« Psychologie cognitive pour l'enseignant/L'apprentissage de la lecture » : différence entre les versions

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Les processus sémantiques, syntaxiques et grammaticaux sont impliqués dans la compréhension d'un texte ou d'un discours oral, la mémorisation et le raisonnement. Ceux-ci impliquent fortement la mémoire sémantique, une sous-portion de la mémoire qui stocke les connaissances conceptuelles, la signification des mots. Pour faire très simple, comprendre un texte ou un discours consiste à former un modèle mental de la situation décrite dans le texte/discours. Cela demande juste de former des relations entre connaissances présentes en mémoire sémantique, et à utiliser ces connexions pour récupérer l'information adéquate.
 
==ParamètresLes paramètres qui influencent l'apprentissage de la lecture==
 
Il existe divers paramètres qui font que la lecture est plus ou moins facile. Nous allons commencer par voir quels sont ces paramètres, avant de voir les modèles qui permettent d'expliquer pourquoi ces paramètres ont une influence. La reconnaissance des mots est surtout influencée par les liens entre oral et écrit, là où la compréhension est influencée par l'élaboration des réseaux mnésiques. Dans les grandes lignes, nous prononçons les mots et percevons la parole en la décomposant en composants élémentaires, les '''phonèmes''', sortes de sons élémentaires qui sont assemblés ensembles pour former des syllabes. Pour simplifier, le '''principe alphabétique''' stipule que chaque lettre est attribuée à un ou plusieurs phonèmes : chaque phonème est un son qui correspond à une lettre. Par exemple, dans la syllabe "mo", il y a un phonème qui correspond au "m", et un autre au "o" : essayez de décomposer cette syllabe, vous verrez que vous y arriverez (du moins, vous en aurez l'impression…). On peut noter qu'il existe des cas où un son correspond à un groupe de plusieurs lettres, auquel on donne le nom technique de '''graphème'''. Dans la suite de cet article, j'utiliserais le terme "lettre" pour faire référence à ces graphèmes, et le terme "son" et lieu et place de phonème, par souci de vulgarisation.
 
===TransparenceLa transparence linguistique===
 
Il existe des langues transparentes, où il n'existe qu'une seule lettre par phonème, et réciproquement : c'est le cas du serbe et du croate, par exemple. Mais manque de chance, ce n'est pas le cas du français ou de l'anglais. En français, il existe 44 phonèmes pour 26 lettres : cela s'explique par le fait qu'une lettre peut correspondre à plusieurs phonèmes, suivant le mot ou la syllabe, et réciproquement. Par exemple, la lettre "g" ne se prononce pas de la même manière dans "jauge" et dans "gueule" : dans le premier cas, elle se prononce plutôt à un "j", alors qu'elle se prononce comme un "g" dans le second. De même, on pourrait citer les lettres muettes, et autres situations du même genre.
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Le fait qu'une lettre puisse correspondre à plusieurs phonèmes pose problème pour la lecture. Le cas inverse, à savoir la transcription d'un phonème en lettre/groupe de lettre, n'influence pas la lecture, mais joue un grand rôle pour l'écriture. En effet, le non-respect du principe alphabétique fait que l'on ne peut pas déduire facilement la prononciation d'un mot à partir de ses lettres dans une langue non-transparente, ce qui rend l'apprentissage de la lecture plus laborieux. L'apprentissage de la lecture est plus long pour les pays qui utilisent une langue inconsistante, comparé aux pays à langue transparente. De plus, il faut savoir que les locuteurs des langues transparentes sont moins concernés par la dyslexie : elle existe bien dans ces pays, et dans des proportions similaires à ce qu'on trouve en France, mais les dyslexiques de ces pays ont nettement moins de mal à lire et sont nettement moins handicapés que les petits Français ou Anglais.
 
