« Psychologie cognitive pour l'enseignant/Faire des liens » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications
Ligne 1 :
{{Psychologie cognitive pour l'enseignant}}
 
Dans le chapitre précédent, nous avons vu que, pour être mémorisées ou comprises, les informations à apprendre doivent se connecter à des connaissances déjà présentes en mémoire. Ce processus d'association à ce qui est déjà supportéesupporté le petit nom d''''élaboration'''. Dit autrement : apprendre, c'est faire des liens. Et plus un concept a de liens avec d'autres, plus celui-ci est compris, mémorisé efficacement, intégré dans une structure conceptuelle riche. Si un concept n’est pas relié à d’autres, il sera totalement isolé dans la mémoire sémantique et ne sera pas accessible : l’élève l’aura appris par cœur, mais il ne l'aura pas compris. Là où le "par« par cœur"cœur » donne naissance à un très faible nombre d'associations, la compréhension crée un grand nombre de relations lors de l'encodage. Comme le dit Develay : « Le sens vient des liens construits entre les savoirs et non pas de leur empilement. […] apprendre, ce n’est pas amasser, mais c’est relier des notions pour en construire d’autres plus abstraites ».
 
Mais cette élaboration n'a pas systématiquement lieu ou elle peut mal se passer, pour plusieurs raisons.
Ligne 14 :
Si la mémoire à long terme est sollicitée dans l'encodage, il ne faut pas oublier le rôle déterminant de la mémoire à court terme, aussi appelée '''mémoire de travail'''. Pour rappel, cette mémoire maintient à l'esprit une quantité limitée d'informations durant une dizaine de secondes. C'est elle qui sert à mémoriser un numéro de téléphone avant de le composer ou à comprendre ce que dit un professeur. L'idée principale est qu'elle a une capacité limitée à 4 informations maximum (autrefois, on pensait que c'était 7 ± 2). Des informations trop complexes ont donc tendance à saturer la mémoire de travail, perturbant l'apprentissage, contrairement à des informations simples.
 
La mémoire de travail est la porte d'entrée de la mémoire à long terme. Toute information doit passer en premier lieu par la mémoire de travail pour y être reliée à des connaissances antérieures. Il n'est donc pas étonnant que quelques études aient montré que la réussite scolaire est fortement corrélée à la capacité de la mémoire de travail. Par exemple, la capacité de la mémoire de travail à 5 ans est un bon indicateur de la réussite scolaire ultérieure <ref>"Investigating« Investigating the predictive roles of working memory and IQ in academic attainment"attainment », Alloway en 2010</ref>. De même, il existe une forte corrélation entre faible capacité de la mémoire de travail et échec scolaire<ref>"The« The cognitive and behavioral characteristics of children with low working memory"memory », Alloway, Gathercole, Kirkwood, Elliott (2009)</ref>.
 
Éviter de saturer la mémoire de travail lors de l'apprentissage est donc très important. Malheureusement, certaines pratiques pédagogiques ne tiennent pas compte la mémoire de travail. Les pédagogies actives, dans lesquelles l'élève doit réfléchir de manière autonome, sont une catastrophe de ce point de vue: elles demandent explicitement que l'élève soit mis face à des situations complexes dès le début de l'apprentissage. Les études expérimentales sur le sujet montrent clairement que ces pédagogies ont des résultats inférieurs aux autres <ref>"Why« Why minimal guidance during instruction does not work: an analysis of the failure of constructivist, discovery, problem-based, experiential, and inquiry-based teaching"teaching »</ref><ref>"Putting« Putting students to the path for leaning, a case for fully guided instruction"instruction », par Clark, Sweller et Krishner.</ref>. Ce constat remet sur le devant de la scène une théorie pédagogique assez ancienne : la '''théorie de la charge cognitive'''. Créée par Sweller dans les années 1970, cette théorie a reçu de nombreuses vérifications expérimentales. Assez mal connue en France, elle commence à avoir une grande influence dans les pays anglo-saxons. Plusieurs chapitres de ce cours lui seront dédiés.
 
