à parité horaire, c’est une réflexion à avoir. Quels outils pédagogiques ? Quel enseignement disciplinaire dans les langues d’origine, que faut-il privilégier si ça se passe dans le cadre de l’école, les 26 heures réglementaires de l’école, sur quoi prenons nous ce temps ? Quel enseignement disciplinaire dans la langue d’origine pour développer les compétences plurilingues ? Enfin, à propos de nos travaux, quel impact avons nous, quel recul avons-nous par rapport à ces dispositifs de langues et cultures d’origine sur le développement personnel de l’enfant et sur sa réussite scolaire ? Merci beaucoup.
- Merci Isabelle, je passe la parole à Françoise Grenand qui a mené de nombreux travaux en Guyane.
Expert 3 : Françoise Grenand (CNRS / Observatoires Hommes-Milieux "Oyapock" en Guyane)
Je vais essayer de vous donner le point de vue d’un anthropologue. Alors je vais commencer par une petite histoire et essayer d’imaginer une anthropologue il y a quatre décennies, c’est moi, qui prend un pied extraordinaire à essayer de faire un dictionnaire d’une langue amérindienne dans un petit village de Guyane. Elle est contente, elle est heureuse mais elle a aussi des angoisses parce que, je vais en parler tout à l’heure, il y a des choses qui ne sont pas traduisibles, des choses qu’on ne sait pas traduire, des choses qu’on ne connaît pas, quand on se met à faire un dictionnaire, il y en a pour plusieurs années et surtout, cela vous bouffe la vie, c’est absolument merveilleux. Et un beau jour elle se retrouve face à un sous-préfet, alors je suis désolée s’il y a un sous-préfet et je sais qu’il y a un sous-préfet dans la salle, mais c’était il y a quarante ans et je sais que cela n’existe plus aujourd’hui. Et le sous-préfet lui dit « Ecoutez Madame Grenand, cessez vos enfantillages, vous n’allez tout de même pas perdre votre temps et votre jeunesse à faire un dictionnaire d’une langue qui n’est pas écrite, qui n’existe pas, que personne ne connaît » et il poursuit alors deux points ouvrez les guillemets : « De toutes façons, ces gens-là n’ont pas plus de cinq cents mots pour le peu de choses qu’ils ont à se dire », point fermez les guillemets. Quarante ans après, je n’en suis toujours pas revenue, figurez-vous. Et le dictionnaire en question il a paru, il a vingt ans, il est obsolète et je vais recommencer car les jeunes gens veulent qu’on recommence un dictionnaire.
Tout cela pour dire que la langue c’est un trésor. Une langue c’est un trésor virtuel pour une langue orale donc il en est d’autant plus fragile, c’est un trésor changeant, c’est un trésor à fleur de voix, si on ne les parle plus, les mots, eh bien ils n’existent plus comme la musique, si la musique n’est plus jouée, elle n’existe plus. Un tableau de Picasso vous pouvez fermer la galerie du Louvre, il existe encore. Alors il est menacé ce trésor, il est harcelé, il est éminemment fragile. Mais surtout, encore une fois, il est unique et comme il est unique, cette langue porte avec elle une vision du monde qui ne peut pas être transposée de mot à mot. Je vais vous prendre un tout petit exemple. Yawa, qui a donné entre parenthèse en français jaguar. Mais il y a plusieurs jaguars. Ah bon, mais pas dans la science occidentale. Dans la science wayampi il y en a plusieurs. D’accord, alors on met tous les types de jaguars. Mais cela ne veut pas seulement dire ça. Cela veut aussi dire le chien. Cela ne veut pas seulement dire félin mais aussi chien. Alors là, je suis bien embêtée de mettre le chien dans les félins. Et en plus on me dit il y a la loutre. Alors je mets la loutre. Donc j’ai ma boîte qui commence a enfler et je me dis finalement ce sont des carnivores. Alors je suis contente mais on me dit il y a aussi les monstres. Mais je retombe sur mes pattes car ce sont des monstres carnivores. Alors cannibale ? Oui si tu veux ça ne nous gêne pas. Et un an après, alors que j’étais bien contente avec ma boîte, on me dit : tu sais il y a aussi une grenouille. Alors vous imaginez mon sous-préfet, quoi une grenouille, ça ne va plus madame Grenand. Eh bien si, car cette grenouille, phrynohyas resinifictrix en latin, grenouille de Goeldi en français et kunawalu en Amazonie et en wayampi, c’est une grenouille magicienne qui a les couleurs du jaguar et qui a le cri du jaguar ; donc de temps en temps, elle se transforme en jaguar.
Je peux vous assurer qu’on a passé un jour une nuit dans un campement avec un animal, une entité qui feule, parce que ça feule un jaguar, pas loin et les hommes étaient là, dans leurs hamacs, à se demander si c’était la grenouille ou le jaguar. A deux heures du matin, je me suis endormie et le lendemain, personne n’était allé voir, cela permet de garder le mystère. Mon sous-préfet dit : « Vous voyez bien que c’est n’importe quoi ». Je dis : « Oui, et Jeanne d’Arc, les voix de Jeanne d’Arc, c’est quand même notre mythe national, il y a encore un livre de Max Gallo qui dit Jeanne d’Arc, une jeune fille de France brûlée vive, c’est le millième livre écrit sur Jeanne d’Arc et elle continue d’entendre ses voix de manière imperturbable ». Alors pour une nation aussi rationnelle que la France, je continue à m’interroger. Et Peau d’Âne ? Mon sous-préfet me dit : « Qu’est ce qu’il y a encore avec Peau d’Âne ? » Peau d’Âne c’est une très jolie jeune fille, on lui met une peau d’âne, ça pue, on lui commande une robe couleur de soleil, une robe couleur de pluie, une robe couleur de temps, je me suis dit comment traduire en wayampi une robe couleur de temps mais surtout, ce qu’il y a avec Peau d’Âne, c’est que cela vous fait toucher du doigt une des choses les plus universelles, un universel, la prohibition de l’inceste. Chose qu’on partage avec tous les peuples au monde. Simplement nous on l’a mis dans Peau d’Âne, d’autres l’auront mis autrement, etc…
Alors d’accord, le trésor est unique, mais il nous rassemble quand même quelque part. Les expressions idiomatiques, ce sont de vrais marqueurs culturels. Par exemple et toujours en wayampi, pour dire bonsoir on dit « nous allons dormir un peu ». On ne peut pas traduire « nous allons dormir un peu » alors on traduit par bonsoir. Mais c’est quand même approximatif. On n’est pas content de soi quand on traduit par bonsoir. On le fait quand même. Et si on traduit par exemple en français « on va s’en jeter un de derrière les fagots et vous m’en direz des nouvelles », alors traduisez-moi ça ne serait-ce qu’en anglais ou une autre langue latine. Alors vous pensez bien que dans une langue exotique, le problème, il existe à l’envers.
Des expressions idiomatiques, j’en ai trouvé plein en wayampi et je ne sais pas toujours le traduire. C’est le cas par exemple de la « saudade » brésilienne. Personne ne sait traduite la « saudade » ou le « fado » portugais. Donc on les laisse, on les garde comme cela. C’est monsieur Colardelle qui parlait hier de la douleur des parents et des médecins face à des choses qu’on ne peut pas traduire. Une vieille dame créole qui disait à Saint-Georges au docteur Joly : « Docteur tout mon corps qu’a moussé » alors que fait-on avec cela ? Toutes ces expressions idiomatiques sont intraduisibles, pourtant il faut qu’on les traduise. Tout cela pour dire que j’aimerais que dans ce qu’on doit conserver, il faudrait réfléchir à l’acte de traduction, ce n’est pas un acte innocent la traduction. Les néologismes, alors justement il faut bien que les langues elles se débrouillent, et pour ne pas perdre pied, pour être en phase avec le monde qui les entoure, on néologise à tout va. Ordinateur, on va traduire ordinateur, allocations familiales, démocratie, retraite, aire protégée, yaourt, président. Alors il y a plusieurs manières de faire des néologismes. On peut faire des emprunts directs, sans se casser la tête pour faire une adaptation phonologique ou alors on en fait une, on adapte le mot aux phonèmes de la propre langue réceptrice. On fait des créations lexicales ex nihilo, très souvent ce sont des métaphores. Très souvent on fait des emprunts à une autre langue qui a déjà emprunté le mot et c’est comme cela qu’en wayampi, à la source de l’Oyapock, pour dire le « pain » on dit « poloto » et cela vient par un nombre de relais que je n’ai pas le temps de vous expliquer du néerlandais « brood ». C’est venu de Hollande, c’est passé par le Surinam, a remonté tout le Maroni, ça a traversé, c’est passé au Brésil, ça a remonté les Tumucumak, c’est repassé de l’autre côté des Tumucumak, ça a passé la frontière à la source de l’Oyapock pour débarquer, ce n’est pas merveilleux ça ? Ce qu’il faudrait aussi voir, ce à quoi il faudrait s’attacher c’est à l’idée qu’on oublie assez souvent que les mots créent l’objet dont ils parlent. Un mot, à partir du moment où il a dénommé un objet, l’objet existe. Tant qu’on n’a pas créé le mot pour l’objet, eh bien l’objet n’existe pas. Il est virtuel lui aussi. Ceci est vrai pour les emprunts mais vrai aussi pour une propre culture. Par exemple les monstres aquatiques ou le nom des sauts. En Guyane, tout le monde sait qu’il ne faut jamais prononcer le nom d’un saut avant de l’avoir passé. Pourquoi ? Parce que si on prononce le nom du saut qui, en général, est le nom de l’esprit en question, on le réveille. Et du coup, on va chavirer, on va capoter dans le saut. Donc on le dit après et non avant. Une autre histoire, un jour on a eu l’idée de descendre l’Oyapock, mon mari et moi. Et les indiens nous avaient donné tout un tas de précautions et, en particulier, il y avait un fromager qu’on verrait au détour d’une rivière, d’un détour de l’Oyapock, et sur ce fromager, il y aurait une aire et sur cette aire il y aurait un aigle et si on avait de la chance, il y aurait des aiglons. Alors ils nous expliquent tout cela. Alors on a vu la maman aigle et ses aiglons. S’ils ne nous l’avaient pas dit, s’ils ne nous avaient pas prévenus, il est évident que nous ne l'aurions pas vu.
Je terminerai sur les mots qui créent l’objet ; l’anthroponyme par exemple crée la personne. Si bien que quelquefois, et dans beaucoup d’ethnies, si la personne est morte, on ne peut plus prononcer son anthroponyme, on ne peut plus l’appeler. D’abord parce qu’elle est morte et que cela risquerait de la faire revenir, mais de la faire revenir sous forme de fantôme et ce serait très mauvais et, par exemple, chez les inuits, vous avez des anthroponymes très métaphoriques, par exemple « petit chat », un homme va s’appeler « petit chat ». « Petit chat » meurt car il est devenu très vieux, on ne peut plus dire qu’un chat est un chat donc on fait une périphrase pour parler du chat. Vous imaginez, au bout d’un moment, ce que devient la phrase inuit.
Et enfin, sur les jargons et les argots. Prenons les argots de jeunesse, les argots de classe d’âge ou encore, la manière dont les papas et les mamans s’adressent à leurs petits enfants. Tout cela, on ne l’a jamais étudié, en tout cas pas à ma connaissance sur les langues amérindiennes de Guyane. Vous me direz, il est temps de le faire, mais quand on pense qu’il n’y a même pas un dictionnaire du parler des adultes pour chaque langue amérindienne de Guyane, vous pensez bien qu’avant de faire le dictionnaire des argots, on a du temps devant nous, il faudra revenir dans trente ans. Et je m’excuse auprès de tous les sous-préfets de France et de Guyane, mais c’était un petit clin d’œil à Alphonse Daudet, merci.
- Je vous propose maintenant d’écouter le message de Jean Michel Blanquer.
Représentant de l'institution : Jean-Michel Blanquer (Direction générale de l'enseignement scolaire DGESCO)
Bonjour à toutes et à tous,
je suis particulièrement heureux de m’adresser à vous aujourd’hui, j’aurais préféré le faire de vive voix en étant aujourd’hui en Guyane, mais par le truchement de la vidéo, je peux tout de même vous adresser ce message qui, pour moi, a de l’importance car il porte sur un thème qui est essentiel pour l’Éducation nationale et pour l’ensemble des territoires d’outre-mer, mais en réalité pour le monde entier, puisque la question du multilinguisme est une question qui se pose dans beaucoup d’endroits dans le monde. Si vous permettez, je voudrais tout particulièrement saluer mes amis guyanais, car ce n’est jamais sans une certaine émotion que je m’adresse à des guyanais ni que je pense à la Guyane, en raison de d’expériences que j’y ai vécues, en raison de toutes les bonnes choses que j’y ai connues, et les bonnes choses qui se poursuivent encore aujourd’hui et que j’essaye de suivre depuis mes fonctions actuelles au ministère de l’Éducation Nationale, à Paris. Donc, je tiens à vous saluer très chaleureusement, ainsi que l’ensemble des participants, parce que les questions d’outre-mer nous intéressent très particulièrement, parce que nous avons la volonté d’y attacher toute l’importance, que ce soit sous l’angle des langues ou d’autres sujets d’ailleurs.
La question du multilinguisme à l’école est une question qu’il faut voir sous l’angle des complémentarités, sous l’angle de la richesse, sous l’angle du lien. Il faut éviter de bâtir de fausses contradictions. En effet, le fait d’avoir deux langues dans son patrimoine, voire davantage, est une richesse pour les enfants beaucoup plus que ce n’est un problème. De façon générale, nous savons qu’il est bon pour les enfants d’avoir une pratique de plusieurs langues, c’est prouvé par les sciences cognitives et l’imagerie cérébrale nous montre par exemple que la pratique et l’écoute d’une langue dès le plus jeune âge est très bon pour l’enfant, et l’écoute de deux langues est encore meilleure, la stimulation du cerveau de l’enfant se fait par cette approche par deux langues lors de sa petite enfance. Cette richesse est une réalité des sciences cognitives, c’est aussi une réalité de la psychologie. Nous savons bien que pour un enfant il est important d’être fier de ses racines, d’être fier de sa langue maternelle et fier de son appartenance, c’est-à-dire de son aisance dans la langue de la République à laquelle il appartient, c’est-à-dire le français. Cette double réalité est fondamentale, c’est celle que nous prenons en compte dans le système scolaire, c’est aussi cette réalité que consacre d’une certaine façon la constitution puisque dans son article 2, la constitution affirme que la langue de la République est la langue française, mais dans son article 75-1, elle indique aussi que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Donc cette double réalité est consacrée et l’Éducation Nationale a pour mission de la mettre en œuvre.
Il faut rappeler aussi, comme chacun sait, que la France est, depuis 1999, engagée par la signature de la charte européenne des langues régionales et par cette signature, la France a donc pris des engagements, notamment pour que l’on prévoit un enseignement de langues régionales ou de langues d‘origine pour les enfants dont les parents le demandent. Ensuite, il faut voir concrètement comment on met cela en œuvre pour que les enfants bénéficient d’une bonne manière de faire, de bonnes méthodes. Il faut donc savoir organiser des activités en langues d’origine dans le milieu scolaire qui ne nuisent pas à l’enseignement de la langue française mais qui, au contraire, viennent en appui de cet apprentissage. Et nous devons penser cela dans le cadre de ce qui est désormais la boussole du système scolaire français, c’est-à-dire l’école du socle commun, c’est-à-dire les piliers su socle commun et le premier pilier du socle commun, c’est la maîtrise de la langue française, d’où l’importance que nous attachons aux indicateurs de maîtrise de la langue française de la part des élèves, parce que c’est ce qui nous permet de voir et de vérifier que, en même temps que des progrès en langue régionale, il y a des progrès en langue française de la part des élèves. Cette approche selon l’école du socle, signifie aussi une approche par les compétences, c’est à dire que nous devons développer des outils qui nous permettent de voir les compétences dans la langue d’origine pratiquée à l’école à certains moments particuliers, aussi bien que les compétences acquises en langue française, et de voir, en parallèle et en interaction, comment ces compétences se consolident.
Pour ma part, je considère qu’il y a plusieurs points qui peuvent venir en appui des approches pratiques de cette pratique du multilinguisme à l’école. D’abord, il y a la question des modalités et des horaires. Les activités linguistiques conduites en milieu scolaire en langue d’origine trouvent naturellement leur place dans l’accompagnement éducatif. Mais elles peuvent aussi, en prenant en compte chaque réalité locale, s’inscrire dans les heures d’enseignement des élèves. Il faut tenir compte, évidemment, de l’âge des enfants de façon à avoir des séquences brèves et régulières, ce qui est préférable, car on sait bien que la régularité, la répétition sont des facteurs, là aussi, de réussite, aussi bien pour l’exercice de la mémoire que pour les interactions qui sont souhaitables entre les enfants et entre les enfants et le maître.
La question des modalités et des horaires est donc très importante mais il y a aussi, évidemment, la question des contenus. Ces contenus s’inscrivent dans une notion de progression, mais aussi d’une programmation souple qui vise des apprentissages référés à des objectifs qui sont les objectifs fixés, notamment, par les programmes de l’école primaire. Donc les contacts réflexifs entre la langue d’origine et la langue de scolarisation contribuent à l’amélioration de la maîtrise de la langue, d’où l’importance de l’approche contrastive comme vous l’étudiez au cours de ces journées de rencontres, qui permet justement aux enfants de progresser dans les deux langues à la fois. J’ai, par exemple, encore en tête ces instituteurs du Haut-Maroni qui avaient élaboré une méthode qui permettait de comparer les syllabes utilisées dans la langue d’origine amérindienne, en l’occurrence, et la langue française, et c’était quelque chose qui faisait progresser les enfants dans les deux langues.
Les contacts réflexifs entre les langues, c’est-à-dire entre la langue d’origine et la langue de scolarisation, sont donc très importants, c’est ce qui permet de mettre en perspective la langue, c’est ce qui permet à l’enfant, aussi, d’avoir du recul par rapport à sa pratique linguistique. Il faut donc apporter une connaissance différenciée des deux langues mais, en même temps, une réflexion sur les interactions de la langue d’origine et de la langue française avec une mise en commun des réflexions et des pratiques et c’est un point important puisque c’est aussi un travail qui engage les maîtres et la formation des maîtres.
Un troisième point très important, c’est d’arriver à bien cibler le public de façon à bien mettre en place les stratégies d’assimilation chez les jeunes enfants, leur investissement dans l’école, dans l’activité scolaire. L’apprentissage de la langue d’origine peut commencer dès l’école maternelle et peut se poursuivre au cycle deux, et pour cela il faut bien avoir identifié les enfants concernés, d’où la capacité à créer des groupes spécifiques d’enfants au sein d’une classe ou au travers de différentes classes.
Un quatrième sujet non moins important c’est le sujet des supports. Il faut des supports d’enseignement adaptés, souvent ils existent au niveau local, je voudrais d’ailleurs saluer le travail des CRDP qui, en général , font un travail remarquable sur ce point-là, j’ai en tête, là aussi, des ouvrages réalisés par tel ou tel CRDP, dans tel ou tel territoire d’outre-mer pour ne pas parler que de la Guyane, j’ai en tête des choses vues dans les Antilles ou en Réunion ou à Mayotte où un manuel d’histoire extrêmement bien fait allait dans ce sens. Il faut recenser et valoriser les supports, que ce soit dans le domaine des lexiques, des supports didactiques, des documents pédagogiques, des albums de littérature, de contes traditionnels, des ouvrages de lecture, d’histoire, de géographie, donc autant de supports qui sont des outils pédagogiques à construire en collaboration avec les CRDP et le CNDP.
En cinquième lieu, il faut évidemment parler de la formation. J’ai commencé à le faire, mais je crois qu’il faut insister sur le fait que la formation des professeurs des écoles permet des interactions entre la langue d’origine et la langue française en sensibilisant les professeurs sur cette question. La formation des locuteurs natifs intervenants auprès des élèves, en linguistique et en pédagogie, et portant sur la connaissance des contenus disciplinaires et des programmes. Sur ce point, chaque territoire peut trouver ses propres formules. Pour le cas Guyanais, le cas des ILM (intervenant en langue maternelle) a toujours été considéré depuis leur création il y a quelques années, comme un très bon exemple, parce que permettant non seulement une forme de médiation culturelle entre la langue d’origine et la langue française, mais aussi des interactions de tous ordres entre les différents acteurs de l’école à une échelle locale. Pour cela, il faut aussi une formation continue sur les sites avec les professeurs et les intervenants chargés de l’enseignement des langues d’origine travaillant dans une même école. Il faut, le cas échéant, une formation des professeurs des écoles locuteurs, les locuteurs natifs qui peut débuter en formation initiale. On peut souhaiter notamment que les locuteurs natifs fassent partie des contingents de nouveaux professeurs et qui soient à l’avant garde de ces pratiques. Il est souhaitable à chaque fois, que les collectivités territoriales soient associées à ces formations.
Enfin, je pense que la dimension internationale doit être soulignée. Par exemple, dans le cas de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, il y a désormais une approche internationale de la formation des maîtres qui a été impulsée par les recteurs et qui n’en est qu’à ses débuts, mais qui est riche de promesses et qui permettra d’échanger avec les pays voisins sur leur propres pratiques en matière de langues locales, mais aussi sur les pratiques qui ont cours dans les départements français concernés, dans les régions françaises concernées, de façon à ce que ces échanges permettent des formations conjointes, mais aussi des inspirations conjointes. Donc la question de la formation des maîtres permet beaucoup de réalisations.
L’évaluation me paraît aussi un sixième point. Avec les évaluations nationales qui permettent d’observer les évolutions liées à la mise en œuvre de ce type de dispositif et, en complément, la mise en place éventuellement d’évaluations intermédiaires qui contribuera à mesurer les compétences dans l’apprentissage de la langue d’origine et à l’impact sur les autres domaines d’apprentissage.
Enfin, c’est le septième et dernier point, il faut un pilotage local. J’ai parlé de l’implication des collectivités territoriales, mais on se rend compte que, sur la plupart des territoires, de nombreux dispositifs parfois se côtoient. Et en prenant appui sur des principes communs, on doit, au niveau académique ou territorial, réussir à avoir des effets de cohérence, de façon à bien recenser les pratiques et avoir les meilleures performances au service des élèves. Tout ce cadre, ces piliers dont je viens de parler, sont finalement le résultat d’observations que l’on peut faire des pratiques qui ont été développées sur les territoires où vous exercez et qui ont été confortés par les conclusions de la recherche.
Dans ce cadre, c’est au recteur et au vice recteur qu’il appartient de poursuivre un débat déjà largement engagé et de prendre les décisions qu’impose l’analyse des conditions locales. Il n’y a donc pas une formule unique, il y a des principes communs. Ces principes communs sont très clairs, je les ai rappelés tout à l’heure, ils sont d’une certaine façon fondés dans la constitution elle-même, mais ils sont aussi fondés sur la réflexion scientifique, le recul que nous avons par rapport aux pratiques que nous avons depuis maintenant plusieurs années. Nous sommes clairement en progrès sur ce sujet, il faut toujours voir d’où on vient et où on va, si on regarde d’où nous venons, on voit bien que des nouveaux principes ont été consacrés, de nouvelles pratiques sont à l’œuvre, si nous regardons où nous allons, nous voyons qu’il y a encore des marges de progrès, notamment pour se former nous tous et pour que nous ayons certains réflexes pédagogiques qui soient au service du progrès de nos élèves et je suis très convaincu que sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons encore de belles perspectives à adresser et que nous allons progresser encore. Merci beaucoup et je vous souhaite de bien poursuivre les travaux avec des résultats que nous regarderons très attentivement.
Restitution des ateliers
Multilinguisme, éveil à la diversité et intercompréhension
- Modérateure : Véronique Fillol (Université de Nouvelle-Calédonie)
Nous sommes partis de la définition de « multilinguisme, éveil à la diversité et à la compréhension ». Sophie, dans sa présentation tout à l’heure, a fait mon travail de synthèse dans ce sens où nous sommes partis du constat que le multilinguisme de l’outre-mer était assez largement ignoré, le plurilinguisme des élèves est aussi insuffisamment valorisé, pour ne pas dire ignoré, par l’école de tradition monolingue. Personnellement, j’avais souligné le paradoxe qu’il y a de l’école en outre-mer et de l’école française aussi en général, à vouloir faire des élèves plurilingues en ignorant, en fait, leur plurilinguisme de départ. Une idée forte de l’atelier, qui a été énoncée en début et en fin, était de dire qu’au delà de la diversité des contextes sociolinguistiques très diverses, ou des micro contextes : milieu urbain, milieu « tribal » avec beaucoup de guillemets, il y avait la nécessité vraiment très importante de prendre en compte les pratiques langagières des élèves, les pratiques plurilingues des élèves. Ensuite, la question de l’éveil aux langues et de l’intercompréhension, elle rentre dans une réflexion plus large de ce qu’on appelle en didactique, les approches plurielles et, une idée qui est ressortie était de dire que les approches plurielles ne sont pas du tout en concurrence avec l’enseignement des langues dites (je mets des guillemets partout) maternelles, locales, d’origine puisque effectivement il y a un problème de dénomination des langues en question. L’intérêt de ces approches plurielles, c’est justement, peut-être, de valoriser la diversité linguistique et de permettre petit à petit, à l’intérieur de l’école, de modifier les représentations linguistiques qui sont souvent assez négatives sur ces langues. Comme autre idée forte de l’atelier, ça a été la question des outils. Là on rejoint la synthèse d’Ernest. La question des outils qui est une question essentielle. Il a été dit que ce n’est pas aux enseignants de créer les outils. Donc il faudrait que l’institution prenne le relai avec des groupes mixtes enseignants, enseignants chercheurs expérimentés, conseillers pédagogiques, etc. qui seraient payés, si j’ose dire, à plein temps, pour travailler sur la création d’outils de façon à ce qu’il y ait création de mallettes, de valises à destination des enseignants, qu’ils pourraient utiliser en fonction, toujours, des micro contextes dans lesquels ils sont amenés à travailler. Autre idée forte, la question de la formation des enseignants, bien évidemment. Comment former à ces approches plurielles ou, plus généralement, à la didactique du plurilinguisme ? Toutes ces approches sont une manière de valoriser toutes les langues. L’atelier était très intéressant, très convivial, on a conclu sur une note utopique et humoristique en disant qu’il faudrait vraiment réformer l’école et que les approches plurielles pouvaient être un outil pour réformer l’école.
L’enseignement des langues d’origine, en lien avec le français, dans une perspective plurilingue
- Modérateure : Sylvie Wharton (Université de Provence Aix-Marseille I)
Aux termes d’un atelier fourni et bien vivant, voire animé, nous sommes parvenus à un certain nombre de conclusions que j’ai organisées en trois rubriques qui, bien entendu, compte tenu du titre de l’atelier qui était, je le rappelle : « l’enseignement des langues d’origine en lien avec le français dans une perspective plurilingue » concerne en grande partie aussi, l’Éducation nationale. Ces trois axes concernent un plan didactique tout d’abord, un plan pédagogique ensuite, et enfin, un plan sociolinguistique.
Sur le plan didactique :
Transition, passerelle, passage, décloisonnement, parallèle sont des termes qui ont été utilisés dans l’atelier pour évoquer la question du lien qui nous était suggérée dans le titre, du lien entre les différents enseignements linguistiques. Et diverses traductions didactiques ont été évoquées comme le recours à des ILM, des intervenants langue maternelle, mais aussi des approches comparées, voire des approches plurielles.
Sur le plan pédagogique :
L'implication pédagogique de ces principes didactiques, c’est l’appel à ce que des manuels bilingues, plurilingues soient élaborés, y compris dans des DNL, c’est-à-dire des disciplines non linguistiques. On a évoqué le cas des mathématiques, par exemple, mais aussi d’autres disciplines. L’autre grand champ de réflexion qui a occupé l’atelier dans ce volet pédagogique, c’est la question de l’évaluation. C’est-à-dire qu’il a été demandé que la question de l’évaluation, des évaluations nationales notamment, puisse prendre en compte les biographies langagières des élèves qui sont parfois évalués dans des champs disciplinaires comme les mathématiques, dans une langue qui ne leur ai pas tout à fait familière, ce qui biaise, bien entendu, les évaluations.
Et troisième et dernier plan, donc le plan sociolinguistique :
Il concerne plus particulièrement le champ des politiques linguistiques. Politiques linguistiques dont il a été question en termes de sensibilisation, d’information, de formation, formation des enseignants, mais également des cadres éducatifs c’est-à-dire notamment des corps inspecteurs etc. de manière à ce que des dispositifs qui existent déjà légalement, peut-être, puissent être à la fois connus mais aussi valorisés par l’institution elle-même, par des directions, on a évoqué par exemple la demande d’une circulaire qui pourrait être diffusée dans les différentes circonscriptions, circulaire qui rappellerait ou qui sensibiliserait les circonscriptions et les cadres éducatifs dans les circonscriptions, au plurilinguisme et aux dispositifs qui existent déjà pour promouvoir et prendre en compte ces langues d’origine et les enseigner.
Enfin, une demande a été faite également concernant la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.
La prise en compte des langues d’origine dans l’acquisition de compétences linguistiques, hors du système scolaire
- Modérateure : Florence Foury (PREFOB de Guyane)
Merci. Pour notre atelier, je vais vous faire trois constats et cinq préconisations. Premièrement, nous avons rencontré quelques problèmes avec notre intitulé de départ qui était : « la prise en compte des langues d’origine dans l’acquisition des compétences linguistiques hors du système scolaire » et que l'on a proposé de reformuler comme suit : « place et prise en compte des langues parlées par les personnes adultes, jeunes ou enfants dans le cadre des formations ou activités liées à l’apprentissage du français et/ou de l’écrit, hors du système scolaire ». Je vais vous expliquer pourquoi. Parce que l’acquisition de la compétence linguistique, on pense qu’en fait, les personnes à qui on s’adresse, soit en formation, soit en animation, en fait elles en ont des compétences linguistiques, donc on pensait que c’était plutôt les compétences linguistiques nouvelles, donc l’apprentissage du français. Un premier constat, souvent, quand on aborde cette question, on l’aborde d’une manière un peu utilitariste en se demandant : comment utiliser les langues parlées par les participants réunis au sein d’une formation ou d’une animation, pour faciliter l’apprentissage du français ? Et on voulait un peu sortir de cette idée-là parce qu’on pense qu’il est nécessaire de dépasser cette approche qui instaure, de fait, une hiérarchie entre les langues en en instrumentalisant certaines au service de l’apprentissage d’une autre et qu’il fallait plutôt réfléchir sur des solutions qui donnaient un réel droit de cité à la diversité linguistique et culturelle et aux langues maternelles dans toutes ces activités. Ensuite, on a évidemment constaté que les contextes linguistiques, l’histoire, le rapport entre les différentes langues diffèrent beaucoup selon nos lieux de vie. Mais il y avait vraiment deux préoccupations qui étaient partagées. Premièrement, la sauvegarde des langues en danger, tant en Guyane, un interlocuteur l’a dit tout à l’heure, dont plusieurs langues sont signalées sur l’atlas des langues en danger de l’UNESCO, qu’à Mayotte où, actuellement, les deux langues, le shibushi et le shimaoré, sont soumises à une pression très forte du français. Et une deuxième préoccupation qui est la diffusion des langues à l’écrit, qui est une demande portée par les locuteurs eux-mêmes, afin de pouvoir développer, donner une lisibilité à leur langue, à leur culture, etc.
Troisième constat. On a constaté que l’on avait, en fait, deux contextes de travail pour les formateurs ou les animateurs, un contexte dans lequel les participants partagent une même langue et pour un objectif qui est : soit de passer à l’écrit dans cette langue, soit d’apprendre le français, mais on a aussi un contexte dans lequel le groupe de formation est multilingue et/ou les participants de ce groupe multilingue sont eux-mêmes plurilingues. Et du coup les compétences qui sont mobilisées par les formateurs et les animateurs dans ces deux situations, diffèrent tant dans la gestion du groupe, dans les connaissances des langues qu’ils doivent mobiliser et dans les techniques pédagogiques qu’ils utilisent.
Première préconisation, ça serait de se lancer, sans attendre plus, dans des activités d’apprentissage des langues d’origine, tant à l’oral qu’à l’écrit. Parce qu’il y a déjà des expériences qui sont faites et des projets qui sont en cours, et il est vraiment nécessaire que cette proposition existe, soit offerte pour les locuteurs, mais il a été vraiment signalé que c’était dans une optique d’ouverture, donc plus largement que les personnes intéressées puissent déjà mener un apprentissage linguistique, mais aussi culturel. On avait l’exemple du projet de l’école wayana qui était porté par des personnes qui ont participé à l’atelier. Deuxième préconisation. Il semblait vraiment important de faire un vrai travail d’information auprès d’un large public sur la diversité linguistique et culturelle du monde, pour arriver à une reconnaissance de cette diversité linguistique ; de pouvoir discuter des statuts des langues afin de rétablir aussi les locuteurs dans leurs compétences et d’amorcer l’apprentissage d’une langue sans exclure les autres langues, en particulier quand il s’agit du français. Et donc, cela sous-entend de promouvoir, particulièrement dans les situations formelles de formation, un travail pédagogique du type Jane Yolen que nous a présenté Sophie tout à l’heure. Ce travail d’information, de sensibilisation doit aussi contribuer à la sauvegarde des langues en danger, en attirant l’attention des locuteurs sur la richesse de leur langue pour qu’ils puissent eux-mêmes se mobiliser pour la préserver. Troisième préconisation. Travailler à une production de matériel, du livre, des écrits divers, de la vidéo, de l’audio, de l’internet qui, au-delà d’un travail qui existe déjà, d’enregistrement en vue de conservation, soit vraiment une production créative. Parce qu’il est nécessaire que les langues deviennent attractives pour les jeunes et que les jeunes aient envie de les utiliser, de les apprendre etc. et aussi d’autres personnes, pas seulement les jeunes, peut-être les anciens aussi. Quatrième préconisation. Sensibiliser les décideurs afin qu’il y ait des espaces qui soient ouverts pour ces travaux, notamment il a été souligné d’essayer de vraiment travailler avec les collectivités locales et là, a été évoqué l’initiative du conseil général de Mayotte qui a créé une direction des langues régionales pour travailler d’ores et déjà sur le shimaoré et le shibushi. Mais aussi, voir ce que l’on peut faire avec les services de l’État, on voit que nos directions aux affaires culturelles dans nos divers départements sont assez ouvertes, mais en ce qui concerne notamment tout le pan de formation en français, lutte contre l’illettrisme, il serait vraiment nécessaire d’ouvrir un débat avec les ministères qui gèrent ces dispositifs. Délégation générale à la formation professionnelle et ministère de l’intégration pour les nommer. Parce qu’actuellement, les programmes se referment de plus en plus sur des objectifs d’apprentissage fonctionnel du français dans une optique assez monolingue pour être soft. J’ai oublié la recommandation d’un des participants qui était de dire qu’il fallait, pour mettre tout cela en place, favoriser la formation d’animateurs et de formateurs.