===ConscienceLa conscience phonologique===
 
Les études sur le sujet sont très claires : il existe une bonne corrélation entre la capacité à reconnaitre des mots isolés, et la capacité à analyser les différentes unités du langage. Les études en question ont été relativement bien résumées dans une synthèse du National Reading Panel, publié dans les années 2000. Cette capacité à segmenter les mots prononcés en unités plus petites, que l'on peut manipuler, s'appelle la conscience phonologique.
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Cependant, il faut savoir que les phonèmes ne sont pas l'unité de base du langage, du moins pour un sujet qui n'a pas reçu un entrainement spécifique. Des expériences faites par Savin et Becker (1970) ont montré que des élèves reconnaissent plus rapidement les syllabes que les phonèmes. Et c'est sans compter que l'on n'a pas pu observer de capacité à découper le langage en phonémes avant 6 ou 7 ans, l'âge auquel l'enfant apprend à lire. Et enfin, les illettrés n'ont généralement pas de conscience phonémique, alors que leur conscience syllabique est presque identique à celle de personnes qui ont appris à lire. Par contre, les études ont clairement montré que le développement de la conscience phonémique était particulièrement bien corrélé à la capacité à reconnaitre des mots : plus l’illettré apprendre à lire, plus sa conscience phonologique se développe. Reste à savoir si c'est le développement de la conscience phonémique qui aide à l'amélioration de la capacité à reconnaitre des mots, ou l'inverse. Le fait qu'entrainer la conscience phonémique semble améliorer les performances de reconnaissance des mots semble attester d'un rôle causal de la conscience phonémique (Ehri, 2001). Par contre, il existe de nombreux cas d'enfants qui ont une très faible conscience phonémique, mais qui savent parfaitement bien lire (Bradley & Bryant, 1985; Stuart-Hamilton, 1986), sans compter que le même phénomène est observé chez des adultes (Campbell & Butterworth, 1985).
 
===MémoireLa mémoire de travail===
 
Au début de l’apprentissage de la lecture, la mémoire de travail est fortement mise à contribution. Il faut dire que la mémoire de travail verbale est utilisée pour mettre en attente les phonèmes/rimes/syllabes lus et les conserver pour les fusionner en unités plus grandes, ce qui très utile pour déchiffrer les mots. Cela explique que la capacité à répéter des pseudo-mots est fortement corrélée à l'acquisition ultérieure du vocabulaire. Plus la mémoire de travail verbale est grosse, plus l'élève pourra facilement répéter de nouveaux mots. On peut citer le cas d'une patiente, étudiée par Baddeley, dont la mémoire de travail phonologique/articulatoire est atteinte à la suite d'un accident vasculaire cérébral. La patiente n'avait aucun problème pour lire des mots familiers ou qui ressemblaient à des mots connus, mais l'apprentissage de nouveaux mots d'une autre langue était laborieux, quand il était seulement possible. On voit donc que l'apprentissage de nouveaux mots dépend de la mémoire de travail auditive, du moins dans les premières étapes de l'apprentissage de la lecture. Par la suite, cette influence diminue, l'élève apprenant de nouveaux mots en les reliant à des mots déjà présents en mémoire à long terme, par analogie.
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[[File:Reading_speed_by_age.jpg|centre|thumb|Vitesse de lecture en fonction de l'âge. L'augmentation de la vitesse de lecture est le signe que la lecture s'automatise, devenant de moins en moins consommatrice en ressources attentionnelles.]]
 
===VocabulaireLe vocabulaire===
 
L'influence du vocabulaire se manifeste essentiellement sur les processus de compréhension, et plus marginalement sur le processus de reconnaissance des mots. En effet, qui dit vocabulaire développé dit mémoire sémantique développée, remplie de connaissances, de concepts, et d'idées. Les personnes avec beaucoup de vocabulaire, et donc beaucoup de connaissances antérieures, pourront former plus de relations en mémoire lors de la lecture, leur donnant un avantage en terme de compréhension de texte. C'est ce qui explique que plus le vocabulaire d'un enfant est développé, plus ses capacités de compréhension sont bonnes. Avec l'âge, le lexique mental se développe progressivement et s'enrichit de mots. Pour pouvoir parler de manière fluide, que ce soit sa langue maternelle ou une langue étrangère, un élève doit connaitre environ 4000 à 5000 mots dans la langue étrangère à apprendre. Mais évidemment, les pratiques pédagogiques et contenus d'enseignement ont aussi un rôle extrêmement important à jouer.