==Les connaissances antérieures : de l'ordre primaire des notions==
 
Pour être comprise, une nouvelle connaissance doit d'arrimer à ce qui est déjà su, elle doit être élaborée. Les connaissances antérieures sont donc la matière première de tout apprentissage : si elles ne sont pas là, l'apprentissage sera limité à du par cœur, l'élève ne pouvant rien élaborer. Plus les connaissances antérieures sont nombreuses, plus les nouveaux concepts auront de points d’amarrage sur lesquels s'associer. Là où un novice aura du mal à apprendre des définitions ou des connaissances de base, faute de pouvoir les associer à quelque chose de familier, l'expert pourra facilement retenir de nouvelles informations en les reliant à un vaste réseau de connaissances acquises de longue date.<ref>Rittle-Johnson, B., Star, J. R., & Durkin, K. (2009). The importance of prior knowledge when comparing examples: Influences on conceptual and procedural knowledge of equation solving. Journal of Educational Psychology, 101(4), 836-852.http://dx.doi.org/10.1037/a0016026</ref><ref>Memory & Cognition, October 2007, Volume 35, Issue 7, ''The« The effects of prior knowledge and text structure on comprehension processes during reading of scientific texts''texts ».</ref>
 
Une conséquence de cela est qu'apprendre beaucoup de choses permet de donner une bonne base aux apprentissages futurs<ref>Bandalos, Finney, & Geske, 2003</ref><ref>E. Wood, Willoughby, Bolger, & Younger, 1993</ref>. Une grande partie des mauvais résultats des élèves provient d'ailleurs d'une sémantique trop pauvre en connaissances antérieures. Ce fait est bien illustré par le fait que les résultats scolaires sont bien corrélés aux savoirs acquis, bien plus qu'au QI ou toute autre mesure des capacités cognitives. Pour donner quelques chiffres, une étude d'Alain Lieury nous dit que la corrélation entre connaissances encyclopédiques en classe de 5e5ᵉ et résultats scolaire l'année suivante est d'approximativement 0,72. La corrélation est la même avec le taux de redoublement 4 ans plus tard. Notons que ces deux corrélations sont plus élevées que les corrélations avec les tests de QI ou de raisonnement (0,50)<ref>Alain Lieury (1996)</ref>.
 
Pour résumer, l'apprentissage est un processus cumulatif dans lequel '''le savoir appelle le savoir'''. Plus on sait de choses, plus on pourra facilement relier de nouvelles informations à des connaissances antérieures. Cela a fait dire au psychologue Ausubel que le facteur le plus important dans l'apprentissage est ce que l'élève sait déjà :
Ligne 32 :
Pour commencer, insistons sur une évidence : lors de l'apprentissage, les informations à apprendre doivent avoir quelque chose auquel s'arrimer, se relier. Il arrive qu'elles ne se connectent à rien, alors qu'elles le pourraient. Diverses raisons techniques, comme une surcharge de la mémoire de travail, peuvent entrainer un tel résultat. Mais dans certains cas, il se peut que les connaissances à apprendre n'aient tout simplement rien à quoi se lier, ou tout du moins très peu de choses. Cela arrive pour les informations les plus basiques, celles qui sont à apprendre par cœur. Tel est le cas des tables de multiplications, des relations entre sons et lettres (correspondances graphèmes-phonèmes), des définitions de base en mathématiques (la définition d'un triangle), etc.
 
