« Précis d'épistémologie/La valeur du savoir » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
→‎Savoir sans savoir qu'on sait : La présente théorie du savoir est à la fois internaliste et externaliste. Elle est internaliste pour les justifications acceptables et externaliste pour les justifications concluantes.
réduction après transfert
Ligne 1 :
(La suite est en cours de réécriture)
''« il disait que l'opinion vraie accompagnée d'une justification (logos) est science, tandis que celle qui est dépourvue de justification est en dehors de la science; et ce dont il n'y a pas de justification n'est pas sachable - tel est le mot qu'il forgeait - tandis que ce qui en a une est sachable.»'' (Platon, ''Théétète'' 201d)
 
== La justification du savoir==
 
===Le savoir doit être public et prouvé===
 
Pour savoir, nous devons être capables de justifier ce que nous croyons savoir. Une prétention au savoir qui n'est pas justifiée est vaine et insensée. On justifie le savoir en donnant des preuves. Sans preuves, il n'y a pas de savoir.
 
Un savoir doit être public. Une croyance exclusivement privée, qui ne peut pas être communiquée ou prouvée ne peut pas être un savoir. Le savoir est une œuvre collective. Il doit être partagé pour exister et on le partage en donnant des preuves.
 
===Les justifications concluantes===
 
Les preuves sont en général des raisonnements. Pour qu'un raisonnement justifie sa conclusion, il faut au minimum qu'il respecte la logique et que ses prémisses soient acceptables. Une prémisse est acceptable si elle est une prémisse fondamentale ou si elle est déjà justifiée à partir de prémisses fondamentales. Pour définir précisément le concept de justification du savoir, il suffit de définir précisément les règles logiques et les prémisses fondamentales que l'on peut mettre à la base de nos preuves.
 
Une prémisse fondamentale peut être empirique ou théorique. Les prémisses fondamentales empiriques sont des énoncés de la forme "X a bien observé que O", où O est le compte-rendu d'une observation ou d'une expérience. Les prémisses fondamentales théoriques sont les vérités que l'on peut admettre par définition des termes employés. Par exemple, "Si X a bien observé que O alors O" est vrai par définition du concept de bonne observation. Une observation ne peut pas être bonne si elle est fausse.
 
Une justification est acceptable lorsqu'elle est un raisonnement logique fondé sur des prémisses fondamentales ou sur des prémisses déjà justifiées à partir de prémisses fondamentales. Une justification acceptable est concluante lorsque toutes ses prémisses fondamentales, explicites ou implicites, sont vraies. Comme les règles logiques conduisent toujours du vrai au vrai, la conclusion d'une justification concluante est nécessairement vraie.
 
X sait que S si et seulement si X est capable de donner une justification concluante de S.
 
Si S est une prémisse fondamentale vraie, elle est une justification concluante d'elle-même.
 
Il est en général facile de reconnaître qu'une justification est acceptable. Il suffit de s'assurer que le raisonnement est logique et que ses prémisses sont fondamentales ou déjà justifiées à partir de prémisses fondamentales. Mais il n'est pas toujours facile d'être sûr qu'une justification acceptable est concluante, parce qu'on peut souvent douter de la vérité des prémisses fondamentales.
 
On peut croire en toute légitimité qu'on a fait une bonne observation et s'être pourtant trompé, parce qu'on est victime d'un stratagème, ou d'une illusion, ou pour toute autre raison inconnue de nous qui fait que les conditions d'une bonne observation n'étaient pas réunies. Une prémisse empirique fondamentale peut être fausse. Les justifications empiriques acceptables ne sont pas toujours concluantes.
 
Le savoir purement théorique, ou mathématique, est fondé seulement sur des prémisses fondamentales théoriques, parce que la vérité purement théorique porte sur des mondes logiquement possibles, et parce que toutes les vérités à leur sujet résultent de leur définition. Tant qu'on raisonne correctement sur des mondes logiquement possibles, il n'y a pas de place pour l'erreur ou le doute. C'est pourquoi les preuves mathématiques, c'est à dire les justifications acceptables purement théoriques, sont toujours concluantes.
 
Le savoir empirique est fondé à la fois sur des prémisses fondamentales empiriques et théoriques. Les prémisses théoriques définissent des modèles de la réalité. Ce sont les mondes logiquement possibles pour lesquels les principes théoriques sont vrais. Si on donne aux termes de la théorie une interprétation empirique, alors les théorèmes, c'est à dire les conséquences logiques des principes, sont des hypothèses sur la réalité empirique. Pour que les prémisses théoriques fondamentales permettent de développer un véritable savoir empirique, il ne suffit pas qu'elles soient vraies de mondes logiquement possibles, il faut qu'elles soient vraies à propos de la réalité. C'est pourquoi le savoir empirique doit justifier ses hypothèses théoriques.
 