Compléments d'informations
Bibliographie
- ADELIN, E. et EYQUEM, M. Adaptation de la dictature du français aux situations de créolophonie. Guide du maître – La Réunion, cycle 2 (CP-CE1), OIF, Direction de l’éducation et de la formation, programme d’apprentissage du français en contexte multilingue, 2010, 150 p.
- CANDELIER, M. et DE PIETRO, J.-F. « Les approches plurielles : cadre conceptuel et méthodologique d’élaboration du cadre de référence pour les approches plurielles », Blanchet P., et Chardenet P., 2011, Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisées. Les Archives Contemporaines, 252-264.
- CANDELIER, M. Proposition pour un ou des module(s) pour Master Professeur des Ecoles. L’école et les langues – Développer le plurilinguisme, 2008, disponible sur : http://acedle.org/spip.php?article1028CANDELIERMichel,
- CANDELIER, M. « Approches plurielles, didactiques du plurilinguisme : le même et l’autre », Les cahiers de l’Acdele, 2008, volume 5, numéro 1, p. 65-90.
- CANDELIER, M. et alii, Cadre de référence pour les approches plurielles, CELV, 2007 http://carap.ecml.at/Portals/11/documents/C4pub2007F_20080228_FINAL.pdf
- CANDELIER, M. « Toutes les langues à l’école ! L’éveil aux langues, une approche pour la Guyane ? », in Léglise I. et Migge B., Pratiques et représentations linguistiques en Guyane, Regards croisés, IRD éditions, 2007, pp. 369-386
- CANDELIER, M. « Evlang, l’éveil aux langues, une proposition originale pour la gestion du plurilinguisme en milieu scolaire », In, Contribution au Rapport mondial de l’UNESCO, construire des Sociétés du savoir, 2003. Http//pluriliangues.univ-lemans.fr/
- CANDELIER, M. L’éveil aux langues à l’école primaire. Evlang : bilan d’une innovation européenne, Bruxelles, De Boeck – Duculot, 2003.
- CHAUDENSON, R. « Compte rendu », in FATTIER, D. (coord.), Études créoles, Vers une didactique du français en milieu créolophone, Actes du colloque du Cap-Vert, Vol. XXVIII, Paris : L’Harmattan, p. 227-242.
Les technologies de la langue, la présence des langues sur la toile et sur les réseaux sociaux
Présentation générale
Internet et les technologies du numérique offrent de nouvelles opportunités pour la vitalité des langues, leur valorisation, leur transmission et leur enseignement. Les technologies de la langue, si elles sont développées pour les langues régionales, sont de nature à répondre aux besoins d’aide à la traduction et à l’interprétation pour les usagers des services publics. Dans cette perspective, il était nécessaire de faire un point sur la nature et l’avancée des technologies de la langue, de mener une réflexion sur la façon dont elles pourraient être utilisées pour faciliter le multilinguisme et d’évaluer la nature et la taille de l’effort à effectuer pour doter les langues d’outre-mer de telles technologies. Le développement de la diversité culturelle et linguistique sur internet nécessite également une meilleure connaissance de la présence des langues sur internet, ainsi qu’un accompagnement pour la constitution de réseaux sociaux et de communautés de locuteurs.
Table-ronde
Propos introductif : Adrienne Alix (Wikimédia France)
Je vais vous parler ici avec un regard très naïf et qui découvre, je ne suis ni spécialiste des langues, ni des outre-mer, par contre, un peu plus du numérique et je vais essayer d’introduire cette deuxième table ronde en montrant un peu les opportunités et l’intérêt du numérique et d’internet pour la valorisation, la préservation, la diffusion des langues d’outre-mer tout en vous faisant part de mon étonnement, ce matin, de ne pas avoir vu ou entendu parler à aucun moment d’internet ou de quoi que ce soit qui puisse faire penser au numérique. Cela me démangeait d’en parler et je me suis dit que j’allais attendre cet après-midi pour pouvoir en parler tous ensemble.
Pour schématiser très rapidement, ce qui est pour moi le fondement d’internet, c’est tout d’abord un réseau décentralisé, quelque chose qui, dans sa conception, est totalement indépendant techniquement de toute structure étatique ou autre, cela n’a pas été construit pour ça, c’est quelque chose qui a été fait pour le partage, pour la circulation de l’information, c’est un réseau qui permet l’initiative individuelle et l’initiative collective sans demander à qui que ce soit avant de le faire. C’est donc, à mon sens, un des outils les plus pratiques, un outil idéal pour la diffusion, la préservation et le travail sur les langues.
J’ai entendu, ce matin, beaucoup de réflexions sur les problèmes avec l’institution Éducation nationale par exemple, ou ce qu’on en attend, ce qu’on lui reproche. S’il y a un espace de liberté beaucoup plus grand où l’on a pas à demander ou avoir besoin d’une loi, c’est bien internet. Si vous voulez voir comment on peut faire démarrer une langue rare, une langue peu parlée, peu dotée, comme le dit monsieur Diki Kidiri, je vous invite à lire le rapport qu’il a fait il y a déjà cinq ans, sur comment assurer la présence d’une langue sur le cyberespace et qui, pour moi, était quelque chose d’assez fondamental pour comprendre comment une langue qu’il appelle « peu dotée », avec peu de ressources écrites et peu de ressources numériques, peut avoir sa place sur internet.
Je vais vous parler de quelque chose que je connais plus particulièrement et qui me semble être un excellent vecteur des langues, c’est Wikipédia. Je vais d’abord faire un petit point sur les problématiques que j’ai pu relever sur les langues. Quelle est la place que peuvent prendre les langues d’outre-mer, les langues de France sur Internet ? Il y a un certain nombre de problématiques pas forcément insurmontables mais qui se posent actuellement.
- La première, c’est la mesure de la place des langues. Mesurer combien il y a de pages web en français, en allemand, en anglais, en créole, dans n’importe quelle langue est quelque chose de difficile. Les moteurs de recherche n’indexent pas toutes les pages. C’est à dire que, sans savoir ce qui existe, c’est difficile de pouvoir promouvoir une langue, donc c’est un des problèmes pour trouver la place des langues sur le numérique. Google, le moteur de recherche le plus pratiqué au monde, ne propose son interface qu’en cent cinquante langues, ce qui n’est pas énorme, et fait un travail sérieux de résultats de moteur de recherche qu’en environ trente cinq langues, donc on est très loin de pouvoir faire émerger la diversité.
- Deuxième problématique importante, celle de la fixation écrite de la langue, qui n’est pas spécifique au numérique mais qui se pose forcément sur internet puisque internet est principalement un internet écrit.
- Troisième point, vouloir faire exister une langue sur internet nécessite une traduction des interfaces des logiciels qui permettent de produire du contenu pour qu’il y ait une réelle appropriation par les locuteurs.
- Et puis, dernier problème, beaucoup plus pratique, celui de la connexion à internet qui n’est pas forcément très évidente suivant là où l’on se trouve.
Donc, les bases d’un multilinguisme sur internet assumé, où on puisse s’exprimer sans aucun problème, ne sont pas forcément simples, mais on a quand même la possibilité, pour chaque langue, de trouver sa place, si elle est portée par une communauté de locuteurs active, motivée et qui intègre les enjeux du numérique pour la diffusion d’une langue en dehors d’une communauté.
J’en arrive maintenant au sujet que je connais le mieux et qui me semble être un bon exemple de multilinguisme, qui est l’encyclopédie Wikipédia que vous connaissez probablement en français, en anglais, peut-être moins dans d’autres langues, et qui a la particularité d’être collaborative, ouverte à tous, il n’y a pas de barrière à l’écriture pour tous ceux qui veulent contribuer, qui est diffusée sous une licence libre qui permet donc une réelle diffusion, redistribution, réappropriation, remixage, sous n’importe quel support et qui est, dans son essence même, multilingue, c’est-à-dire qu’on n’est pas dans un concept de traduction d’une langue à l’autre, mais de développement totalement autonome de chaque langue, à partir du moment où elle a une communauté de locuteurs qui a pris en charge la création d’une version linguistique de l’encyclopédie. Pour vous donner une idée, en dix ans, on est passé du Wikipédia en anglais né en 2001 à 283 éditions linguistiques totalement autonomes, dont une quarantaine ont plus de cent mille articles, et qui comportent des langues extrêmement parlées mais aussi des langues extrêmement peu parlées suivant la communauté qui va la porter. En français on est à un million deux cent mille articles.
Autour de Wikipédia gravitent d’autres sites qui sont d’autres moyens de couvrir les champs du savoir, les champs de la culture et de la contribution. Parmi ceux-ci, j’en distingue trois, une médiathèque qui s’appelle Wikimédia commons qui héberge tous les fichiers multimédias, vidéos, photos, qui n’est pas multilingue mais unilingue avec des interfaces, par contre, dans différentes langues, et qui compte plus de onze millions de fichiers, Wikisource qui existe dans une cinquantaine de langues et qui est une bibliothèque de textes sous licences libres ou dans le domaine public et puis, le Wiktionnaire dont je vous parlerai plus longuement tout à l’heure qui est un dictionnaire multilingue qui existe dans plusieurs dizaines de langues et qui, en français, compte plus de deux millions d’entrées. Quelle est la place des langues d’outre-mer sur Wikipédia ? C’est une présence extrêmement faible. On a que deux langues qui ont une version linguistique autonome de Wikipédia réellement active, le tahitien et le créole haïtien, avec assez peu d’articles quant on compare avec d’autres langues. Trois versions linguistiques sont en cours de création, à un tout premier stade, le créole guadeloupéen qui ne compte que quatre articles encyclopédiques, ce qui, rapporté au nombre de locuteurs potentiels, est très faible, le hmong et le wallisien. Alors est-ce que la solution serait d’adopter une démarche de traduction systématique qui n’est pas la démarche originelle de Wikipédia, et de faire travailler les gens systématiquement en français et dans leur langue, pour créer des contenus dans les langues d’outre-mer sur tous types de sujets encyclopédiques et aussi créer des contenus en français sur les thématiques de l’outre-mer ? Pour vous donner une image de ce qui peut se faire dans l’autre sens, sur Wikipédia en français, en revanche, l’outre-mer est très présent. On a à peu près 6000 articles qui concernent très précisément les outre-mer, cela va de 60 articles pour Wallis et Futuna à 2400 pour la Réunion, c’est donc très disparate mais très comparable au traitement des autres régions françaises, rapportée au nombre d’habitants la couverture des sujets sur l’outre-mer est plutôt bien faite alors qu’à l’inverse, la couverture de n’importe quel sujet n’est absolument pas faite dans les langues locales. Peut-être que le préalable à l’écriture encyclopédique et le partage du savoir encyclopédique dans les langues locales doit se faire d’abord par la mise à disposition de plus de vocabulaire écrit, d’un dictionnaire plus accessible à tous. Un des projets Wikimédia, le Wiktionnaire, est intéressant dans son approche multilingue. Il va exister dans plusieurs dizaines de langues et, en français, va donner des définitions de mots de différentes langues. Pour vous donner un exemple, le Wiktionnaire francophone compte un peu plus de deux millions de définitions et propose des définitions de ces mots dans 987 langues différentes. 14 langues d’outre-mer sont représentées, plus que dans Wikipédia et dans ces principales langues on retrouve le tahitien, le créole haïtien et celui de Guadeloupe. À noter que certaines langues comme le malgache ont un Wiktionnaire extrêmement fourni, bien plus que d’autres langues bien plus dotées. Donc ce Wiktionnaire est une aide au travail d’écriture des langues, de traduction, de transcription d’une langue à une autre et je me pose la question de savoir si ça ne serait pas un préalable à la création de contenu encyclopédique, c’est-à-dire d’abord décrire les mots et, une fois ces mots décrits, une fois les concepts posés, pouvoir ensuite entamer ce travail encyclopédique qui pour l’instant n’existe pas vraiment.
Pour terminer, quelques questions avant les ateliers, sur la place des langues sur le numérique, quelle est la place écrite de ces langues ? Je pense que c’est l’un des points fondamentaux, comment écrire, comment avoir une graphie commune ? Est-on obligé d’avoir cette stabilisation écrite pour aller sur internet ou y a-t-il un moyen de faire autrement ? Comment donner de la visibilité à une langue ? Et est-ce que, pour vous, la valorisation de la langue par le numérique est quelque chose de naturel qu’il convient de développer ou pas ? Qui est à même de prendre en charge ces actions, est-ce à l’État ou aux individus ? Les pratiques sur internet sont des pratiques individuelles ou par communauté plutôt que des pratiques étatiques, êtes-vous prêts ou motivés pour prendre en charge des actions de valorisation sur le numérique ? Enfin, est ce que cette démarche de co-construction par la traduction systématique français et langue locale pour faire progresser les contenus dans les deux langues et faire progresser la connaissance et la langue dans les deux langues est ce une bonne solution ? En tous cas, sachez que l’association Wikimédia France pour laquelle je travaille et qui s’occupe de valoriser et diffuser Wikipédia sur le territoire français et non pas forcément que en langue française, est tout à fait disposée à vous aider si vous avez une envie de valoriser vos langues sur Wikipédia et on aura tout à l’heure, dans un atelier, l’occasion d’entrer plus en détail dans cela. Voilà, pour ma part, la réflexion que je me faisais sur le numérique.
- Merci Adrienne. Rozenn Milin de l’Association Sorosoro, je vous donne la parole.
Expert 1 : Rozenn Milin (SOROSORO)
Je vais essayer d’être brève pour vous parler de Sorosoro. C’est un programme qui travaille à la sauvegarde des langues en danger sur des supports audiovisuels et numériques, pas seulement sur l’outre-mer, c’est un programme généraliste qui s’occupe de toutes les langues du monde, mais qui a aussi travaillé sur l’outre-mer, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie en particulier, grâce à la DGLFLF du ministère de la Culture et de la Communication qui nous accueille ici et encore merci de cette invitation.
Le sujet est donc ici, la présence des langues sur la toile et les réseaux sociaux. J’ai pensé qu’il fallait remettre tout cela en contexte même si cela a été fort bien fait par Adrienne et que Marcel le fera également, je vais juste reprendre les critères qui sont donnés par les experts de l’UNESCO pour évaluer les critères de vitalité des langues. Il y a bien sûr le nombre de locuteurs, il y a aussi la transmission de génération en génération, on a beaucoup évoqué la Bretagne je suis bretonne, je parle breton et j’en sais quelque chose de ce problème de transmission quand la majorité des locuteurs a plus de soixante ans et qu’elle ne transmet plus sa langue, c’est que la langue est très mal en point, la présence de l’éducation est, bien sûr, un sujet majeur, mais il y a aussi la présence dans la vie publique qui est un des critères retenus par l’UNESCO pour déterminer la vitalité des langues. Qui dit vie publique, dit beaucoup présence dans les médias, alors si on reprend chronologiquement, il y avait la presse écrite, il y a eu la radio, la télé et aujourd’hui internet qui bouleverse un peu tout. Si je reprends quelques chiffres de 2008 d’une étude de TNS Sofres qui dit que la consommation moyenne par français de télévision par jour était, en 2008, de trois heures et sept minutes. Dans le même temps, la consommation internet de loisirs était de deux heures dix sept minutes par jour. Aujourd’hui on est passé à trois heures trente pour la télévision et je n’ai pas le chiffre pour internet, mais on est très certainement proche du même temps en consommation internet qu’on l’est en consommation télévisuelle. C’est dire si le monde des médias est en train d’être bouleversé et il est clair que, pour des langues minoritaires, pour qu’elles aient une chance de survivre à l’avenir dans ce monde qui est très technologique et globalisé, il faudra être présent sur internet. Je peux vous donner un autre chiffre qui n’est pas récent mais je ne pense pas qu’il ait changé beaucoup, quatre vingt dix pourcent des pages disponibles sur internet sont en seulement douze langues. Il est difficile d’avoir des données récentes car tout passe par des moteurs de recherche et Google est un peu avare d’informations, mais s’intéresse de près aux langues en danger puisqu’ils ont l’intention de lancer une plateforme autour de ces langues en début d’année prochaine. C’est donc un sujet qui devient assez chaud.
Alors comment renforcer la présence de langues minoritaires sur le net, et comment fait-on ? Déjà beaucoup de langues qui sont parlées minoritairement, de petites langues en nombre de locuteurs, sont parlées dans des endroits où il n’y a pas d’ordinateurs, pas d’accès internet et parfois même pas d’électricité. Ce n’est pas forcément le cas pour les langues d’outre-mer, mais d’autres questions se posent de façon cruciale, comment fait-on pour poster des contenus sur internet quand la langue n’est pas codifiée ? Si elle est codifiée, combien de personnes savent l’écrire ? Et quand on sait l’écrire, qui va contribuer, parce qu’il faut du temps pour contribuer sur internet ? Ces populations ont généralement un nombre de locuteurs relativement bas, les langues ne sont pas forcément codifiées, pas forcément écrites et il faut encore que les locuteurs se saisissent de leur langue et produisent des contenus pour internet. Cela fait beaucoup de « il faudrait que » et, très souvent, ces communautés ont d’autres priorités que de poster des contenus sur internet. Ce sont des questions qui se posent, on a pas forcément les réponses mais en tous cas, ce qu’on fait nous à Sorosoro, c’est qu’on exploite une autre voie qui est celle de l’audiovisuel, qui suit un schéma de tradition orale puisque notre objet est d’envoyer sur le terrain, un peu partout dans le monde, des équipes filmer ce qu’on espère être la substantifique moelle de ces langues et des cultures qu’elles véhiculent bien entendu. Donc nous partons sur le terrain, avec des linguistes et des anthropologues parfois, et nous ramenons des dizaines d’heures de rushes qui sont tout ce que l’on peut collecter de tradition orale : des contes, des récits, des rites, de la pharmacopée, des connaissances diverses et variées, des savoir-faire, la vie quotidienne etc… Puis tout cela est dérushé, archivé, indexé, déposé à l’INA et toute une partie de cela est montée et mis en ligne sur internet sur notre site internet qui s’appelle http://www.sorosoro.org/ que certains d’entre vous connaissent ici probablement.
Alors nous avons déjà, notamment grâce à la DGLFLF, commencé à travailler sur les outre-mer et espérons pouvoir poursuivre, nous avons filmé en Nouvelle-Calédonie, merci Claire Moyse qui était la linguiste qui accompagnait notre équipe de tournage, merci aussi à l’Académie des Langues Kanak qui a effectué les traductions en xârâcùù puisque nous avons filmé trois langues kanak, le xârâcùù, le xârâgurè et le xâmea, vous pouvez d’ailleurs voir dans le hall d’entrée des vidéos qui passent sur Sorosoro, sur la construction des cases, mais aussi sur les bébé lecture dont parlait Marie Adèle Jorédié, et on la voit avec ses enfants. Le travail que nous faisons sert à la recherche mais peut également servir à l’enseignement ou l’accompagnement à l’enseignement des langues, puisqu’on filme à chaque fois des tas de petits mots de la vie quotidienne, on fait donner les chiffres de un à dix, les couleurs, les jours de la semaine, les parties du corps, toutes ces choses qui peuvent être utilisées dans un cadre d’enseignement, de transmission de la langue et puis toute cette tradition orale que l’on filme et qu’on met en ligne progressivement peut également servir pour transmettre tous ces savoirs et cette tradition orale à tous ceux qui sont désireux de les apprendre. Internet sert également à cela. Nous avons également filmé cet été, avec Maurice Tiouka, dans sa propre communauté Kali'na en Guyane, qui sera en ligne après un long processus de traduction. Voilà, nous espérons pouvoir continuer ce travail, je vous invite à aller voir sur le site pour mieux comprendre ce que nous faisons, qui n’est pas une solution universelle mais qui contribue à cette présence des langues de l’outre-mer et, au-delà, de toutes les langues en danger dans le monde sur internet.
- Merci. Marcel Diki Kidiri vous faites partie du Réseau Maaya qui essaye de mesurer la présence des langues sur internet.
Expert 2 : Marcel Diki Kidiri (Groupe MAAYA)
En 2005 à l’occasion du sommet mondial pour la société de l’information qui s’est tenu à Tunis a été créé à l’initiative de l’Académie Africaine des Langues, le réseau Maaya qui est un réseau mondial pour la diversité linguistique. Maaya est un mot mandingue qui se traduit en français par humanitude et en langue bantoue par un mot qui renvoie à la divinité de l'homme. Depuis sa création, ce réseau a organisé un forum international à Bamako en 2007 sur la diversité linguistique dans le monde et quatre symposium internationaux, deux en [[[w:Russie|Russie]], un à Barcelone et un à Brasilia sur la diversité linguistique dans le cyberespace. La question de la diversité linguistique dans le cyberespace est très présente dans les activités de Maaya qui est entrain de mettre en chantier un très ambitieux programme de création ou de production d’un nouveau moteur de recherche pour une meilleure mesure de la diversité linguistique dans le cyberespace.
Dans la mesure où Google n’est plus du tout capable de le faire et les moteurs de recherche actuels ne donnent pas l’image de la réalité de l’internet. Ceci est confirmé par nos collègues de Maaya mais également l’université de Nagaoka au Japon qui observe aussi la diversité des langues dans le cyberespace. Je remercie la DGLFLF de m’avoir invité ici au nom de réseau Maaya pour vous parler un peu de ce que nous faisons.
Je veux vous parler de mon intérêt pour les langues dans le cyberespace. Cela m’est venu du fait, qu’au départ, j’étais uniquement linguiste africaniste décrivant la langue Sango de la République Centrafricaine qui est aujourd’hui une des deux langues officielles du pays, le Sango et le Français et, avant de devenir langue officielle, le Sango était considérée comme une non-langue et le chemin a été très long pour qu’elle devienne, aujourd’hui, langue officielle. En 1991 j’ai créé un premier site sur le Sango en me disant, personne ne le lira, je le fais pour moi. Trois mois après je reçois des mails du Canada, du Japon, de France, de gens qui étaient émus de voir le Sango sur internet. J’étais très surpris de voir que des gens pouvaient s’intéresser à cette langue. Cela m’a beaucoup encouragé à dire comment on peut faire pour mettre sur internet une langue inconnue pour qu’elle devienne connue. Bien sûr l’internet de 1991 n’est pas celui d’aujourd’hui où tout site digne de ce nom est interactif et social. En 1991 n’importe qui pouvait créer une page internet et mettre sa langue dessus. C’est comme si on mettait un poster sur des murs. Cela fait de ma langue une langue morte sur internet. Pour qu’elle devienne langue vivante, il faut qu’il y ait derrière une communauté. Des gens qui s’écrivent, se répondent, qui réagissent. Donc il faut la formation d’une ressource humaine, d’une communauté qui communique et travaille dans cette langue. Avant même de mettre cette langue sur internet il faut qu’elle soit écrite. Si elle n’est pas écrite, il faut passer par des techniques de reconnaissance vocale qui ne sont pas à la portée de tout le monde, c’est réalisable mais il faut des spécialistes pour le faire. Une fois que la langue est écrite, vous savez tout le débat que l’on a à se mettre d’accord sur une orthographe, il faut pouvoir collecter des textes, créer des forums de discussions.
J’ai été amené à écrire cet ouvrage qui est diffusé en portugais, en russe, en français, en anglais et en espagnol « Comment assurer la présence d'une langue dans le cyberespace ? ». Moi je suis parti d’une langue très petite, parlée par deux ou trois personnes, dans la mesure où ces deux ou trois personnes sont décidées à la faire connaître, il faut développer les ressources linguistiques — décrire la langue, écrire la grammaire, écrire les dictionnaires — et aussi traduire le vocabulaire technique pour qu’elle puisse être vivante sur internet, comment on dit naviguer, cliquer,… ce sont des métaphores qu’on doit culturellement intégrer.
Il faut également développer les ressources culturelles. Les gens qui parlent cette langue ont une culture. Comment faire pour transmettre cette culture pour faire partager cela ? Hier j’étais très heureux de voir l’excellence du spectacle fourni par ces enfants. Je me suis dit, y a t-il un moyen de le mettre sur internet pour que ce soit partagé jusqu’au fin fond de l’univers ? Ce que les enfants ont dit est universel. Comment constituer les ressources culturelles locales sous un format partageable sur internet ? Il y a donc la langue, les ressources linguistiques, les ressources culturelles et ensuite les ressources humaines, former les gens pour qu’ils puissent travailler avec internet et enfin, développer les technologies pour l’accès.
- Merci Marcel Diki Kidiri . Le représentant de l’institution auquel nous avons demandé d’apporter son point de vue à cette table ronde est chargé de la publication au Centre National de Documentation Pédagogique et s’intéresse particulièrement au support virtuel.
Représentant de l'institution : Bruno Dairou (Centre national de documentation pédagogique)
Le représentant de l’institution est là, très modestement, pour vous dire que justement, tout ce qu’on a développé autour de l’enseignement des langues est finalement très proprement enrichi par les langues régionales. Et, évidemment, pour différentes raisons, sans doute le poids de l’enseignement de la langue française dans le socle commun, des motifs politiques, des motifs linguistiques bien sûr avec une insuffisante description des langues, donc on vient plutôt dans l’idée de voir comment on peut travailler ensemble, beaucoup plus qu’on ne l’a fait jusque là.
Pour autant, ce n’est pas négliger la place des langues sur internet et dans les nouvelles technologies. En tous cas, le CNDP s’est saisi à bras le corps de tout cela et pour plusieurs raisons. D’abord, bien évidemment, parce que la demande était forte. Il y avait à la fois une nouvelle façon d’enseigner les langues vivantes et il y avait, de manière complémentaire, le problème du français langue étrangère, langue seconde, langue de scolarisation. Cet ensemble a fait qu’il a fallu développer des outils. Ces outils qui nous posent des tas de problèmes et je pense qu’il faut se parler franchement, de validation des contenus, il est certain que c’est de la qualité pédagogique qu’il nous faut sur ces outils, donc des circuits de validation. Le CNDP fournit les ressources pour les enseignants donc il faut que ces contenus soient validés, fiables et qu’on arrive à les reproduire et les utiliser.
On a développé des outils, je pense - en vous laissant de côté tout ce qui sera les tableaux blancs interactifs - au fait de remplir les espaces numériques de travail qui a occupé beaucoup de forces vives au CNDP, en matière de langues vivantes, et cela a décentré la position de l’enseignant dans la classe. Donc ce n’était plus un dispositif frontal, c’était une utilisation active de ces méthodes grâce aux nouvelles technologies. Ce qui a permis de nouveaux rebonds, d’utiliser et de créer de nouveaux outils, tablettes numériques que nous fournissons très pauvrement en contenus, nous n’en sommes qu’au début et, ce matin dans les ateliers, cela a été évoqué très richement et il faudrait que l’on puisse évoquer des partenariats, mais il y a aussi ce que l’on appelle et que nous tirons de chez nos amis canadiens, la baladodiffusion, donc le fait qu’on utilise désormais ce qui est de l’univers des élèves, donc la possibilité de descendre de l’information sur leurs baladeurs, que ce soit en audio ou vidéo, que ce soient eux-même qui génèrent le flux. Donc le CNDP fournit des ressources dans ces domaines. Mais ce qui est intéressant et qu’on doit essayer de bâtir ensemble, et cela ressortait des ateliers de ce matin, c’est d’aboutir à des ressources et là aussi, je crois qu’il y a des partenariats à bâtir.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien d’existant, les CRDP ont beaucoup travaillé sur des ouvrages imprimés, mais aussi pour fournir des contenus numériques. L’intérêt pour nous, serait de travailler ensemble et je vous dis ce que le CNDP développe, nous développons les télévisions permettant d’aborder l’étude des langues, on essaye de le généraliser mais je crois qu’il y aurait un travail en commun à faire, des projets voient le jour, de plateformes de vidéo qui restent à nourrir, et il y aurait la possibilité d’introduire les langues régionales de manière pertinente, les langues en ligne, nous avons des séquences nombreuses, mais sur les langues régionales cela reste encore à développer et à bâtir. C’est le cas aussi de sites gratuits très consultés, plus d’un million de clics par an, sur lesquels la place des langues régionales reste à faire. C’est vous dire que le CNDP est partie prenante de cela et on continue d’accompagner les langues des outre-mer mais c’est à l’état embryonnaire et je crois que cela peut être un effet de ces états généraux, se dire qu’il est grand temps qu’on travaille plus grandement ensemble.
Restitution des ateliers
Les possibilités offertes par les technologies de la langue pour améliorer la relation aux usagers dans les services publics
- Modérateur : Joseph Mariani (Institut des technologies Multilingues et Multimédias de l’Information / CNRS)
Cette thématique de l’atelier portait sur « les technologies de la langue pour l’aide aux usagers des services publics ». L’atelier a commencé par faire une description de ce que sont les technologies de la langue et également de l’importance de pouvoir disposer de données afin de pouvoir développer ces technologies. Je crois qu’il y a eu un accord unanime au sein de l’atelier, pour dire que les technologies de la langue sont nécessaires et, pour certains, sont même indispensables si on veut permettre le multilinguisme.
On note actuellement une explosion des applications de ces technologies et, en particulier, sur l’internet, mais également sur les terminaux mobiles. Mais on constate également et donc, là, c’est souligné très justement par Marcel Diki Kidiri, ces technologies n’existent que pour 1% des langues qui sont parlées dans le monde. Donc elles existent pour une soixantaine de langues sur les quelques 6000 qui sont parlées dans le monde. Et je pense que c’est une constatation qui est tout à fait essentielle.
Les propositions que l’on fait sont de se donner pour objectif de développer les technologies de la langue pour toutes les langues de France et en particulier pour les langues d’outre-mer, et donc pas uniquement pour le français, et ce dans le cadre d’une recherche coordonnée, d’adapter les technologies qui existent pour ces langues, de produire les données, les corpus, les lexiques qui sont nécessaires au développement de ces technologies et d’évaluer systématiquement les performances qui sont obtenues pour les comparer aux besoins les applications que l’on vise.
Alors quelles technologies ? On ne va pas brasser l’ensemble des technologies pour commencer, donc en choisir quelques unes. On a pensé qu’il fallait peut-être privilégier les technologies qui ont trait à l’oral. Donc la reconnaissance de la parole, la synthèse vocale, cela parce qu’il y a un intérêt pour les langues à tradition orale sans système d’écriture, parce qu’il y a un intérêt également pour les cas d’illettrisme ou d’analphabétisme, parce qu’on peut profiter de cette manière-là du formidable déploiement de la téléphonie mobile que j’évoquais et enfin, parce qu’en permettant le passage de l’écrit à l’oral et réciproquement, c’est également une aide qu’on peut apporter au handicap dans l’accessibilité à l’information et ce, donc, pour les malvoyants et les malentendants. Donc une contribution à cette notion d’accessibilité.
Les autres technologies auxquelles on peut penser en priorité sont la traduction automatique et la traduction vocale. Cela permettrait peut-être de résoudre le problème de la traduction simultanée en 50 langues, soit 2500 paires de langues, pour ces États-Généraux qu’évoquait tout à l’heure Xavier North.
Dans le cadre de ces développements de technologies, peut-être faut-il privilégier tout ce qui est logiciel libre et donnée libre.
Quelles langues ? On ne va pas attaquer de front les dizaines de langues auxquelles on pourrait penser, mais peut-être choisir quelques langues, 4 à 5 pour commencer, travailler peut-être par famille de langues en les identifiant, avec peut-être un intérêt particulier, ça a été souligné, pour les langues véhiculaires, et, en ce qui concerne la traduction, peut-être commencer par la traduction de et vers le français puisque nous avons le français en partage.
Quelles applications pour les besoins des usagers des services publics ? On entrevoit quelques pistes qui sont encore à approfondir, peut-être en lançant une enquête auprès des usagers.
A été mentionnée la traduction pour les usagers de la poste, des banques, dans les hôpitaux, puisque qu’on voit qu’il existe actuellement une barrière des langues qui constitue un obstacle à la qualité du service rendu au public. Cela a été mentionné pour plusieurs de ces services. Traduction pour les soins médicaux et là, on peut penser que la machine pourrait assurer une confidentialité que ne permet pas à l’heure actuelle l'intervention de médiateurs humains. Cela a aussi été souligné au tout début de cet après-midi. Également traduction pour pouvoir publier dans sa langue maternelle et accéder aux ouvrages et aux documents que l’on peut trouver sur les bibliothèques numériques.
Quelques autres exemples d’applications auxquelles on peut penser : des bornes vocales plurilingues dans les musées ou dans les administrations, l’aide en ligne pour l’apprentissage des langues. Et également tout ce qui concerne le sous-titrage automatique et peut-être même la traduction à la demande des émissions radio ou télédiffusées.
En résumé, le principe fondateur est de permettre à chacun, quelle que soit la langue qu'il parle, d’accéder à l’information, à la connaissance, quelle que soit la langue dans laquelle elle a été codée.
Présence et dialogue des langues et des cultures sur internet
- Modérateure : Rodica Ailincai / IUFM de l’université de la Polynésie française
Je ne vais pas résumer l'atelier parce que Thibault Grouas a fait un document très fidèle aux échanges qu’on a eus. Donc je présenterai l’ambiance générale, les idées qui se sont dégagées seulement. Échanges riches, beaucoup de participants, beaucoup de propositions, de discussions, de débats, de partages d’expérience, des pratiques, une atmosphère créative et productive donc l’ensemble des préconisations, selon moi, se sont situées d’un point de vue matériel, d’un point de vue contenu. D’un point de vue matériel, il s’agit de la création de points d’accès à internet dans tous les villages et sites isolés. Parce qu’on a des paraboles, mais il faut qu’elles fonctionnent encore parce que les dispenser à internet donc pourquoi pas les écoles et les villages. Équipement aussi des sites isolés et éloignés, des communes pratiquant les langues autochtones et s’assurer des aspects techniques de la gestion de ces centres. Et de leur bon fonctionnement. Au niveau contenu, il y a aussi deux volets, parce qu’il y a toujours le formel donc l’école et il y a aussi l’informel. Dans le formel, il s’agissait des sites en langues outre-mer avec une exigence de contenu des qualités. Si on écrit en créole sur le site créole, il ne faut pas faire de fautes d’orthographe, il ne faut pas raconter n’importe quoi si le professeur voit ça. Versus, l’espace libre d’échanges sans exigence de forme et d’orthographe où les enfants peuvent s’exprimer librement, dire ce qu’ils veulent sans se soucier de l’orthographe, ce qui les empêcherait de s’exprimer librement. Dans le cadre du formel, on a aussi eu une proposition très intéressante : l’introduction des nouvelles technologies dès la maternelle avec une vraie formation, parce qu’on sait aujourd’hui que, parfois, on forme les parents à travers les enfants. À cet âge-là, les parents se soucient beaucoup de ce que l’enfant a appris à l’école donc ce partage peut être aussi très bénéfique pour les parents. Partage des faits culturels, savoirs, savoir-faire au niveau communauté. Enregistrement sons, fiches techniques, je n’entrerai pas dans les détails, mettre des faits culturels, donc, avec l’accord des communautés, sur internet, faire partager la culture. Il y a eu beaucoup d’autres idées. Comment faire vivre le site une fois qu’on l’a créé ? Traduction ou pas ? Et il y a une autre idée très intéressante qui s’est dégagée ici, l’utilisation d’un site dans sa langue maternelle peut parfois favoriser une intimité culturelle (on a retenu ce terme), on a parfois envie de dire une chose sans la traduire et si on a envie de la traduire, on la traduit soi-même. Donc cette idée de traduction où on sait que les machines ne le font pas bien aujourd’hui, où ce n’est pas satisfaisant, on peut faire le choix de le faire soi-même ou, quand on a besoin de savoir ce qui se dit, on peut le demander et on trouvera de l’autre côté des interlocuteurs qui vont le faire.
