« Psychologie cognitive pour l'enseignant/Réduire la charge cognitive intrinsèque » : différence entre les versions

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La mémoire de travail est utilisée pour comprendre ce que raconte un professeur, un texte, etc. Lors de cette compréhension, les informations à apprendre sont maintenues en mémoire de travail, afin d'être associées et reliées à des connaissances antérieures, et afin de faire des déductions. Plus une information à apprendre est composée d'un grand nombre de sous-éléments, plus elle aura tendance à saturer la mémoire de travail. Le nombre d’éléments présents en mémoire de travail s'appelle la '''charge cognitive''' : plus elle est élevée, moins la tache ou le concept abordé est facile.
 
Dans ces conditions, diminuer la charge cognitive est de première importance, reste à voir comment. Dans les grandes lignes, on peut identifier deux types de charge cognitive : une '''charge intrinsèque''' induite par la structuration des explications et des connaissances à apprendre, et une '''charge extrinsèque''' inutile qui dépend de la méthode de présentation utilisée. Dans ce chapitre, nous allons nous centrer sur la charge intrinsèque, la charge extrinsèque étant vue dans le cours sur les supports pédagogiques. Voyons maintenant les recommandations pédagogiques que vous pouvons tirer de cette théorie. Nous allons voir comment quelques modifications dans le séquencement des notions peuvent réduire la charge intrinsèque., Nousce apprendronsqui doncpermet commentde structurer un cours ou des explications relativement complexes.
 
===EliminerÉliminer l'inutile===
==Le regroupement==
 
Les limites de la mémoire à court terme semblent s’évanouir quand on est face à une situation familière. Par exemple, les experts dans un domaine peuvent retenir de grande quantités d’informations, bien au-delà de la capacité de la mémoire de travail. Par exemple, les expériences de Yntema et Mueser montrent clairement que des contrôleurs aériens experts ne peuvent pas faire de regroupements dans des tâches de laboratoires déconnectées de leur expertise : leur mémoire de travail reste limitée à 7 informations en moyenne. Mais les études de Bisseret montrent que pour des tâches liées à leur domaine d'expertise, les contrôleurs aériens peuvent mémoriser jusqu’à 20 voire 30 informations dans leur mémoire de travail. Cette constatation a été vérifiée dans une grande quantité de domaines différents, comme l'expertise médicale, la programmation, la conception de circuits électronique, ou l'expertise mathématique.
 
Cela vient du fait que les experts perçoivent des motifs familiers qui permettent regrouper de grandes quantités d'informations en un seul item dans leur mémoire de travail. Un novice n'a pas acquis ces motifs familiers et doit se débrouiller avec des informations élémentaires qu'il doit traiter individuellement. Comme le dit Mislevy :
 
{{citation bloc|[…] comparés aux novices, les experts dominent plus de faits et établissent plus d’interconnexions ou de relations entre eux. Ces interconnexions permettent de surmonter les limitations de la mémoire à court terme. Alors que le novice ne peut travailler qu’avec au maximum sept éléments simples, l’expert travaille avec sept constellations incarnant une multitude de relations entre de nombreux éléments.}}
 
On peut par exemple citer l'exemple des joueurs d'échec auxquels on demande de mémoriser une configuration de jeu. Un joueur d'échec expert a tendance à mémoriser 4 à 5 fois plus de pièces qu'un novice. La raison à cela est que les novices doivent mémoriser des pièces indépendantes, tandis que les experts reconnaissent des blocs de 3 à 5 pièces qui leur sont familiers. Mieux : ces regroupements sont associé à des informations stratégiques, chaque regroupement étant associé aux meilleurs coups à jouer associés à cette configuration. Notons que l'avantage mnésique des joueurs experts ne vaut que pour des configurations de jeu rencontrées fréquemment. Ils ont des performances similaires à celles des novices pour des configurations de jeu aléatoires. Ce qui prouve bien que les joueurs d'échecs experts reconnaissent des motifs familiers, ils ne créent pas des regroupements de toute pièce.
 
Ce phénomène de regroupement est aussi utile en géométrie (Koedinger et Anderson, 1990) : les élèves qui ont de bonnes performances en géométrie ont acquis des regroupement visuels qui leur permettent de reconnaître des figures géométriques particulières (triangles, carrés, angles alternes-internes, etc), et d’accéder aux informations associées à ces figures. Ainsi, la capacité à résoudre certains exercices de géométrie dépend en partie de cette capacité à reconnaitre des figures, comme des angles alternes-internes, des figures géométriques, et ainsi de suite.
 
