« Psychologie cognitive pour l'enseignant/Aborder une notion : définitions et exemples » : différence entre les versions

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==Du bon usage des exemples : les difficultés de l'abstraction==
 
Lors de l'usage d'exemples, le cerveau va extraire les propriétés communes des exemples présentés. Le problème est que le cerveau ne peut pas vraiment faire la différence entre les propriétés qui font partie de la définition et celles qui ne le font pas. Il se peut que les points communs extraits ne correspondent pas exactement à la définition. Cela arrive quand on ne choisit pas correctement les exemples présentés. Dans ce cas, il se peut que des points communs soient en trop, à savoir que l'élève les a extrait alors qu'ils ne font pas partie de la définition. Cela entraineentraîne des sur-généralisations, dans lesquelles l'élève croit que certaines propriétés sont valides pour une classe de phénomènes ou d'objets alors que ce n'est pas le cas. AÀ l'inverse, il peut arriver à l'élève de croire que certaines propriétés ne sont valables que pour une classe restreinte de concepts alors que ce n'est pas le cas : de telles sous-généralisations sont assez courantes.
 
Prenons l'exemple d'un élève à qui on souhaite apprendre ce qu'est un carré. D'ordinaire, on présente les carrés à l'horizontale, les carrés des exemples étant rarement penchés. La conséquence est que le prototype formé sera un carré à l'horizontale. Si on présente un carré penché à un élève, il se peut qu'il ne le classe pas comme un carré : l'élève considèreraconsidérera que la propriété "pas penché" est une propriété essentielle du concept de carré. La faute à un prototype trop strict, qui contient des propriétés en trop.
 
Une situation familière a été mise en évidence par l’expérience de Lupyan (2012). Dans celle-ci, il a demandé à un premier groupe de cobayes de dessiner un triangle, tandis qu'un second groupe devait dessiner une figure à trois côtés. Dans le groupe triangle, le triangle a été dessiné avec une base horizontale dans 82% des cas et il était isocèle dans 91% des cas. Mais dans le groupe "trois côtés", ces deux proportions sont de 50% seulement ! De même, les participants ont tendance à surévaluer l'inclinaison d'un triangle quand on leur dit qu'il s'agit d'un triangle, comparé à un groupe test dans lequel on dit aux participants que la figure est un polygone à trois côtés. Pourtant, les élèves connaissaient la définition d'un triangle, mais leur prototype de triangle était faussé.
 
Tout le défi de l'abstraction à partir d'exemples est là : il faut choisir les exemples présentés de manière à ce que leurs points communs collent le plus possible à la définition. Intuitivement, cela demande d'utiliser des exemples variés, qui partagent peu de points communs, qui sont très différents, très peu similaires. L'usage de contrexemplescontre-exemples variés est aussi une bonne chose. Toujours est-il que cela demande d'utiliser une suite d'exemples et de contrexemplescontre-exemples bien conçue. Si elle ne l'est pas, l'abstraction du concept à partir d'exemple donnera un résultat imparfait. Une autre manière de le dire que deux élèves ne doivent pas construire des compréhensions différentes d'un même concept à partir d'exemples identiques.
 
Par exemple, essayez de déduire quelle est la règle à partir des exemples suivant : 1, 3, 7, 5, 9, etc. Vous avez certainement pensé qu'il s'agissait des nombres impairs, mais cette suite est aussi cohérente avec les règles comme "nombres à un chiffre", "nombres impairs à un chiffre", ou "nombres entiers impairs", ou bien d'autres encore. C'est tout le problème de l'induction à partir d'exemples : un ensemble d'exemples est souvent compatible avec plusieurs interprétations, mais une seule de ces interprétations est compatible avec le concept à communiquer. Ces fautes de communication proviennent d'exemples mal choisis et ont peu de chances d'arriver avec des définitions. Les définitions ne sont ni plus ni moins que des ensembles de propriétés essentielles et elles n'engendrent donc pas ce problème. Mais elles ne mettent pas en œuvre le processus inconscient de catégorisation par similarité, qu'il est important de travailler.
 
Pour éviter les problèmes mentionnés dans la section précédente, il existe diverses techniques qui visent à diminuer l'ambigüitél’ambiguïté inhérente à l'abstraction à partir d'exemples. Le professeur peut faciliter l'abstraction des points communs et différences en choisissant des suites d'exemples qui n'ont qu'une seule interprétation possible. Il existe une méthode pédagogique à la pointe de ce genre de procédés : le '''Direct Instruction''' d'Engelmann (à ne pas confondre avec les autres formes de ''direct instruction'', comme la pédagogie explicite, qui n'utilisent absolument pas ces techniques d'apprentissage des concepts). Cette méthode se fonde sur des scripts pédagogiques qui décrivent les exemples et contre-exemples à donner aux élèves, ainsi que leur ordre de présentation. L'existence de ces scripts tient au fait que créer soi-même une séquence d'exemples qui ne donne pas lieu à de telles confusions est très difficile et demande souvent des années de travail : les créateurs du Direct Instruction ont préféré créer eux-mêmes de telles séquences. Dans ce qui va suivre, nous en verrons surtout les grandes lignes et les recommandations les plus importantes.
 