Atelier d’écriture Wikipédia
- Modérateure : Adrienne Alix (Wikimédia France)
Pour l’atelier « Wikipédia » qui était donc très centré sur un sujet et en petit comité, on a d’abord fait le constat que wikipédia était très peu investi par les langues d’outre-mer contrairement au contenu concernant l’outre-mer dans la langue française. Donc il y a un très fort déséquilibre entre le français et les langues d’outre-mer. La discussion avec les différentes personnes a montré ensuite que c’est pourtant un outil qui peut être assez fondamental dans la légitimation des langues, dans leur diffusion, dans leur transmission, pourquoi pas aussi un outil de stabilisation écrite des langues par le dialogue et le consensus entre les différents contributeurs. Et contribuer sur wikipedia en français à propos de l’outre-mer et contribuer dans les langues de l’outre-mer sur tous les sujets encyclopédiques, scientifiques, culturels, littéraires, etc. pouvait être un outil vraiment intéressant pour lutter contre cette idée de complexe de dévalorisation qui est quand même très présent et favoriser le sentiment de légitimité des langues locales sur internet. Ce que je retiens aussi, c’est que les personnes présentes se sont trouvées extrêmement motivées pour créer des versions linguistiques de wikipédia dans leur langue, donc c’est un très bon espoir et j’espère que ce sera concrétisé. Et une préconisation que l’on pourrait faire, c’est de proposer que l’association Wikimédia France qui a pour objectif de favoriser l’émergence de wikipédia travaille avec les différentes communautés et avec les différentes institutions, et notamment la DGLFLF, au soutien et à la coordination de créations de versions linguistiques de wikipédia dans les différentes langues locales, avec le bémol de la question à régler des langues qui ne sont pas encore écrites et donc là, on se retrouve avec l’éternel problème de l’oral et de l’écrit.
Recommandations
- Renforcer de manière significative les infrastructures permettant l’accès à l’internet sur les territoires de l’outre-mer, notamment dans les zones les plus isolées, les établissements publics, les écoles.
- Mettre en place un véritable programme pour faire entrer l’internet dans les écoles dès la maternelle, et développer l’usage des technologies pour l’apprentissage des langues maternelles, l’éducation à la maîtrise de l’écrit, la lutte contre l’absentéisme et l’illettrisme.
- Mettre en place un programme d’introduction des outils d’aide à la traduction et à l’interprétation, et de bornes vocales plurilingues dans les services publics, pour améliorer les services aux usagers.
- Encourager l’usage de l’internet par les citoyens dans leur langue maternelle, notamment au moyen des réseaux sociaux, de la messagerie instantanée, des tchats, ou des sites de partage de vidéos, avec pour objectif de briser le complexe qui empêche les citoyens de s’exprimer dans leur langue maternelle.
- Mettre en place une action stratégique appuyée ou coordonnée par le ministère de la Culture et de la Communication en faveur du développement des pratiques d’écriture en langues de France sur Wikipédia notamment à l’école, et encourager l’émergence de communautés de contributeurs sur les territoires d’outre-mer.
- Développer les technologies de traduction automatique du texte et de la parole, pour toutes les langues de France, et en particulier pour les langues d’outre-mer, dans le cadre d’une action de recherche coordonnée impliquant une évaluation systématique les performances obtenues par ces technologies au fur et à mesure de leur développement, et une mesure régulière des besoins des usagers.
- Disposer de systèmes de traduction et de référencement en langues régionales, pour accéder aux ouvrages, ou plus généralement aux documents dans les bibliothèques numériques.
- Développer les applications et interfaces orales avec restitution orale (reconnaissance vocale, aide à la traduction) pour les langues minoritaires et non écrites, et à destination des publics fragilisés (illettrisme, analphabétisme, handicaps visuel et auditif).
- Développer les corpus en langues régionales, en quantité et de qualité suffisantes pour développer les technologies de la langue. On pourra s’appuyer notamment sur les ressources de Wikipédia et du Wiktionnaire en langues de France.
- Encourager le développement ou l’utilisation de logiciels libres, de plates-formes collaboratives et de données libres de droits pour le développement des technologies de la langue.
- Mettre à disposition du public des outils pour le sous-titrage automatique et la traduction à la demande des émissions radio ou télédiffusées.
- Répertorier la présence sur internet des langues parlées en outre-mer.
Le rôle des langues dans la construction d'une identité commune
Présentation générale
À travers la langue qu’ils parlent, les hommes et les femmes se situent dans l’histoire, énoncent leurs itinéraires et leurs récits de vie, inventent le présent, et le transmettent aux générations futures par la parole, la poésie, le conte, le chant, la danse, la musique… Il s’agissait ici de réfléchir à la coexistence harmonieuse des langues, à la circulation des idées, au passage d’une langue à l’autre, et de penser le commun comme désir de vivre ensemble, de partager et de transmettre la diversité des richesses d’un territoire.
Table-ronde
Introduction
- Avant d’inviter les intervenants à prendre place sur l’estrade, nous allons commencer en image, aujourd’hui, car c’est Françoise Vergès qui va introduire cette thématique sur le rôle des langues dans la construction d’une identité commune. Françoise Vergès n’a pas pu se libérer pour être présente parmi nous, elle a donc enregistré un message. Certains d’entre vous savent peut-être qu’elle s’est rendue en Guyane récemment, dans le cadre du rapport qu’elle a remis à la ministre de l’outre-mer sur les expositions coloniales, rapport qui contient des préconisations sur la collecte en Guyane du patrimoine oral, en commençant par les langues amérindiennes et en ayant le projet de s’élargir à d’autres langues. Et je dois vous dire qu’elle a pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de l’étude action qui a été lancée par la direction des affaires culturelles de Guyane, sur la faisabilité d’un pôle linguistique en Guyane. Donc nous espérons que ces ruisseaux qui viennent de part et d’autre, pourront à un moment construire un fleuve commun, surtout en Guyane, un fleuve, ça doit être possible !
Propos introductif : Françoise Vergès (Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage)
Mesdames et Messieurs, bonjour.
Je regrette infiniment de ne pas être parmi vous pour ces états généraux du multilinguisme, cette initiative que je salue, de la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Je trouve cela très important. Ce dont je voudrais parler aujourd’hui, c’est de la relation entre les langues et la question de l’identité, la question de la mémoire, la question de l’histoire, la manière dont, à travers les langues, les êtres humains, les femmes et les hommes se situent dans l’histoire et dans le monde et expliquent la relation qu’ils ont. Dans le travail que j’ai fait, le travail sur l’esclavage et la question coloniale, ce qui m’a toujours intéressé c’est comment les idées circulaient, comment les mots étaient saisis, les mots de liberté, les mots d’égalité, de fraternité, comment ils étaient repris, comment ils circulaient. Et l’importance de mots qui sont peut-être moins dans ce qu’on appelle la langue française, qui sont les termes de dignité et de respect, et je trouve que là aussi, on a un vocabulaire, on pourrait dire un vocabulaire du langage, des langues politiques dans les mondes des langues de France, qui serait intéressant à analyser. Et comment, à travers la mémoire, les textes, ce qu’Édouard Glissant appelait l’oralitude, des choses sont aussi transmises et comment les langues disent des histoires, disent des itinéraires, disent des récits. Donc, cette extrême richesse, et on sait que les territoires des outre-mer français ont toujours souhaité qu’il y ait une collecte de ces récits, qu’il y ait une collecte de ces savoirs qui se transmettent à travers des langues, à travers une manière de dire et je trouve que la singularité de cette manière de dire est extrêmement importante à sauvegarder. Parce que de savoir comment quelque chose s’est dit, par exemple au moment où l’esclavage est aboli, comment cela est reçu par les nouveaux affranchis, qu’est-ce qu’ils en disent à travers, leurs chants, leur poésie, serait extrêmement intéressant à entendre dans la langue qu’ils utilisaient, dans les mots qu’ils utilisaient à l’époque. Puis, de voir peut-être plus tard, en 1946 pour les territoires qui ont connu l’esclavage et où il y avait la fin du statut colonial, ou dans les autres territoires, comment à ce moment-là aussi ce moment historique s’énonce. Je pense qu’il y a aussi, là, quelque chose des langues de France à identifier. D’autre part, dans des travaux que nous avons mené au comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, on a vu l’importance qu’a le nom. Le nom dans la question de la langue et du nom, le nom qui est donné à l’affranchi, le nom que se donne les personnes, l’importance des langues et comment les langues d’origine demeurent et restent aussi une source d’identification. Je m’explique. Par exemple, on a longtemps pensé qu’à l’île de la Réunion, les créoles étaient nés de la rencontre de la langue française de l’époque — n’oublions pas que la langue française au XVIIème, XVIIIème ou XIXème siècle n’est pas celle que nous parlons aujourd’hui —, donc ces langues françaises rencontrent des langues malgaches et africaines et qu’un mélange se fait qui donnerait le créole. C’est ce que l’on pensait et c’est ce que l'on pense dans le public. Or, les travaux de l’historien Pier Larson ont montré, qu’en fait, à la Réunion et l’île Maurice, le malgache va rester une langue de communication et une langue d’expression pendant encore très longtemps. Donc on va avoir le français de l’époque, le créole de l’époque et le malgache. Et puis, on a aussi d’autres langues, par exemple pour les territoires de l’océan Indien, on avait également l’hindi, le gujarātī et d’autres langues. Mais pour la question du créole, ce qui m’intéresse là, c’est comment, les gens passaient du français au créole et du créole au malgache. Cette circulation entre les langues pour dire des choses différentes, me semble aussi extrêmement importante. En fait, on circule d’une langue à l’autre et cette circulation, plutôt que de se dire qu’une langue écrase l’autre — alors là, je sais que vous aurez certainement l’occasion de discuter des relations de pouvoir entre les langues et il y a eu de nombreuses études là-dessus mais moi, je voudrais plutôt m’intéresser à la manière dont les langues peuvent coexister, comment elles peuvent vivre ensemble sur la même terre, et au fait qu’il n’y a pas division dans cette vie ensemble, dans cette vie en commun de ces différentes langues, mais qu'il y a, au contraire, une multiplication d’expressions et de différences qui ne peuvent qu’enrichir notre espace public. Imaginons, par exemple, qu’on aurait les noms des localités dans nos territoires dans les langues du territoire, et on aurait donc sous les yeux — puisque comme vous le savez, les langues ça ne fait pas que s’entendre, ça se lit, c’est visible aussi — un nom, le nom d’une localité et, je ne dirais pas dans sa traduction, mais comment cette localité est dite dans la langue française et dans les autres langues de France. Je pense que ça, par exemple, ça mettrait en lumière, à la fois les différences, les singularités et le commun. Le commun, puisque finalement cet endroit existe pour toutes ces personnes, il porte peut-être un nom différent, mais il est ce qui réunit toutes ces personnes qui y vont. Donc cette question de comment penser le commun, que le commun n’est pas quelque chose qui va exclure les autres choses mais, au contraire, la mise en commun de plusieurs choses et que c’est cette coexistence, je ne dirais pas une addition, mais plutôt cette coexistence, cette mis en partage et, aussi, cette mise en visibilité : de rendre visible et lisible toutes ces différences, je pense que ce serait une étape extrêmement importante.
Il y a deux autres choses dont je voudrais parler. Une des premières choses, c’est une demande qui est souvent venue des territoires dits des outre-mer, c’est la collecte. Collecte des langues, collecte des mémoires vivantes. Il y a déjà eu plusieurs collectes qui ont eu lieu ici et là, la plus organisée est celle qui est faite par le centre culturel Tjibaou. Mais je pense qu’il faudrait vraiment le faire et nous avions parlé, à la suite d’une mission sur le Jardin d’Acclimatation, avec le service d’action civique qui était très intéressé, de former des jeunes dans ces territoires et que ce serait ces jeunes du service civique et leur part de service civique, ce serait de faire ça. Je pense que ça serait extrêmement important et, ensuite, de rendre cela accessible au plus grand nombre. Je pense que cela rendrait de nouveau, pour moi, cette question de l’accès — c’est-à-dire que ce n’est pas non plus quelque chose de difficile à trouver, de compliqué, non, c’est là. La deuxième chose, c’est aussi, je pense, de faire entendre de nouveau le son des langues. C’est-à-dire qu’on les entende. Évidemment, il y a la lecture, mais qu’on puisse avoir dans des lieux de l’entente. Je me souviens que j’avais imaginé, pour un endroit que l’on devait faire à la Réunion, qu’on entendrait les langues qui étaient venues sur cette île. Les gens n’ont pas perdu leur langue au moment où ils ont débarqué sur cette île de la Réunion, donc ils ont continué à parler ces langues. Et de pouvoir les entendre et pas toujours dans la traduction, qu’il y ait aussi ce sens que l’on n’a pas toujours besoin de traduction. Il y a un son de la langue qui est aussi important. Notre oreille doit s’habituer à entendre des langues que nous ne comprenons pas pour que, aussi, le son fasse sens. Et je pense que ça, c’est extrêmement important. On sait, par exemple, on le sait pour la musique, on le sait pour les chants, on peut entendre quelque chose, on ne comprend pas nécessairement ce qui est dit, mais il y a des choses de la mélodie, donc du chant de la langue qui est important. Donc ces chants des langues de France, je pense qu’il faudrait aussi les rendre accessibles, qu’on soit dans des endroits où on les entendrait, on entendrait des contes dits dans ces langues, des chants et pas nécessairement de la traduction, mais qu’on s’habitue à entendre ces langues de France, que leurs sons nous redeviennent familiers et parce que le son porte très souvent ce qui est dit, le contenu, on entend bien quand un texte peut être un texte triste ou un texte joyeux. Et peut-être qu’on va se méprendre, on va penser que c’est un texte joyeux alors que c’est un texte triste, mais justement, on apprendra que les tons sont différents. Et je pense que la question de cette éducation de l’oreille est aussi importante pour cette éducation du commun, de la mise en commun. Qu’est ce que le bien commun ? Le bien commun, c’est justement de vivre avec des personnes qui sont différentes de nous, mais avec lesquelles nous partageons quelque chose, c’est-à-dire un territoire et le désir de vivre ensemble sur ce territoire et que ce territoire puisse être transmis avec ses richesses, avec ses patrimoines aux générations suivantes. Donc ces deux choses, à la fois la collecte, c’est-à-dire la question de la transmission aux générations suivantes par la mise en archive et aussi, peut-être aujourd’hui dans l’espace présent, la question de refaire entendre le son. Donc j’inviterais peut-être, dans ces états généraux, à un moment donné, que chacun s’exprime dans ses autres langues puisque nous parlons sans doute tous la langue française, mais aussi les autres langues. Et que peut-être à un moment, chacun d’entre nous puisse parler dans cette langue qui est notre ou nos autres langues.
On a beaucoup parlé de la graphie, il y a des gens bien mieux placés que moi, dans ces états généraux, pour poursuivre ce débat, ce dont je voudrais parler, c’est de la possibilité de publier des choses. On a aujourd’hui de nouvelles technologies qui rendent cela possible et je pense qu’il ne s’agit pas de faire des pléiades, il s’agit de multiplier des publications, des petites publications, de voir qu’on puisse lire vraiment ces langues, qu’elles puissent, qu’il y ait le même texte, des textes administratifs qui apparaîtraient dans toutes ces langues, et aussi dans les journaux, qu’on puisse les voir à la télévision. Je voyais, en Nouvelle-Zélande, il y avait eu une perte des langues maories suite à des politiques que l’on connaît, c’est-à-dire qu’on ne les apprenait plus à l’école, on ne devait apprendre que l’anglais, les enfants qui parlaient le maori étaient punis, nous connaissons cela, et la télévision, de nouveau, a été quelque chose d’extrêmement important avec des émissions pour les enfants.
Donc on a à notre portée, des choses tout à fait possibles et je pense qu’il faut entrer dans le faire, aujourd’hui, même à un tout petit niveau, les choses sont possibles. Il faut commencer dans une école, dans une classe, dans une commune, à le faire et à faire publier que ce soit, je le dis, le texte administratif, évidemment à l’école… Les gens ont parlé, ont écrit, se sont exprimés dans des langues des choses extrêmement importantes et qui font partie de notre histoire commune, il faut donc que ces textes-là, de la même manière que nous avons des textes qui fondent la langue française, qui fondent les langues de France, nous y ayons accès. Donc on pourrait aussi imaginer certains textes fondateurs, comme les textes fondateurs de la République française, qui seraient systématiquement traduits dans les langues de France. On pourrait tout à fait imaginer la déclaration des droits de l’homme et du citoyen traduite dans toutes les langues de France. On pourrait aussi, évidemment, imaginer d’autres textes, là je parlais d’un texte sérieux.
On sait le rôle que joue la musique, on sait le rôle que joue la poésie dans la transmission, d ans la circulation des langues. Je suis en Guyane, j’entends de la poésie, du slam ou du hip-hop ou du rap des langues qui existent en Guyane, mais je dois pouvoir aussi les entendre si je suis à Paris ou à Fort-de-France et vice versa. Donc la mise en commun, c’est ce partage d’un territoire à l’autre, de sortir parfois de l’insularité et de faire circuler davantage, non pas simplement de l’hexagone à ce territoire, mais entre ces territoires. De mettre ces langues en conversation comme de mettre nos mémoires en conversation, pour retrouver justement ce qui nous relie tous, puisque nous sommes à la fois extrêmement singuliers, chaque territoire a une histoire totalement singulière, et sur chaque territoire, il y a encore des groupes qui ont des histoires singulières, puisque chaque territoire a été constitué par des vagues d’arrivées différentes où il y avait aussi parfois des peuples autochtones, donc nous avons des singularités et nous avons quelque chose qui est collectif et que nous partageons.
Cette mise en commun doit être repensée avec le rôle des langues de France dans cette construction, aujourd’hui, de cet espace commun et de cette mise en commun. Comment penser l’espace public, comment peut-être aussi, dans l’espace public, ne pas encourager la fragmentation des mémoires et donc la fragmentation des groupes. De savoir que, bien sûr, tel groupe a besoin que son histoire soit inscrite, mais comment son histoire est mise en relation avec l’histoire d’un autre groupe, et ce sont ces passerelles que nous devons construire, et les langues de France jouent un rôle extrêmement important dans cette mise en relation des mémoires, des histoires qui construisent donc l’espace commun qui nous relie. Je vous remercie beaucoup et j’espère vraiment, je suis sûre que ces états généraux du multilinguisme dans les outre-mer vont être extrêmement fructueux et que nous allons beaucoup en apprendre et que, justement, une étape va être franchie pour que les langues de France et la langue française deviennent vraiment les langues de cet espace commun.
- Je vous propose de continuer en image car ce qui fait la complexité d’un travail collectif, ce sont les rythmes de travail des uns et des autres qui sont différents. Le rythme du chercheur n’est pas celui d’un artiste qui n’est pas celui du monde de l’école qui n’est pas celui des médias dont je pense qu’il est frénétique. Frédéric Ayangma vous prie de l'excuser, il ne peut pas intervenir ce matin car il a dû répondre à une urgence, donc on a voulu vous représenter ses petites vignettes audiovisuelles qui sont intitulées « Akouman » et qui sont une des façons dont Guyane Première tente de travailler au plus proche de la population guyanaise et de ses langues. Merci de lancer la vidéo.
- Je vais maintenant demander à Florence Pizzorni et à Daniel Maximin de nous rejoindre sur l’estrade. Florence Pizzorni est chercheur et travaille au Mucem à Marseille, et Daniel Maximin est le commissaire de cette année des outre-mer.
La difficulté est de ne pas se répéter quand on prend la parole après une journée aussi dense que celle d’hier. Sur beaucoup de points qui ont été soulevés, j’adhère très largement et mon propos ne va pas reprendre des éléments d’hier. J’ai essayé de trouver des éléments concernant la description et l’analyse des langues qui soient peut-être, vous allez le considérer, un peu sur la marge, mais ils viennent compléter tout ce qui a pu être dit hier. J’essaie de faire un peu dans l’innovant. Je m’aperçois que Françoise Vergès est allée dans le même sens et elle a déjà défriché un peu le terrain vers lequel je souhaite aller. Je voulais commencer mon propos avec une référence à Ricœur. Ricœur qui s’interroge sur la multiplicité des langues et la difficulté que l’homme a de se reconnaître un. Tout se passe comme si l’homme, d’emblée, est autre que l’homme, dit-il. Et il trouve dans la condition brisée des langues (je trouve que c’est une jolie façon de le formuler) le signe le plus visible d’une sorte d’incohérence, d’incohésion primitive. L’humanité ne s’est pas constituée d’un seul style culturel, mais a pris des figures historiques cohérentes, closes : les cultures. Et Ricœur s’interroge sur ce phénomène.
Et je constate que dans nos façons d’aborder l’analyse des langues, en fait il y a deux mouvements parallèles qui prédominent. Un mouvement qui va dans l’analyse et la mise en évidence permanente des différences et qui creuse, petit à petit, les éléments de différenciation entre nos différentes cultures. Effectivement, tous les propos qui ont été tenus hier correspondent à cette observation de la diversité, de cette biodiversité des cultures. Un autre mouvement, d’ailleurs ils ne sont pas antithétiques, à mon sens ils sont totalement complémentaires, va dans la direction d’une recherche de ce qu’il y a de commun à l’ensemble de nos manifestations culturelles dont les langues. Quel est le tronc commun ? Finalement nous sommes tous des hommes, l’anthropos, et Ricœur va dans ce sens ainsi qu’un autre chercheur auquel je ferai référence et auquel je voudrais rendre honneur ici, on n’en parle plus beaucoup aujourd’hui, qui est Marcel Jousse qui est, dans ses recherches, toujours à la recherche de l’anthropos commun, ce tronc commun de l’humanité.
Donc, effectivement, les langues répertoriées au monde se comptent par milliers. Et, dans un premier temps, on les a considérées comme des marqueurs identitaires. Je vais essayer d’être assez structurée pour vous donner les différents éléments descriptifs des langues. Les marqueurs identitaires sont ce dont on a parlé jusqu’à maintenant. L’homme n’a cessé de recomposer des unités à sa petite échelle. La langue est systématiquement utilisée comme marqueur identitaire. Des langues ont été utilisées pour construire des référents identitaires territoriaux. Et toute l’anthropologie a construit ce modèle explicatif qui relie la langue, le territoire, la culture. Et là, on a des sortes d’ensembles cohérents très géographiquement marqués, d’autant que la perception généralement presque systématiquement conflictuelle de la question des langues conduit à des mises en frontières rigides et à des discours conditionnés avec des fantasmes de pureté qui continuent à exister malgré tout ce qu’on a pu en dire jusqu’à maintenant.
Depuis le début de ces rencontres, on a souligné les pertes nombreuses de langues. Le souci, l’inquiétude qu’on a sur cette perte d’éléments essentiels à la sauvegarde de la diversité. Bien sûr c’est un souci que je partage absolument. Mais il faut aussi indiquer que des langues d’identification ne cessent aussi de naître en permanence dans tous les territoires. Dès qu’il y a un frottement sociétal, des langues naissent aujourd’hui. On assiste à des pertes, mais on assiste aussi à des renaissances. Les différents argots, le beur, les verlans, la langue du rap, des français, parce qu’on parle du français comme langue unitaire, mais en fait, si on y regardait de près, le français qu’on parle en Guyane, le français guyanais, le français guadeloupéen, le français algérien, sont des français qui, finalement, portent en eux la marque des cultures dans lesquelles ils se sont développés et des échanges qui ont eu lieu au cœur de ces langues. Et finalement ce n’est pas exactement le même français qui est parlé. Donc c’est une langue unifiante, certes, mais avec des variantes liées au contexte local. Pensez aussi au français du Québec, par exemple. Et on pourrait mettre aussi dans cette catégorie le créole. Alors je sais que Françoise en a parlé, je voulais faire sentir à quel point, finalement, comment le créole est une langue créée de toute pièce devant la nécessité, dans les conditions dramatiques de l’esclavage, de s’entendre à la fois entre la langue du maître et la langue des esclaves, mais aussi entre esclaves qui provenaient de nations africaines différentes et qui donc, entre eux-mêmes ne parlaient pas les mêmes langues. Donc il y a une nécessité, pour faire du lien social à créer une sorte de modus vivendi, un consensus linguistique. Et le créole a émergé, donc une langue neuve, une langue nouvelle, alors que peut-être on peut s’interroger sur le devenir de ces langues africaines qui ont été importées. Finalement, la création du créole sur les territoires a été aussi la disparition de ces langues africaines dans leur usage transplanté dans les diverses colonies. On a donc la cohabitation entre la perte et la naissance de langues. Autour de cette diversité linguistique, il y a un rêve qu’on a toujours porté qui est ce rêve de l’unité. Dans les cultures occidentales, européennes et méditerranéennes, qui sont plus ma spécialité, on fait référence au mythe de Babel. Cette recherche d’une langue unique qui unifierait les hommes, d’une certaine manière, face à la puissance divine, qui leur donnerait plus de force. Ce mythe de Babel a donné lieu à toute une série de travaux par la suite. Les moines ont recherché ce que pouvait être la langue adamique, la langue initiale, et on a construit des monuments colossaux à la Renaissance et au XVIIème siècle pour essayer de construire une langue avec des petits morceaux de toutes les langue qu’on connaissait à l’époque, construire une langue qui serait comprise de tout le monde, une langue universelle, dite la langue adamique. C’est le même ressort qu’on a connu dans l’espéranto. Cet espoir qu’on a mis dans la création de cette langue, l’espéranto, qui devait permettre à tous les hommes du monde de se comprendre. Certaines langues ont été créées également en unification pour permettre certaines pratiques, comme le commerce, par exemple. C’est le cas des lingua franca. Alors on connaît bien la lingua franca méditerranéenne qui est une sorte de mélange de l’Italien, de l’espagnol, de l’arabe pour permettre à la fois l’intercompréhension des esclaves, parce que l’esclavage n’est pas l’apanage uniquement de l’outre-mer, mais il s’est également pratiqué dans tout le secteur méditerranéen, un tronc commun dans l’humain. Donc cette lingua franca, tentative d’unification. Et je voulais citer également dans cette tentative, le brésilien. Pourquoi le brésilien ? Parce qu’il se trouve que le Brésil est le pays au monde, aujourd’hui, qui a tenté de réaliser un musée de la langue et un musée de la langue brésilienne. On a coutume de dire qu’au Brésil on parle le portugais, mais en fait on ne parle pas le portugais, on parle un portugais adapté au Brésil qui est le brésilien. Et ce qui est assez formidable dans ce musée de la langue brésilienne, c’est que, évidemment, le gouvernement brésilien en mettant en place cette structure culturelle de la langue, a tenté de trouver par la langue un pivot pour l’identité nationale, on en a beaucoup parlé en France, donc au Brésil aussi ils sont dans cette recherche de l’identité nationale, et le passage par l’identité nationale, c’est la langue qui a permis de le penser et elle s’est pensée à travers l’idée du métissage. C’est le seul état au monde que je connaisse qui, aujourd’hui, revendique l’identité nationale sur la base des apports mutuels que se sont faits les populations qui sont venues occuper ce territoire. Et le brésilien est présenté comme langue, comme langue de métissage.
Donc la langue est un marqueur identitaire, mais la langue est aussi un marqueur de l’échange. Et c’est le deuxième élément très important que je voulais souligner et qui peut être utilisé dans des perspectives de muséographie des langues. Ce marqueur de l’échange dont Françoise Vergès a beaucoup parlé, les mots d’une langue portent les traces de l’histoire des peuples. Ces traces sont essentielles, tout particulièrement pour les cultures de tradition orale dont ils constituent d’une certaine façon, les archives vives. Je n’insisterai pas, Françoise Vergès en a beaucoup parlé, les langues sont les indicateurs de la mobilité et les traceurs des relations de contact et de domination éventuellement. La piste des mots voyageurs, c’est une jolie formule que j’aime bien, c’est en fait la traçabilité des faits culturels dans l’histoire des peuples. J’en veux pour exemple dans cette petite séquence qu’on nous a passée en permanence, un mot qui était pour dire la fin en guyanais, le bigui angri, tout le monde aura lu derrière bigui angri, big angry et là, on a une traçabilité de la langue qui est intéressante.
Parlant de la traçabilité, enfin des mots de l’échange, ce à quoi je voulais arriver, c’est au fait que les langues sont des objets dynamiques. On parle souvent des langues et, justement, les tentatives de créer des dictionnaires, qui sont des outils absolument utiles, je ne reviens pas là-dessus, mais c’est une façon de fixer une langue à un état précis de sa constitution. Je pense qu’il faut penser la langue dans ses dimensions dynamiques. Elle est dynamique pour plusieurs aspects. D’une part pas les changements sociaux et culturels qui affectent la société des locuteurs, donc ça on en a déjà parlé, ce sont les marqueurs de l’échange qui apparaissent là. Mais aussi, et c’est une dimension qu’il faut prendre en compte, l’évolution des techniques, Claude Lévi-Strauss lui-même, disait que toute société est fondée sur la communication, les langues et leur usage dans la société sont à considérer par les connections qui s’établissent entre le système des signes et les supports qui les propagent.
Aujourd’hui, l’évolution des techniques et des médias de communication affecte donc très directement nos langues. La pratique du mail ou du SMS transforme radicalement la graphie, l’orthographe, mais le vocabulaire ou la syntaxe. Toute personne ayant dans son environnement des jeunes de 20 à 25 ans, savent que ces jeunes parlent entre eux une langue qui, bien souvent, nous échappe. La modification de la langue est liée au pouce qui agit sur le clavier, donc à un élément corporel essentiel et c’est là que je voulais arriver surtout, c’est que les langues sont surtout et avant tout des objets sensibles, des objets qui mettent en œuvre l’ensemble du corps. Et c’est là qu’on va retrouver l’anthropos, c’est là qu’on va retrouver ce que nous avons de commun à travers toutes les langues. C’est l’expression du sensible, la dimension corporelle, la langue est incorporée. Je fais référence à et je vous renvoie à l’œuvre de Marcel Jousse, l’anthropologie du geste dans lequel s’exprime très largement le fait que la langue n’est pas seulement les mots qu’on profère, mais c’est toute une série de gestes, de pratiques, de mimiques, une gestuelle donc ce que j’appelle plus largement des pratiques langagières. Je pense que l’on aurait tout intérêt, plutôt que de parler du multilinguisme, de parler globalement des pratiques langagières. Notre collègue kanak parlait hier de l’aspect initiatique des langues kanakes et, effectivement, dans cette initiation, il y a tout une part qui n’est pas uniquement de l’oralité, mais également de la pratique gestuelle.
Dans un contexte muséal, on proposerait donc de tenter de penser les sonorités produites par le corps humain, en les articulant à une problématique patrimoniale. Les voix parmi les bruits, les sons, les ambiances de la cité, des marchés, de l’usine, des champs, de la forêt constituent de nouveaux matériaux pour une musicalisation du paysage. Il faut penser la langue comme une musique du paysage. Dans le monde global où se confronte diversité et identité, les inventaires et la patrimonialisation des paysages sonores à l’instar des paysages et des patrimoines bâtis ou ethnologiques ont peut-être du sens. Il faut croiser images, sons, pour réifier les espaces dans lesquels sont immergées nos cultures. Je voulais juste conclure avec un proverbe : « nos oreilles n’ont pas de paupières », c’est-à-dire que nous sommes tous amenés à nous entendre sans oreilles, et nous entendre, je voudrais jouer sur le double sens du mot entendre en français, cela peut-il nous amener à nous comprendre ?
- Merci beaucoup Florence. Daniel Maximin, tu l’as compris, Daniel, le rôle difficile qu’on a confié à la personne qui conclut ces tables rondes plénières, c’est de donner le point de vue d’une institution dans laquelle il travaille, sur la thématique de la plénière.
Représentant de l'institution : Daniel Maximin (Commissariat de l'année de l'outre-mer)
D'abord bonjour à tous et à toutes,
et dire le plaisir et le bonheur que j’ai à être là en tant que commissaire de l’année des outre-mer et en compagnie de deux des responsables qui sont là, Joëlle Billon-Galliot et Robby Judes. Nous avons souhaité que cette année soit aussi une année pour changer un regard, c’est aussi une année de rencontre entre les ultramarins. Et nous savons par les rencontres qu’il y a et la joie que chacun a de découvrir l’autre, que ce n’était pas une chose évidente et que nous souffrons, nous, dans les outre-mer, de méconnaissance entre nous, que ce soit dans la réflexion sur les institutions, par exemple, nous avons toutes sortes d’institutions dans le cadre actuel de la constitution française de Wallis jusqu’à Saint-Martin en passant par la Guyane et la Nouvelle-Calédonie, nous avons toutes sortes de langues, bien entendu, les langues de France et, très majoritairement, les langues des outre-mer, nous avons toutes sortes de cultures et c’est pour cela que l’on a mis les outre-mer au pluriel.
Comme vous le savez, je suis arrivé hier soir parce que, dans la multitude des choses qu’il y avait, il y avait aussi le lancement d’une quinzaine où, là aussi c’est la première fois, comme là c’est la première fois que toutes ces langues se rencontrent dans un même lieu, la rencontre de trente ans de cinéma dans les outre-mer qui était lancée à la cinémathèque le 14. Et là aussi, c’était une photo de famille sur la scène où on voyait les anciens, les premiers qui ont fait des films aux Antilles, en Guadeloupe, en Martinique, Sarah Maldoror rencontrant de jeunes documentalistes de Polynésie, de Guyane… Et quelque part c’est ce qui est essentiel et vital, au-delà de toutes les interprétations qu’on peut faire. On ne fabrique pas du vivre ensemble chacun de son côté ou, sinon, c’est simplement des paroles en bouche comme on dit chez moi. Et donc oser la confrontation, la confrontation avec l’autre, c’est quelque chose qui est vital. Je le dis parce que je ne vais pas parler en tant que commissaire de l’année des outre-mer puisque je n’étais pas là hier, puisque je n’ai pas vocation, il ne s’agit pas d’une institution comme la DGLFLF par exemple, ou comme telle ou telle de toutes les institutions qui sont représentées ici. Et les conclusions, les réflexions, les débats, débats politiques, débats linguistiques, débats culturels que nous devons avoir et qui sont lancés par tout ce que nous faisons comme ces états généraux, cher Xavier North, c’est un commencement, ce n’est pas une fin, on ne va pas conclure en disant : « Ça y est, on a trouvé, ce soir, voilà, maintenant le chemin rayonnant qui nous amènera vers la promotion de toutes les langues et le partage entre nous avec certaines choisies ». De même que l’année des outre-mer était une année de commencement.
