« Précis d'épistémologie/La perception, l'imagination et la réflexion » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Transféré dans Métaphysique
Ligne 38 :
 
Connaître autrui comme une âme, comme un être qui imagine, qui ressent et qui veut, en se mettant à sa place par l'imagination, permet d'anticiper les conséquences immédiates et les effets à long-terme de nos actes présents sur son comportement.
 
== La perception est conceptuelle ==
 
Les concepts sont des propriétés ou des relations, dès qu'elles sont perçues ou pensées. Les concepts sont les propriétés et les relations que nous sommes capables de penser. Une propriété, ou une qualité ou un trait, est attribuée à un objet. Une relation est entre plusieurs objets. Lorsqu'une relation est entre deux objets, on peut considérer qu'elle est une propriété du couple. Une relation entre trois objets est une propriété du triplet, et ainsi de suite pour les relations entre davantage d'objets.
 
La perception attribue automatiquement des concepts aux objets perçus. La perception visuelle attribue des qualités visuelles (couleur, luminosité, texture, forme...) aux objets vus. Il en va de même pour les autres formes de perception sensorielle.
 
On distingue parfois les représentations iconiques, telles que les images visuelles, et les représentations conceptuelles, qui peuvent être formulées avec des mots. Mais cette distinction n'est pas fondamentale. Une image visuelle attribue des qualités visuelles à tous ses points, elle est donc déjà conceptuelle. Inversement une description verbale telle que bleu-blanc-rouge peut être considérée comme une image du drapeau français, parce que les mots sont alignés comme les parties qu'ils représentent.
 
Percevoir, c'est déjà concevoir. Percevoir, imaginer et concevoir sont essentiellement la même chose. Il s'agit toujours de produire des représentations internes qui préparent à l'action.
 
Lorsqu'un être est perçu, il est toujours perçu avec des qualités ou des relations. Un être sans concepts, une sorte de chose en soi, à laquelle on n'attribue aucun concept, ne peut pas être perçu. Les êtres ne viennent jamais complètement nus. Ils sont toujours habillés avec les concepts que la perception leur a attribués (Kant 1787).
 
Pour qu'un objet soit perçu, il faut au minimum un détecteur qui signale la présence de l'objet. Le signal émis par le détecteur est une représentation interne de l'objet perçu. Il détermine également un concept attribué à l'objet : la qualité d'être détectable par ce détecteur, ou même plus précisément, la qualité de pouvoir déclencher le signal de détection émis par le détecteur. Une détection attribue automatiquement à l'objet détecté la qualité d'être un objet qui peut être ainsi détecté. Le même signal de détection peut servir de représentation de l'objet détecté et en même temps de représentation du concept attribué à cet objet, parce que l'objet est identifié par son concept. Les êtres sont représentés par les concepts qui leur sont attribués. Par exemple « l'arbre dans la cour » est une expression qui se sert du concept d'être un arbre dans la cour pour représenter un arbre.
 
Un concept est déterminé par l'ensemble des systèmes de détection qui signalent la présence d'un objet en lui attribuant ce concept. Cette définition ne vaut pas seulement pour la perception sensorielle et les concepts empiriques. Elle peut être généralisée parce que toute unité de traitement de l'information peut être considérée comme un système de détection. Une unité de traitement de l'information produit des signaux en sortie à partir de signaux reçus en entrée. Un signal en sortie peut être considéré comme un signal de détection des signaux en entrée qui l'on produit. En particulier, les concepts théoriques sont déterminés par leur place dans un système théorique défini par des principes. Le raisonnement à partir des principes permet d'attribuer les concepts aux êtres de la théorie. La capacité à raisonner peut être considérée comme un système de détection des conséquences théoriques, et donc comme un système de détection des concepts théoriques.
 
Il est parfois avantageux de distinguer le concept et la propriété qui le détermine. La propriété est objective, elle dépend de la réalité détectée, mais le concept est subjectif, il est déterminé non seulement par la propriété mais aussi par la façon de la détecter.
 
Lorsqu'un concept est défini par une série de conditions, qui ensemble sont nécessaires et suffisantes pour le déterminer, un système de détection de la présence du concept est défini du même coup, parce qu'on détecte le concept défini en détectant les conditions qui le définissent.
 