Dans d'autres cas, cela arrive à cause de mauvais choix pédagogiques, quand les concepts sont vu dans un ordre inadéquat. Rappelons que tout concept a des pré-requis, c'est à dire qu'il faut que certaines notions soient connues de l'élèvesélève pour que le concept puisse être appris. Par exemple, vous ne pourrez pas faire comprendre la notion de multiplication à un élève qui ne sait pas ce qu'est l'addition, car l'addition est un pré-requis pour la multiplication. Dans le même genre, difficile de faire comprendre ce qu'est une dérivée à quelqu'un qui ne sait pas ce qu'est une limite, vu que la notion de limite fait partie intégrante de la définition de la dérivée. Si on peut tenter de faire comprendre un concept sans ses pré-requis, cela n’amènera qu'à un apprentissage par cœur qui donnera au mieux l'illusion de la compréhension. Pour éviter de construire sur des fondations qui ne sont pas là, le professeur doit impérativement construire ses progressions pour que les prérequis soient abordés avant la notion.
 
===Les connaissances propédeutiques : facultatives, mais facilitatrices===
Ligne 72 :
Il est certain que certaines classifications sont plus faciles à comprendre en partant des concepts généraux et en les spécialisant, alors que d'autres sujets sont plus simples à comprendre avec l'autre méthode. Une des raisons à cela est la familiarité des concepts à aborder : mieux vaut commencer par aborder les concepts les plus familiers, ceux que l'élève peut comprendre plus facilement, ceux qu'il peut relier à des choses déjà connues. Dans certains cas, les catégories générales peuvent être peu intuitives pour l'élève, contrairement aux catégories particulières. Un exemple serait la classification des animaux : la différence entre un chat et un lion (tous deux des félins) est plus intuitive que la différence entre mammifères marsupiaux et placentaires. Mais ce n'est pas un reproche général : il existe de nombreux cas où les catégories générales sont au contraire plus familières que les catégories particulières. Pensez par exemple à la classification des arbres : la différence entre un feuillu et un conifère est plus simple à comprendre que la différence entre un hêtre d'un chêne. De manière générale, la familiarité ne dépend pas trop de la place dans la hiérarchie de la structure cognitive. Les chercheurs ont longtemps pensé que les concepts intermédiaires, ni trop généraux, ni trop particuliers, étaient ceux qui étaient les plus facilement appris, mais la roue a un peu tourné depuis. Ce n'est pas un cas général.
 
Si l'on se trouve dans un cas où ce détail ne joue pas ou peu, on peut trouver des défauts à la méthode par généralisation, que la méthode par dérivation n'a pas. Déjà, la méthode par dérivation a une charge cognitive plus faible, elle fait un meilleur usage des ressources limitées de la mémoire de travail. Elle part des concepts qui ont le plus petit nombre de propriétés et chaque dérivation d'un nouveau concept ajoute quelques propriétés. A chaque étape, le nombre de propriétés à ajouter tient facilement dans la mémoire de travail. Par contre, la méthode par généralisation demande à l'élève de mémoriser un grand nombre de propriété pour chaque concept. Elle part en effet des concepts les plus particuliers, qui ont un grand nombre de propriétés. De plus, chaque étape demande de comparer divers concepts, et d'en dégager les propriétés communecommunes. Toutes les propriétés de tous les concepts doivent être analysées pour en dégager un motif commun. La charge de la mémoire de travail est alors extrême. Autant dire que cette méthode est assez compliquée à utiliser et qu'elle donnera de mauvais résultats chez les élèves faibles, qui ont une mauvaise mémoire de travail.
 
Un dernier défaut de la méthode par généralisation est qu'elle met l'accent sur les ressemblances entre concepts. Or, plus deux concepts sont semblables, plus ils ont de chances d'être reliés aux mêmes indices de récupération. Ils peuvent alors interférer entre eux lors du rappel, ce qui les rend plus faciles à confondre. Ausubel qualifie ce genre de phénomène d''''assimilation oblitératrice'''. Ce phénomène n'a pas lieu si on met l'accent sur les différences entre deux concepts, ce que fait la méthode par dérivation. Deux concepts différents, dérivé du même concept général, seront mis en contraste l'un avec l'autre, ce qui accentuera leurs différences. Cela nous dit qu'il vaut mieux aborder les concepts en partant du général pour aller vers le particulier, pour limiter les interférences.
Ligne 90 :
====Les relations générales (causalité et autres)====
 