Donc je vais modestement parler en tant que Daniel Maximin, écrivain et enfant de la Guadeloupe. Ça veut dire quoi ? Par rapport au sujet, on demande : « rôle des langues dans la construction d’une identité commune », c’est très curieux, très passionnant, parce que c’est un défi qu’un titre comme celui-ci. Parce que est-ce l’identité qui fait les langues ou sont-ce les langues qui font l’identité ? Les langues, c’est quand même curieux, elles sont toujours là avant, elles sont données comme telles, elles ont la grammaire, elles ont leur structure, elles ont évidemment une part de vocabulaire qui, ensuite, va évoluer, mais elles ont la structure. Mon créole, c’est récent, trois ou quatre siècles, on ne sait pas comment il s’est fabriqué. Mais, en tout cas, c’était là à ma naissance, à notre naissance, avant même que nous ayons la conscience de défense d’une identité par exemple.
Donc la langue s’impose, la langue est une imposition, la langue ne se fabrique pas, la langue n’est pas quelque chose qui est comme ça, offerte comme un outil dont l’identité va user pour pouvoir mieux exprimer ce qu’elle est. La langue maternelle, par exemple, celle qui nous constitue avec non pas un vocabulaire, mais un rythme, une couleur, des choses que nous ne pourront jamais enlever même si nous en apprenons quinze autres, cette langue maternelle est une imposition pendant les neuf mois dans le ventre de la mère. Et nous ne pourrons pas ne pas être avec cette langue qui est donc comme une espèce de (disons le mot grossièrement) une dictature d’une certaine langue qui est la première par rapport aux milliers de langues qui existeront sur la terre et même celles que j’aurai envie d’apprendre par l’amour ou par l’imposition.
Donc il y a cette donnée identitaire et, en réalité, ça veut dire que vivre, faire son identité individuelle, personnelle, c’est s’échapper, c’est échapper aux langues, c’est échapper à la clôture dans laquelle toutes les langues nous mettent, l’une par rapport aux autres, les unes en liaison avec d’autres, les unes créolisant les autres comme pratiquement les trois quarts des langues sur la terre : français, roumain, créole du latin, etc. Et puis après, évidemment, ces langues s’enferment dans une pureté puisque « ma langue, aucune autre n’est comme celle-là ! » Et donc on voit très bien quelle jouissance d’une identité qui est affirmée par le simple fait que je parle dans une langue me rassure, même si, par exemple, je dois exprimer des choses qui sont les rêves des autres, les drames des autres. Mais j’ai ma langue qui l’exprime, ce qui peut me faire croire que je suis dans une spécifique générale y compris sur mes pensées, mes sentiments et mes espérances et mon passé. Or c’est faux. Il y a du commun, il y a du transversal dans tout cela. Donc chaque langue enferme dans quelque chose. C’est pour ça que nous avons si souvent cette tentation du monolinguisme. Je suis quelqu’un qui a été dans le plurilinguisme caribéen avec une volonté affirmée des parents, de l’école, des institutions politiques de m’amener au monolinguisme uniquement français. C’est ça et pourtant c’est raté. Pourquoi est-ce raté ? C’est ce qui est intéressant. C’est raté à cause de la culture. Mes parents parlaient créole entre eux aux deux bouts de la table, en interdisant à leurs sept enfants de parler le créole. C’est-à-dire que mes parents m’ont appris le créole en m’interdisant de le parler. Et je peux vous dire que jusqu’à aujourd’hui, mes deux parents sont décédés, jamais je ne leur ai parlé en créole jusqu’à leur mort, sauf quand c’était un peu pour rire, un peu dans l’affectif, parce qu’on était déjà grands et on avait évidemment, eux comme nous, dépassé cette clôture par les évolutions de l’histoire, par ces évolutions politiques, entre ces années 50 et les années de leur propre maturité où ils ont, eux aussi, conçu que le plurilinguisme créole - français n’était pas une chose qui était nécessaire. Ils l’ont fait parce qu’il fallait promouvoir l’échange, promouvoir le français, promouvoir le fait qu’il fallait sortir de l’oppression, sortir de la domination en prenant la langue du maître, en prenant la langue qui avait été imposée, en prenant la langue du droit, la langue de la défense, la langue des codes qui allaient me permettre de trouver des lois, la langue de l’école, la langue de l’éducation, la langue pour être médecin, pour être avocat, pour être professeur, pour être enseignant. Comme cela s’est passé dans la France profonde par rapport aux langues régionales qui ont été laminées au nom de la promotion de la liberté de gens qui avaient été dans l’oppression.
Donc quelque part ils avaient raison, et pourquoi ? Mais non ! Quelle aliénation ! La langue du maître devenait la langue. Grave erreur dont eux aussi et moi aussi on s’en est rendu compte après. Aucune langue n’est une langue d’oppression sinon dans la bouche des oppresseurs, et une langue est une langue de libération dans la bouche de ceux qui résistent. Et en effet, ces langues qui sont une telle imposition à nous tous, elles sont un outil à la disposition, alors, de nos combats identitaires. Et, à ce moment là, n’importe quelle langue peut passer, à la condition qu’elle me donne la liberté nécessaire pour vouloir être libre sur terre, c’est-à-dire dans ma famille, dans mon pays, dans ma société, dans ma culture. C’est-à-dire faire mon poème et pas celui des autres, faire exprimer ma danse et pas celle des autres. Exprimer donc quelque chose qui me prouvera que la liberté n’est pas simplement un discours que je profère mais quelque chose que je ressens et que je peux vivre dans ma chair, dans mon corps, dans mes sentiments, dans mes espérances, non seulement pour moi, mais vis à vis des autres, dans quelque chose qui est alors une offrande, quelque chose qui passe chez l’autre aussi, qui lui procure, à lui aussi, de la liberté. C’est ça le défi de la culture et que la langue seule ne peut pas faire. La langue ne peut que traduire, mais la langue ne peut pas transmettre. Et, en ce sens, il nous faut donc bien ce plurilinguisme lorsque nous en avons l’occasion. Et c’est vrai que le rêve des hommes est à la fois d’avoir la jouissance d’une langue qui est celle qui manifeste le plus leur passé, leur réalité ancienne, leur réalité maternelle et, en même temps, nous avons tous, sans exception sur terre, ce désir de traduction, ce désir d’aller aussi vers d’autres langues, qu’elles soient imposées ou qu’elles soient choisies par amour.
Donc de mon monolinguisme imposé, ma réalité est un plurilinguisme, le français. J’habitais Saint-Claude, c’est-à-dire en face de l’endroit où a eu lieu le grand combat de la résistance au moment où Napoléon Bonaparte a voulu rétablir l’esclavage, en 1802, alors que nous avions conquis la liberté par l’abolition de l’esclavage en 1794. Pour quel rapport avec les langues ? Eh bien, je constate une chose, ma mère me lisait, en face de ce volcan, deux choses : la proclamation de Delgrès avant ce grand suicide collectif « À l’univers tout entier, le dernier cri de l'innocence et du désespoir. » À l’univers tout entier, dans une langue française évidemment totalement maîtrisée, la langue de la résistance du dernier grand combat avant qu’ils ne se fassent sauter et qu’ils inscrivent, pour toujours dans nos mémoires, cette résistance dans le sang qui est devenu la sève de mon pays. C’était en français, et avant de monter à la montagne, ils ont fait afficher cette chose dans les rues de Basse-Terre. Et quand je vois plus tard, je vais à la rencontre de Toussaint Louverture au Fort de Joux, là où Bonaparte l'a fait emprisonné en cherchant l’endroit le plus froid. Qu’est-ce que nous constatons, que nous lisons ? Dans tous les documents qui sont là, nous avons une proclamation de Bonaparte, puisqu’il fallait tout faire pour cacher que son armada n’était pas venue pour rétablir l’esclavage, et donc il fallait tromper les haïtiens, eh bien il y avait une proclamation affichée dans les rues des villes de Haïti, en créole. C’est-à-dire que Bonaparte avait su et pensé qu’il allait utiliser la langue des haïtiens pour mieux tromper les haïtiens et, devant la défiance qu’ils auraient pu avoir d’une proclamation en français, ils avaient choisi de les mettre dans ce qu’ils considèrent comme leur langue dans laquelle il allait pouvoir les tromper et les aliéner. Vous voyez comment l’histoire, la réalité, nous rend à chaque fois méfiant vis à vis de tout enfermement que nous aurions pu avoir, en pensant qu’une langue nous sauve, qu’une langue nous sauvera politiquement , qu’une langue nous sauvera culturellement.
En réalité, non, c’est l’usage politique, c’est l’usage culturel libre que nous faisons qui va libérer les langues parce que toutes les langues ont à être libérées. Il n’y a pas de langues tranquilles, il y a des langues qui ont servi les impérialismes anglais, français, espagnol, ce sont, dans notre XXIème siècle et depuis le XIXème, de grandes langues de résistance à ceux qui se battaient contre les colonisations et qui ont, en quelque sorte, construit des cultures, des poésies, des romans, des films libres, des films de résistance, de combat, dans ces langues qui sont donc, aujourd’hui, des langues aussi de liberté et non pas simplement les langues originaires de ceux qui avaient voulu imposer leur loi unique. Et donc, nous sommes dans cette réalité. Et j’ajouterai une chose, je ne suis pas devenu caribéen avec le français et le créole, je ne suis pas devenu écrivain avec le français et le créole, je suis devenu poète à cause de l’espagnol et à cause de l’anglais. C’est-à-dire que dans l’enfance, les musiques, les textes, l’oralité dans nos régions étaient presque majoritairement, dans ces radios qui nous donnaient le son, la guadija de Cuba, des choses qui portaient à notre cœur caribéen dans mon petit village de la Guadeloupe. Et il y avait les calypsos avec quelque chose qui portait une espèce d’oralité aigue avec les trompettes, avec cette musique de calypso. Et de l’autre côté avec Cuba, il avait quelque chose qui était plutôt dans la gravité de ces sonorités espagnoles en O, la gravité du piano qui a été si génialement inscrit dans les cultures cubaines. Et tout cela rentrait où ? Florence l’a dit, dans les oreilles. Parce que comme l’a dit Henri Michaux, on n’a pas prévu de fermeture pour les oreilles. On peut dire : « Dommage » parce qu’on peut fermer les yeux, fermer la bouche, mais les oreilles, on ne peut pas. Ça veut dire que l’autre rentre en moi. Alors l’autre impérialisme, il rentre en moi, il m’impose des choses avec sa voix, avec sa langue, et en même temps, j’ai aussi la capacité et la possibilité de trier, de choisir, de lutter contre cet impérialisme qui est dans mon oreille avec quelque chose qui est la liberté intérieure que je peux avoir.
Et donc, à côté de ce français et de ce créole qui sont à la source de mon identité socio politique économique anthropologique de la Guadeloupe, deux langues autres, mais comme langues de liberté, comme langues de culture, de musique, de poésie, de résistance sont entrées elles aussi et ont fait que, dans une certaine mesure, j’ai pu exprimer en français, quelque chose qui dépassait les clôtures que la langue française pouvaient me donner avec ses propres sonorités, pour exprimer quelque chose qui serait moi, ma Guadeloupe, ce que je suis comme cela.
C’est vrai que, et je vais conclure là-dessus, nous avons à nous battre politiquement pour la promotion de toutes les langues, nous avons à nous battre pour les langues qui disparaissent parce que les humains qui la parlent disparaissent ou bien parce qu’ils sont dans des situations d’oppression ou des situations de domination par d’autres, c’est le travail politique que nous avons à faire. Mais en réalité, ce que nous savons aussi, c’est que rien ne serait pire que de mettre le travail politique comme source de ce qui sera ensuite l’identité et la culture. C’est complètement l’inverse, c’est au nom des réalités que nous avons et qui sont prospectives que jamais nous ne pourrons enfermer, comme jamais nous ne pourrons enfermer la langue dans nos désirs. Nous avons, par exemple, pour le créole, la génération qui est la mienne et il y en a beaucoup dans cette salle, travaillé pour donner une modernité vocabulaire avec tout le monde moderne dans la langue créole. On le fait pour d’autres langues. Tout ça, c’est un travail absolument nécessaire, mais en même temps, tout ce qui consisterait à prendre cette langue comme le symbole, comme l’outil, comme le drapeau est quelque chose qui nous enfermerait dans une oppression nouvelle et qui n’est pas seulement linguistique. C’est-à-dire que nous avons, nous des outre-mer français, une difficulté particulière, parce qu’il se trouve que c’est vrai que la France, avec cette politique assimilationniste qui a longtemps été la sienne, a été anti Babel dans son identité. Depuis la révolution, penser que l’unité, faire le vivre ensemble, ça ne peut être qu’avec une seule langue, ça ne peut être qu’avec une seule identité. Et nous-mêmes, dans notre combat politique contre cet impérialisme, nous avons parfois eu tendance à utiliser le même outil en disant : « C’est vrai que notre identité, pour l’affirmer contre le colonisateur, il va falloir aussi l’enfermer dans quelque chose » et, par exemple, on a eu dans nos mondes créoles, il y a trente ans, quelque chose qui consistait à dire : « Seul le créole est l’expression de notre identité, le français c’est la langue de l’autre, c’est le pouvoir de l’autre, il faut aussi s’en détacher. »
Et donc, ce besoin que nous avons parfois, face à l’oppression d’une langue dominante puisqu’elle a longtemps été la langue des maîtres et la langue du colonisateur, peut parfois nous mettre dans un danger très grand, je l’affirme, qui consisterait à dire : « On va faire la même chose de notre côté et s’enfermer ».
Je termine juste en citant ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie peut-être très important pour nos mondes créoles. L’exemple de ce qui s’est passé dans la vie des mondes créoles est peut-être très important pour la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie puisque ce ne sont pas les mêmes histoires. Il n’y a pas l’affrontement binaire (ce sont les pires) qu’il y a pu avoir entre le créole et le français qui nous a amené à un certain nombre de choix dans nos mondes. C’est ce que je voulais dire pour dire pourquoi c’est si important qu’on ait cette rencontre en regardant bien ce qui est différent, ce qui est spécifique.
Mais je voudrais une minute pour dire cette chose du grand poète Léon Damas. En rappelant, nous sommes en Guyane, ce que je dis là n’est pas de moi, bien entendu. Cette passion que j’exprime, c’est parce qu’elle vient de loin, elle vient des ancêtres, elle vient de la résistance, elle vient de la culture, elle vient de Damas, ce grand poète dont nous célébrons le centenaire l’année prochaine, ce grand homme qui a dit la Guyane, qui est parti à trente ans, non, à vingt-cinq ans, dans les endroits des amérindiens pour faire « Retour de Guyane », et qui était un des premiers, intellectuel, créole, parlant en français, écrivant en français à dire que notre grand oubli en Guyane ce sont ceux-là et si nous voulons être nous-mêmes, il faut aussi que nous voyons ce pluri ethnie, ce plurilinguisme, et il a dit ça en 1937, ne l’oublions pas. Je lis ce poème avec une phrase de Jean-Marie Tjibaou qui, je crois, doit nous colorer tous : « Notre identité est devant nous ». Damas : « Être de ceux qui jamais n’ont cessé d’être un souvenir qui soudain retrouve enfin le fil du drame interrompu au bruit lourd des chaines, c’est laisser se dérouler la palabre, c’est délivrer le message, c’est chanter le poème à danser. Être de ceux qui disent : non, oui, avec les mots de tous les jours. Être de ceux qui improvisent en un poème à danser que chanceux dont je suis qui jamais n’ont cessé d’être un souvenir retrouvant le fil du drame interrompu. Poème, poème à danser que chantent ceux dont je suis qui entendent être non pas les mots mais qui entendent être avec eux au gré du rythme des heures claires, chanter, danser, l’âme, l’amour, la mort, la vie de nos terres mère. » Léon Damas. Merci
Restitution des ateliers
Collecter, présenter, partager : pratiques linguistiques et de traduction dans les institutions patrimoniales
- Modérateur : Michel Alessio (Délégation générale à la langue française et aux langues de France)
Je parle de l’atelier « collecter, présenter, partager : pratiques linguistiques et de traduction dans les institutions patrimoniales ». Par institutions patrimoniales, on entend musées, bibliothèques et centres d’archives. Je rends hommage à l’esprit de synthèse de Ghislaine Glasson Deschaumes qui a très rapidement ramassé les idées émises au cours de l’atelier, lequel s’est inscrit dans la suite de l’enquête « pratiques linguistiques et de traduction dans les institutions patrimoniales d’outre-mer » réalisée en amont des EGM et dont les résultats seront formalisés début 2012. L’atelier a porté sur les pratiques linguistiques notamment au stade de la collecte et de la constitution des fonds, de la présentation de l’offre au public, de la prise en compte des acteurs locaux. Il a rappelé la nécessité d’envisager le patrimoine dans sa diversité comme une question du présent et de ne pas le dissocier des enjeux de création artistique. La situation connaît quelques limites au déploiement du plurilinguisme. Les dimensions linguistiques et de traduction sont insuffisamment prises en compte dans les musées, centres d’archives et bibliothèques. Les métropolitains qui s’installent dans les territoires d’outre-mer font souvent preuve de peu d’intérêt pour le patrimoine local. Un certain monolinguisme prédomine dans les institutions patrimoniales et, avec lui, des méthodes de catégorisation des savoirs et de description des réalités, si bien ou si mal que la présentation des patrimoines des populations ultramarines est souvent esthétisée, construite de l’extérieur sans prendre en compte les savoirs de ces populations sur elles-mêmes ni valoriser le récit qu’elles font d’elles-mêmes. Les professionnels se trouvent donc souvent démunis lorsqu’ils veulent prendre en compte la diversité des langues sur un territoire donné. Il y a, en même temps, des potentiels. Il existe une authentique réflexion des professionnels des musées, bibliothèques et centres d’archives sur la nécessité d’ouvrir leurs institutions aux langues parlées sur les territoires où ils exercent. Des dynamiques positives émergent, notamment dans les coopérations transfrontalières avec la création de réseaux régionaux ne passant pas nécessairement par la métropole. On a donné l’exemple du réseau des musées amazoniens. Les recommandations de l’atelier sont une invitation aux états généraux à être plus rebelles et imaginatifs, sont aussi une invite à agir à différents niveaux. Au niveau des institutions patrimoniales, d’abord il faut placer l’homme dans le présent au cœur des processus patrimoniaux. Pas les objets. La prise en compte du multilinguisme est un projet de société. Les institutions patrimoniales d’outre-mer ne peuvent ignorer la pluralité des langues. Elles sont invitées à utiliser l’ensemble des moyens à leur disposition, les moyens traditionnels comme les nouveaux. Les langues au musée, c’est la parole et pas seulement l’écrit. C’est sous cet angle vivant qu’il faut faire de la langue un objet patrimonial au musée, non pas en la muséifiant, mais en l’incarnant, en lui donnant voix. Il faut ouvrir des espaces plurilingues dans les institutions patrimoniales pour donner accès au patrimoine pour tous. Les populations locales doivent être associées à l’enrichissement et à la connaissance des collections et des fonds comme au développement de la mémoire locale à travers, par exemple, la collecte d’archives orales dans toutes les langues. Le plurilinguisme dans les institutions patrimoniales suppose un effort pour rendre les fonds et collections accessibles aux populations locales et pas seulement aux touristes. Au niveau des populations locales, précisément maintenant au niveau des citoyens, les habitants d’un territoire sont pleinement légitimes à faire patrimoine et doivent être valorisés comme acteurs des processus de patrimonialisation pour construire par eux-mêmes le savoir sur eux-mêmes. Très important. Détenteurs d’archives, ils ont aussi un rôle de conservation et de transmission. Les métropolitains présents sur un territoire ultramarin sont invités à faire la démarche d’aller vers les langues et patrimoines locaux. Au niveau des pouvoirs publics, ministère de la culture maintenant, il est recommandé de valoriser davantage les patrimoines d’outre-mer et de développer, dans les formations patrimoniales, au niveau général, cette dimension. De valoriser les acteurs patrimoniaux locaux dans leurs rôles pour constituer des collections de valeur nationale et universelle à partir d’un ancrage local. Adapter les modes de classement et de catégorisation des savoirs aux langues et cultures d’outre-mer, favoriser et appuyer la mise en réseau des institutions patrimoniales qui souhaitent travailler au niveau local et régional. Enfin, au niveau des collectivités territoriales, il s’agirait d’orienter leur politique patrimoniale vers la prise en compte de la diversité des langues et des patrimoines d’outre-mer non pas seulement pour sauvegarder les langues, mais pour faire société, pour construire le commun. Donc former des fonctionnaires territoriaux œuvrant dans les institutions patrimoniales aux langues locales et aux processus de traduction. Favoriser les mécanismes de participation des populations locales aux processus de patrimonialisation. Favoriser, par conséquent, l’émergence de musées, bibliothèques et centres d’archives plurilingues.
Traduire pour exister ? Le point de vue des auteurs, des traducteurs et des éditeurs
- Florent Charbonnier (Caraïbéditions Guadeloupe)
J’ai animé l’atelier « Traduire pour exister. Le point de vue des auteurs, des traducteurs et des éditeurs ». Comme vous pourrez le constater, il y a différentes préconisations et constats qui ont déjà été faits dans d’autres ateliers. Mais nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il y avait une nécessité absolue de mettre en place une politique linguistique qui donne naissance à une structure centralisatrice, c’est très important, dans chaque département, notamment. Nous avons étudié ce qui devait être fait en amont et en aval de la mise en place de cette structure de défense de la langue et des intérêts de la langue. Cette structure pourrait être mixte, dépendre de l’État notamment et d’une collectivité territoriale. Au sein de cette structure, il y aurait un pôle traduction, et c’est ce qui nous intéresse ici particulièrement, un pôle observation et cette structure servirait également d’interface entre les différentes administrations et collectivités telles que les directions des affaires culturelles, les instituts universitaires de formation des maîtres, les universités, les conseils régionaux, généraux, le centre national du livre, etc. donc la mission proprement dite d’une telle structure pour laquelle on n’a pas réussi à se mettre d’accord sur le nom, aurait en charge la formation des traducteurs et des professeurs. Beaucoup ont insisté sur la formation des traducteurs. Différentes hypothèses ont été émises, donc il y a quelque chose à creuser, mais il est vrai qu’il est nécessaire que tout un chacun ne puisse pas s’autoproclamer traducteur. Cette structure aurait aussi en charge une charte des traducteurs au sens large du terme, un transfert des compétences, aurait aussi à sa charge une uniformisation des langues, notamment au niveau de la graphie ou autre. Nous avons bien sûr déterminé en quoi cette structure, sur quels choix et quels types de supports elle pourrait œuvrer et, comme on a pu le voir dans d’autres ateliers, les supports appréhendés seraient bien évidemment le livre, l’audio, mais aussi des doublages de journaux télévisés ou de films, des bandes magnétiques dans les musées en créole de façon systématique comme on peut l’avoir dans certains musées en diverses langues ou autres. On a également déterminé ce que pourraient être les cibles sur lesquelles travaillerait cette structure, les cibles étant les personnes vers qui se serait tourné l’essentiel du travail de structure. Il y aurait les enfants bien évidemment, les élèves, les visiteurs des départements en question, les immigrés ou autres. Et il a été fait référence à plusieurs reprises à la fameuse loi 101 au Québec qui permet notamment un double affichage français anglais, partout, dans le métro, dans le train, dans les administrations ou autres. Tout cela contribuerait au développement des thématiques dans différents domaines. Bien sûr pédagogiques, cela va de soi, les manuels, les dictionnaires et autres ; culturels, démonstration artistique ; le domaine scientifique aussi qui a été largement appréhendé, le domaine signalétique et administratif concernerait aussi tous les supports administratifs dont tout un chacun peut avoir besoin à la poste, à l’hôpital ou dans les administrations. Et il y a à noter que la traduction devrait se faire dans les deux sens, il y a de l’intraduction et de l’extraduction et il est bon de rappeler que pour qu’une langue survive, notamment une langue régionale, il faut qu’elle puisse vivre et se développer et se faire connaître et être pratiquée non seulement à l’intérieur de ses frontières propres, mais aussi à l’extérieur de celles-ci. Et enfin, on a parlé des écueils qui pouvaient naître d’une telle structure puisqu’elle existe déjà notamment en Alsace et on a pu étudier très rapidement ce que pouvaient être les écueils d’une telle structure.
Le rôle indispensable des médias audiovisuels dans la construction d’une identité commune
- Rapporteur : Yvan Amar (radio France internationale)
Je vais vous parler du « rôle indispensable des médias audiovisuels dans la construction d’une identité commune » puisque c’était le titre officiel de cet atelier et qu’on recommande d’être bref, je vais essayer de l'être, sinon vif comme l’éclair parce que j’en serais bien incapable au bout de deux jours d’états généraux, du moins bref comme l’éclair, éclairant comme l’éclair, je n’ose y songer, mais on peut toujours rêver. En tout cas, dans cet atelier, qu’a-t-on remarqué ? Que la plupart des gens, pour ne pas dire l’unanimité, a souligné une très forte sous représentation des langues de l’outre-mer dans les médias. Et quand je dis sous représentation, 95% de l’atelier a tourné autour des problèmes des créoles et, par défaut, on pouvait presque en conclure que les autres langues que les créoles, les autres langues d’outre-mer étaient pratiquement absentes de tous les médias. Bien sûr il y a un certain nombre d’exceptions à cette règle qui ont été soulignées avec beaucoup de bonheur, notamment une radio qui s’appelle UDL à Saint-Laurent du Maroni et qui, en corollaire, donne un aspect très positif sur l’expression et l’exposition qu’elle donne à des langues, le ndjuka au départ et le saramaka par la suite, ce qui en fait une sorte d’espace à la fois d’identité et de visibilité qui est visiblement extrêmement apprécié. Donc, sous représentation des langues. Ensuite, ce qui a été également unanimement souligné, c’est une grosse sous représentation des outre-mer eux-mêmes dans les médias nationaux. Comme si ces médias parlaient beaucoup plus du quotidien de la métropole que du quotidien de sa périphérie, d’une certaine façon, et qu’on ne parlait des outre-mer que quand ça se passait mal, c’est-à-dire quand il y a des catastrophes naturelles ou des épidémies. En gros, on en parle pour Chikungunya ou pour les cyclones, ce qui n’est pas la meilleure façon d’en parler. En troisième lieu, on a vu que les problématiques dominantes étaient celles des créoles et on a relevé, d’une certaine façon, ce que j’appellerai un effet pervers d’une plus grande visibilité des créoles. Les créoles étant totalement absents des médias avant 1981, c’est-à-dire à l’époque du monopole. Après 1981, il y a eu un espèce d’appel d’air explosif qui a fait que les créoles se sont répandus sur un certain nombre de médias privés associatifs ou commerciaux, surtout associatifs, ça a eu comme contrecoup que les services publics ont pris cette demande en compte et que le créole a commencé à avoir une certaine visibilité dans le service public que ce soit de la radio ou de la télévision, en continuant bien sûr à s’exprimer sur des médias privés. Mais ce qui a été relevé aussi, c’est que ces médias qu’ils soient privés ou publics, mais surtout privés, donnent une libre parole à la fois à des journalistes amateurs ou professionnels et c’est vrai que très souvent il s’agit de bénévoles, et donnent aussi la parole aux auditeurs. Ce qui fait que circule sur ces médias un créole, quelles qu’en soient ses origines, qui n’est pas toujours maîtrisé et dont on regrette de temps en temps que, justement, il ne soit plus très réglé. Et, qu’on le veuille ou non, l’exposition du créole sur les médias donne une image d’une certaine normalisation, ou disons normation, du créole. Laquelle ? Eh bien, ça va amener un certain nombre de recommandations assez simples. D’abord, comment faire pour qu’il y ait une plus grande visibilité des outre-mer en général sur les médias, notamment les médias nationaux et notamment le service public ? Deuxièmement, comment faire pour qu’il y ait une plus grande visibilité des langues d’outre-mer sur ces mêmes médias ? Troisièmement, comment, je ne dirais pas défendre le créole, mais comment faire pour que les gens qui dirigent ces radios et les gens qui ont la parole sur ces radios et donc donnent la parole aux autres, aient une maîtrise suffisante à la fois de leur métier et de leur idiome pour pouvoir faire écouter un créole qui soit conforme à un certain nombre de normes ? Donc il serait bon d’alimenter un fond de formation des journalistes, des animateurs, des gens de média, dans leur langue. Puisque par exemple, on a beaucoup regretté qu’à propos d’une radio très connue à la Réunion, qui est Radio Freedom, il semble que les animateurs de Radio Freedom, selon les intervenants il y avait deux versions. Soit ils s’expriment totalement en français et ils donnent la parole en créole aux gens qui veulent la prendre, mais eux parlent en français. Soit, de façon très minoritaire, disait quelqu’un d’autre, ils parlent en créole. La plupart du temps, c’est en français. Comment faire pour que, justement, ils puissent distribuer la parole en créole, à ce moment-là, s’ils étaient mieux formés et s’il y avait plus de structures de formation des journalistes, ça serait préférable. Et dernière recommandation, les gens aimeraient beaucoup, en tout cas ceux qui ont participé à cet atelier, qu’il y ait un fond de subventions pour des reportages et des documentaires sur la vie culturelle ou la vie en général des outre-mer.
Recommandations
- Favoriser la présence dans les médias locaux et nationaux de la réalité linguistique de l’outre-mer, dans toute sa diversité.
- Accorder une place plus importante et régulière à l’actualité et à la connaissance de l’outre-mer sur les médias nationaux.
- Former des journalistes et des animateurs à exercer les métiers du journalisme dans les langues de l’outre-mer.
- Créer un fonds pour la création de reportages et documentaires radio et télévision, dans les langues d’outre-mer.
- Créer des journaux télévisés et radiophoniques en langue régionale (diffusion précédant le journal en français), avec des rédactions différentes de celle du français (ne plus traduire les sujets du français, mais construire de vrais sujets en langue régionale).
- Encourager à la réalisation, la production, et la diffusion (en particulier par le sous-titrage en français) de films en langue régionale.
- Placer l’homme dans le présent, au cœur des processus patrimoniaux.
- Faire de la langue un objet patrimonial au musée, non pas en la muséifiant, mais en l’incarnant. Les langues au musée, c’est la parole, pas seulement l’écrit.
- Ouvrir des espaces plurilingues dans les institutions patrimoniales (bibliothèques, musées, archives) pour donner accès au patrimoine et favoriser l’émergence de musées, bibliothèques, centres d’archives plurilingues.
- Associer les populations concernées à l’enrichissement et à la connaissance des collections et des fonds, comme au développement de la mémoire locale (collecte d’archives orales dans toutes les langues). Détenteurs d’archives, ils ont aussi un rôle de conservation et de transmission :
- collecte et constitution des fonds ;
- présentation et accessibilité au public ;
- actions de médiation et événements.
- Le plurilinguisme dans les institutions patrimoniales suppose un effort pour rendre les fonds et collections accessibles aux populations locales, et pas seulement aux touristes.
- Valoriser davantage les patrimoines d’outre-mer et développer cette dimension dans les formations patrimoniales au niveau national, ainsi qu’une sensibilisation aux langues d’outre-mer.
- Valoriser les acteurs patrimoniaux locaux dans leur rôle pour constituer des collections de valeur nationale et universelle à partir d’un ancrage local.
- Former les fonctionnaires territoriaux œuvrant dans les institutions patrimoniales aux langues locales et aux processus de traduction.
- Adapter les modes de classement et de catégorisation des savoirs aux langues et cultures d’outre-mer.
- Favoriser et appuyer la mise en réseau des institutions patrimoniales qui souhaitent travailler aux niveaux local et régional (coopérations sud-sud, transfrontalières, etc.).
- Former les personnels détachés en outre-mer pour une meilleure approche et connaissance des territoires.
- Orienter les politiques patrimoniales des collectivités territoriales vers la prise en compte de la diversité des langues et des patrimoines d’outre-mer, non pas seulement pour sauvegarder les langues, mais pour faire société, pour construire le commun.
- Favoriser la circulation des savoirs, des œuvres, des imaginaires, sur le territoire national, dans les langues d’outre-mer par l’intermédiaire de l’Agence nationale de promotion des cultures ultramarines.
- Valoriser les acteurs patrimoniaux locaux dans leur rôle pour constituer des collections de valeur nationale et universelle à partir d’un ancrage local.
- Former les fonctionnaires territoriaux œuvrant dans les institutions patrimoniales aux langues locales et aux processus de traduction.
- Adapter les modes de classement et de catégorisation des savoirs aux langues et cultures d’outre-mer.
- Favoriser et appuyer la mise en réseau des institutions patrimoniales qui souhaitent travailler aux niveaux local et régional (coopérations sud-sud, transfrontalières, etc.).
- Former les personnels détachés en outre-mer pour une meilleure approche et connaissance des territoires.
- Orienter les politiques patrimoniales des collectivités territoriales vers la prise en compte de la diversité des langues et des patrimoines d’outre-mer, non pas seulement pour sauvegarder les langues, mais pour faire société, pour construire le commun.
- Favoriser la circulation des savoirs, des œuvres, des imaginaires, sur le territoire national, dans les langues d’outre-mer par l’intermédiaire de l’Agence nationale de promotion des cultures ultramarines.
- Inviter les collectivités d’outre-mer, en partenariat avec l’État, à encourager et soutenir la création culturelle et artistique contemporaine, quelle que soit la langue de création, dans les domaines du spectacle vivant, de la chanson, du cinéma, de l’audiovisuel, de l’édition et des arts numériques…, et favoriser tous les moyens d’accès aux œuvres produites dans ces langues. L’usage d’une langue régionale ne saurait servir de base à une discrimination.
- Intégrer une dimension plurilingue dans les dispositifs contractuels de médiation culturelle et d’éducation artistique : éducation à l’image, éducation populaire, culture et handicap, justice, santé, multimédia, politique de la ville, lutte contre les exclusions, services des publics des établissements patrimoniaux, villes et pays d’art et d’histoire…
- Introduire les langues et cultures régionales dans les dispositifs de formation et de professionnalisation des acteurs culturels, y compris pour les agents de l’État et des collectivités.
