« Neurosciences/La latéralisation cérébrale » : différence entre les versions

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Dans les chapitres précédents, nous avons vu que le télencéphale est subdivisé en deux hémisphères par le sillon inter-hémisphérique. Au premier abord, cette subdivision semble être purement anatomique, sans grande importance sur le fonctionnement du cerveau. Et ce d'autant plus que les deux hémisphères communiquent entre eux, via le corps calleux ou d'autres commissures. Mais ce n'est pourtant pas le cas : certaines fonctions ne semblent pas réparties équitablement entre les deux hémisphères. Par exemple, l'hémisphère gauche a une importance plus grande que le droit pour certains traitements linguistiques (et inversement pour d'autres). Cette spécialisation des hémisphères est appelée la '''latéralisation cérébrale''' et elle a été étudiée par de nombreux travaux.
 
Dans la vulgarisation, beaucoup d'affirmations fantaisistes ont été faites quant à ces spécialisations hémisphériques. Peut-être avez-vous entendu que la créativité implique surtout le cerveau droit alors que le gauche est logique et rationnel, par exemple. Chose qui est totalement fausse. Dans ce chapitre, nous allons voir, pour chaque fonction possible, dans quel hémisphère celle-ci semble localisée. Nous allons parler rapidement des fonctions sensorielles : goutgoût, odeurs, vision, etc. Nous parlerons aussi de la latéralisation de la motricité, ainsi que celle des fonctions intellectuelles. À noter que la latéralisation des fonctions intellectuelles est moins franche que celle de la motricité ou des fonctions sensorielles. Nous verrons par exemple que l'idée que le cerveau gauche est verbal alors que le cerveau droit est visuel est en partie fausse (j'insiste sur le : "en partie"). Alors que la latéralisation de la motricité est bien plus stricte et qu'elle est même utilisée en pratique clinique usuelle par les neurologues.
 
==L'étude de la latéralisation cérébrale==
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===La méthode des lésions===
 
Le cas le plus simple est clairement celui des lésions limitées à un hémisphère : l'analyse des déficits qu'elles entrainententraînent nous permet de savoir si l'hémisphère touché a une fonction particulière. Mais ces lésions sont particulièrement rares, pour diverses raisons. Les lésions sont rarement localisées dans un seul hémisphère et peuvent avoir des conséquences généralisées à tout le cerveau : les AVCs touchent généralement les deux hémisphères, de même que les traumatismes crâniens, etc. Mais même si elles sont rares, les lésions locales à un hémisphère existent et éclairent la répartition des fonctions entre hémisphères.
 
===La stimulation artificielle lors d'une chirurgie===
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==La latéralisation motrice==
 
Le contrôle des mouvements volontaires est clairement latéralisé, avec une répartition qui semble contro-latérale. La méthode des lésions montre clairement que des lésions à l’hémisphère gauche cause une paralysie du côté droit du corps et réciproquement. Ce fait est bien connu des neurologues (et même du grand public), qui savent identifier la localisation d'une lésion suite à une paralysie limitée à un côté du corps. Une confirmation vient des études de stimulations électriques, qui montrent que la stimulation du cortex frontal d'un hémisphère déclenche un mouvement sur l'autre côté du corps. Par contre, au niveau du cervelet, la latéralisation est ipsi-latérale : une lésion du cervelet cause des déficits moteur du même cotécôté que la lésion.
 
On pourrait penser que les résultats précédents sont le signe d'une latéralisation contro-latérale stricte, mais les études anatomiques nous disent que ce n'est pas le cas : chaque hémisphère est connecté aux deux côtés du corps, et peut donc guider main gauche et main droite. En réalité, l'hémisphère gauche est prioritaire sur le droit pour déplacer la main gauche, et réciproquement. Seul l'hémisphère contro-latéral peut initier un mouvement de la main, l'hémisphère ipsi-latéral ne pouvant agir que sur un mouvement déjà commencé. Une exception à cette règle est le mouvement des yeux, où chaque hémisphère peut initier un mouvement : les deux hémisphères coopèrent pour gérer les mouvements des yeux, même chez les patients split-brain. De manière générale, les mouvements du visage ne sont pas tous latéralisés. En effet, ils sont du fait des noyaux des nerfs crâniens, qui sont situés sous les hémisphères.
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====La latéralisation du langage et la méthode des lésions====
 
Historiquement, le premier à avoir étudié le langage via la méthode des lésions s'appelle Paul Broca, un chirurgien et anthropologue français. En 1861, Broca fît connaitreconnaître au monde le cas d'un de ses patients, Monsieur Leborgne. ce patient avait perdu la capacité d'articuler et ne pouvait prononcer que la syllabe Tan (ce qui lui a valu d'être surnommé Monsieur Tan). Par la suite, il étudia d'autres patients ayant eux aussi des problèmes pour parler. La quasi-totalité de ces patients avait une lésion dans l'hémisphère gauche, ce qui fît croire à Broca que le langage est localisé dans l’hémisphère gauche, à tort. Il identifia une région du lobe frontal gauche, qu'il crût être l'aire du langage. Cette aire est aujourd'hui nommée l'aire de Broca, du nom de son découvreur.
 