Pour donner un dernier exemple, on peut prendre les recherches d'Egan and Schwartz, datées de 1979. Ces expériences comparaient les performances entre des spécialistes en électroniques et des novices. Les sujets devaient mémoriser un circuit électronique qui leur était présenté durant quelques secondes. Tandis que les novices se rappelaient de chaque pièce indépendamment, les experts se rappelaient d'ensembles de pièces assez conséquents, chacun de ces ensembles ayant un sens. Par exemple, les experts regroupaient un ensembles de résistances électriques, condensateurs, et bobines dans un sous-circuit qui correspond à un amplificateur de tension ou un amplificateur de courant. Dans cette situation, le regroupement était une catégorie d'objet, à savoir un amplificateur de tension, ou autre.
 
Ces regroupements sont appelés des '''chunks''', ou encore des '''schémas''', la terminologie variant suivant l'auteur ou le domaine. Une petite différence est qu'un chunk n'a pas forcément de sens, alors qu'un schéma est un regroupement formé par interconnexion de concepts plus élémentaires. Loin d'être de simples regroupements, les schémas encapsulent les liens logiques et associations entre les informations regroupées. Ces schémas, de part leur caractère conceptuel, vont mémoriser des informations abstraites, commune à une classe d'objets ou de situations. Une autre différence entre chunk et schéma est qu'un schéma a une organisation hiérarchique : chaque schéma peut contenir des schémas plus élémentaires, qui sont eux-mêmes potentiellement constitués de sous-schémas, et ainsi de suite. Pour résumer :
* un schéma est une abstraction qui mémorise ce qui est commun à plusieurs objets ou situations, comme une catégorie ;
* un schéma peut relier plusieurs concepts simples et unifie le tout en un seul concept complexe ;
* le schéma contient les relations logiques et les associations d'idées que ses éléments entretiennent entre eux ;
* un schéma a une organisation plus ou moins hiérarchique où chaque schéma peut lui-même contenir des schémas plus élémentaires, qui sont eux-mêmes potentiellement constitués de sous-schémas, et ainsi de suite.
 
Notons que les schémas sont des connaissances mémorisées en mémoire à long terme : les regroupements doivent être mémorisés avant d'être utilisables. Les différences de performances entre experts et novices proviennent en partie de la mémorisation d’un grand nombre de schémas spécifiques à ce domaine.
 
==Recommandations pédagogiques==
 
Voyons maintenant les recommandations pédagogiques que vous pouvons tirer de cette théorie.
 
===Eliminer l'inutile===
 
Diminuer la charge cognitive demande d''''aller à l’essentiel''', d'éliminer les informations superflues. Une expérience faite par Richard Mayer permet d’illustrer ce phénomène. L’expérience a comparé deux versions d’un texte scientifique, dont l’une était expurgée des informations quantitatives : cette dernière était nettement mieux retenue et comprise. Dans le même esprit, la recherche sur la compréhension de texte a montré l'existence d'un '''effet délétère des détails séduisants''' : des détails ou anecdotes intéressants peuvent perturber d'extraction de l'idée générale d'un texte et nuire à la mémorisation et à la compréhension. Cet effet est partiellement du à la capacité de la mémoire de travail, preuve en est que les sujets avec une bonne mémoire de travail sont nettement moins soumis à cet effet délétère.
 
===Le bon usage des connaissances propédeutiques===
 
Mais outre les techniques précédentes, il est aussi possible d'utiliser l'influence des connaissances antérieures sur la charge cognitive. Vu que les schémas sont pris comme un tout dans la mémoire de travail, on peut en déduire un conseil important : le plan du cours et des explications doivent idéalement être découpées en petites unités notionnelles cohérentes, qui sont progressivement assemblées en concepts plus complexes. Idéalement, il faut '''réutiliser des concepts déjà abordés et/ou connus de l'élève pour simplifier les explications'''. De même, il est préférable d''''introduire certains concepts précocement pour simplifier des explications ultérieures'''. Il y a un lien assez évident avec les connaissances propédeutiques, vues il y a plusieurs chapitres. De telles connaissances sont réutilisées dans des explications ultérieures, et permettent de les simplifier, d'en réduire la charge cognitive.
 