- Réaliser un état des lieux à l’échelle des différents territoires d’outre-mer sur ce qui se fait dans le domaine de la chanson et de la danse en langues d’outre-mer, pour mieux prendre en compte la multitude d’initiatives isolées et insuffisamment valorisées.
- Préciser de manière beaucoup plus détaillée une entrée de la chanson et des danses en langues d’outre-mer dans les programmes officiels de l’Éducation nationale.
- Accompagner au niveau pédagogique, par des dispositifs de formation adaptés, l’exploitation optimale des chansons et danses en langues d’outre-mer, en particulier dans le cadre du programme d’histoire des arts.
- Redynamiser les classes APAC (classes à projets artistiques et culturels).
- Développer des infrastructures pour la collecte et la conservation des langues, des chants, des danses et des cultures des pays d’outre-mer, pour contribuer à développer des passerelles entre le 1er degré et l’université autour de ces outils.
- Ouvrir l’école aux intervenants extérieurs porteurs de savoirs et de savoir-faire dans leurs formes traditionnelles ou contemporaines, mettre en œuvre des actions pédagogiques, et dans ce but, adapter les procédures administratives et la définition du statut des intervenants.
- Veiller au respect de la propriété intellectuelle des sources collectées et protéger les savoirs et savoir-faire traditionnels.
- Accompagner le développement des résidences croisées, dans des lieux labellisés de diffusion et de création artistique, avec des porteurs de savoirs et de savoir-faire dans leurs formes traditionnelles ou contemporaines et des artistes présents sur la scène contemporaine.
- Favoriser la diffusion de productions artistiques inscrites dans les pratiques sociaux-culturelles des ultramarins, dans les lieux de diffusion labellisés.
- Créer une manifestation d’envergure nationale autour des danses et des chants d’outre-mer.
- Favoriser des passerelles entre les différents pays d’outre-mer pour accompagner le développement culturel et artistique, et favoriser des espaces de rencontre et de dialogue entre les différents pays d’outre-mer et les pays voisins.
- Utiliser les médias audiovisuels et créer des fonds patrimoniaux pour permettre la transmission intergénérationnelle de l’art du conte dans sa forme originelle.
- Créer des espaces de parole et de transmission dédiés aux littératures orales.
- Créer une manifestation d’envergure nationale autour du conte et des littératures orales.
- Favoriser la publication bilingue des contes, particulièrement dans les manuels scolaires.
- Créer un dispositif d’aide à l’animation dans les bibliothèques et les médiathèques.
- Développer le soutien aux artistes et aux associations de promotion des littératures orales.
Langues et création artistique
Présentation générale
À travers la langue qu’ils parlent, les hommes et les femmes se situent dans l’histoire, énoncent leurs itinéraires et leurs récits de vie, inventent le présent, et le transmettent aux générations futures par la parole, la poésie, le conte, le chant, la danse, la musique…
Il s’agissait ici de réfléchir à la coexistence harmonieuse des langues, à la circulation des idées, au passage d’une langue à l’autre, et de penser le commun comme désir de vivre ensemble, de partager et de transmettre la diversité des richesses d’un territoire.
Table-ronde
Propos introductif : Hector Poullet (Auteur guadeloupéen) prononcé par Frédéric Anciaux
- Introduction en créole.
Bonjour à tous.
Moi c’est guadeloupéen. « Langues et création artistique ». Un ami psychiatre et psychanalyste à qui je donnais le sujet de ce propos introductif, m’a immédiatement répondu qu’il s’agissait d’un sujet bateau traité mille et une fois dans les revues de psychologie. Selon lui, le lien était évident comme l’aurait démontré Lacan, la voie royale de cette démonstration est l’inconscient. L’inconscient est structuré comme un langage. S’il n’est pas calqué sur la langue, il en a toutefois la structure. Or, l’inconscient est à la source de la création en général et de la création artistique en particulier. Donc langues et création artistique sont liées par l’intermédiaire de l’inconscient, Cqfd. Tout le reste, me dit-il, n’est qu’une affaire de remplissage et de citer ,avec des exemples concrets, les auteurs qui ont déjà étudié le rapport entre langues et création artistique.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers amis,
qui me faites l’honneur d’écouter mon propos, je ne vous ferai pas l’injure de traiter ce sujet comme un pensum de psychanalyse ou de philosophie, en me cachant derrière mon petit doigt au prétexte que le moi est insaisissable. Je vous propose de construire ce propos autour de mon expérience personnelle. Expérience qui peut avoir un rapport avec celle de chacun d’entre vous. Je vous parlerai donc de l’être clôturé et cloisonné qui est tapi au fond de chacun de nous. Puis de l’être toujours clôturé, mais qui tente de faire tomber ses cloisons intérieures sans toujours y parvenir. Enfin, j’illustrerai ma réflexion par un bref regard sur la poétique et, plus particulièrement, sur la poétique de la langue créole, en me rappelant que le terme créole viendrait lui-même du latin creare, en français : créer. L’être clôturé et cloisonné, c’est vous, c’est moi, c’est l’enfant qui comprend très tôt que la vie est limitée par la mort, que ses parents vont mourir, qu’il va mourir, et qu’il va falloir naviguer à vue dans le champ de la vie pour construire sa propre expérience. Cette clôture, cette limite, cette fin programmée de tout temps et pour tout le vivant est inéluctable. Reste à comprendre ce qu’est la vie en général et ce que sera la vie pour lui. Alors, chacun soumettra le réel à son observation, à ses analyses, à ses déductions.
Or, le réel ne peut être appréhendé dans son ensemble, d’où la nécessité de le parcelliser, séparer chaque parcelle par des cloisons plus ou moins étanches, de trouver des similitudes, des équivalences, des hiérarchies. Bref, cette aptitude à l’analyse est pour ainsi dire innée et, nous, humains, allons tenter de mettre de l’ordre, de classer, de ranger en ordre, super ordre : genre, famille, espèce, sous-espèce, etc. Concernant la langue, nous classerons les segments du discours en noms, verbes, syntagmes et paradigmes, etc. Cette aptitude qui consiste à analyser le réel, à faire des catégories, à étiqueter, à ranger dans les tiroirs est donc naturelle, c’est l’esprit d’analyse. Cette aptitude à construire des cloisons, correspond probablement, dans notre milliard de neurones, à des synapses, des voies de connexion, à des déductions et des conclusions rangées dans des fichiers de notre cerveau. Ce cloisonnement du réel a un immense avantage : il nous rassure, il nous donne le sentiment de maîtriser la compréhension de la vie et par voie de conséquences d’avoir, en partie, prise sur la mort. Ce travail est spontané, même si certains s’appliquent à le réussir mieux que d’autres. C’est cette même méthode d’analyse de l’esprit qui conduit à l’esprit de chapelle, de parti, de communauté linguistique, culturelle ou religieuse. C’est cet esprit qui sépare l’art et la science, la langue et les langages ; classe la connaissance en disciplines et les disciplines en spécialités ; organise les ministères en directions, sous-directions ; l’armée en phalanges ou en régiments et en compagnies ; le travail en professions, en corporations et syndicats ; la foi en confessions ; la religion en églises et chapelles. L’esprit d’analyse, poussé à l’extrême, nous portera à séparer le bon grain de l’ivraie et pourra parfois nous faire camper sur nos certitudes, défendre notre pré carré, nous permettra de nous barricader dans notre tour d’ivoire.
L’être clôturé décloisonné procède de l’autre versant : l’esprit de synthèse. C’est un travail d’un autre ordre, c’est une activité volontariste qui consiste à trouver des liens, à faire tomber les cloisons, à chercher des similitudes plus que des différences. Il ne s’agit pas de se battre avec sa réalité pour faire tomber les cloisons de la société, mais d’un travail intérieur, sur soi-même, pour refuser l’enfermement intime dans lequel la société, la communauté, le parti, le courant, la chapelle, veut nous cantonner. Comprendre de manière synthétique que la vie est pleine de contradictions, c’est qu’aucune n’est antinomique. Qu’on peut aimer les mathématiques et la poésie, qu’il y a probablement une esthétique du calcul comme il y a une arithmétique de la musique, même si autour de nous cela peut faire ricaner que l’on puisse professionnellement se dire maître de mathématiques et se passionner pour la littérature, la poésie, pour la musique ou la peinture. Ce positionnement n’est jamais très confortable parce que celui qui se trouve à la croisée des chemins du réel, n’est bien vu ni des uns ni des autres. Il n’est d’aucun parti pris, d’aucun courant, d’aucune chapelle, d’aucune secte. Il n’a pas la protection de ceux qui pourtant seraient, ailleurs, heureux de l’accueillir à condition qu’il accepte d’être des leurs et non de ceux d’en face. Il doit assumer seul sa vision même s’il se doute qu’il n’est pas seul à être sur ses positions. Cet être-là, souvent solitaire, n’a plus les mêmes repères que l’ensemble du groupe auquel il est sensé appartenir, mais il n’en est ni fier ni honteux. Il cherche des voies de passage. Quand d’autres cherchent à élever des barrières, il cherche à construire des ponts.
Les langues créoles sont nées dans un univers où les cloisons étaient des murs. Infranchissables, faits de mépris et de rage, de douleur et de désespoir, quelquefois de compassion. Dans cet univers carcéral, la volonté de communiquer à tout prix avec l’autre, par delà les murs de la haine et du mépris, était déjà un acte de révolte. Communiquer demandait à la fois une volonté, une foi en l’avenir, un appétit de vivre. Mais en outre, il fallait faire appel à une inventivité de tous les instants, à une créativité permanente, avec des bric et des brocs, des bribes de mots mal prononcés, mal compris, de rares souvenirs de mots ramassés de ci de là, pris aux uns et aux autres, s’est créé un instrument de communication pour dire que nous étions tous de la même humanité. Ainsi est née la langue créole que je parle aujourd’hui, ainsi sont nées les langues créoles qui pourraient toutes répondre à cette image formule que le poète Joby Bernabé donne de la femme*. De cette création brute, de ces pidgins, de ces sabirs, de ces baragouins, certains poètes des différents créoles ont su extraire un art poétique alliant musicalité, rythme, image et métaphore. Le poète haïtien Georges Castera, fils de l’un de ceux dont la poésie m’émeut le plus, parlant de la poésie, il dit, s’adressant à l’aimée, je cite de mémoire* : « Tu me demandes, chérie, ce qu’est la poésie, un groupe de mots, une bande de mots pour déraciner le malheur. »
En conclusion, les langues créoles n’ont, à part leur histoire particulière, rien de plus ni rien de moins que les autres langues. Et plutôt que de chercher un lien entre les langues, d’une part, et la création artistique, d’autre part, nous grouperons toutes les langues en une seule et à la manière de Jacques Lacan, jouant sur les mots, au lieu de parler de langue et création artistique, nous dirons : « la langue est création artistique ». Merci.
Expert 1 : Joby Bernabé (EIA Productions en Guadeloupe)
Tout d’abord bonjour,
et je vais commencer par rire de moi-même, c’est la première fois que ça m’arrive de prendre la parole à un pupitre devant des gens. Il m’est arrivé que l’on m’ait mis un pupitre pour mes paroles poétiques, souvent je dis : « Je ne veux pas de pupitre » et là, c’est mon agent qui m’a dit : « Joby, il faut que tu ailles faire une petite présence, là », mais je suis surtout ici pour partager quelques mots de mon répertoire avec vous ce soir. Tout à l’heure j’ai rencontré Patrick Chamoiseau, je disais à Patrick : « Quand on m’a dit qu’il faudrait que je fasse une petite intervention, j’ai dit ; attention, il ne faut pas me confondre, je ne suis pas Patrick Chamoiseau ! » Il est vrai que quand Patrick Chamoiseau ou alors Max, s’exprime, parle, j’écoute beaucoup parce que je trouve que quand on veut parler de choses importantes, il faut effectivement bien peser ses mots et faire attention à tout ce qui est dit. Et Maximilien ne dira pas le contraire, et c’est vrai que dans le domaine de la création poétique et artistique en général, le proverbe qui dit : « ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » ne tient pas la route. Mais, par contre, quand il s’agit de faire une intervention analytique et didactique sur un sujet quelconque, je préfère ne pas m’y lancer, même quand souvent j’anime des stages et des choses où je parle librement, en faisant des fautes ou en me trompant très souvent peut-être même.
Donc j’ai accepté simplement parce que je me suis dit que peut-être je pouvais un peu témoigner d’un parcours, d’un chemin, avec la parole, avec la langue, avec les langues en l’occurrence : le créole, le français et aussi un peu l’espagnol, et devant vous, vous dire que maintenant cela fait un peu plus de 30 ans que je partage des paroles en créole, en français et en espagnol quand je vais en Amérique latine, avec des publics divers. Et j’ai même aussi adapté mes interventions aux tout petits, mais en général ce sont des textes de ma création, et surtout de la création d’auteurs dont les paroles chantent à ma bouche. J’aime souvent dire que je suis les paroles qui suscitent ma voie et sollicite ma voix puisque je travaille beaucoup avec ma voix. Et après mon séjour en Afrique de deux années, en 1970-1972, j’ai eu de très belles expériences sur les planches théâtrales à Paris, entre autres, et du café théâtre, et je crois que tout ce que j’avais reçu en Afrique comme flots de sonorités et de paroles, parce que quand je voyageais parfois dans les camions parce qu’on prenait des camions des transports pas seulement en commun, parfois vraiment des transports de matériaux, on prenait ce qu’on avait, après pour se déplacer — j’étais avec un ami français, nous étions partis pour 3 mois, nous sommes restés 2 ans dans l’Afrique occidentale —, il m’arrivait souvent dans les autobus aussi de retourner la tête parce que je croyais entendre parler créole. C’est peut-être tout cela qui fait qu’une année, à Paris, je me suis mis à dire des paroles en créole, beaucoup, c’est-à-dire qu’il y a un flux qui est venu à moi par le créole, alors que quand j’étais à l’école, il n’était surtout pas question de parler créole, maintenant les choses ont un peu changé.
Mais en plus, concernant la parole que l’on voudrait particulière, poétique, nous avions une vision de la poésie très restreinte parce que, en général, elle nous était mal amenée, mal expliquée et, bien après, quand on disait pour certaines de mes prestations : « soirée poétique », je ne crois pas que cela disait grand-chose aux gens à la Martinique. Parce que l’on était allé à l’école où la poésie était dans les livres. Il y avait quelque chose de factice, certains poèmes nous ont touchés, il est vrai qu’à l’époque on ne connaissait pas Césaire, mais on récitait Victor Hugo par cœur. Mais la poésie était dans les livres, elle était mal amenée dans le champ de notre compréhension de la chose.
Et donc, je vous disais pour reprendre mon fil, parce que si je perds le fil, il faut me le dire parce que je n’ai pas du tout la pratique de ce genre d’intervention. Je vous disais pour reprendre mon fil, et j’espère que vous tiendrez le votre avec moi, je vous disais qu’à Paris à un moment, je me suis remis à dire des paroles, des textes et tout de suite j’ai compris qu’il ne fallait pas que je dise des poésies parce qu’il y avait et il y a encore pas un débat, mais il y a plusieurs visions de la poésie. Je me suis mis à dire des paroles en créole et par la suite, les paroles que je créais, que j’écrivais, que je pensais, que je vivais en créole et aussi, très vite, des paroles en français. Et quand je suis rentré en Martinique, j’ai fait un premier récital qui s’intitulait « Respect » où j’ai mis sur tous les murs de Fort de France une main ouverte. C’était bien sûr une parole chargée, une parole engagée, c’était un montage poétique avec des chants et tout, et de là, la presse a loué, a acclamé le grand conteur Joby Bernabé.
Pendant des années, quinze ans, j’ai dû me battre pour expliquer que je n’étais pas conteur. Parce qu’il y a plusieurs champs de paroles, plusieurs niveaux de langues, plusieurs champs de paroles de création, de paroles poétiques. Pendant des années, mais cela a été d’autant plus difficile qu’entre temps, ma chère Euzhan Palcy est venue me demander si je voulais jouer un rôle dans « Rue Cases-Nègres », et dans « Rue Cases-Nègres », je jouais le rôle d’un personnage de village, qui était aussi celui qui avait une fillette à l’école mais était en même temps le conteur du village. Et ça créait une grande confusion parce qu’évidemment, notre petite Martinique où le cinéma était naissant, j’étais d’autant plus conteur que je jouais le rôle d’un conteur dans « Rue Cases-Nègres ». Si j’avais joué le rôle de docteur, je n’aurais pas été docteur, c’est différent. Évidemment, je suis allé voir comment fonctionnaient les conteurs, comprendre l’espace de parole du conte et comprendre un peu ce qui s’y passe et c’est vrai que j’ai quand même une certaine approche de l’univers du conte. Je ne me situe pas du tout dans la filiation du conteur. Et voilà ce qui s’est passé, c’est que j’ai commencé à faire des concerts mais je ne savais pas trop comment faire, quand je voulais faire un récital avec un ou deux musiciens ou même seul, en commune, même quand je disais : « Non, je ne viens pas en tant que conteur », c’était un conteur qui venait. Pour la Martinique, alors je ne parle même pas du Canada et de partout, où l’on m’invitait en me disant : « Il paraît que vous êtes un grand conteur », et il m’est arrivé de m’y être laissé prendre deux fois où j’y suis allé et où j’ai dit : « Je ne comprends pas, je vous ai dit au téléphone que je ne suis pas conteur ». Je peux interpréter un conte parce qu’il a fallu un moment que je me nomme statutairement, et les gens ou les journalistes me disaient : « Si tu n’es pas conteur, donc tu es poète ». Je disais : « Mais je ne peux pas me dire poète, l’idée que je me fais de la poésie ou d’une certaine poésie est tellement élevée que ça m’est très difficile de me dire poète, mais je pourrais le dire si j’écris. Je me dis plutôt poète du dire, interprète », au niveau statutaire, je suis un auteur interprète.
Mais dans les circuits de diffusion, comment faire, puisqu’on connaît le conteur ou alors maintenant, tout récemment les slameurs. Ainsi, il y a eu irruption de la parole sur la scène publique, mais cette parole n’est pas la parole du conteur. Mais dans la tradition, c’était le conteur. Alors, bien sûr, à part « Rue Cases-Nègres », à peine une année après, j’ai été invité à Martigues, parce que très vite l’écho est sorti de ce spectacle à Fort de France qui n’était pas un spectacle de contes, mais du fait que ce soit retourné avec une présence scénique, l’écho est allé partout que j’étais conteur et on m’a invité en tant que conteur au festival de Martigues en 1982 ou 81 je crois, qui est un grand festival. Et bien sûr, j’ai dit : « Oui je vais interpréter un conte » et j’ai appris par cœur, dans mon espace de réalisation et d’intérêt pour la parole d’une manière générale, mais surtout la parole rythmée, poétique, un certain type de paroles, j’ai quand même appris par cœur, je me suis coulé dans la rivière d’un conte qui s’appelait « Conte de la lune pleine quand elle marronne dans les bois » qui a été écrit par Jacqueline Labbé, une dame déjà il y a plus d’un demi siècle et qui est en Martinique, et ce conte, je suis allé l’interpréter avec trois musiciens, un guitariste acoustique, un super flutiste que beaucoup d’entre vous connaissent et mon directeur musical actuel percussionniste, multi percussionniste. Ce jour-là, imaginez en plein air, un amphithéâtre plein de gens, très peu d’antillais, et j’arrive et ce jour-là, il fait pleine lune. Et j’explique aux gens que je vais leur interpréter un conte, que j’ai appris par cœur comme une pièce de théâtre, tout cela est bien mis en place et je leur explique juste en amorce, quand je ferai « cric », vous ferez « crac », et quand je ferai « cri » vous ferez « cra » et ça se passe en amorce. Je leur apprends et tout le monde fait ça. Puis ça crée comme une ouverture, un grand silence et commence le conte et, bien sûr, je ne m’attendais pas à l’impact, un très bel impact. Et tout de suite, dans Le Monde, « le grand conteur Joby Bernabé » et ça, ça m’a enfoncé une fois pour toutes.
Je n’irai pas plus loin, je sais que l’intervention est courte. Pour vous dire qu’il m’a fallu des années et des années pour arriver à faire admettre qu’il y a plusieurs plans, plusieurs niveaux, pas niveaux au sens de mieux, plusieurs plans de parole et que la parole doit vivre en nous. Pas seulement la parole quotidienne, pas seulement les paroles usuelles, les paroles affectives, de tous les jours, pas seulement la parole politique qui prend une grande place, qui a aussi son rituel, mais ce que j’appellerai des paroles avec un P qui a un poids. Parce qu’il y a un proverbe créole qui dit « la parole dans la bouche n’a pas de poids »*. Évidemment, il y a des paroles quotidiennes, des paroles professionnelles qui ont du poids, mais beaucoup n’en ont pas ou, tout au moins, la parole donnée a perdu beaucoup de son sens.
Donc en fait, j’ai essayé de m’intéresser à quelque chose que je n’appellerai pas poésie, parce qu’il y a, par exemple, des poètes qui sont des poètes de l’hermétique, d’autres qui sont des poètes champêtres, il y a toutes sortes de plans de poésie. Je me suis surtout intéressé à quelque chose dans la langue qui permet de la faire chanter et donner son plein pouvoir opératoire. P comme pouvoir opératoire. Et bien sûr, j’ai compris que ceux qui voulaient travailler avec la langue se trouvaient dans un champ rituel que le poète Monchoachi, je ne sais s’il est là, désigne, dessine comme cela, il dit : « Il faut donner à la parole son corps, comme une corde et comme un écho ». Et lui pense que l’approche du champ créatif et artistique de la parole commence par cette allégeance : donner à la parole son corps, comme un corps, comme une corde et comme un écho. Alors, en français, donner son corps comme une corde et comme un écho… mais comme c’est un texte créole qu’il a transposé en français, cette transposition en français est forcément incomplète. * Le corps créole n’est pas un corps physique disons distinct du corps éthérique qu’on appellerait âme, dont les missionnaires ont voulu à tout prix doter les corps sauvages et animaux des indigènes et des sauvages. Et dans la philosophie fondamentale africaine dont une des bases est la philosophie bantoue, corps, c’est corps et esprit, mais même le terme d’esprit, le terme d’âme ne convient pas, il est trop entaché, sans jeu de mot, le terme d’esprit, un peu, il y a quand même une idée d’esprit. Corps et esprit, ça donne une force. Cette force, elle englobe le corps, le mental, la personnalité, c’est tout ça. Et l’homme est une force. Et dans cette force, il y a des forces : des forces positives, des forces négatives, des forces involutives et des forces évolutives. Et cette force va se retrouver aussi dans l’arbre et dans la rivière, dans la terre et, effectivement, si on dérange le corps, l’esprit de l’arbre, il ne va pas porter les mêmes fruits, et pareil si on dérange le corps, l’esprit de la terre par du chlore, l’esprit de la terre dérogé va aller déroger l’esprit de l’arbre, l’esprit de la rivière.
Je vais conclure en disant qu’une fois ce rituel, qui est un rituel d’investissement de la parole mère, établi, tout le reste c’est beaucoup de travail sur des sonorités, sur des voyelles, sur des rythmes, sur la pulsion des consonnes, il y a tout un travail qui fait que l’on peut avoir différents types de poésie comme en Afrique où il y a des paroles poétiques pour les semailles, d’autres pour la moisson, d’autres pour la lune et tout ce qu’on veut. Et tout ce champ est un champ énorme que l’on appelle le champ artistique et rituel de la parole. On va travailler en créole sur certaines sonorités propres au créole, en français, ce sont d’autres sonorités et au-delà de toutes ces sonorités, il y a les plans sémantiques de la langue. Il y a les sens, les sous-sens, l’arrière-pays des mots, etc. et c’est tout cela qui est passionnant, je ne peux pas vous en parler davantage, je crois que vous en savez beaucoup là-dessus. Je vous remercie.
Expert 2 : Ewlyne Guillaume (Scène conventionnée Kokolampoe de Saint-Laurent du Maroni en Guyane)
Bonjour
je suis metteur en scène et avec la compagnie KS & Co, ma compagnie, nous travaillons à Saint-Laurent du Maroni où nous dirigeons également une scène conventionnée, Kokolampoe, et nous organisons aussi, chaque année, un festival : Les Tréteaux du Maroni.
J’ai envie de témoigner d’une expérience singulière que nous menons depuis 4 ans je crois, avec des personnes de la communauté Saramaka. Cela s’est passé de la façon suivante. Nous n’habitons pas Saint-Laurent du Maroni, nous habitons un peu en dehors et, en nous rendant au théâtre, nous passons devant un village saramaka. Et de temps en temps, en s’arrêtant, on parle, on discute un peu, enfin on échange plutôt quelques sourires et quelques mots puisque je ne parle pas le saramaka, eux sont peu francophones ou pas du tout, mais on dit quand même ce que nous faisons : « Nous faisons du théâtre, nous sommes là, nous faisons du théâtre ». Comme le mot théâtre ne fait aucun sens, on voit qu’on ne se comprend pas du tout, l’idée c’est d’amener ces personnes dans le théâtre et d’y organiser une petite fête où nous pourrons se rencontrer autour de tambours, de boissons etc. Et la fête n’a jamais eu lieu, pas de cette façon. C’est-à-dire qu’à la première rencontre, quelque chose s’est déclenché. Les amis ont commencé à raconter des choses et nous aussi, et sur le principe du namecoti*, c’est une expression que j’ai apprise : « je te coupe », qui permet à l’interlocuteur d’insérer son récit en contradiction, en commentaire ou en digression aussi long qu’il le veut — d’ailleurs c’est un exercice excellent pour ne pas perdre le fil dont parlait Joby tout à l’heure —, on peut se permettre de parler à son tour. Et tout ça est basé sur une très grande écoute et un très grand respect. Donc on a commencé à travailler comme cela et de cette première rencontre dans le théâtre est né un spectacle. Nous ne nous y attendions pas du tout, parce que nous travaillions à l’époque d’une façon très classique. On prenait une œuvre, on l’analysait, on distribuait, on montait l’œuvre.
On s’est retrouvé devant un montage de spectacle complètement original puisqu’en fait, le premier spectacle qui s’appelle « Koud’ip » témoignait de la difficulté à communiquer quand on ne comprend ni la langue de l’autre ni ses codes culturels, simplement on sait qu’on peut parler, on peut se couper la parole. Donc « Koud’ip » a été notre premier spectacle avec ces personnes, qui étaient à l’époque, je le dis bien, acteurs, puisqu’il était peu pensable de penser à une formation de l’acteur comme on l’entend en occident ou maintenant par chez nous.
C’était une expérience d’éveil pour nous, gens de théâtre, pour moi, metteur en scène, parce que ça oblige à une vigilance de tous les instants, c’est-à-dire à revoir même ma notion d’écoute de l’acteur. Puisque ce que j’écoutais était non pas des réflexions, c’était du ressenti. Et je ne pouvais pas travailler non plus à la façon classique, c’est-à-dire le travail que nous faisons s’appuie sur la spontanéité de l’action, sur le travail avec des analogies et je ne pouvais pas agir de cette façon. Puisque la spontanéité, on ne parle pas la même langue, si j’impose ma langue en supposant qu’elle soit comprise, ce n’est pas la langue maternelle puisque ce sont des personnes qui parlent saramaka, je répète. Donc il y avait une nécessité de créer des outils, de créer des passerelles. Lesquelles ? On n’en savait rien. On était vraiment devant la page blanche. Et on a continué à travailler ensemble, patiemment, puisque c’est un travail qui a commencé, il y a maintenant quelques années, et on est arrivé à la création de notre deuxième spectacle qui s’appelle « Daïti » où, pour aller les uns vers les autres, nous avons confronté des héros d’épopée — alors que pour le premier spectacle, il y avait du français, ceux qui parlaient français et du saramaka et ça s’entrechoquait tant bien que mal, plutôt bien d’ailleurs, en jugeant pas les retours, par les critiques. Mais pour le deuxième spectacle, on s’est dit qu’il fallait quand même qu’il y ait une fable qui sous-tende ce spectacle. Nous avons décidé que nous allions fouiller dans nos mémoires pour trouver un héros d’épopée parce que nous en étions au point du travail avec ces comédiens, maintenant je dis comédiens, où nous pouvions travailler à partir de personnages archétypaux. Pourquoi ? Parce que la psychologie, c’était encore prématuré. Toujours à cause du respect. Je ne sais pas comment aborder ce travail-là avec des personnes qui ont une culture qui me parait éloignée. Donc ces personnage archétypaux, on a interrogé les acteurs qui venaient de Martinique et, précisément, un acteur, Serge Abatucci, se rappelait que son père martiniquais l’avait nourri de fragments de l’Odyssée d’Homère. Il a grandi avec ça. Alors on s’est dit : « C’est bien, on va utiliser Ulysse, puisque c’est ton héros, le héros de ton enfance » et, pour nos compagnons saramaka, un personnage est né que nous avons nommé Daïti qui était le personnage qui traversait les dits ou les contes que ces personnes nous donnaient à écouter. Ce qui m’a aussi interpellée, c’est que dans un des contes que nous avons collectés pour le montage de ce spectacle, il y a un personnage, le héros, qui pour épouser la fille du roi, pénètre dans le palais caché à l’intérieur d’un cheval. Alors c’était tout à fait étonnant. Donc nous avons monté « Daïti », une épopée qui permettait de travailler sur quelque chose qui nous semblait fondateur. Le troisième spectacle, « Kaïdara », la troisième création avec ces comédiens, est un spectacle à partir du récit initiatique peul rapporté par Amadou-Hampâté Bâ et là — ce sont des choix qui ne sont pas raisonnés a priori, mais simplement qui se sont imposés. On s’est dit : « Maintenant, on peut essayer de rentrer dans autre chose que l’épopée, c’est-à-dire un récit qui encense le courage, la vaillance etc. » et là on s’est dit qu’on allait rentrer en nous-mêmes. Et donc, avec « Kaïdara », on a commencé un récit polyphonique, parce que les langues qui rentrent en conciliabules sont le poular, le français, le créole et le saramaka. J’écoutais tout à l’heure Françoise Vergès et cela m'a confortée, parce qu’on a toujours le trac quand on fait ce genre de travail, parce qu’on subit des pressions quand même. Les pressions sont : « Pourquoi vous ne traduisez pas ? », « Vous devriez faire une traduction simultanée » etc. Or, on s’est aperçu avec « Kaïdara », qu’en réalité, le récit était compris. Bien que le français ne soit pas majoritaire, le récit était compris. Parce qu’on s’est aperçu que, grâce à la musicalité, à la puissance des sons, effectivement, il y avait un autre type d’écoute qui n’était peut-être pas l’écoute intellectuelle, convenue : je comprends parce que je comprends les mots, mais parce que j’écoute les sons. Et pour nous, cela a été très important. Et ce n’est plus, avec « Kaïdara », la superposition de langues, mais réellement un tissage polyphonique. Nous en sommes là dans notre expérience avec nos amis, et nous allons créer notre prochain spectacle qui est une pièce à partir d’une dramatique écrite, c’est-à-dire avec des dialogues, donc là, nous nous posons à nouveau la question : comment et dans quelle langue ? Et qu’est-ce que cela va nous amener ? Parce que, tant que l’on était dans des récits épiques et des récits qui faisaient intervenir le conte, la question ne se posait pas tant de se dire en quelle langue, pour nous en tout cas. Là oui. Parce qu’il y a des informations qui seront données dans la pièce qui, du coup, nécessitent tout de même de comprendre. Donc on se pose la question de savoir en quelle langue, comment ? Alors peut-être en saramaka, peut-être en français, on ne sait pas. Mais en tout cas, cette expérience avec les comédiens saramaka est forte parce qu’elle a pu donner à voir au public saint-laurentais, à ceux qui les ont vus, ils disent : « Vous nous avez donné une image belle et différente de la cité. » Voilà. Alors après, on a des problèmes de traduction, parce que nous traduisons systématiquement toutes les œuvres, tout ce que nous faisons, en saramaka.
Représentant de l'institution : Marc Nouschi (Direction des affaires culturelles océan Indien)
Nous avons déjà pris du retard, donc je vais être le plus synthétique possible. Ça tombe bien, d’abord parce que quand Xavier North m’a demandé d’intervenir, j’en étais à la fois flatté et surpris. Parce que je ne suis ni sociolinguiste ni anthropologue, je ne suis qu’un directeur d’administration déconcentrée d’un ministère avec lequel il ne saurait y avoir l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette, mais je ne suis pas porteur d’une quelconque doxa en la matière, sur le thème « langue et création », comme l’a dit hier Michel Colardelle, nous devons saisir l’espace de liberté que représentent ces états généraux pour ouvrir quelques pistes.
L’institution que je représente, d’abord, s’approprie parfaitement tous les mots et tous les concepts qui ont pu être lancés hier, que cela soit, et les inventeurs de ces concepts vont se retrouver, le « être avec », le « être aux côtés d’eux », les « eux » renvoyant évidemment aux collectivités locales, aux opérateurs culturels, aux groupes, aux mouvements associatifs, « aider à l’expression d’artistes plurilingues », ça aussi c’est une notion que nous nous approprions complètement, « éviter les situations de diglossie » , c’est également un processus que nous faisons notre. Mais pour préciser la position de l’institution dans le rapport langue et création, un rapport qui est extrêmement compliqué, je voudrais exposer quelques prémisses.
La relation entre langues et création ne saurait se limiter au champ qui place la langue en son cœur. Parce que toute œuvre culturelle fait intervenir peu ou prou la langue, si ce n’est les langues, donc ce serait une erreur que de penser que seule la poésie, la chanson, la musique utilisent la langue. Il faut aussi penser à la danse, aux arts plastiques, enfin à toutes les formes d’art quelle qu’elles soient.
Deuxième remarque, deuxième prémisse. Toutes les langues remplissent, on l’a dit, les sociolinguistes l’ont abondamment démontré, des fonctions identiques. Mais toutes n’occupent pas la même place et il faut différencier, me semble-t-il, celles qui se sont développées dans un contexte territorial donné, dans un cadre sociopolitique caractérisé par un pouvoir fort, très affirmé, de celles qui se réalisent dans un contexte d’extraterritorialité suite à des transferts de population dont aucune n’est autochtone et qui ne sont pas dans une situation d’intercompréhension. Et là, vous avez reconnu l’opposition entre ce que l’on pourrait appeler les langues impériales et les langues créoles. Et il me semble que le rapport entre langues et création varie évidemment beaucoup en fonction de la langue que l’on peut utiliser.