Lorsqu'un concept est défini par les ressemblances avec un ou plusieurs exemples, détecter le concept consiste à détecter des ressemblances et des différences.
 
Même un être unique peut être identifié par un concept, dès que nous sommes capables de le percevoir ou de l'imaginer en tant qu'être unique, parce que le percevoir ou l'imaginer requiert un système de détection, et parce qu'un tel système définit un concept. Par exemple je peux avoir le concept d'une personne qui m'est familière parce que je peux la percevoir et la distinguer parmi toutes les autres personnes.
 
On conçoit souvent les concepts comme des produits du langage. Les concepts sont signifiés par les expressions qui servent à les nommer et ils ne sont pas connus avant d'avoir un nom. Selon l'acception retenue dans ce livre les concepts précèdent le langage. Dès qu'un système de perception est capable de détecter des objets, il leur attribue automatiquement des concepts. Les concepts sont très généralement utilisés par les animaux, qu'ils se servent ou non d'un langage (Gould & Gould 1994). Par exemple tous les animaux capables d'avoir peur attestent par leur comportement qu'ils sont capables de détecter le danger. Le concept de danger est donc une de leurs représentations internes.
 
== Les concepts sont-ils des êtres concrets ? ==
 
''« la Forme se retrouve une et identique en même temps en plusieurs endroits. C'est comme si tu étendais un voile sur plusieurs êtres humains et que tu disais « Le voile reste un en sa totalité, lorsqu'il est étendu sur plusieurs choses. »'' (Platon, ''Parménide'', 131b, traduit par Luc Brisson)
 
Les êtres sont concrets lorsqu'ils existent dans l'espace et dans le temps. Les objets perçus directement avec nos sens, ou indirectement par l'intermédiaire d'autres êtres matériels (des systèmes d'observation et de mesure) sont tous concrets. Y a-t-il d'autres modes d'existence ? Y a-t-il des êtres qui ne sont pas concrets ?
 
Les concepts que nous attribuons aux êtres concrets sont-ils des objets ? Faut-il les considérer comme des êtres ? Et si oui, comme des êtres concrets ? Existent-ils dans l'espace et dans le temps ?
 
Pour nous, les êtres, ou les objets, sont tout ce qui peut être perçu, représenté ou pensé. Comme les concepts peuvent être représentés et pensés, ils sont des êtres comme les autres. Mais peut-on percevoir leur présence dans l'espace et dans le temps ?
 
On peut soutenir que les concepts sont présents à chaque fois que les objets dont ils sont vrais sont présents. L'existence du concept de cheval est simplement celle de tous les chevaux. Les concepts sont manifestés et révélés par l'existence des êtres dont ils sont vrais et ils existent en même temps. Ainsi conçu un concept existe concrètement dès qu'il est vrai d'un être concret.
 
Plus couramment les concepts sont conçus comme des êtres abstraits. Seuls les êtres qui peuvent être identifiés à un substrat matériel, un corps, sont considérés comme des êtres concrets. Or un concept n'est pas un corps, il peut être vrai de très nombreux êtres concrets, qui ont tous un corps, mais il est différent de chacun d'eux. Un corps ne peut pas prétendre être à lui tout seul un concept qui est vrai de lui, même si c'est un concept qui n'est vrai que de lui, parce que le concept peut être présent dans la tête alors que que le corps est absent, seulement imaginé. Le concept peut demeurer, Socrate, par exemple, alors que le corps qu'il représente a disparu depuis longtemps.
 
On peut aussi soutenir que les concepts sont présents à chaque fois qu'ils sont conçus, c'est à dire à chaque fois qu'ils sont détectés, ou que cette détection est simulée. L'existence concrète du concept peut être identifiée à celle du signal qui le détecte. Ainsi conçus les concepts existent concrètement dans l'espace et dans le temps, mais pas à la façon des corps, puisqu'ils existent de façon transitoire et dispersée, seulement quand un corps les détecte ou les imagine.
 