Pour donner un exemple, on peut citer l'étude de Mayer, Mautone, et Prothero, datée de 2002. Dans cette étude, des sujets jouaient à un jeu basé sur une leçon de géologie. Les élèves qui avaient reçu une instruction sur les termes de base (faille, arc, chaîne de montagne, etc) avant de jouer avaient une meilleure performance que les sujets qui découvraient la signification de ces termes en cours de jeu. Les élèves qui découvraient les termes en cours de jeu devaient formeracquérir deces nouvelles associations et de nouveaux schémasconnaissances en même temps qu'ils réfléchissaient sur les problèmes. En comparaison, les sujets ayant reçu un enseignement préalable pouvaient se concentrer sur la résolution des problèmes posés lors du jeu.
 
Comme autre exemple, on peut citer l'étude de Clarke, Ayres, et Sweller, datée de 2005. Dans cette étude, des étudiants recevaient un cours sur les graphes mathématiques, et devaient utiliser un tableur lors de l'instruction. Un premier groupe de sujets n'avait aucune connaissance des tableurs avant d'entrer en cours et recevait des instructions sur le fonctionnement du tableur lors du cours, les explications étant intercalées entre les explications mathématiques sur les graphes. Le second groupe avait déjà reçu une instruction sur les tableurs avant le cours, et recevait uniquement une instruction sur le concept mathématique à aborder. Le second groupe voyait tout ce qui a rapport aux tableurs séparément de ce qui a rapport aux graphes : les informations liées aux tableurs étaient alors regroupées en schémas, diminuant la charge cognitive lors de l'apprentissage ultérieur sur les graphes. Et conformément à c qui était attendu, le second groupe avait des performances nettement meilleures.
 
===L'''Isolated/interacting element effect=''==
 
La mémoire de travail surcharge facilement lors de l’apprentissage de concepts composés d’un grand nombre de composants/sous-concepts interagissant entre eux. Dans ce cas, la théorie de la charge cognitive recommande d’aborder chacun des composants indépendamment, avant de montrer comment ceux-ci interagissent ensemble. En faisant cela, la charge cognitive sera répartie dans le temps, améliorant l’apprentissage : on parle d’'''effet de l'isolation des éléments'''.
 
* Premier exemple : les démonstrations qui utilisent des lemmes. Dans certains de mes cours d'université, les professeurs commençaient la démonstration du théorème, et l'interrompait au fil de l'eau pour démontrer les lemmes dont ils avaient besoin. Au lieu de faire cela, ils auraient du démontrer les lemmes avant de commencer la démonstration.
* Autre exemple : si vous voulez expliquer le fonctionnement du circuit anatomique du réflexe du genou, il est préférable de décrire ce circuit, en voyant chacun de ses composant indépendamment, avant de montrer comment ce circuit fonctionne lors de l'exécution du réflexe.
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Dans le même genre, chaque procédure doit être découpée en sous-procédures, qui entrainées indépendamment les unes des autres, avant d'être rassemblées pour obtenir la procédure complète. La première expérience sur le sujet portait sur l'apprentissage des procédures de sécurité électrique, qui demandent notamment d'utiliser plusieurs instruments comme des voltmètres ou des ampèremètres. Elle était réalisée par Pollock, Chandler, and Sweller en 2002. Les résultats ont clairement montré l'efficacité de ce principe d'isolation. On peut aussi citer l’expérience de Ayres de 2006 sur l'apprentissage de l'algèbre et des développements d'équations, et l'expérience de 2010 de Blayney, Kalyuga, and Sweller, sur l'apprentissage de l'utilisation d'un tableau pour des applications de comptabilité.
 
===Séparation théorie-pratique===
 
Il est aussi utile de séparer l'apprentissage des connaissances théoriques et les connaissances pratiques (procédures ou méthodes). Cela vient du fait que les connaissances qui portent sur les connaissances théoriques ont souvent une forte charge cognitive : voir ces connaissances en même temps que les connaissances liées aux procédures risque de faire saturer la mémoire de travail. Diverses expériences faites par Sweller et ses collègues, ont montré que cette séparation augmentait la compréhension et la mémorisation. En soi, cette séparation est une forme particulière des deux effets présentés plus haut.