Troisième prémisse. Je vais citer Xavier North, évidemment, qui dit une chose très juste dans Culture et recherche, « La création, écrit Xavier, est le plus sûr moyen de garantir aux langues la légitimité qui est la leur et de préserver leur place qui leur revient dans l’espace public français » Xavier, si tu me permets, je corrigerais un tout petit peu, je dirais : « dans l’espace public européen » parce que tous les département d'outre-mer sont des composantes de l’espace européen et même de l’ensemble mondial. Parce que, en plagiant Okwui Enwesor évoquant Claude Lévi-Strauss, grand témoin que nous avons eu le plaisir de voir trop brièvement avant-hier, je dirais que les créoles n’appartiennent pas aux créoles ni à la France, mais ils appartiennent au monde dans sa totalité. Et là, un regret, c’est qu’à l’occasion de ces états généraux, on ne parle pas finalement du premier territoire créole, c’est-à-dire la France hexagonale, celle où les communautés créoles sont parfois extrêmement nombreuses. Je pense à Marseille, à Paris et à d’autres. Il eut fallu qu’il y ait aussi des délégations et des représentants de ces univers qui ont une culture propre, spécifique.
Quatrième prémisse. La France avec sa tradition centralisatrice, on l’a dit, on le répète, n’a jamais su intégrer les cultures dites minoritaires. Historiquement, elle a plus a-culturé, déculturé qu’elle n’a su inventer une politique laissant une place à ces cultures et, aujourd’hui, il y a une opportunité, puisque nous vivons ce que l’on pourrait appeler la crise de la nation France, pour prendre les mots chers à une historienne très célèbre qui parlait de l’invention de la nation France, on peut donc là, profiter de cette crise de la nation France pour redéfinir le rapport entre les français, la langue et leur territoire. Je crois que là il y a une opportunité et c’est le sens que l’on peut assigner à ces états généraux.
Ceci étant dit, le discours de l’institution est d’emblée oblitéré par ce que l’on pourrait appeler une espèce de péché originel. Il s’inscrit d’abord dans un espace qui est extrêmement froid qui est celui de l’État — vous connaissez la métaphore : « plus froid des monstres froids » —, alors que nous avons à faire à des communautés qui, par essence, sont chaudes, et cette espèce de disjonction thermique fait que notre discours est un discours qui est finalement considéré comme relativement distinct. D’autant que, deuxième péché originel, nous nous inscrivons, nous, agents de l’État, dans la durée, dans une temporalité qui est celle, j’allais dire l’éternité, oui, les temps de l’État sont les temps de l’éternité, tandis que les impatiences et les attentes des usagers, des consommateurs de culture, c’est l’immédiateté, l’instant. Et donc ce télescopage entre temps et instant, fait qu’il ne peut y avoir aussi que frustration.
Troisième élément, notre discours est, par nature, trop général alors même que le ministre nous a incité à pratiquer du sur-mesure, mais d’abord le sur-mesure c’est toujours plus couteux, on le sait bien, que le prêt-à-porter, c’est plus agréable aussi à porter, on le sait bien aussi, et les temps sont durs, pour utiliser une métaphore que vous connaissez. Et enfin, il est relativement artificiel, parce que limiter notre réflexion à « langue et création », je vous l’ai dit, cela doit, me semble-t-il aussi, impliquer une réflexion sur le patrimoine. Il serait absurde de séparer patrimoine de création, je pense que l’on est dans un tout englobant. Alors, ceci étant dit, vous voyez j’ai pris beaucoup de précaution, je vais poser trois ou quatre questions et évoquer quelques pistes.
Comment vaincre le paradigme de l’éloignement ? Tout simplement, c’est vrai que les départements d'outre-mer, les territoires d'outre-mer, sont éloignés de l’hexagone, mais on peut imaginer également de faire de chacun de ces ensembles une espèce de pôle de rayonnement, je pense que l’avenir de la Guyane passe par son ancrage dans l’ensemble latino-américain, l’avenir de la Guadeloupe et de la Martinique dans l’ensemble caribéen, je suis très content d’avoir dans ma titulature, je ne suis pas directeur des affaires culturelles de la Réunion, je suis directeur des affaires culturelles océan Indien et c’est une notion qui est extrêmement importante. C’est-à-dire qu’il faut rompre délibérément avec le rapport nord-sud, imaginer des circulations sud-sud, c’est extrêmement important pour la relation entre la langue et la création, et tout ce qui peut favoriser la mobilité sud-sud est le bienvenu. À la Réunion, je suis extrêmement heureux d’observer la naissance d’un IOMMA, Indian océan music market, c’est extrêmement important, dont l’aire de rayonnement est la Chine, l’Australie, l’Inde etc. Eh bien, que les autres départements d'outre-mer, que les autres territoires développent également de telles structures pour exporter leur musique.
Je suis toujours extrêmement attaché à des jumelages entre des institutions, des structures et d’autres structures dans des pays voisins. Très heureux de voir et de constater que le musée Léon Dierx est en train d’approcher une galerie à Durban pour favoriser des échanges. Très heureux quand je vois, et on a parlé hier des réseaux internet, quand on voit des artistes, des metteurs en scène, des poètes s’inscrire dans des réseaux qui échappent complètement à l’État. C’est très bien qu’ils échappent à l’État et c’est parfait qu’ils se développent en dehors de nous.
J’attends beaucoup, comme tout le monde, de Institut Français qui est en voie de reformatage, de l’agence des outre-mer dont on a beaucoup parlé et, bien sûr, des postes diplomatiques et si j’ai une suggestion à faire, ce serait que notre délégué général fasse un télégramme diplomatique qui serait envoyé à tous les postes diplomatiques des pays voisins pour évoquer les conclusions des états généraux de l’outre-mer en matière de multilinguisme.
Deuxième piste : la professionnalisation. Tous les départements d'outre-mer ne sont pas vertébrés de la même façon. Certains ont des structures, d’autres en ont moins. Mais tous que nous sommes, directeurs des affaires culturelles, nous sommes attachés à vertébrer, à structurer les espaces. Vertébrer et structurer les espaces, ça ne veut pas dire forcément créer des labels. Je voudrais que le ministère, son échelon central, réfléchisse vraiment sur le bien fondé à créer des labels. Ne sommes nous que des machines à créer des labels ? Je ne le pense pas. Je pense que le B-A-BA en matière musicale c’est la création de cafés-concerts, c’est la création de ce que l’on pourrait appeler des structures éphémères permanentes, à Mayotte, extrêmement important, et même à la Réunion. J’ai une position, vis à vis d’un certain nombre de labels, qui est relativement claire, préférant des structures qui permettent au milieu amateur d’avoir des équipements professionnels plutôt que d’avoir une énorme structure qui aspire tous nos crédits. Constituer des répertoires d’artistes, ça me paraît également fondamental ; de textes, essentiel ; aider les éditeurs courageux qui favorisent le plurilinguisme, également essentiel.
Troisième piste : la question des publics et des non publics. Fondamental également. Si l’on veut véritablement vaincre toute une série de barrières en matière culturelle, il faut que nous connaissions nos publics, plus dans les outre-mer qu’en France métropolitaine. C’est pour cela que : incitons nos préfets à créer des observatoires des publics en étroite coopération avec l’INSEE et les milieux universitaires, nous pourrons ainsi mieux comprendre pourquoi les gens vont voir tel ou tel spectacle ou n’y vont pas, parce que cela permettra alors d’avoir une communication extrêmement ciblée. Voilà quelques pistes. J’aurais beaucoup de choses, également, à dire, même si je ne suis en aucune manière un spécialiste, mais simplement un homme épris de quelques convictions en la matière.
Deux points en conclusion. D’abord, nous savons, et nous somme très heureux de ces états généraux, cher Xavier North, pour imaginer des relations entre les directions des affaires culturelles qui ne passent pas nécessairement par la centrale. Ça, je dois le dire, parce qu’il y a des problématiques et nous avons pris l’engagement, nous qui sommes ici représentant le ministère, à nous réunir dans nos départements d'outre-mer pour, justement, essayer de fournir des réponses concrètes aux attentes concrètes des consommateurs, créateurs de culture. Et la deuxième remarque, c’est que — et ça, tout le monde l’a dit, j’en suis fort aise — ces états généraux des outre-mer, cette année, ne sauraient être une fin, c’est une étape, c’est un début dans un processus qui implique la prise en compte de la longue durée.
Restitution des ateliers
- Modérateur : Serge Hureau (Hall de la chanson)
Il paraît, c’est Goldoni qui l’a dit de la France, et vous savez que Goldoni est un homme qui a écrit des pièces qui relevaient de la commedia dell’arte, c’était un art populaire qu’il a transformé et vous savez que dans la commedia dell’arte, chaque personnage joue dans sa langue. C’est à dire que Brighella joue en moschetto, Pantalone joue en vénitien, donc on a dix personnages à peu près dans une même pièce et chaque personnage parle dans sa langue. Et ce serait un rêve que de voir ça ici, par exemple et de monter un grand spectacle avec les langues d’outre-mer, mais des fabrications de personnages, évidemment, qui correspondraient à tout ça. Tout à l’heure, à côté de notre synthèse sur la chanson et sur la danse, il y avait aussi celle qui est sur le conte et il y avait beaucoup de points communs entre ces disciplines. Tout d’abord, quand j’ai préparé cet atelier, on a bien fait de rajouter danse. C’est un petit peu au dernier moment, tout d’un coup on s’est dit « chanter c’est très bien, mais ça se range comment les chansons ? ça se range et ça se classe en danse ». On a bien fait d’appeler ça « chanter et danser ses langues » parce qu’en fait, la majeure partie du temps, on a parlé de la danse. Et déjà ce matin, on nous l’a vraiment annoncée cette question de la danse. Comment tout à coup il n’y a plus de langues ou il y a au contraire des langues qui favorisent le corps. Et ça a été une chose unanime pour tout le monde qui était que si on bouge son corps, tout à coup, on se met à accepter de parler sa langue familière ou intime, on se met à s’intéresser à écouter d’autres langues, on a même le plaisir de pouvoir danser sur des langues qu’on ne comprend pas, donc il y a eu là une chose vraiment importante qui a été unanime et qui nous a montré qu’il y a déjà une pratique très grande et qu’on n’allait pas inventer à la suite de ces deux jours quelque chose là-dessus et, qu’au contraire, c’était fait, mais que c’était très peu reconnu. Ça c’est vraiment exprimé d’une manière très concrète, c’est-à-dire qu’en un mot on a reparlé de choses très précises qui sont les dispositifs culturels, au ministère de l’éducation nationale. Ce qui veut dire : quid des classes apac ? Pourquoi, d’une certaine manière, ont-elles disparu ? Pourquoi n’ont-elles plus assez de moyens ? Quid des artistes intervenants à côté d’un professeur, à côté d’un professeur de langue, par exemple ? Pourquoi n’y en a t-il plus ? Donc c’était d’une précision incomparable. Et ensuite, évidemment, d’autres questions qui se sont posées ici qui sont : fabriquer un répertoire, fabriquer un répertoire diffusable par exemple sur internet et qui puisse mêler le premier degré et l’université. Tout d’un coup, les chercheurs utiles aussi sur le plan de l’école. C’était donc vraiment nous rappeler pourquoi y a t-il des choses qui existent et qui ne fonctionnent pas en fin de compte et qu’on réclame simplement ? Ça c’était une chose essentielle et ensuite, on a parlé évidemment du coût de l’éducation. C’est une chose. Mais à un moment donné on avait des représentants des institutions culturelles, c’est-à-dire des outils culturels, ce sont par exemple nos scènes nationales, et la question qui se posait était : comment cela se transmet ? Comment la dimension populaire peut se transmettre ? à travers un conservatoire, par exemple, ou à travers d’autres pratiques ? Et comment, aussi, peut-elle être diffusée et être montrée ? On a vu que tout ça relevait d’une pratique amateur, peu soutenue, avec un investissement des professeurs eux-mêmes incroyable, il y a même un professeur qui était là, qui paye les intervenants elle-même, parce qu’elle veut aller jusqu’au bout de quelque chose de très fort et de très convivial qui, souvent, met en scène pas seulement les enfants mais leurs parents. Le trans générationnel est évident comme dans tous les bals depuis des siècles dans de nombreux pays du monde, c’est la rencontre des générations qui vaut. Et donc toute la question était là : comment transmettre cela ou comment le légitimer sinon qu’en proposant de le montrer ? C’est-à-dire, comment des opérations qui sont montées autour de la danse, on connaît le renouveau aujourd’hui très fort, outre-mer, des danses contemporaines liées comme par hasard aux danses hip-hop, par exemple, les danses urbaines qui vont rencontrer ces danses-là. Vivifier un répertoire, parce que tout ça c’est un répertoire fait de danses qu’on a même quelquefois oubliées et qui sont des danses de la métropole ou des danses de l’Europe quand on nous parlait de la valse, quand on nous parlait de la mazurka, comment des choses qui sont pratiquées dans le carnaval, par exemple, peuvent être vivifiées, revisitées par des artistes et, du coup, signées. Et on a rappelé une chose qui est essentielle qui est la grande part des artistes d’outre-mer qui sont connus sur le terrain de ce qu’on appelle la world music pour rester français, ou les musiques du monde et de voir que l’on a vraiment de très grands représentants nationaux des musiques du monde en outre-mer, qui viennent essentiellement tous de là. Alors toute la question était : comment l’équipement culturel va permettre, par la signature, la singularité d’un artiste, que quelque chose soit reconnu et que, par exemple, une tentative collective plutôt amateur ou dans le monde du scolaire puisse accéder à un autre statut qui sera celui même qui sera connu dans des grands festivals, etc. Voilà, ça c’était en gros ce qu’on disait, tout cela on le mettra en ligne. Chose qui a été importante pour nous aussi c’est de se dire qu’ici c’est un début, évidemment ce n’est pas une fin et la première chose qui nous a intéressée a été de demander le nom de chacun et la chanson préférée de chacun dans sa langue. Et je pense que c’est à travers tout ça qu’on dit une chose forte qui est : « la culture intime est « l’histoire des sentiments ». Parce que n’oublions pas que les chansons nous accompagnent de la naissance jusqu’à la mort et parlent de choses essentielles comme la politique, de désir amoureux, la déception amoureuse, le deuil, etc. Je pense que c’est tout ça qui donnait beaucoup de passion aux gens, mais en même temps, cette passion n’était pas démagogique et pas simplement « Allez, on va passer un bon petit moment parce qu’on va parler de chant et de danse, mais on va rappeler que ce sont vraiment des disciplines populaires qui doivent trouver leur accès, leur reconnaissance par un effort institutionnel, par exemple les faire rentrer dans le programme. Les gens ont été pris par cette idée que l’on peut bosser si ça rentre au programme et si, tout à coup, les instances supérieures permettent quelquefois de résoudre de petits problèmes intermédiaires qui empêchent, en fait, de travailler. Et la question de l’argent est aussi essentielle. Pourquoi les gens ne sont-ils pas payés pour le faire et il faut vraiment des professionnels comme de bons traducteurs, et un bon traducteur est souvent un traducteur payé.
Recommandations
- Inviter les collectivités d’outre-mer, en partenariat avec l’État, à encourager et soutenir la création culturelle et artistique contemporaine, quelle que soit la langue de création, dans les domaines du spectacle vivant, de la chanson, du cinéma, de l’audiovisuel, de l’édition et des arts numériques…, et favoriser tous les moyens d’accès aux œuvres produites dans ces langues. L’usage d’une langue régionale ne saurait servir de base à une discrimination.
- Intégrer une dimension plurilingue dans les dispositifs contractuels de médiation culturelle et d’éducation artistique : éducation à l’image, éducation populaire, culture et handicap, justice, santé, multimédia, politique de la ville, lutte contre les exclusions, services des publics des établissements patrimoniaux, villes et pays d’art et d’histoire…
- Introduire les langues et cultures régionales dans les dispositifs de formation et de professionnalisation des acteurs culturels, y compris pour les agents de l’État et des collectivités.
- Réaliser un état des lieux à l’échelle des différents territoires d’outre-mer sur ce qui se fait dans le domaine de la chanson et de la danse en langues d’outre-mer, pour mieux prendre en compte la multitude d’initiatives isolées et insuffisamment valorisées.
- Préciser de manière beaucoup plus détaillée une entrée de la chanson et des danses en langues d’outre-mer dans les programmes officiels de l’Éducation nationale.
- Accompagner au niveau pédagogique, par des dispositifs de formation adaptés, l’exploitation optimale des chansons et danses en langues d’outre-mer, en particulier dans le cadre du programme d’histoire des arts.
- Redynamiser les classes APAC (classes à projets artistiques et culturels).
- Développer des infrastructures pour la collecte et la conservation des langues, des chants, des danses et des cultures des pays d’outre-mer, pour contribuer à développer des passerelles entre le 1er degré et l’université autour de ces outils.
- Ouvrir l’école aux intervenants extérieurs porteurs de savoirs et de savoir-faire dans leurs formes traditionnelles ou contemporaines, mettre en œuvre des actions pédagogiques, et dans ce but, adapter les procédures administratives et la définition du statut des intervenants.
- Veiller au respect de la propriété intellectuelle des sources collectées et protéger les savoirs et savoir-faire traditionnels.
- Accompagner le développement des résidences croisées, dans des lieux labellisés de diffusion et de création artistique, avec des porteurs de savoirs et de savoir-faire dans leurs formes traditionnelles ou contemporaines et des artistes présents sur la scène contemporaine.
- Favoriser la diffusion de productions artistiques inscrites dans les pratiques sociaux-culturelles des ultramarins, dans les lieux de diffusion labellisés.
- Créer une manifestation d’envergure nationale autour des danses et des chants d’outre-mer.
- Favoriser des passerelles entre les différents pays d’outre-mer pour accompagner le développement culturel et artistique, et favoriser des espaces de rencontre et de dialogue entre les différents pays d’outre-mer et les pays voisins.
- Utiliser les médias audiovisuels et créer des fonds patrimoniaux pour permettre la transmission intergénérationnelle de l’art du conte dans sa forme originelle.
- Créer des espaces de parole et de transmission dédiés aux littératures orales.
- Créer une manifestation d’envergure nationale autour du conte et des littératures orales.
- Favoriser la publication bilingue des contes, particulièrement dans les manuels scolaires.
- Créer un dispositif d’aide à l’animation dans les bibliothèques et les médiathèques.
- Développer le soutien aux artistes et aux associations de promotion des littératures orales.
Le plurilinguisme, une ressource à exploiter
Présentation générale
Le plurilinguisme constitue une ressource dans laquelle les locuteurs puisent au quotidien pour favoriser les interactions dans des domaines aussi variés que les échanges culturels, les transactions commerciales, les apprentissages, l'amélioration des conditions d'accueil dans les services publics, la communication en milieu professionnel… Cette richesse est cependant trop peu valorisée et prise en compte par les institutions, pour devenir le pivot d'un « mieux vivre ensemble ». Il s'agira donc, sur la base des observations produites par des chercheurs sur les effets positifs du plurilinguisme, de proposer des outils concrets pour l'action publique, en faveur de la prise en compte de la diversité.
- Propos introductif : Sophie Alby (IUFM Guyane)
- Modérateur : Xavier North (Délégation générale à la langue française et aux langues de France)
- Rapporteur général : Robby Judes ( Commissariat de l'année des outre-mer)
Transcriptions de la table-ronde
Cette dernière thématique plus transversale a été abordée en table ronde plénière et suivie d'une discussion entre les participants présents dont on retrouve la transcription ci-après.
- Sophie Alby : On m’a demandé d’introduire le thème « le plurilinguisme comme ressource », mais finalement, ce n’est pas une introduction, puisqu’il a été un transversal dans tous les ateliers et dans les différentes plénières, je donc vais rebondir sur certaines des choses qui ont été dites dans ces différentes séances.
Avant d’évoquer la notion de plurilinguisme comme "ressource" je voudrais revenir sur le plurilinguisme perçu comme un handicap, cela a été dit à plusieurs reprises, notamment dans les plénières. Le plurilinguisme a été et continue, aujourd’hui encore, d’être considéré comme une difficulté, un obstacle, voire un handicap et je prends pour exemple certains propos qui ont été tenus : « Le plurilinguisme est perçu comme une voie sans issue au lieu d’une ouverture, le fait de parler sa langue freinerait, empêcherait l’acquisition du français, il ne faut pas parler votre langue parce que vous allez continuer à être bête à l’école ».
Ce sont des propos qui ont été tenus et qui continuent d’être tenus. Ces représentations négatives continuent d’influencer les pratiques à l’heure actuelle. Lors d'un entretien avec une enseignante qui ne date pas de très longtemps, c’était en 2011, cette personne m'a dit qu’elle punissait les élèves car elle leur interdisait de parler leur langue dans la classe. La punition consiste souvent à leur faire recopier un texte en français. Ces pratiques sont certes beaucoup moins fréquentes qu’avant, existent encore et il reste un travail à faire dans ce domaine.
Pourtant, dans les contextes en outre-mer, le plurilinguisme est un fait avéré, il a toujours été constitutif des pratiques. Cela a aussi été entendu de nombreuses fois dans les états généraux. Par exemple, les locuteurs savaient créer des passerelles d’intercompréhension pour communiquer entre eux quelle que soit leur langue première. Les langues sont donc des ressources au quotidien, en outre-mer, dans différents domaines. En voici quelques exemples :
- le domaine de la santé :
Les langues sont des ressources pour produire de l’information et communiquer. Les campagnes d’affichage pour la prévention contre le SIDA, à l’écrit : des modes d’emploi pour les préservatifs en Guyane dans vingt-six langues ; à l’oral : des annonces radio en cinq langues également pour la prévention.
Les langues peuvent être aussi des ressources pour aider à comprendre.
- l’enseignement :
Avec des enseignants qui vont parfois utiliser les langues des élèves pour les aider à comprendre les consignes qui sont données, ou qui vont s’appuyer sur un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), ou qui vont demander à des élèves de traduire et dans l’exemple que vous avez ici : l’enseignant essaie d’expliquer ce qui se passe en arrière, au rugby, à des élèves, à Apatou en Guyane, il a un peu de mal à leur faire comprendre le principe et il va demander à un élève de traduire pour lui, donc il va exploiter cette ressource dans la classe. Les langues peuvent être aussi des ressources pour mieux réussir à l’école. Je pense au dispositif des intervenants en langue maternelle. Ça peut aussi être des ressources pour développer des compétences bilingues, comme dans le cas des classes bilingues.
- L'apprentissage :
Une étude a été réalisée à Sinnamary en Guyane et les résultats ont montré que les groupes d’élèves qui étaient les plus plurilingues et qui osaient exploiter leur plurilinguisme, réussissaient mieux les tâches scolaires qui leur étaient demandées. Ce cas se situe dans le cadre des mathématiques et on voit que les enfants parlant en créole donnent des exemples en créole sur l’activité mathématiques. On a aussi eu des exemples en éducation physique et sportive, en grammaire en français où les enfants qui travaillaient sur la notion de l’adjectif allaient chercher dans leurs propres compétences et dans leur propre langue, des exemples qui leur permettaient de mieux aller vers le français et la grammaire du français ou vers le langage en général.
On a vu ce matin que les langues peuvent aussi être des ressources pour créer, on en a eu de très beaux témoignages. Toutes ces illustrations montrent que les langues sont utilisées comme ressource par les acteurs de la vie sociale, même si on peut dire que les efforts réalisés sont timides. Pour des raisons de moyens, c’est vrai, mais pas uniquement. Les représentations négatives sur le plurilinguisme constituent aussi des obstacles et il reste donc encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Derrière les langues, il y a des locuteurs et il y a des répertoires plurilingues. Donc derrière les pratiques que j’ai présentées, derrière les actions, il y a des locuteurs qui ont la caractéristique d’être bilingues ou plurilingues, ce qui signifie que ce sont des individus qui possèdent comme richesse à leur disposition, un répertoire de langues, des façons de conceptualiser le monde, des variétés dont ils peuvent user en fonction des contextes et qui leur permettent de créer des liens, de construire des passerelles entre des univers différents qu’ils soient culturels, techniques, scientifiques, conceptuels, linguistiques. Et, malheureusement, les compétences plurilingues de ces personnes ne sont pas suffisamment valorisées ni même bien exploitées.
Je vais terminer avec non pas des propositions mais des pistes à explorer, justement, pour aller vers une perspective plurilingue et multilingue en abordant quelques thèmes qui me paraissent importants, qui ont d’ailleurs été évoqués dans pendant ces états généraux.
- La traduction :
Il y a une demande dans ce domaine. On a besoin de traduire si on veut informer sur la santé, on a besoin de traduire pour informer dans n’importe quel domaine. Donc il y a une demande de traduction qui existe, mais on peut se demander s’il y a suffisamment de formation aux métiers de la traduction dans les langues minoritaires et on pourrait peut-être envisager d’ouvrir des parcours dans ces domaines-là. Souvent, en tout cas de l’expérience que j’en ai en Guyane, des locuteurs sont sollicités pour faire des traductions, pour des services de l’État par exemple, mais sans rémunération. En quelque sorte, il travaille pour la communauté. À ma connaissance, un traducteur en anglais, en espagnol ou dans n’importe quelle autre langue, est payé pour le faire, c’est un métier, donc je pense qu’il faudrait envisager des choses dans ce domaine.
- La médiation :
Il y a un grand nombre d'actions qui sont menées dans ce domaine, beaucoup d’initiatives, mais encore une fois, on pourrait peut-être aller un peu plus loin et intégrer de manière plus organisée dans la formation aux métiers de la médiation la dimension plurilingue, mais faisons attention car il faut avoir, dans ce domaine, une réflexion sur la manière dont le fait d’avoir des médiateurs peut influencer les rôles des participants dans les interactions. Je pense notamment aux relations de pouvoir et de savoir. Je vais vous en donner un exemple dans les interactions hospitalières. Lorsqu’un médecin fait une consultation, c’est lui qui a le savoir, c’est lui qui a le pouvoir et c’est lui qui mène l’interaction. Si on met un médiateur dans cette situation-là, le médiateur est détenteur d’un savoir que le médecin n’a plus. Ça peut poser des problèmes, ça peut créer des tensions. Ces questions doivent aussi être évoquées dans les formations et elles doivent être évoquées si on met en place des médiateurs dans quelque domaine que ce soit de la vie sociale.
- l’enseignement des langues étrangères :
On pourrait envisager d’avoir une réflexion un peu plus poussée sur l’enseignement des langues étrangères qui soit un enseignement des langues étrangères organisé en fonction des contextes et des enjeux territoriaux, pas uniquement en se basant sur la valeur marchande internationale de certaines langues. Peut-être une carte des langues qui tienne plus compte de l’environnement géographique plus ou moins proche, des enjeux économiques propres au territoire, des relations que les collectivités entretiennent de manière privilégiée avec certains pays de la zone.
- L'éducation :
à l’école, sur des approches qui nous semblent vraiment intéressantes à développer et qui ont été évoquées dans ces états généraux, comme les approches plurielles avec l’éveil aux langues et au langage, l’intercompréhension entre langues voisines, d’abord tout simplement pour que les élèves se sentent mieux dans leur identité plurilingue, parce que c’est un premier pas vers le vivre ensemble et je vais en donner deux petits exemples avec les films. On voit que dans ce premier film ce sont uniquement les langues de la maison qui sont évoquées, mais dans le film suivant, vous allez voir que les enfants peuvent aussi aller un peu plus loin et parler de leur plurilinguisme en général. Il y a la manière dont ils ont appris les langues et comment le plurilinguisme devient une ressource qu’on peut présenter comme quelque chose de positif, même à l’école, ce qui n’est pas toujours le cas. Donc vous avez découvert une nouvelle variété qui s’appelle le paris ! Parce qu’elle a de la famille qui est née à Paris, elle parle le paris ! C’était juste pour montrer un aperçu de ce qu’on faisait en éveil aux langues et au langage, mais cela va beaucoup plus loin. Il y a de nombreuses expériences qui ont été menées dans de nombreux endroits là-dessus, mais on travaille aussi en éveil aux langues et au langage pour apprendre à apprendre les langues, pour mieux vivre ensemble, et ça c’est important.
Et enfin, je conclurai sur la question de la didactisation des alternances qui est un domaine sur lequel on a aujourd’hui un certain nombre de descriptions. On sait qu’il y a beaucoup d’alternances de langues au quotidien dans les classes et il faudrait peut-être passer le cap et didactiser l’alternance. Je vous remercie.
Débat
Merci beaucoup. Nous allons démarrer une discussion à partir des propositions de Sophie. Avez-vous des questions dans la salle ou des choses qui ont fait écho à des propos qui ont été tenus en atelier et sur lesquels vous aimeriez revenir maintenant ?
Sophie Alby : Je vous rappelle que ce ne sont pas des propositions mais des pistes.
Intervention 1 : Ce que je ne comprends pas, c'est que l'on entend que du français alors l’on parle de multilinguisme. Je ne comprends pas. Est-ce qu’il y a un problème du français avec les autres langues ? Vous l’avez évoqué et pourtant, toutes les tendances confondues, la recherche, ceci et cela, et pourtant on est toujours dans cette même démarche. Moi, j’aimerais savoir, après cette grande messe qui est très jolie, à quoi cela va aboutir exactement ? Est-ce que c’est une grande messe comme d’habitude ou est-ce que ça va aboutir à quelque chose ? Parce qu'on est habitué, dans les outre-mer, les belles paroles, les beaux écrits, sérieusement, on veut quelque chose de sérieux. Oui c’est ce que je voulais dire. Je sais que certaines personnes vont être frustrées, mais si on parle de multilinguisme, il faut que de l’autre côté, les administrations se mettent au pas des locaux comme ils aiment bien dire. Mais si ils ne se mettent pas au pas on n’est plus dans le multilinguisme même dans le linguisme comme on veut, je connais pas les termes en français, mais vous voyez ce que je veux dire.
Sophie Alby : Je ne pense pas que cela s’adressait à moi !
Je vais passer le micro à Xavier North et puis il y avait une autre question de Monsieur, là-haut, je viendrai vous donner le micro après la réponse de Xavier North.
Xavier North : Je voudrais répondre à cette interpellation qui me paraît très légitime en effet. Pourquoi une rencontre sur le multilinguisme où on entend que parler français ? J’espère d’ailleurs qu’on n’entendra pas seulement parler français, puisque tout à l’heure, lors de la cérémonie de clôture, nous aurons la chance d’entendre plusieurs langues. Mais je crois qu’il faut assumer aussi une situation qui est la notre, c’est que le français est la langue commune des territoires ultramarins, comme elle est la langue de la République. C’est notre langue partagée. Et je crois que c’est aussi un message très fort que nous faisons passer en choisissant, pour nous exprimer, une langue commune. J’ajoute qu’il y aurait, et chacun le comprend aisément, une petite impossibilité pratique à permettre à cinquante langues, car ce n’est pas moins de cinquante langues qui sont parlées en outre-mer, de s’exprimer dans cette salle. Si l’on devait mettre en place des dispositifs d’interprétation simultanée, ça n’est pas un seul amphithéâtre qu’il faudrait, c’est au moins deux ou trois. Cinquante fois cinquante au minimum, n’est ce pas, pour permettre à toutes les langues d’être traduites en toutes les langues. On voit la difficulté. C’est d’ailleurs la difficulté essentielle d’un monde polyphonique, d’un monde plurilingue. Il y a des circonstances où il faut choisir une langue commune et nous l’assumons entièrement.
Alors quant à la seconde question que vous avez évoquée, est-ce un colloque parmi d’autres ? Est-ce une énième rencontre sur le multilinguisme ? Parce que des colloques sur le multilinguisme, il y en a partout sur la planète. Eh bien, nous avons la présomption, peut-être le fol espoir, en tout cas l’ambition, qu’il n’en soit pas ainsi et que cette rencontre débouche sur des recommandations adressées aux pouvoirs publics, adressées aussi à la société civile, aux citoyens. Certaines de ces propositions, on va le constater tout à l’heure, sont très concrètes, et il nous reviendra de veiller à leur réalisation.
Seefiann Deie : intervention en langue bushinenge
Peut-être qu’il faudrait que je traduise ? Bonsoir, loin de moi de faire une prestation artistique. La première équipe de la première soirée à l’ouverture a fait ce qu’il y a de mieux. Je prends la parole ici en tant que président du conseil des populations amérindiennes et bushinenge qui est une instance consultative mais bien inscrite dans les règles de la République.
Le constat que je fais c’est pourquoi ce rendez-vous, aujourd’hui, avec vous qui venez de tous les horizons des outre-mer ? Ça a été le souhait du gouvernement, mais à la demande suite aux états généraux des guyanais qui ont fait une revendication bien précise les concernant, qui est la prise en compte des langues locales et des spécificités de leur condition de langues des minorités et pas minorités dans le système étatique gouvernemental de la République et de l’Administration. On est bien d’accord. Sinon, pourquoi le kanak sort de la Kanakie, prend l’avion, fait trente heures de vol pour venir ici en Guyane ? Si le discours qu’il peut avoir ici est le même qu’il peut avoir à la Kanakie ? Qu’est-ce qui explique ça ? Eh bien, c’est notre diversité, le fait qu’on puisse prendre des positions, au-delà de l’espace et du temps, et pouvoir les déterminer ensemble et se réunir ici en Guyane, parce que le rendez-vous cette fois-ci était donné en Guyane, et aider la République à construire une nouvelle société française qui n’est pas celle de l’autre mais du notre ensemble. Donc concernant l’organisation, le collègue a commencé en nous disant qu’il ne comprend pas comment l’organisation est faite de manière monolingue, mais c’est normal, c’est parce que notre esprit a été habitué au monolinguisme. Donc ce n’est pas la peine de venir me dire qu’on pouvait s’arranger autrement ou que tout va bien. Non. Parce que justement, cette situation est la résonance de ce qui se fait à tous les niveaux de la stratification administrative de la République française. Est-ce que c’est clair ? Et nous, petites gens au village que je représente, on en pâtit. Parce que ça fait un discours unique, à sens unique et un discours biaisé et toutes les dimensions linguistiques que l’on peut avoir et pouvoir s’exprimer en fonction de notre quotidien pour décrire nos quotidiens, on ne peut pas le retrouver entre les deux pages d’une loi de la République. Donc voilà notre situation. Je pense qu’il est important, parce qu’on attend tous le discours et les annonces de Monsieur Mitterrand, notre ministre à tous, ministre de la république, je pense qu’il est important que, chacun dans son terroir, puisse valoriser ses langues, valoriser ses positions, continuer chacun dans sa famille à parler toutes ses langues et seulement comme ça qu’on va s’en sortir. Il est important, pour nous guyanais en tout cas, que les demandes que nous avons faites pendant les états généraux soient respectées. Notamment la mise en place d’une structure permettant la prise en compte du multilinguisme en Guyane. Alors pourquoi ne pas matérialiser en Guyane ce pôle d’excellence linguistique qu’on demande ? On ne l’a pas demandé avec des lettres mortes, on l’a demandé, il faut que ça soit ici. Il faut qu’on l’ait, comme on a cette université qui est en train de se mettre en place, on a d’autres besoins et ce sont les français de Guyane comme d’outre-mer qui ont besoin d’éléments, d’outils, de choses concrètes, ici, en Guyane. Donc voilà ce que je voulais vous dire dans un premier mot. Et arrêtons d’être dans des états généraux où tout est correct. Rien n’est correct justement, c’est pour ça qu’on se réunit. C’est pour ça qu’on passe autant d’heures dans l’avion. Parce que sinon vous restez chez vous, chacun dans son île, et tout va bien. Mais si on est là, c’est parce que les choses ne vont pas bien. Et il faut savoir le dire, chacun dans sa langue. Voilà ce que je voulais vous dire et j’espère qu’il y aura des gens qui vont pouvoir écrire ça correctement et rapporter ça à tous les niveaux de nos administrations. Merci.