Par la suite, en 1874, Wernicke identifia un second type de trouble du langage. Ses patients n'avaient pas de mal à parler et à articuler, mais avaient du mal à comprendre ce qu'on leur disait. Leurs troubles ne touchaient pas leur capacité à produire un discours, mais à en comprendre un. En utilisant la méthode des lésions, il remarqua que ses patients avaient des lésions dans le lobe temporal supérieur, dans un gyrus bien précis. L'aire en question fût appelée aire de Wernicke en son honneur. Encore une fois, les lésions étaient localisées dans l'hémisphère gauche. Peu après, Jules Dejerine attribua des troubles de la lecture et de l'écriture à des lésions de l'hémisphère gauche.
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Ces études présentaient un objet dans un hémichamp visuel : ainsi, c'est l'hémisphère contro-latéral qui reçoit l'information, et lui seul. La toute première expérience utilisait un flash lumineux dans un hémichamp visuel. Les sujets ne prétendaient avoir vu ce flash que quand celui-ci était présenté dans l'hémichamp droit. Par contre, les patients pouvaient pointer le doigt vers la direction du flash, quel que soit l'hémisphère concerné. D'autres expériences demandaient à un sujet de nommer un objet présenté dans un hémichamp visuel. Pour la grosse majorité des sujets, les objets doivent être présentés dans l'hémichamp visuel droit, sans quoi ils ne peuvent être nommés. Et c'est la même chose si le sujet doit toucher l'objet pour l'identifier, preuve que ce n'est pas la vision qui est en cause, ni le toucher. En somme, c'est l'hémisphère gauche qui semble prendre en charge le langage parlé.
 
Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont demandé aux sujets d'utiliser l'objet présenté au lieu de le nommer (par exemple, écrire ou dessiner si l'objet présenté est un stylo). Dans ces conditions, les sujets réussissent quel que soit l'hémichamp visuel de présentation. Ce n'est donc pas la reconnaissance des objets qui latéralisée, mais le langage parlé. Mais certains sujets arrivent malgré tout à décrire l'objet de manière assez vague s'il est présenté sur l'hémisphère droit, alors qu'ils ont un hémisphère gauche dominant pour le langage : par exemple, ils diront "une chose ronde", au lieu de dire "ballon". Mais même ainsi, les tâches qui demandent de nommer un objet seront toujours nettement mieux réussies par l’hémisphère gauche. L'hémisphère droit semble cependant avoir un léger avantage pour reconnaitrereconnaître des images, des pictogrammes, ou des visages.
 
====Les variations inter-individuelles====
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La latéralisation cérébrale aurait un lien avec une asymétrie anatomique du cerveau. On veut dire par là que certaines régions du cerveau seraient différentes entre l'hémisphère gauche et le droit, ce qui expliquerait pourquoi le langage serait latéralisé. Les scientifiques ont bien relevé quelques asymétries, comme la "déviation Yakovlevienne" vue il y a quelques chapitres, mais celle qui va nous intéresser dans ce qui suit est l'asymétrie d'une région bien spécifique du lobe temporal, qu'on sait impliquée dans le traitement du langage.
 
La région en question est appelée le '''''planum temporale''''' et se situe dans le lobe temporal, près de la scissure de Sylvius, non loin du cortex auditif. Il est beaucoup plus développé du côté gauche chez 50-70% des personnes, plus développé du côté droit pour 10% des sujets, et grossièrement identique des deux cotéscôtés pour le reste. L'asymétrie en question est plus ou moins marqué chez les personnes, certaines personnes ayant des ''planum temporale'' gauche 2 à 5 fois plus gros du côté gauche comparé au côté droit, d'autres ne montrant que des différences mineures de quelques pourcents. L'asymétrie est présente très tôt lors du développement et peut s'observer chez le fœtus.
 
De nombreux résultats semblent indiquer que l'asymétrie serait, en moyenne, plus marquée chez les hommes que chez les femmes. Les hommes auraient des ''planum temporale'' plus gros que les femmes, en moyenne. Il est supposé que l'asymétrie des ''planum temporale'' se mettrait en place lors de la période fœtale, à cause de l'influence des hormones sexuelles (la testostérone est particulièrement suspectée). Mais la littérature scientifique sur le sujet n'est pas très claire et quelques résultats contradictoires existent.