== Les schémas ==
Ligne 137 ⟶ 95 :
 
La réflexion est fondamentale pour développer l'intelligence. Par exemple, un agent peut souvent imaginer comment agir avant d'agir. Dès qu'il anticipe correctement les résultats des actions qu'il pourrait entreprendre il se rend capable de les atteindre. En se connaissant lui-même comme un être qui imagine, donc en réfléchissant à ses capacités, il découvre comment les développer. Réfléchir à nos capacités nous rend capable.
 
== La nature de la matière et la vérité de la perception ==
 
Lorsque nous percevons un objet avec nos sens nous croyons le connaître ainsi. Par exemple, si nous voyons que le mur est jaune, nous croyons naturellement qu'il est vraiment jaune. Mais n'est-ce pas une erreur ? Tout ce que nous savons c'est que nos yeux nous donnent une sensation de jaune. Le jaune semble être sur le mur mais il est surtout sur nos yeux. Il se pourrait même que le mur n'existe pas, que nous ayons seulement l'illusion d'un mur jaune. Faut-il en conclure que nous ne connaissons jamais le monde extérieur, que nous pouvons seulement connaître nos sensations et nous-mêmes, que la perception est toujours introspective ?
 
La nature de la matière est d'interagir avec la matière. Les propriétés d'un morceau de matière (particule élémentaire, atome, molécule, matériau solide, liquide ou gazeux...) sont toujours déterminées par ses façons d'interagir avec les autres morceaux de matière. La matière fait toujours ça, interagir avec la matière, et rien d'autre. Il n'y a rien de plus à connaître sur la matière que ses interactions. Quand on sait comment des êtres matériels interagissent, on sait tout ce qu'il y a à savoir sur eux.
 
On est sensible à un être quand il agit sur nos sens. Nos organes sensoriels sont spécialisés pour subir l'action des objets extérieurs. Ils ne suffisent pas pour connaître tous les êtres matériels et toutes leurs interactions, mais ils apportent tout de même beaucoup d'informations très utiles. Les instruments d'observation et de mesure, et tous les systèmes de détection que nous pouvons construire, sont comme des prothèses sensorielles. Ils étendent le champ de la perception. Ils nous font connaître des êtres matériels auxquels les sens ne sont pas directement sensibles. Ils nous révèlent d'autres formes d'action et de sensibilité.
 
La matière peut toujours être détectée parce que sa nature est d'interagir. Dès qu'elle agit sur un autre morceau de matière, celui-ci est un détecteur. Nos sens, complétés par tous les systèmes de détection concevables, nous permettent donc en principe de connaître tous les êtres matériels et toutes leurs propriétés. Rien ne peut rester caché. Tout peut être perçu, parce que la nature de la matière est d'être perceptible (Dugnolle 2017).
 
Le mur est vraiment jaune simplement parce qu'il est capable d'exciter la sensation de jaune sur nos yeux, ou sur tout autre détecteur sensible à la lumière jaune. Plus généralement toutes les qualités et toutes les relations qui déterminent l'existence d'un être matériel sont détectables par d'autres êtres matériels. Nous n'avons donc pas à craindre que la perception nous prive malicieusement de ce qu'elle semble nous donner, des représentations vraies des êtres perçus.
 
Mais cet argument en faveur de la vérité des perceptions semble prouver beaucoup trop, puisqu'il suggère que toutes les perceptions devraient être vraies. Si la qualité détectée est toujours la qualité d'être détectable ainsi, il s'en suit que toute détection est vraie, puisque ce qui est détecté est nécessairement détectable. Comment les fausses perceptions peuvent-elles alors exister ?
 
La possibilité de la fausseté vient de l'existence d'une norme de vérité. Si un instrument de mesure n'a pas été correctement étalonné, il fournit un résultat faux. Le résultat est faux seulement par référence à l'étalon de mesure. Il en va de même pour la perception. Elles ne peuvent être fausses que s'il y a une norme qui détermine ce qui doit être perçu. En l'absence de norme, elles sont toujours vraies, parce qu'elles révèlent toujours l'effet de l'objet sur nos sens. Même une perception fausse révèle une vérité sur l'objet, parce qu'il est vrai qu'il peut être ainsi perçu.