===Varier les exemples===
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Plus on donne d'exemples et de contre-exemples variés, plus l'élève aura une représentation fidèle de la catégorie. Donner un grand nombre d'exemples est une bonne chose, mais l'important est surtout que ces exemples soient variés, dans le sens où les exemples ne doivent pas beaucoup se ressembler. En effet, rappelons que l'élève va abstraire les points communs des différents exemples et va les regrouper dans une catégorie (soit pour former une définition implicite, soit pour former un prototype mental, soit les deux). Moins les exemples ont de points communs, plus on est sûr que la catégorie formée collera de près à la définition, dans le sens où elle contiendra moins de propriétés facultatives. Par variés, on veut dire que les exemples donnés doivent être le moins similaires possibles. En effet, plus deux exemples d'une même catégorie sont similaires, plus ils partagent de propriétés facultatives. La similarité minimale entre deux membres d'une même catégorie est obtenue quand les deux exemples ne partagent que des propriétés essentielles.
 
Dans une de ses expériences datée de 1979, John Bransford et ses collègues de la ''Vanderbilt University'' au Tennessee ont cherché à savoir si varier les exemples avait un effet sur la capacité à transférer la catégorie dans de nouvelles situations. Un premier groupe devait apprendre des concepts avec des exemples similaires, tandis que l'autre groupe recevait des exemples très différents. Dans un test ultérieur, portant sur un contexte d'utilisation jamais vu auparavant lors des exemples, les chercheurs ont vérifié quel était le pourcentage de réussite des deux groupes : 84% dans le second groupe contre 64% dans le premier.
 
Une autre méthode pour varier l'apprentissage est d''''utiliser des contre-exemples'''. Ici, la stratégie est différente qu'avec les exemples. Avec des exemples, les points communs peuvent faire partie de la définition ou être des propriétés facultatives. Pour éliminer une propriété facultative, il faut présenter au moins un exemple qui ne l'a pas. Avec des contre-exemples, la stratégie est de présenter un contre-exemple qui possède la propriété facultative. Quand un exemple et un contre-exemple partagent une même propriété, il y a de fortes chances qu'elle ne fasse pas partie de la définition. Dit autrement, les contre-exemples permettent de réfuter les règles ou prototypes malformés, induits par erreur. Si l'élève a induit une règle ou un prototype qui prend à tort un contre-exemple comme un membre de la catégorie, il sait qu'il devra le réviser lors de la présentation d'un contre-exemple. Expérimentalement, on constate que l'apprentissage est nettement meilleur quand les exemples et contre-exemples sont mélangés. Là encore, les contre-exemples doivent le plus variés possible.
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Mais dans le chapitre précédent, on a vu que l'apprentissage des concepts devait mettre l'accent sur leurs différences, ce que le séquencement vu plus haut ne permet pas de faire, car il met l'accent sur les similarités entre exemples. De plus, on a vu au chapitre précédent que la distribution de l'apprentissage permettait un meilleur apprentissage. Or, dans le type de séquencement précédent, les exemples similaires sont amassés les uns après les autres et non distribués. Cela va plutôt dans le sens d'une distribution des exemples, des exemples similaires devant être le plus éloignés possibles (dit autrement, des exemples consécutifs soient les plus dissemblables possibles). Par exemple, dans l'exemple ci-dessus, il vaudrait mieux utiliser un ordre du style A1, B1, C1, A2, B2, C2, A3, B3, C3. Tout l'enjeu est de mettre l'accent sur les différences entre exemples, pour faciliter l'induction d'une catégorie.
 
Quelques études récentes vont dans le sens de la deuxième possibilité. On peut notamment citer l'étude "''Learning concepts and categories : is spacing the ennemy of induction ?''" de Kornell et Bjork. Dans cette étude, des étudiants devaient apprendre à reconnaitrereconnaître le style de peintures de divers artistes peu connus. Cette étude a comparé deux groupes. Le premier voyait les tableaux appartenant à un même peintre les uns à la suite des autres, tandis que l'ordre des tableaux était complètement mélangé pour le second. C'est ce dernier qui avait les meilleurs résultats à long terme. Cette étude a été reproduite depuis, notamment par Kang et Pashler dans leur étude "''discriminating painting styles : Spacing is advantageous when it promotes disciminative contrast''". D'autres études du même genre ont montré que l'apprentissage distribué favorisait l'apprentissage de classifications d'oiseaux.
 