Du point de vue de l'élaboration, il est possible de placer les concepts sur un continuum qui va des détails (les plus précis et plus ciblés) aux grands principes et idées générales (plus abstraites). Les détails sont souvent isolés, reliés à un petit nombre de concepts, guère plus, alors que les idées générales sont souvent des concepts centraux, qui servent de ''hub''« hub » dans les réseaux sémantiques. Si les détails se mémorisent, les idées générales et grands principes se comprennent. Alors certes, les détails et anecdotes sont importants, mais ils devraient idéalement être intégrés dans un socle de connaissances conceptuelles qui leur donnent un sens, qui permettent de les relier entre eux. Et pour cela, les idées générales sont les plus indiquées : elles servent de liant qui colle les détails entre eux. Les faits ne valent rien par eux-mêmes, du moins tant qu'ils ne sont pas interconnectés entre eux. Attention, cependant : cela ne signifie pas que le par cœur est mauvais, mais que les connaissances acquises par cœur doivent être reliées entre elles par la suite.
 
Une raison à cela est que les cas abstraits regroupent un grand nombre de situations, ils sont capables de s'adapter à de nombreuses situations ou problèmes. Par exemple, une méthode assez générale permet de résoudre un grand nombre de problèmes, là où les méthodes ciblées sont moins rentables. Les connexions sont alors plus nombreuses avec les méthodes générales, qui s'associent avec un grand nombre d'exemples et d'applications, contrairement aux méthodes ciblées. Attention : cela ne signifie pas que les méthodes ciblées soient inutiles : elles peuvent être plus rapides à appliquer, mais elles sont plus difficiles à retenir. Une méthode très situationnelle sera souvent moins entrainée, moins associée à des exercices ou exemples, contrairement aux méthodes générales, appliquées sur un plus grand nombre d'exercice/exemples. Le raisonnement vaut aussi pour les concepts généraux, qui s'instancient dans un plus grand nombre de cas, comparé aux concepts plus précis et ciblés.
 
Les recherches en compréhension de texte ont montré que l'extraction des idées générales d'un texte est un processus extrêmement important pour la compréhension. On peut le montrer avec quelques expériences assez simples. Une des expériences les plus marquantes à ce sujet fut celle sur ''l« l'effet intégrateur du titre''titre ». Dans celle-ci, l'expérimentateur constitua trois groupes de cobayes qui devaient tous lire un même texte compliqué : un des groupes de cobayes connaissait le titre après avoir lu le texte, tandis que l'autre avait accès au titre avant la lecture. Le groupe qui avait eu accès au titre avant le texte réussissait mieux que l'autre. Cela vient du fait que le titre donne l'idée générale du texte, idée sur laquelle les informations vont venir s'associer progressivement : cela permet de donner du sens au texte et de créer un maximum d'associations. Le fait que le titre doit être placé avant le texte pour avoir un effet le montre : il n'y a pas beaucoup d’associations retardées, à rebours.
 
Cette abstraction des connaissances acquises influence non seulement la mémorisation mais aussi l'utilisation ultérieure des connaissances, leur transfert. Pour en donner un exemple, on peut citer la fameuse étude de Chi et al. (1981). Dans celle-ci, les expérimentateurs ont observé comment des experts (des professeurs de physique) et des novices (des étudiants en début de cursus) catégorisaient des exercices de physique. Leur étude a montré que les novices ont tendance à fonder leurs analyses sur des détails présents dans l'énoncé (coefficients numériques, vocabulaire utilisé, ...), alors que les experts ont tendance à penser en fonction d'idées générales et de principes abstraits (la loi de conservation de l'énergie, la quantité de mouvement, ...). Au fur et à mesure que les étudiants progressent dans leurs études, ils classent de plus en plus ces exercices en fonction des caractéristiques générales.