Jocelyn Thérèse : Bonsoir Mesdames et Messieurs. Je remercie Sophie de la présentation. Je suis le premier vice président du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge. Le président vient de parler et je voudrais compléter ce qu’il a dit. Dans ces états généraux, nous voudrions que la France lève ses réserves, sur la convention sur les droits de l’enfant et sur l’article qui précise que les langues autochtones, les langues des enfants autochtones ne sont pas prises en compte. Il faudrait donc modifier cette position de la France vis à vis de cette convention. Et que la France applique la totalité des articles de cette convention.
La deuxième convention que d’autres pays ont ratifiée, comme l’Espagne, la Hollande et autres, est la convention 169 de la convention internationale du travail qui est sur la table de l’Union Européenne. Il n’est pas normal que les pays membres de l’Union Européenne qui veulent être les premiers en matière de droits de l’homme, et que certains pays comme la France ne ratifient pas cette convention. Il est souhaitable que la France ratifie cette convention et qu’elle soit applicable en outre-mer, là où il y a des peuples autochtones. Et là on aurait un cadre juridique et on pourrait donc avoir un cadre légal pour travailler sérieusement sur ces questions.
Le troisième élément, c’est la déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies qui a été ratifiée par la France. Il faudrait que l'on puisse sérieusement voir comment on applique ces articles justement consacrés à l’éducation, à l’identité et aux institutions scolaires qui sont contenues dans cette déclaration et que nous allions vers un enseignement, vers une éducation, vers la paix et non pas vers un enseignement et une éducation vers les conflits. Nous souhaitons, en Guyane, que nos enfants apprennent à avoir une éducation pour vivre dans la paix. Donc nous sommes aujourd’hui dans un pays où tout semble être en harmonie, mais où, à tout moment, tout peut déraper et justement, ces questions de discrimination, ces questions de la non prise en compte de notre identité et de nos langues sont un problème et ça peut exploser.
Nous ne voulons pas arriver à cette limite. Je crois qu’il est encore temps qu’on puisse s’asseoir et dialoguer sérieusement pour mettre en place les moyens et les profils des institutions que nous souhaitons ici. Voilà ce que je voulais dire.
D’autre part, nous, nos langues, les wayanas, tekos, lokonos et les six langues autochtones en Guyane font partie des 390 autres langues menacées de disparition dans les 50 ans à venir et qui sont basées en Amazonie. Je crois donc qu’il y a un volet des outre-mer, il y a aussi un volet amazonien qu’il faut ouvrir, et en ce sens, nous prenons l’initiative, dès l’année prochaine, avec l’UNICEF, d’organiser avec nos organisations amazoniennes, un séminaire important, international, et nous souhaitons que la direction des langues françaises soit aussi notre partenaire si elle veut continuer à travailler sérieusement dans cette orientation. Voilà.
Merci. Je vous propose qu’on prenne encore deux interventions, puis qu’ensuite on donne la parole au modérateur pour pouvoir continuer la discussion sur la base de ce qui s’est dit dans les ateliers.
Intervention 4 : Moi je ne ferai pas de guerre. On est en société et comme dit le collègue Jocelyn, il ne faut pas que lorsque les autochtones, c’est-à-dire les personnes qui viennent des outre-mer disent quelque chose, on passe un peu le cap. Il faut que ça soit dans le texte. Ce que vous allez rédiger, ce que Seefian Deie a dit, il faut qu’il soit dedans, ce que j’ai dit aussi et ce que Jocelyn a dit il faut que ce soit dedans. Parce que l'on sait comment ça se passe. C’est-à-dire que le français il faut savoir bien le lire et il faut le mettre parce qu’on nous a tellement eu avec ces genres de choses. Sérieusement, je veux que ce soit quelque chose en paix, pas en conflit comme a dit le camarade.
Je pense que Xavier North vous l’a dit tout à l’heure, mais les séances plénières sont filmées comme vous voyez et enregistrées, ce qui nous permettra de rédiger des actes les plus complets et, à l’issue des états généraux, nous collecterons l’ensemble des notes, des préparations d’atelier des rapporteurs et des modérateurs afin de rédiger les actes les plus exhaustifs possibles.
Intervention 5 : Monsieur North, je voudrais vous rappeler que nous vous avions déjà dit, quand vous êtes passé à la Réunion, actuellement, après avoir eu un programme académique sur lequel nous avons travaillé pendant un an et demi, deux ans, nous l’avons utilisé même pas deux ans je crois, et c’était un outil produit localement. Et voilà que peu de temps après on nous a proposé d’adosser notre enseignement au cadre européen des langues. Vraiment, je crois que c’est un cadre qui ne nous convient pas. Il me semble que c’est un cadre qui est prévu pour l’enseignement des langues étrangères, à la Réunion en tout cas, pour beaucoup de réunionnais, c’est une langue maternelle et je voudrais que vous nous entendiez concernant ce cadre. Je crois qu’il n’est pas fait pour nous. Merci d’entendre à nouveau.
Xavier North : Je me permets de répondre à cette remarque. J’en avais pris bonne note en passant à la Réunion et je promets d’intervenir sur ce point, j’en ai tout à fait conscience. Le cadre européen de référence pour les langues, comment voudrait-on qu’il s’adapte à l’ensemble des situations linguistiques sur la planète et, notamment, à celle que vous évoquez ? Le créole n’est pas une langue étrangère, c’est une langue de France. Le créole réunionnais est une langue de France. Moi-même, je suis délégué général à la langue française et aux langues de France. Ça n’est pas un vain mot, c’est au cœur de ma mission, donc je me sens un devoir d’intervenir auprès des autorités compétentes, le ministère de l’Éducation nationale, pour favoriser, susciter les évolutions nécessaires de ce cadre afin de faire en sorte que le créole ne soit pas enseigné comme une langue étrangère. Ça n’en est pas une. Je le confirme de la manière la plus nette.
Intervention 6 : J’aimerais juste rajouter quelque chose sur les programmes. Avec les programmes nationaux, on nous a demandé de faire un programme de créole où on avait 4 cases où on devait développer les thèmes selon les pays, les zones créolophones, mais ce serait intéressant qu’on nous entende enfin, qu’on note que ce n’est pas le créole, ce sont les créoles et ce sont des langues qui sont des langues à part entière et chaque créole est une langue. Donc en ce moment, on a l’impression qu’au niveau de l’État, on considère le créole comme un ensemble et donc, quand on se retrouve dans une salle avec les différentes zones justement, on se rend bien compte qu’on n’est pas du tout dans la même langue ni dans la même culture. Ce serait donc quand même intéressant de le noter et de prendre cela en compte pour les programmes.
Xavier North : Je crois que ceci a été dit très nettement lors d’une séance de restitution ou peut-être dans un atelier et on en a pris bonne note, évidemment. Les créoles parlés à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Réunion sont des créoles différents, ce sont des langues à part entière, ce ne sont pas différentes formes d’un même créole, c’est parfaitement clair.
Discours
M. Jocelyn Ho-Ti-Noe, vice-président du Conseil régional
Bonsoir Mesdames,
Bonsoir Messieurs,
Monsieur le Préfet,
En tout premier lieu je tiens à vous remercier pour avoir répondu aussi nombreux à l’invitation conjointe du préfet de Région et du président Rodolphe Alexandre qui, au moment même où je vous parle est en route pour Brasilia où il doit rejoindre la délégation conduite par le Premier ministre, M. François Fillon, en visite officielle au Brésil pour défendre ensemble, auprès de la présidence de la République fédérale du Brésil, l’intérêt de la Guyane, notamment par rapport aux effets néfastes de l’orpaillage clandestin. Le président de Région ne pouvant déroger à la sollicitation du Premier ministre a été obligé de changer tout son programme de la semaine et de reporter la signature des conventions à laquelle il doit procéder avec le ministre de la Culture et de la Communication, M. Frédéric Mitterrand. En ma qualité de vice-président du conseil régional, je suis appelé à le remplacer et c’est avec grand plaisir que je vous accueille, en son nom et au nom de la région, à l’occasion de cette cérémonie d’ouverture des États généraux du multilinguisme dans les outre-mer. Nous nous réjouissons que la Guyane soit aujourd’hui la terre d’accueil des réflexions transverses de tous les outre-mer dans ce domaine. Il s’agit en effet, ici, d’aborder un thème qui concerne tout particulièrement la Guyane, car il est constitutif de son identité. Notre région est un territoire singulier au sein duquel plusieurs entités culturelles et donc linguistiques sont présentes. Langue, identité, ethnicité sont des notions indissociables et elles ne peuvent être évoquées séparément. Peut-on traiter de l’une sans évoquer l’autre ? La question est posée. La réponse sera sans doute apportée au cours de vos débats. N’allez surtout pas croire que j’ai pour ambition de paraphraser des notions que les recherches philosophiques et sociologiques ont largement explicitées. Je ne peux que vous livrer mes réflexions personnelles et partager avec vous une des préoccupations majeures de l’exécutif régional, celle de l’unité de notre société dans le respect des différences des communautés qui la composent. Ces États généraux du multilinguisme offrent l’opportunité d’en débattre sans préalable théorique ou idéologique, dans une approche linguistique mettant l’accent sur la problématique du multilinguisme. Nous savons les risques de fracture sociétale, la nécessité d’éviter les pièges du communautarisme. Les exemples ne manquent pas, dans un contexte de mondialisation des échanges, de survenue de tensions entre communautés. Il est donc légitime de poser le débat du multilinguisme et, plus particulièrement, des rapports entre langues régionales et langue nationale dont notre territoire est une illustration. L’originalité de la société guyanaise est qu’elle peut être définie comme un groupe social hétérogène dont les membres, indépendamment de leur appartenance ethnique et de leur langue maternelle, partagent le sentiment d’avoir des origines communes construites autour d’un socle où se sont entremêlées les cultures amérindiennes, bushinenge et créoles, renforcés par des vagues d’immigration successives, qui revendiquent une histoire et un destin commun et singulier, possèdent un ou plusieurs caractères spécifiques et ont le sentiment de leur unité et de leur singularité. Sans prétendre à l’exhaustivité, il convient de rappeler que la Guyane comporte, hormis le français qui est notre langue officielle et véhiculaire, celle de l’État nation, plusieurs langues régionales dont je me contenterai d’en énumérer ici quelques unes et sans ordre hiérarchique. Les langues amérindiennes, les langues créoles, les langues bushinenge, ainsi que des langues d’immigration : le portugais, le brésilien, le créole haïtien, les créoles martiniquais, guadeloupéen et saint-lucien, le mandarin et le raka, l’anglais du Guyana, le sranan tongo du Surinam, l’espagnol caribéen et sud-américain. À partir de cette simple énumération, on serait tenté de dire qu’il y a autant de langues usitées en Guyane que de communautés culturelles et linguistiques. On voit bien qu’il n’y a pas, en réalité, de classement qui aille de soi, et l’un des premiers résultats que nous sommes en droit d’attendre des États généraux du multilinguisme en Guyane est qu’il contribue à un véritable travail de clarification sur le statut des différentes langues usitées sur notre région. Sont-elles toutes des langues régionales ? Devons-nous en distinguer celles qui ne seraient que de simples dialectes ? À défaut de pouvoir répondre à ces questions, je me réjouis que la Guyane puisse, sous cette forme, constituer un véritable laboratoire pour le multilinguisme. Et en dehors de ce travail de classification que je laisse volontiers aux spécialistes présents dans la salle, permettez-moi de dire que le multilinguisme est sans doute une chance pour notre société. Notamment en ce qu’il constitue un vecteur multiple de communication, mais tout autant un enjeu de développement dont nous devons veiller qu’il ne serve de support au communautarisme. Sous ce rapport, il me faut vous dire que si la région de Guyane est favorable à un travail de clarification des langues régionales, elle est somme toute aussi pour une véritable politique du multilinguisme. C’est-à-dire une politique basée sur la promotion des langues régionales au-delà des limites strictes des groupes de référence auxquels elles s’attachent. C’est de cette façon que nous pourrons passer d’une situation de multilinguisme comme emblème communautariste, à une situation de multilinguisme comme ferment de la société globale. C’est notamment ce qui nous a conduit à organiser pour la première fois, en avril 2011, une grande réunion de tous les chefs coutumiers amérindiens et bushinenge à Cayenne à la cité administrative régionale afin de leur permettre à tous de se rencontrer, de se parler, de partager. C’est également ce qui nous a convaincu d’organiser, il y a cela quelques jours à peine, les premières journées des peuples autochtones qui se sont tenues sur la place des Palmistes les 9 et 10 décembre et qui ont permis aux peuples amérindiens de Guyane, je crois, du moins j’en suis convaincu, de se réapproprier leur juste place au sein de la société guyanaise, à savoir au centre et non à la marge. Et c’est ce qui nous incitera, demain, à poursuivre nos efforts afin de contribuer au décloisonnement et au rassemblement de l’ensemble des communautés qui composent la Guyane. Au fond, je ne pense pas que le multilinguisme soit en lui-même une contrainte. Je crois, au contraire, qu’il doit se nourrir du principe républicain de l’égalité entre tous les hommes et, plutôt que d’être une source d’exclusion, constituer, sur ce fondement, un vrai progrès tourné vers l’expression de la diversité. Plutôt que de risquer d’opposer les communautés culturelles qui composent notre société, il vaut mieux organiser leur interaction par le truchement des idiomes et allonger ainsi les chaines de solidarité à la base de notre société. Il y a ici un enjeu de développement majeur qui porte plus largement sur la capacité de notre société à intégrer que sa propension à exclure. Dans la configuration particulière de la Guyane, la meilleure illustration de ce phénomène est donnée par l’école, pour laquelle les plus grands spécialistes ont démontré, depuis longtemps, que l’usage d’une langue régionale ou maternelle comme langue d’appoint se révèle être un bon allié pour la compréhension de la langue officielle qui est la langue de l’école. Ce qui est valable pour le milieu restreint de l’école est à fortiori extensible à la société globale pour laquelle il nous faut éviter aussi que certaines langues ne passent pour mortes et constituent pour ceux qui les utilisent une cause de repli sur soi. Ce serait pratiquement détourner la langue en tant que vecteur de communication de sa fonction première. Dès lors que des langues sont associées à des communautés culturelles, elles ont vocation, en tant qu’idiome de base, à soutenir une plus grande participation de ceux qui les utilisent à notre société globale. Le multilinguisme peut, de cette façon, être appréhendé comme un support de l’inter culturalité et le reflet même de notre métissage. Il doit pouvoir se fonder à la fois sur la superposition, la juxtaposition et le mélange des langues. L’enjeu est en réalité de taille puisqu’il porte sur la capacité de notre société à renforcer sa base sociale en organisant un véritable dialogue entre les différentes communautés culturelles qui la composent. Mais il porte aussi sur l’opportunité donnée à chacun de renégocier à tout moment son identité de base dans le moule de l’identité collective ou nationale à laquelle se trouve attaché l’usage de la langue officielle. Je conclus simplement mon propos en vous souhaitant le meilleur pour vos travaux.
Je vous remercie.
M. Denis Labbé, préfet de la Guyane
Monsieur le président,
Madame le recteur,
Mesdames, Messieurs les élus,
Monseigneur,
Mesdames, Messieurs, et je sais que vous êtes nombreux dans cette salle,
Nous n’avons pas encore eu le temps de nous présenter, donc pardonnez-moi de ne pas m’adresser à vous plus précisément. Nous accueillons aujourd’hui, en Guyane, les États généraux du multilinguisme dans les outre-mer. L’idée s’est imposée, lors des États généraux de l’outre-mer en Guyane, que la diversité des langues et des cultures dont elles sont le vecteur constitue une richesse irremplaçable. La richesse culturelle des outre-mer n’est plus à démontrer. Mosaïque de populations et de traditions, creuset du métissage et du dialogue interculturel, d’ailleurs Claude Hagège ne parlait-il pas aussi du laboratoire créole ? Monsieur le vice-président HO-TI-NOE, vous évoquiez le laboratoire, je crois que c’est vraiment un terme que les linguistes ont pu consacrer pour nos outre-mer. Nos territoires sont également des lieux où se parle au quotidien une cinquantaine de langues différentes. Outil de réflexion et de pensée de peuples différents, évoluant en fonction de leur histoire et de leurs rencontres, les langues d’Outre-mer constituent un patrimoine commun qu’il revient à chacun de nous de préserver et de faire vivre au quotidien. Mesdames, Messieurs, élus, fonctionnaires, représentants des médias et de la société civile, artistes, écrivains, étudiants et chercheurs, acteurs des services publics et de la vie associative, venus de toute la Guyane, de tous les Outre-mer et des pays voisins ainsi que de métropole, vous partagez, je le sais, cette conviction et cette préoccupation. Cette richesse que nous évoquions doit être valorisée à partir des pratiques concrètes des populations, parallèlement, il est vrai, à la maîtrise nécessaire du français. Il s’agit de promouvoir un bilinguisme, je devrais dire un plurilinguisme équilibré à même de contribuer au développement culturel de nos territoires. Ni héritières d’un passé révolu, ni facteurs de repli, les langues des outre-mer ont ainsi vocation à voir leur pratique pleinement reconnue par la communauté nationale. Pour que la richesse de ces langues soit agissante, il faut la reconnaître comme telle, en assurer la pérennité et la vitalité. La puissance publique en a la charge, l’État et les collectivités territoriales ont le plus grand intérêt à collaborer à la valorisation de la pluralité linguistique dans sa complexité. Langues régionales reconnues par la Constitution comme patrimoine de la France, patrimoine enrichi par des langues de France non territorialisées, sans omettre l’apport des langues et cultures étrangères fortement présentes dans les territoires comme d’ailleurs sur le sol métropolitain. Une cohabitation harmonieuse des langues et des cultures suppose que chaque locuteur soit sécurisé dans sa ou ses langues maternelles et qu’il maîtrise au mieux l’éventail de langues également à sa disposition. Beaucoup de langues de nos territoires se trouvent à un moment critique de leur histoire qui passe par une stabilisation de leur écriture. Des choix sont à faire, des outils sont nécessaires : dictionnaire, grammaire, recueils de textes. Moment critique aussi parce que les modes de transmission se transforment nécessairement dans un monde en mutation et qui excède le cercle familial. La Guyane me semble un territoire d’accueil tout désigné pour ces États généraux. Créole, sranan tongo, langues amérindiennes, langues issues de l’immigration, le département compte ainsi 19 langues couramment usitées dont 7 étrangères et concentre des problématiques culturelles et linguistiques fortes sur le continent sud américain. C’est aussi une terre qui sait accueillir ses visiteurs et ceux-ci pourront constater, au-delà des échanges de haut niveau, j’en suis certain, le sens de l’hospitalité des habitants de la Guyane. La manifestation que nous ouvrons aujourd’hui se trouve placée, il faut le souligner, dans les derniers jours de l’année, cette année qui est l’Année des outre-mer français. Elle représente ainsi une occasion, me semble-t-il, de dialogue particulier entre ces territoires différents et je suis heureux de constater que les kilomètres n’ont pas fait peur puisque vous êtes nombreux à être venus de l’ensemble des Outre-mer, ces territoires différents unis par leurs liens avec la France et forts des richesses qu’elle lui apporte au quotidien. Les débats de ces journées seront l’occasion d’échanges, d’échanges de haut niveau disais-je, sur la place de ces langues dans nos sociétés, sur leurs structures et sur leurs interactions. Mais elles permettront également à tous de venir découvrir et apprendre, apprendre auprès de l’autre. Ces États généraux seront également l’occasion, j’en suis convaincu, de se rencontrer dans une logique de dialogue, dans la curiosité et la volonté d’être étonné par la belle diversité des langues de France dont nous n’avons peut-être pas tous totalement encore conscience. C’est dire toute l’importance qui s’attache aux travaux qui vont suivre au cours de ces journées. Vous me permettrez de faire une petite mention particulière des remerciements que je souhaite adresser aux services de la région et aux services de la direction des affaires culturelles de Guyane pour l’organisation de ces journées qui sont importantes pour tout l’outre-mer et je tiens à vous remercier toutes et tous, tout l’ensemble des participants, de nous avoir rejoint pour ces journées des États généraux.
Je vous remercie.
Monsieur le vice-président du conseil régional,
Monsieur le préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Chers amis,
À l’ouverture de ces rencontres de Cayenne, tout entières consacrées à la coexistence des langues parlées en outre-mer, nous avons souhaité faire entendre deux grandes voix, deux paroles fortes qui nous parviennent d’outre-tombe mais dans le sillage desquelles il nous a paru possible de nous inscrire, parce que leur écho ne cesse, je crois, de retentir en nous.
Celle d'un grand intellectuel européen, d’abord, Claude Lévi-Strauss, dont la référence s’imposait naturellement pour évoquer la - plusieurs fois séculaire - curiosité des hommes pour les autres peuples, pour l’autre, pour le « différent » ; le penseur des « structures élémentaires de la parenté » mais aussi le polémiste de « Race et histoire », l’ethnologue héritier des Lumières qui, à partir d’une réflexion sur les « écarts différentiels », s’efforça de mettre en évidence l’irréductible singularité des langues et des cultures sans cesser un instant de plaider pour leur égale dignité ; le défenseur des sociétés dites « primitives » et des cultures amérindiennes, qui en fit apparaître la profonde noblesse, en montrant qu’elles étaient porteuses de valeurs et de savoirs ; une voix mélancolique, peut-être, celle de « Tristes tropiques », parce que c’est celle des identités menacées.
Celle d'Édouard Glissant, ensuite, la voix d’une grande figure de l’outre-mer français, est celle d’un monde qui naît. Ce monde n’est plus, ou pas seulement, celui des identités menacées, mais celui des identités et des langues « en devenir », qui se métamorphosent les unes par les autres. La voix de l’écrivain martiniquais nous rappelle, dans un temps où s’accélère la mondialisation, que si des langues et des cultures ont pu, pendant des siècles ou des millénaires, survivre à l’abri d’influences extérieures, la réalité profonde du monde dans lequel nous vivons est celle de la « créolisation », du « Tout monde ». Ce militant qui se battit toute sa vie pour le respect de la diversité des cultures, et d’abord celles nées de l’esclavage, nous montre, dans « Poétique de la relation », que l'identité n'est pas un acquis, n'est pas derrière nous, mais toujours devant nous, à construire, par la rencontre de l’autre.
« Un monde dans lequel ne serait plus parlée qu’une seule langue serait un monde d’une effroyable solitude », a dit une fois Lévi-Strauss. Et l’on comprend pourquoi : dans un monde monolingue, on ne rencontrerait jamais l’autre, puisque l’autre, parlant la même langue, ne nous ramènerait jamais que la figure du même.
À quoi fait écho Édouard Glissant, dans une formule qui a peut-être pour vocation de devenir la devise ou le slogan de nos « États généraux » : « Aucune langue n’est, sans le concert des autres ».
C'est sans doute dans une tension entre ces deux pôles symboliques, à la fois antithétiques et complémentaires, que nous allons tenter, pendant trois jours, de construire une politique des langues pour l'outre-mer. Et même si chacun d’entre nous à compter de demain matin ne représentera que lui-même, je voudrais ce soir - au nom du ministre de la Culture et de la Communication - souhaiter aux représentants de Polynésie française, de Wallis et Futuna, de la Nouvelle Calédonie, de la Réunion, de Mayotte, de Martinique et de la Guadeloupe, la plus chaleureuse des bienvenues ;
En préparant ces « EGM-OM », il nous est apparu très tôt que leur enjeu débordait très largement celui du développement des territoires ultramarins. La situation linguistique des outre-mer français - où la majorité de la population est appelée à construire sa vie professionnelle et à exercer des droits de citoyen dans une langue qui n’est pas nécessairement sa langue d’origine, sa langue maternelle - n’est pas une situation singulière.
On la rencontre dans l’hexagone lui-même, là où des langues régionales continuent à être parlées dès le plus jeune âge (mais c’est il est vrai une situation de plus en plus rare), on la rencontre à vrai dire partout sur la planète, sous l’effet des flux migratoires ou du développement des échanges, de sorte qu’il n’est peut-être pas abusif de dire que le plurilinguisme - qui est une réalité historique, puisque depuis toujours on parle plusieurs langues - est aussi (n’en déplaise aux Cassandre de l’uniformisation linguistique) un avenir possible pour l’humanité.
C’est pourquoi il nous a paru utile, pour souligner la portée de ces « États généraux », de solliciter les points de vue de trois « grands témoins », qui vont maintenant s’adresser à vous par vidéo interposée. Leurs témoignages, bien entendu, n’engagent qu’eux-mêmes (ils sont d’ailleurs faits pour être discutés), mais ils peuvent peut-être nous inspirer pour nos débats.
C’est le regard de trois écrivains, très parisiens (diront peut-être certains), donc très exotiques, car nous ne pouvons pas oublier, quand le regard se décentre, que l’outre-mer, pour un ultramarin, c’est la métropole. Tels quels, ils témoignent me semble-t-il de l’évolution de la pensée française sur le multilinguisme, et plus généralement, de l’évolution des esprits.
De ce point de vue, les EGM-OM marquent une étape, c’est un moment de maturité, c’est l’aboutissement d’un processus, mais en contribuant à la réalisation du petit film que nous allons voir maintenant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que c’est à votre action militante que nous devons cette évolution.
M. Michel Colardelle, directeur des affaires culturelles de Guyane
« Cet enfant sera la honte de notre nom
cet enfant sera notre nom de Dieu
Taisez-vous
Vous ai-je ou non dit qu’il fallait parler français
Le français de France
le français du français
le français français ?
Désastre.
Parlez-moi du désastre
parlez m’en. »
C’est ainsi que Léon Gontran Damas, guyanais, ami de Césaire et de Senghor et qui a été avec eux à l’origine de la pensée révolutionnaire de la négritude, dont le centenaire de la naissance est inscrit pour l’année qui vient, dans le programme des célébrations nationales, fait parler une mère imaginaire d’un imaginaire enfant d’outre-mer, dans le poème du recueil "Pigments" intitulé Hoquet en 1937. Une mère convaincue de la nécessité de faire disparaître les traces de sa propre culture pour adhérer mieux au monde global, comme on ne le disait pas encore. Une mère métaphorique imprégnée d’auto-intimidation. Quelle phrase mieux que ces vers douloureux aurait pu exprimer le désarroi de celui que se sent nié dans sa culture, repoussé dans l’ornière s’il ne consent à se travestir. C’est que l’histoire pèse. On sait bien que le français était imposé au détriment des autres langues régionales comme langue officielle de la monarchie dans un processus d’unification de l’État et, en quelque sorte, bien avant la lettre de création de la nation. Plus tard, l’abbé Grégoire, en 1794, intitule son célèbre texte à la Convention : Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et la nécessité d’universaliser l’usage de la langue française. Par étape, le projet politique et idéologique a été de manière constante d’éradiquer les autres langues. Pourtant, Ernest Renan n’affirme-t-il pas, dans le non moins célèbre texte de sa conférence à la Sorbonne en 1882, Qu’est-ce que la nation ? : « Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. » La trace, voici qui nous rapproche d’Édouard Glissant qui évoque la mémoire de la trace comme fondement d’une créolisation du monde qui est pour lui une philosophie, un processus culturel, une dynamique sociale, une poétique. Mais revenons à la Guyane. Le multilinguisme, gentiment et de manière condescendante, paré de toutes les vertus de la diversité culturelle, le politiquement correct, est ici, en Guyane, une véritable cause de souffrance alors que la diversité linguistique et culturelle représente une richesse potentielle importante du point de vue du développement social, éducatif, économique, aussi bien que culturel. Souffrance de l’enfant confronté au maître dont il ne connaît pas la langue et qui ne connaît pas la sienne. Souffrance du maître, aussi. Souffrance du parent incapable de décrire les symptômes de son enfant malade au médecin qui vient le soigner. Mal prise en compte dans les différents domaines de la vie publique, cette richesse est méconnue et, paradoxalement, fonctionne aujourd’hui encore comme un handicap. Au-delà du domaine éducatif et de l’échec scolaire dû, alors même que le monde enseignant fait le maximum d’efforts pour y remédier, à la difficulté d’adapter l’école de la République aux réalités des peuples de Guyane autochtones ou immigrés, ce sont en effet l’ensemble des services publics, d’État ou territoriaux qui font part de leurs difficultés en la matière, des services secours incendie à la poste en passant par les différents services sociaux. Ils font part également de leur besoin de mettre en place pour leur personnel en contact avec les publics, des formations à la diversité culturelle et linguistique à laquelle ils sont quotidiennement confrontés. Plusieurs initiatives existent qui, bien sûr, méritaient d’être amplifiées, coordonnées pour devenir efficaces. On ne peut que citer la multiplicité des acteurs qui sont déjà engagés dans ce combat : le rectorat, le centre national de la formation des personnels territoriaux, la protection judiciaire de la jeunesse, etc. C’est l’un des enjeux de ces États généraux du multilinguisme. Comment faire ? Et pour fonder de bonnes pratiques, comment s’entendre sur une stratégie commune ? Et d’abord, bien sûr, partager la même analyse fondamentale. La question linguistique, en France, reste conflictuelle, qu’il s’agisse d’ailleurs de la seule langue française dont le moindre projet de réforme fait menace de guerre civile ou du statut respectif et de la place à accorder aux différentes langues. Mais la raison a fait évoluer les positions, très lentement et de manière aléatoire, non sans conflit, avec des étapes. Le rapport Cerquiglini sur les langues de France incluant, outre les langues régionales, des langues minoritaires à préserver et à valoriser — ça nous intéresse évidemment beaucoup ici — comme n’étant langue nationale d’aucun territoire : l’arabe maghrébin, le berbère, l’arménien occidental, le hmong. La Charte européenne des langues régionales et minoritaires adoptée par la France mais non ratifiée car jugée inconstitutionnelle. Le rapport coordonné par Amin Maalouf en 2008 au conseil de l’Europe intitulé « Un défi salutaire. Comment la multiplicité des langues pourrait consolider l’Europe » et, récemment, les États généraux du multilinguisme en Europe qui ont été conduits sous présidence française il y a deux ans. Je souhaite, après ce rapide historique qui rappelle la difficulté de la question, revenir plus précisément à notre sujet : le multilinguisme en outre-mer. Est-ce spécifique ? Si ça ne l’est pas, on ne voit pas ce qui justifiait de ne pas envisager ces journées de débats de manière plus globale : le multilinguisme en France. Si ça l’est, qu’est-ce qui justifie le regroupement de territoires aussi différents linguistiquement, donc culturellement, que ceux qui forment l’outre-mer, sinon la commune position de dépendance par rapport à une langue dominante, celle du groupe dominant. Notre débat part de l’idée que puisque dans les régions, sous l’autorité de la République, donc sous sa protection, les effets de la modernité, dont l’unification linguistique est l’un des aspects, peuvent être corrigés au moins partiellement par une action publique. Celle-ci repose sur l’angélique croyance en un quelconque consensus en France sur la question de la place du français et de son rapport avec les autres langues parlées sur les territoires, mais j’ai déjà dit que c’était vraiment une vision irénique. Se pose ensuite la question finalement de la légitimité. Ici, en Guyane, à la suite des États généraux de l’outre-mer, est envisagée la création d’un pôle du multilinguisme. Quelle est la justification de la démarche ? Pour que ça ne soit pas un sauvetage de l’extérieur, une nouvelle forme d’assistanat pouvant être assimilée à une intrusion voire de l’ingérence, une position éthique claire doit être adoptée. À discuter : celle de l’obligation de se référer aux volontés des groupes de locuteurs concernés, d’admettre comme prééminent leur projet. C’est là qu’intervient la légitimité propre de la région en ce qui concerne la question de la préservation des cultures et donc des langues locales. Et là, sur cette initiative, l’État peut et doit, à mon avis, appuyer. Ce sont ces inquiétudes fondamentales que je voulais exprimer lors de ce début de congrès, pour dire qu’ici la question est sérieuse, qu’elle ne peut être traitée ni de manière totalement scientifique, ni de manière totalement administrative. C’est dans la subtilité d’un processus de compréhension, dans la patience d’une parole écoutée, dans l’empathie d’une conscience partagée que peut naître une posture qui ne soit ni autoritaire ni normative, laissant place à la vie, aux aléas, à la chaleur issue du frottement (référence encore à Lévi-Strauss). C’est à cette réflexion que nous vous invitons, heureux que le ministère de la Culture et de la Communication ainsi que Xavier North et la délégation générale à la langue française et aux langues de France aient choisi la Guyane pour siège, pour lieu emblématique de cette réunion. Je voudrais bien sûr, en terminant, remercier la région, tellement active dans le domaine de la culture, le centre spatial guyanais qui est de tous les bons coups aux côtés des uns et des autres pour aider, le fond social européen et l’Europe, on en parle beaucoup, toujours en mal, mais c’est un outil et c’est une aide considérable, le parc amazonien de Guyane qui est, là aussi, toujours aux côtés des bons et des grands projets. En conclusion, je vais rappeler que les États généraux, dans l’histoire, ont une connotation. Le terme n’est pas innocent. Normalement, ça se poursuit par une révolution. C’est à cette révolution que je vous invite de réfléchir.