Quand on fait intervenir des contre-exemples, les choses deviennent plus compliquées. Il est ainsi déconseillé de voir tous les exemples ensembles, suivis par les contre-exemples : les prototypes ou règles mal induits seront alors réfutés plus tôt ou n'auront pas le temps de se former. Plutôt que de présenter les exemples par blocs, suivis des contres-exemples, il vaut mieux alterner exemples et contre-exemples, intercaler chaque contre-exemple entre deux exemples : il ne faut pas que les contre-exemples soient regroupés. De plus, chaque contre-exemple doit être le plus semblable aux exemples qui l'entourent : cela permet à l'élève de nettement mieux distinguer les propriétés essentielles des propriétés facultatives.
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===Toutes les définitions ne sont pas égales===
 
Notons avant toute chose qu'une catégorie peut se définir de plusieurs manières. Dit autrement, on peut donner plusieurs définitions équivalentes d'un même concept, d'une même catégorie. Par exemple, un carré peut être défini comme étant "Un rectangle avec quatre côtés égaux", "Figure qui est à la fois un rectangle et un losange". Ou encore, comme étant "un losange avec un angle droit". Et qui dit définitions différentes dit : pré-requis différents pour chaque définition, charge cognitive différente, etc. Toutes les définitions ne se valent pas et certaines sont plus simples que d'autres. Toujours est-il qu'il est utile, voire fortement intéressant, de présenter toutes les définitions et montrer en quoi elles sont équivalentes. C'est là un premier conseil important à connaitreconnaître.
 
: ''Un concept peut souvent s'expliquer de plusieurs manières différentes compréhensibles par les élèves. Ces explications ne sont pas exclusives, mais complémentaires et il est préférable, si le temps et les conditions le permettent, d'aborder un concept de plusieurs manières au lieu d'en choisir une bien précise.''
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Dans l'exemple du carré, on peut remarquer que la définition fait appel à d'autres concepts. Par exemple, la définition "Quadrilatère dont les côtés ont la même longueur et à quatre angles droits" fait appel au concept de quadrilatère. Même chose pour la définition "Figure géométrique qui est à la fois un rectangle et un losange", qui demande de savoir ce qu'est un rectangle et un losange. Ce cas est loin d'être le seul et arrive très souvent que les propriétés utilisées dans une définition sont des concepts qui doivent être connus de l'élève au préalable. Ces définitions dérivent une catégorie en spécialisant une catégorie plus générale, en ajoutant des propriétés à un concept déjà connu. Par exemple, la définition suivante est dans ce cas : "Un carré est un rectangle avec quatre côtés égaux". On prend la catégorie plus générale "rectangle" (un carré est un rectangle) et on ajoute le fait d'"avoir ses côtés égaux".
 
Techniquement, les concepts utilisés dans la définition sont des ''prérequis'', à savoir des connaissances qu'il faut obligatoirement connaitreconnaître pour comprendre l'explication et/ou la définition. Dans ce cas, cela impose de voir les concepts dans un ordre bien précis : voir ce qu'est un quadrilatère avant de parler de carré, pour l'exemple précédent. On voit aussi que toutes les définitions n'ont pas les mêmes prérequis, sans compter que le nombre de prérequis n'est pas le même. Mais tout cela pose la question de l'ordre dans lequel voir les concepts, chose que nous allons aborder dans le chapitre suivant. De manière générale, on doit prendre en compte les liens que les concepts ont entre eux pour savoir dans quel ordre en parler.
 
==Deux approches pour aborder un concept : quels avantages et inconvénients==
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===Les définitions et exemples n'ont pas la même charge cognitive===
 
Pour commencer, analysons l'usage des exemples et des définitions en termes de charge cognitive. Comparé aux définitions, l'induction à partir d'exemples est cognitivement couteusecoûteuse. La raison principale à cela est qu'analyser des exemples demande de conserver beaucoup de choses en mémoire de travail. Les exemples sont en effet riches en propriétés, que le sujet doit filtrer au fur et à mesure pour ne conserver que les plus pertinentes. Et la mémoire de travail est impliquée dans ce processus. C'est elle qui conserve les propriétés extraites au fur et à mesure de la présentation des exemples. Le problème est que la mémoire de travail a une capacité suffisamment limitée pour que quelques exemples suffisent à la faire surcharger. Dans les faits, dès qu'un concept est un peu compliqué, l'usage des exemples va surcharger la mémoire de travail et l'apprentissage va mal se passer. Alors que fournir une définition et l'illustrer par des exemples n'a pas ce problème : les propriétés pertinentes sont fournies au début de l'explication et le sujet ne doit pas mémoriser temporairement quoique ce soit de plus.
 
Mais attention : si les définitions ont une charge cognitive moins que les exemples, cela ne signifie pas qu'il faille remplacer les exemples par des définitions. Au contraire, on a vu dans ce chapitre que les deux méthodes sont complémentaires l'une de l'autre. L'argument sert plus à dire qu'il vaut mieux commencer par une définition que d'aborder en premier des exemples. Un autre argument qui va dans ce sens est que donner une définition en premier permet de réduire la charge cognitive des exemples. La définition indique quelles sont les propriétés pertinentes et celles qui sont inutiles. Ainsi, lors de l'étude des exemples, l'élève aura une petite idée des propriétés à filtrer ou à conserver. Même s'il ne comprend pas totalement la définition, celle-ci donne des indices qui permettent de mieux analyser les exemples. Faire l'inverse, à savoir donner des exemples avant la définition, ne permet pas cela.