Mme Florence Robine, recteur de l'académie de Guyane
Monsieur le président,
Monsieur le préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le délégué général à la langue française et aux langues de France,
Mesdames et Messieurs,
Il m’échoit le redoutable honneur d’intervenir au nom du ministère de l’éducation nationale et en lieu et place de M. Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire, que je suis chargée d’excuser parce que, malgré son très vif désir (les gens qui le connaissent sauront de quoi je parle) de se rendre en Guyane et de prendre une part active à ces États généraux, il est malheureusement retenu à Paris. Nous avons beaucoup parlé de la Guyane, permettez-moi d’en dire encore quelques mots. La Guyane, région de France, territoire d’Europe, c’est un point que nous devons souligner, morceau d’Amazonie, parcelle d’Amérique du Sud. C’est surtout une terre, je dirais, de paradoxe, d’originalité, de richesse qui, chaque jour, s’exprime par ses langues. Toutes les langues sont maternelles, beaucoup sont régionales, l’une d’entre elles est nationale, quelques unes sont qualifiées d’étrangères même si elles deviennent de plus en plus locales. Vous comprendrez donc aisément l’intérêt que le rectorat de la Guyane attache à ces États généraux du multilinguisme dans les outre-mer et pour lesquels nous avons, je pense, activement participé aux côtés du ministère de la culture et dont nous partageons absolument les objectifs. Pour nous, ces États généraux sont une occasion unique de réfléchir, au-delà des particularismes régionaux et locaux, à une politique linguistique et éducative qui puisse concilier l’indispensable maîtrise de la langue française avec la valorisation d’un patrimoine linguistique culturel riche et diversifié. Nous l’avons dit plusieurs fois, la jeunesse guyanaise et donc principalement nos élèves — je me permets de rappeler que 25% de la population guyanaise a moins de 25 ans, 45% a moins de 20 ans — ces jeunes disposent d’un héritage linguistique pluriel bien vivant, fruit de migrations très anciennes ou bien contemporaines voire modernes, mais aussi produit d’un métissage fécond. Ce métissage, cet héritage, permet d’entendre aujourd’hui, on l’a dit, sur le Maroni, l’Oyapock ou l’île de Cayenne, une multiplicité de langues, près d’une vingtaine, comme on nous l’a rappelé tout à l’heure. Je tiens à le dire, la valorisation de cette diversité culturelle et linguistique est prise en compte depuis près de 13 ans, cette année, qu’existe le rectorat et l’académie de la Guyane avec des dispositifs innovants dont on aura l’occasion de parler dans les ateliers tels les intervenants en langue maternelle et je renouvelle mon engagement tout à fait fort sur ces points de politique éducative qui nous semblent tout à fait prioritaires. Cependant, et j’en suis bien consciente, on peut légitimement questionner le rôle de l’école dans la mise en valeur et le respect de cette diversité linguistique culturelle et, permettez-moi de le dire, on peut aussi s’interroger sur ce qui est quand même sa mission première, c’est à dire sur le rôle de l’école dans la transmission de la langue française au sein des autres langues. Je voudrais le redire de façon forte, la première mission de l’école de la République, celle qui nous est assignée par l’ensemble des élus, au sein même de la loi d’orientation de l’école qui a été votée en 2005, c’est la maîtrise de la langue française qui constitue le premier pilier du socle commun et sur lequel se fonde une grande partie de nos politiques et des évaluations que nous conduisons au niveau national. Dès lors, comment faciliter et motiver l’apprentissage du français dans un environnement linguistique équilibré et respectueux, c’est pour moi l’objectif de nombre de nos réflexions au sein de l’éducation et que je souhaite partager avec l’ensemble des participants de ces États généraux. Comment faire en sorte que la coexistence des langues ne constitue pas un obstacle pour la maîtrise de la lecture et de l’écriture et pour l’acquisition de toutes les compétences du socle commun auquel ont droit tous nos élèves ? Ce sont des questions extrêmement concrètes qui préoccupent les professeurs de nos écoles au quotidien qui sont soucieux, évidemment, de préserver la richesse du patrimoine de nos élèves et de nos familles mais aussi, d’offrir au sein de leur classe les clefs d’une réussite scolaire, professionnelle et sociale. Nous tous, éducateurs, nous mesurons l’importance de former chez nos jeunes élèves une relation à l’autre qui soit guidée par une curiosité respectueuse et tolérante. Dans cette société de mondialisation ou de globalisation où nos jeunes, fort légitimement, aspirent à trouver leur juste place, naître dans une communauté multilingue comme la Guyane, comme celle des outre-mer devrait être une vraie chance et peut être une vraie chance. Et il me semble, puisqu’on a prononcé le mot à plusieurs reprises de laboratoire, que les sociétés ultramarines qui sont le microcosme même, l’exemple même de la diversité linguistique et culturelle mondiale, sont pour nous un laboratoire éducatif absolument prodigieux sur lequel toutes les bonnes volontés sont appelées pour réfléchir avec nous. Une des tâches de l’école, c’est de cultiver chez les élèves la capacité de se concevoir comme membre d’un groupe à la fois hétérogène et uni. Et si cette école souhaite réussir à promouvoir la compréhension et le respect de la nature de tous les groupes qui constituent la société, elle doit savoir préserver et reconnaître la diversité linguistique, elle doit arriver à faire comprendre que toute langue traduit un découpage et une représentation unique de la réalité du monde. Savoir que toute traduction, par exemple, puisque c’est un des sujets qui sera étudié dans les ateliers et qui, pour nous, est tout à fait d’importance, est une interprétation imparfaite du message d’origine. C’est une leçon de tolérance culturelle que nos éducateurs ne doivent pas manquer de faire comprendre à la jeunesse et c’est une des missions que nous assignons évidemment à l’ensemble de nos professeurs. Mais nous savons, bien entendu, tous ici que cette tâche serait vaine sans que ne soit aussi enseigné de la manière la plus éclairée et la plus performante possible, la langue française à tous nos élèves. Et nous savons que la langue française reste pour la Guyane comme pour les territoires de l’outre-mer républicain un outil incontournable de la cohésion sociale, un vecteur essentiel de la littératie, de la culture, de l’émancipation, de la liberté, en bref. Et nous savons qu’elle constitue, enfin, le mode d’expression d’une aspiration démocratique partagée. Et, dès lors, la question qui se pose à l’école tous les jours, et nous avons besoin de l’ensemble de la communauté pour nous aider à y répondre, c’est comment s’assurer de l’enseignement et de la maîtrise de la langue française dans l’optique d’un multilinguisme serein et respectueux ? Et c’est donc dans cette tension qui me semble tout à fait essentielle qui souhaite concilier à la fois instruction nécessaire, émancipation sociale et valorisation de toutes les langues et de toutes les cultures, que vont certainement, je n’en doute pas, se situer vos réflexions auxquelles nous sommes extrêmement heureux de participer. Et je tiens à féliciter très chaleureusement les organisateurs de ces États généraux. Sachez que le rectorat de la Guyane et, de façon plus générale, le ministère de l’Éducation nationale, à travers tous ses représentants, tous ses acteurs saura examiner avec soin et vous entendre, en particulier sur les résultats de vos travaux, aussi bien les vœux que vous émettrez, les propositions, que les critiques qui ne manqueront certainement pas d’apparaître à l’issue de ces États généraux. L’école souhaite dessiner, à côté de tous les partenaires et de tous les acteurs publics, le plan, l’architecture de la Guyane gagnante de demain.
Je vous remercie.
Discours de Mr Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication
Vendredi 16 décembre 2011, 18h, auditorium de l’EnCRE, Cayenne
Monsieur le Préfet de la région Guyane, cher Denis Labbé,
Monsieur le Vice-Président de la Région Guyane, cher Jocelyn Ho-Tin-Hoe,
Madame le Recteur de l’académie de Guyane, chère Florence Robine,
Mesdames et Messieurs les élus, qui nous faites l’amitié d’être parmi nous ce soir,
Monsieur le Commissaire général de l'année des outre-mer, cher Daniel Maximin,
Monsieur le Délégué général à la langue française et aux langues de France, cher Xavier North,
Monsieur le Directeur des affaires culturelles de Guyane, cher Michel Colardelle,
Et vous tous, chers amis, rassemblés autour des jeunes guyanais et des artistes dont vous avez voulu faire ce soir vos porte-parole,
En répondant nombreux à notre invitation - vous qui venez de tous les territoires ultramarins de la République – en acceptant de confronter vos expériences, vos convictions, vos expertises, pour jeter avec nous les bases d’une nouvelle politique des langues, vous avez fait de Cayenne, pendant trois jours, la capitale des outre-mer français.
Ces rencontres de Cayenne marquent d’abord, me semble-t-il, un aboutissement, que je tiens à saluer au nom du Gouvernement.
Avec Daniel Maximin, nous étions avant-hier soir à la Cinémathèque française, à Paris, pour inaugurer le cycle de cinéma « Images des outre-mer » – une très belle manifestation qui présentera jusqu’à la fin de l’année une soixantaine de films, afin de lutter contre ce que Daniel Maximin appelle le « déficit d'images ». Je crois précisément que dans tous les domaines de la culture, il s’agit bien de faire en sorte, par un effort collectif, que ce « déficit d’images » ne soit bientôt plus que le souvenir d'un anachronisme.
Pourquoi parler d'anachronisme ?
Parce que je suis fondamentalement persuadé que les outre-mer français représentent pour la France un laboratoire unique de la diversité culturelle, par sa contribution essentielle à notre patrimoine culturel et artistique commun. Il y va de ce que le poète de Saint-Pierre-et-Miquelon, Eugène Nicole, appelle “l’ignorance de notre situation au monde”.
Lorsque la France se revendique de la notion de diversité culturelle dans les enceintes internationales, ses représentants s'entendent souvent dire, vous me pardonnerez l'expression, qu’ils devraient commencer par « aller faire le ménage chez eux ». Ces critiques n'ont peut-être pas toujours tort.
Le vent de l'histoire nous aura laissé son cortège de blessures. La blessure de la traite, des oppressions de tous genres, des discriminations. Il nous aura laissé également en héritage l'attachement à la République. Aujourd'hui, la diversité culturelle est devenue une valeur : que de chemin, en effet, parcouru en quelques décennies… Pour autant les cultures ultramarines souffrent encore d'un manque de visibilité et de reconnaissance dans notre République. C'est ce « déficit » qui fait par exemple que le cinéma ultramarin sera resté longtemps à l’état de promesse. C'est ce à quoi des personnalités comme Euzhan Palcy et tant d’autres s'attellent, Raoul Peck également qui dirige la FEMIS, et qui nous apporte toute la richesse de sa perspective haïtienne sur la question.
J'ai voulu sur tous les fronts faire des cultures ultramarines une priorité de mon action à la tête du ministère de la Culture et de la Communication. C’est dans cet esprit que j’ai lancé, voilà plus d’un an, un plan d’action pour l’outre-mer, qui commence à porter ses fruits.
Remédier au déficit d'images, ce n'est pas se contenter des symboles. Ceux-ci sont importants, voire essentiels, comme la cérémonie en l'honneur d'Aimé Césaire au Panthéon, auquel le président de la République a rendu hommage. Je pense également à toutes les formes de reconnaissance publique données aux artistes ultramarins, ou encore au classement du maloya au patrimoine immatériel par l'Unesco : dans le domaine de la reconnaissance, on ne fera jamais assez. Ce sont autant de marques d'attachement à l’une des composantes essentielles de nos identités culturelles.
Les symboles, bien sûr, ne suffisent pas. Lors de mes déplacements en outre-mer, je n'aurais pas ménagé mes efforts, notamment pour veiller à ce que les outre-mer soient toujours pris en compte dans les initiatives de portée nationale lancées par mon ministère.
Dans le domaine du patrimoine, par exemple, les chantiers sont nombreux. Lorsque j’ai créé en septembre dernier le label des « Maisons des Illustres », qui met en réseau 111 lieux dans lesquels s'inscrit la mémoire des grandes figures des lettres, des sciences, de notre vie politique, sur l'ensemble des territoires français, j’ai veillé à ce que l’outre-mer soit bien sûr représenté par plusieurs sites emblématiques, comme par exemple, la maison de Félix Eboué, ici en Guyane, ou encore celle d’Anne-Marie Javouhey à Mana. Pourquoi pas, demain, celle d’un Grand Man prestigieux ?
Les enjeux patrimoniaux, ce sont aussi des projets comme celui de transformer, à Mayotte, le palais du Gouverneur en un musée de la culture et de l'histoire mahoraise, dont l’île a tant besoin. Stéphane Martin, le président du Musée du Quai Branly, m'a beaucoup aidé à définir les grandes lignes de ce projet.
Mieux prendre en compte les outre-mer, pour mon ministère, c'est également soutenir les scènes du spectacle vivant. Théâtres, centres dramatiques, compagnies de danse… Tant reste à faire, notamment en matière de labellisation nationale des structures existantes et en création de nouveaux équipements. Je suis très reconnaissant du travail remarquable des directions des affaires culturelles de mon ministère, qui accompagnent au quotidien la dynamique des coopérations avec les collectivités territoriales. Les défis à relever sont parfois relativement aisés à résoudre, mais ils peuvent également impliquer des investissements plus conséquents : dans tous les cas, l'essentiel est que la coopération entre les collectivités et l'État puisse être la plus étroite possible, et que la Culture en outre-mer ne reste pas dans l'angle mort des rapports avec l'État et la métropole.
Sur tous ces chantiers, je crois que nous avons atteint un point de non-retour, et ces dynamiques pourront être relayées d’ici peu par l'agence nationale de promotion des cultures ultramarines, dont je puis vous annoncer aujourd’hui le lancement officiel, par mon ministère et celui de l’outre-mer, au début de l’année 2012.
Aujourd'hui, c'est par les langues que nous terminons ce formidable coup de projecteur qu'aura été l'Année des outre-mer. Nous terminons par les langues, ou plutôt nous commençons par les langues : c'est un formidable symbole, parce que chacune de nos langues détient un fragment d'universel ; parce qu'aussi nous avons la République et la langue française en partage. Sur les 75 langues de France qui ont été identifiées en 1999, les deux tiers sont des langues ultramarines. Ces langues, dont presque toutes sont des langues maternelles, sont plus vivantes que jamais. Mais d’autres, nous le savons, sont dans une situation de disparition annoncée. Cela confère aux collectivités publiques une responsabilité que, pour ma part, je n’éluderai pas.
J'ai tenu également à ce que vos rencontres se tiennent ici, en Guyane. Tout d'abord parce que les collectivités territoriales de Guyane - le conseil régional et son président Rodolphe Alexandre - sont fortement engagées dans un travail particulièrement nécessaire de reconnaissance des cultures dans leur diversité, en même temps que de décloisonnement des communautés. Nous avons développé des projets communs auxquels je suis particulièrement attaché, je pense à ce cœur culturel que l’ancien hôpital Jean-Martial, où je me rendrai demain avec Alain Tien-Liong, président du conseil général, et Rodolphe Alexandre, pourra représenter pour la création et la mémoire en Guyane, pour la recherche aussi, notamment dans le domaine linguistique et des traditions orales, ainsi que de la culture immatérielle. Nous allons également signer demain quatre conventions entre l’État et les collectivités territoriales guyanaises : une convention-cadre de développement culturel avec la Région, une autre entre cette dernière et le Centre national du cinéma et de l’image animée, une convention de développement culturel territorial avec Saint-Laurent-du-Maroni, et une convention « territoire et lecture » avec Maripasoula.
Parmi les raisons d’organiser à Cayenne les états généraux du multilinguisme dans les outre-mer, il y a bien sûr l’extraordinaire richesse et la complexité du patrimoine linguistique guyanais : 19 langues d'usage courant, dont 7 étrangères parmi lesquelles le portugais du Brésil, le cantonais et le mandarin, entre autres, le créole guyanais bien sûr, les quatre créoles bushinengé à base lexicale anglaise ou anglo-portugaise, le hmong, et six langues amérindiennes. Pour certaines, ce sont des langues que vous avez en partage avec nos voisins du Surinam, notamment pour les langues des Marrons, et du Brésil, pour le créole guyanais parlé par les Galibi-Marwono et Karipúna, mais aussi le wayampi, le palikur, le kalina, entre autres langues amérindiennes qui sont presque toutes transfrontalières, et que l'on retrouve jusqu'au Guyana et au Vénézuéla. Langues véhiculaires ou vernaculaires, langues en danger pour certaines, le spectre est très large, et propice aux croisements avec les perspectives linguistiques de nos voisins : les autres Guyanes et notamment le Surinam, les États caribéens, et bien sûr le Brésil, où le Premier ministre se trouve en ce moment même.
Ici, à Cayenne, pendant 3 jours, ce sont plus de 250 personnes venues des quatre continents qui se sont réunis. Chercheurs, enseignants, acteurs culturels, beaucoup d'entre vous œuvrent au quotidien à faire vivre ces quelque cinquante langues de France.
Venus des Antilles, de la Réunion, de Mayotte, de la Nouvelle-Calédonie - qui détient le record de la diversité linguistique des outre-mer français, avec la mosaïque des quelque quarante langues kanaks que l'Académie des langues kanak contribue à mettre en valeur par son travail remarquable, avec l’Agence pour le développement de la culture kanak, avec le Centre culturel Tjibaou - de Wallis-et-Futuna, de Polynésie.
Je tiens à saluer très chaleureusement la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, M. Xavier North et ses équipes, pour leur engagement remarquable, pour leur travail patiemment construit, bien en amont, par des réunions préparatoires, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion, aux Antilles, et bien sûr ici même, avec la complicité et le dévouement de mon ami Michel Colardelle, le Directeur des affaires culturelles de Guyane, et de son équipe, qui mènent ici en Guyane une action essentielle – et je crois que les représentants des collectivités territoriales n'en disconviendront pas. Rassembler des chercheurs, des linguistes, des responsables d’associations culturelles, des enseignants, des traducteurs ou des artistes, venus de trois océans pour dialoguer avec leurs homologues guyanais, n’était pas un mince défi. Ce dernier a pu également être relevé grâce au concours que leur ont apporté la région Guyane, le CNES, le Fonds social européen et - puisque cette soirée est retransmise en direct par la télévision – la chaîne Guyane Première, et je voudrais que nous leur témoignions ce soir notre reconnaissance.
Je voudrais également remercier Florence Gendrier, Michel Alessio et Valelia Muni Toke, non seulement pour leur travail acharné auprès de Xavier North, mais aussi pour leur coordination du très beau numéro de Culture et Recherche, revue de mon ministère, pour un numéro qui rappelle, et je crois sans présomption, les meilleures heures du Courrier de l'Unesco.
Dans des pays où, à l’exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, la langue française n’est pas la langue maternelle de la majorité de la population, les vieux clivages entre jacobins et girondins n'ont plus guère de sens. Les outre-mer montrent à la métropole qu’il y a bien d'autres manières de concevoir et de vivre cette polyphonie dont Édouard Glissant, récemment disparu, nous aura notamment montré le chemin. Conforter la coexistence des langues ultramarines avec la langue française, dans des politiques spécifiques, cela a été l'objectif de vos rencontres. Il y va également de la qualité de l'apprentissage du français.
Vous vous êtes penchés, pendant ces trois jours, sur tous les domaines où vous partagez la même conviction : l’équilibre des langues doit faire l’objet d’une démarche volontariste, pour une transformation du regard, pour une transformation pragmatique aussi. Cette conviction, je la partage pleinement avec vous.
Dans le domaine de l'emploi des langues dans la vie sociale, vous avez abordé des problématiques telles que l'accès au soin pour les citoyens non francophones, ou encore la promotion de son usage écrit, afin de lutter contre la relégation au seul cercle privé qui, comme Mona Ozouf l'aura montré pour le breton dans Composition française, peut pour une langue revenir « à terme à la condamner à mort ».
Vous avez également débattu sur ce que les linguistes et les pédagogues appellent l’« équipement » des langues : leur outillage linguistique, les grammaires, les dictionnaires, les lexiques, la production d'outils didactiques… Là aussi, et malgré la variété des situations, vos échanges ont dû être particulièrement précieux – surtout dans un domaine où parfois le symbolique ou le politique peut l’emporter sur l’efficient : je pense aux graphies des créoles antillais. Je pense à ce que me confiait le ministre de la Culture du Cap-Vert il y a quelques semaines : là-bas aussi, de l'autre côté de l'Atlantique, on se bat pour des graphies, et de même que nous avons le créole des « îles à sucre » et celui des « îles sans sucre », les Capverdiens ont le créole des îles sous le vent et celui des îles au vent. Dans ces domaines techniques, il est parfois bon de se souvenir que dans nos singularités, nous ne sommes jamais seuls, pour pouvoir garder le cap de la transmission.
Transmission à l'école et en dehors de l'école : c’est l’un des autres domaines que vous avez abordé pendant ces trois jours. C’est là que se joue l'éveil à la diversité et à sa compréhension. À l’heure où nous commémorons le dixième anniversaire de la Déclaration de l’Unesco sur la diversité culturelle, je partage avec Mme Irina Bokova, sa directrice générale, une conviction : la diversité culturelle, c'est aussi et surtout une affaire de compétences. S'éveiller à la diversité des points de vue, être capable, dès le plus jeune âge, de comprendre que les langues constituent autant de filets différents jetés sur le monde : c'est cela, la compétence à la diversité. Je pense aux situations de bilinguisme en Polynésie française, dans les échanges au quotidien, à la radio, à la télévision, au plurilinguisme profondément ancré dans les cultures kanakes… La coexistence de ces langues de France que sont les langues ultramarines avec le Français constitue sur ce point un formidable vivier de compétences pédagogiques et d'ouverture au monde sur lequel il nous faut agir collectivement, et dont la métropole a beaucoup à apprendre. Lorsqu’on dit que la diversité est une richesse à exploiter, le parallèle avec les ressources naturelles et la biodiversité me laisse parfois perplexe : pour autant, je crois qu'avec cette notion de compétence, on appréhende beaucoup mieux ce dont il peut s'agir.
Vous avez également abordé le rôle que peuvent jouer les outils numériques. Bon nombre des 12 territoires et collectivités d'Outre-mer sont aujourd’hui connectés. C’est une chance considérable pour la vivacité des langues ultramarines, que ce soit par l’utilisation des réseaux sociaux, des supports vidéos, etc. C’est aussi une chance pour tous ceux qui contribuent à l'étude des langues, et qui luttent notamment à la sauvegarde de celles d'entre elles qui sont les plus menacées – je pense au formidable travail que fait l'association Sorosoro, et que vous connaissez probablement tous, tant le succès de sa base de données audiovisuelles est une contribution très importante au travail souvent invisible des linguistes – en dehors des milieux spécialisés. Je pense également aux outils collaboratifs proposés notamment par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, au « Corpus de la parole » : là aussi, les pistes à explorer sont nombreuses.
Vous vous êtes également penchés sur la place des langues ultramarines dans la vie culturelle et dans les médias. Notre patrimoine linguistique, à l’évidence, trouve son meilleur avocat dans sa mise en valeur par la création. Je pense aux passerelles multiples qui ne demandent qu’à être encore plus développées entre le spectacle vivant et le patrimoine immatériel – qu’il s’agisse du théâtre caribéen, du Déba de Mayotte, du maloya à La Réunion. J'ai eu le plaisir de recevoir il y a un an Christine Salem et ses musiciens à mon ministère pour l’édition 2010 de la Fête de la Musique, à l'occasion de l'inscription du maloya sur la liste du patrimoine immatériel. Je pense aussi à tout le talent qui est investi dans l'organisation de festivals comme Transamazoniennes, qui fait tant, en Guyane, pour la renaissance des cultures bushinengé et amérindiennes. Je pense aux traditions orales, aux contes de l'enfance, à l'art oratoire tahitien… Les exemples abondent de cette extraordinaire richesse verbale, orale, onirique, sur laquelle il faut veiller, pour la préserver, pour la mettre au mieux en valeur, sans la dénaturer.
Dans le domaine du cinéma que j’ai brièvement évoqué, la baisse considérable des coûts rend la production et la réalisation beaucoup plus accessible qu'il y a trente ou quarante ans, où seuls quelques fous géniaux se jetaient à l'eau. Aujourd'hui, c'est toute une nouvelle génération de jeunes cinéastes qui émerge dans les outre-mer : à nous, les pouvoirs publics, collectivités territoriales et État, de les soutenir pour que leur œuvre puisse connaître une diffusion à la mesure de leur talent, et atteindre les publics les plus variés, en métropole, dans les autres outre-mer. À cet égard, je compte bien faire adopter par le Parlement la taxe spéciale additionnelle pour l’outre-mer qui permettra d’accompagner cette vitalité retrouvée. Dans ce nouveau cinéma, la visibilité des langues ultramarines a à coup sûr toute sa place.
La promotion des langues ultramarines, c'est aussi évidemment la télévision. J'ai veillé à ce que figurent bien, dans le contrat d'objectif et de moyens de France Télévisions pour la période 2011-2015, des objectifs ambitieux et évaluables pour les Outre-mer Premières. Comme vous le savez, le passage à la TNT a permis d’enrichir largement l’offre de télévision en outre-mer ; les citoyens ultramarins disposent désormais de 8 à 10 chaînes gratuites. Les chaînes locales, qui diffusent notamment en langue vernaculaire, sont diffusées sur la TNT, avec par conséquent une bien meilleure qualité de son et d'image. Mon ministère et celui de l'outre-mer ont mis en place un dispositif spécifique pour accompagner ces chaînes lorsqu'elles rencontrent des difficultés financières nouvelles, qui peuvent être dues notamment aux coûts de diffusion parfois plus importants en numérique, comme c'est le cas par exemple aux Antilles. Cela est également favorable à la mise en valeur de notre diversité linguistique.
Dans tous les domaines du multilinguisme ultramarin, vous avez fourni, durant trois jours, un travail considérable, dont je tiens tout d’abord à vous remercier chaleureusement. J’examinerai avec une attention toute particulière le relevé de conclusions auquel ont abouti ces États généraux, et dont une synthèse vient de nous être présentée. Je voudrais saluer d'abord le nombre et la qualité des recommandations produites dans les ateliers et en séance plénière. Ils témoignent à la fois d'un long travail de préparation « en amont », et d’un engagement que vous partagez dans l’ensemble des outre-mer. L’idée de ces rencontres était précisément de produire cette mise en perspective inédite, entre des pays si différents qui ont le multilinguisme en partage.
Vous n'avez laissé de côté aucun domaine de développement ou de mise en valeur du multilinguisme ultramarin. Pour n'aborder qu'un seul sujet, au titre des langues dans la vie sociale en général, il convient de rappeler, comme vous le faites, que rien ne s'oppose à leur emploi, dès lors que celui-ci est assorti d'une version en langue française qui, seule, a valeur juridique. Cette possibilité d'expression est encore trop méconnue. Or elle est ouverte à tous, y compris aux services publics et aux administrations, particulièrement à l'échelon des collectivités territoriales. Il y a là un moyen formidable pour assurer la visibilité et, dirais-je, la légitimation des langues de France. La publication bilingue, par une commune, de la revue municipale, ou de textes émanant du conseil municipal, l'adoption des formes correctes et traditionnelles des noms de lieu, conjointement aux formes officielles qui s'en écartent parfois : autant de moyens de promotion du multilinguisme ultramarin sur lesquels les collectivités locales pourraient s’engager si elles le désire, et qui peuvent bénéficier de l’appui de l’État.
En matière de langues régionales, il faut le rappeler, l'article 75-1 de la Constitution, adopté en 2008, a introduit, par son inscription au Titre XII consacré aux collectivités territoriales, un principe de responsabilité partagée entre ces dernières et l'État. C'est tout un espace de concertation et de collaboration inédites qui s'ouvre, et qui doit prospérer. Nous avons déjà engagé un dialogue fructueux avec plusieurs régions de l'Hexagone autour de projets de développement linguistique. Il va sans dire que l'outre-mer se prête par excellence à ce type d’approche. Ces États généraux doivent être un point de départ, et je sais que vous attendez du concret, des annonces précises, et qui seront suivies d’effet.
Les idées que vous avez débattues, dont beaucoup relèvent d’un cadre interministériel, m’ont paru d'une grande pertinence, et j'ai bien entendu votre message ; il ne restera pas sans suite. Je ferai part à mes collègues du Gouvernement, parmi les mesures susceptibles d'être prises, de celles qui intéressent directement leur domaine d'intervention. Je me réjouis, à cet égard, de voir que de nombreux agents de l'Éducation nationale, à tous les niveaux de l'Administration, ont pris une part active aux « États généraux ». Je vous prie, Madame le Recteur, de les en remercier. Nous œuvrons dans le même sens : une collaboration avec les services de la Culture est indispensable à toute avancée sur la voie que nous traçons ensemble. Une demande est remontée très fortement au cours des ateliers de ces États généraux : celle d’adapter pour les outre-mer le Code de l’Éducation, en y inscrivant au-delà du créole, les langues maternelles. Cela ne relève pas de ma compétence directe, mais je comprends cette demande, qu’en tant que ministre de la Culture et de la Communication, je me dois de relayer. J’en ferai part à mon collègue Luc Chatel, qui, je le sais, est sensible à ces questions, de façon à ce que nous trouvions le moyen, peut-être dans le cadre d’une convention expérimentale entre le ministère de l’Éducation nationale et la Culture, par exemple en Guyane, de faire progresser la prise en considération de ces langues dans l’enseignement public.
Enfin, comment ne pas souhaiter que l’histoire des arts réserve une place accrue aux monuments et aux expressions artistiques propres aux territoires ultramarins concernés ? Est-on bien sûr que les élèves, tous les élèves, quelle qu’en soit l’origine, sont initiés aux grandes dates de l’histoire de leur territoire ?
Dans mon propre champ de compétences, plusieurs mesures peuvent d'ores et déjà être envisagées. Je veux qu'elles se réalisent concrètement. Vous avez notamment insisté sur le fait que les langues d'outre-mer devaient davantage s'afficher dans les lieux publics. C'est la question de leur visibilité, de leur « socialisation ».
C’est pourquoi je demande d’ores et déjà aux musées relevant de la tutelle du ministère de la Culture de prévoir désormais des cartels et une signalisation qui informent le public dans la ou les langue(s) régionale(s) en usage dans le territoire d'implantation, et de prévoir des visites de conférenciers dans cette ou ces langue(s). Il me semble que les villes ayant le label « ville d’art et d’histoire » pourraient en faire autant, comme c’est déjà le cas à Saint-Laurent-du-Maroni.
Dans le champ du spectacle vivant, des dispositifs spécifiques pourraient être mis en place pour aider les pratiques d’amateurs ayant recours aux langues de l’outre-mer et à leur traduction en français. Les théâtres publics devraient être incités à se doter de mécanismes de sur-titrage pour faciliter la compréhension du public allophone. Et j’ai l’intention de demander à l’Institut français et à la future agence des outre-mer de se concerter pour favoriser la circulation dans les pays tiers des spectacles produits dans vos territoires. J’inscrirai dans le cahier des charges des établissements que je subventionne l’obligation de coproduire et de programmer des spectacles dans les langues de l’outre-mer.
La lecture publique appelle un effort particulier. J’ai bien conscience que les langues parlées outre-mer sont inégalement « équipées », comme disent les linguistes. Sans attendre nécessairement que leur codification s’achève, les bibliothèques publiques devraient identifier plus nettement les ouvrages publiés dans les langues de l’outre-mer, et je le dis de la manière la plus ferme : nos dispositifs d’aide à la diffusion du livre et à l’édition doivent être largement ouverts aux langues régionales, qui relèvent du droit commun.
La remarque vaut également pour les industries culturelles et pour les médias. Comme vous savez, s'agissant des services de radio, la loi autorise d’ores et déjà à comptabiliser les chansons en langues régionales au titre des quotas dévolus aux chansons d’expression francophone. Cette possibilité est insuffisamment exploitée. Quant aux dispositifs d'aide financière dont bénéficient les médias écrits et audiovisuels en français, ils doivent être également ouverts aux médias qui utilisent les langues régionales : compte de soutien à l'industrie des programmes cinématographiques et audiovisuels, fonds de soutien à l'expression radiophonique, etc. Je donnerai à ce propos des instructions fermes aux dirigeants de l’audiovisuel public – dispositions qui sont d’ailleurs inscrites d’ores et déjà dans leurs contrats d’objectifs et de moyens.
Et puisque nous sommes en Guyane – mais le propos pourrait être étendu à plusieurs autres territoires -, permettez-moi de revenir sur le pôle linguistique et du patrimoine immatériel : après l’étude Tertius qui a été réalisée à l’initiative de la Direction des affaires culturelles, et des demandes que vous avez vous-mêmes exprimées avec force hier et aujourd’hui, je m’engage à saisir le président du Conseil régional - et je sais l’intérêt qu’il porte à la question de la diversité culturelle - : nous créerons ensemble ce pôle dès l’année qui vient. Ce pôle ne sera pas une institution autoritaire : il sera ouvert à la concertation des locuteurs et des représentants des communautés ; il aura à la fois la fonction de faciliter la connaissance et l’archivage des langues et des cultures orales, de développer leur diffusion, et de faciliter la concertation également des différents services publics au sujet des langues ultramarines et de leurs locuteurs.
Beaucoup d’autres initiatives sont possibles, et je compte sur vous pour m’en suggérer. Je pense aux traductions vers les langues ultramarines dans les sites internet des directions des affaires culturelles des outre-mer ; c’est peu de chose, mais cela contribue aussi à montrer l’exemple. Je pense à la création d’un portail internet du multilinguisme ultramarin, proposant les outils adaptés à ceux qui en ont besoin. Comme je vous l’ai dit, n’oublions pas les ressources du numérique, qu’il faut à coup sûr mieux exploiter.
Le multilinguisme ultramarin constitue à mes yeux un axe fondamental de développement des territoires, au croisement des pratiques culturelles, des usages sociaux, des engagements politiques. À chaque fois que les collectivités voudront s’en saisir, je m’engage à ce que l’État soit là pour les appuyer, en prenant en compte la spécificité et la complexité de chaque configuration. C'est tout le sens de l'exigence que vous vous êtes fixée pendant ces trois jours : mettre en commun des convictions communes tout en gardant le cap du pragmatisme dans les mesures que vous proposez, afin de définir des coexistences efficientes, où le respect a évidemment toute sa place.
Parier pour la polyphonie, c'est prendre le risque du divers. Je veux le prendre avec vous.
C’est Joseph Zobel, l’auteur de La Rue Case-Nègres, qui écrivait dans un poème dédié à Aimé Césaire : “j’écoute l’oxygène de ton verbe”.
Je vous remercie.
Annexes
Références
> Article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ».
> Loi Deixonne du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues régionales.
> Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication modifiée et complétée le 5 mars 2009.
> Article 2 de la Constitution de la République : « la langue de la République est le français ».
> Loi du 4 août 1994, dite « Loi Toubon », sur la langue française, article 1er (« langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ») et article 21 « les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage ».
> Article 34 de Loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer : « Les langues régionales en usage dans les départements d’outre-mer font partie du patrimoine linguistique de la Nation. Elles bénéficient du renforcement des politiques en faveur des langues régionales afin d’en faciliter l’usage. La loi n° 51-46 du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux leur est applicable ».
> Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005.
> Article 75-1 de la Constitution de la République : « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » [mais avis du Conseil constitutionnel en date du 20 mai 2010 : cet article « n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit »].
> Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
> Résolution du Conseil de l’Union européenne relative à une stratégie européenne en faveur du multilinguisme, en date du 21 novembre 2008.
Contexte
> Travaux des États généraux de l’outre-mer, réunis à Paris le 19 février 2009.
> Conclusions du Conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009.
> Plan d’action pour l’outre-mer du ministère de la Culture et de la Communication (2010).
> Fonds incitatif pour le développement linguistique des outre-mer, coordonné par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (ministère de la Culture et de Communication).
> Schéma directeur de développement de l’enseignement des langues d’origine dans les collectivités d’outre-mer (ministère de l’Éducation nationale, 2011).