===La justification des principes===
 
<i>« Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » </i>(Matthieu, 7:20)
 
<i>« On y verra de ces sortes de démonstrations, qui ne produisent
pas une certitude aussi grande que celles de Géométrie, et qui même
en diffèrent beaucoup, puisque au lieu que les Géomètres prouvent
leurs Propositions par des Principes certains et incontestables,
ici les Principes se vérifient par les conclusions qu'on en tire; la nature de
ces choses ne souffrant pas que cela se fasse autrement. Il est possible
toutefois d'y arriver à un degré de vraisemblance, qui bien souvent
ne cède guère à une évidence entière. Savoir lorsque les choses,
qu'on a démontrées par ces Principes supposés, se raportent parfaitement
aux phénomènes que l'expérience a fait remarquer; surtout
quand il y en a grand nombre, et encore principalement quand on
se forme et prévoit des phénomènes nouveaux, qui doivent suivre des
hypothèses qu'on employe, et qu'on trouve qu'en cela l'effet répond
à notre attente. Que si toutes ces preuves de la vraisemblance se
rencontrent dans ce que je me suis proposé de traiter, comme il me
semble qu'elles font, ce doit être une bien grande confirmation du
succès de ma recherche, et il se peut malaisément que les choses ne
soient à peu près comme je les représente. » </i>(Christian Huyghens, <i>Traité de la lumière</i>, p.2)
 
On reconnaît les bons principes à leurs fruits.
 
Nous ne savons pas par avance quels sont tous les bons principes théoriques qui nous permettent de développer un bon savoir. Les principes théoriques des sciences empiriques sont d'abord seulement des hypothèses. On attend d'eux qu'ils fassent leurs preuves, qu'ils portent des fruits, qu'ils permettent de prouver des vérités qui expliquent les phénomènes observés ou qui prédisent de nouveaux phénomènes.
 
Une déduction consiste à justifier par un raisonnement logique une conséquence à partir de principes supposés admis. Par contraste, on parle d'abduction lorsqu'on justifie des principes à partir de l'ensemble de leurs conséquences. Déduction et abduction sont complémentaires. La déduction donne aux principes leur puissance explicative. L'abduction sélectionne les principes qui nous aident le plus à comprendre la réalité.
 
Qu'un bon principe porte des fruits est une vérité qu'on peut admettre par définition du concept de bon principe.
 
Nous évaluons les principes à partir de la qualité du savoir qu'ils nous permettent d'acquérir. Un sceptique pourrait dénoncer un cercle vicieux : nous justifions notre savoir en le prouvant à partir de principes, mais nous évaluons les principes à partir du savoir qu'ils nous permettent de prouver.
 
Il y a bien un cercle mais il n'est pas forcément vicieux. Les principes ne sont pas la seule source du savoir. Les observations et les expériences le sont également. Il y a un cercle parce qu'il y a un dialogue incessant entre les principes et leurs applications. Les principes nous servent à développer des applications. Ils prouvent leur valeur quand nous réussissons. Les échecs en revanche nous conduisent à les modifier ou à les abandonner. Les principes sont ainsi évalués à partir de leurs applications, leurs fruits, mais les applications elles-mêmes ne sont pas évaluées seulement à partir de principes. Les perceptions, les émotions et tout ce que nous vivons nous font sortir du cercle de l'évaluation des principes par des principes.
 
===Savoir sans savoir qu'on sait===
 
Comme on peut douter même de nos bonnes observations, on ne sait pas ou pas toujours si nos observations sont vraiment de bonnes observations. Il est raisonnable de supposer qu'elles ne nous trompent pas dans des circonstances ordinaires mais cela ne suffit pas pour exclure toute possibilité de doute. On peut douter aussi de la vérité empirique de nos principes théoriques même s'ils sont très bien vérifiés. Nous pouvons reconnaître que nos preuves empiriques sont des justifications acceptables, mais comme elles laissent une place au doute nous ne pouvons pas être sûrs qu'elles sont des justifications concluantes. Si une théorie empirique est vraie, elle fournit des justifications concluantes et permet donc de développer un véritable savoir. Mais comme nous ne sommes pas sûrs qu'elle est vraie nous savons sans savoir que nous savons.
 
Une théorie de la justification du savoir est internaliste lorsqu'elle affirme qu'un agent peut avoir conscience de toutes les conditions qui font qu'une croyance est justifiée. Pour une théorie internaliste, un agent peut toujours savoir qu'une justification est vraiment une justification. Une théorie du savoir est externaliste lorsqu'elle n'est pas internaliste, lorsqu'un agent n'a pas toujours accès aux conditions qui font qu'une croyance est justifiée. Pour une théorie externaliste, un agent ne peut pas toujours savoir qu'une justification est vraiment une justification. La présente théorie du savoir est à la fois internaliste et externaliste. Elle est internaliste pour les justifications acceptables et externaliste pour les justifications concluantes.
 
=== La justification de la logique ===
 
Nous reconnaissons un raisonnement logique en vérifiant qu'il respecte les principes logiques. Mais comment reconnaissons-nous les principes logiques ? Comment savons-nous qu'ils sont de bons principes ? Comment les justifions-nous ? Sommes-nous vraiment sûrs qu'ils conduisent toujours à des conclusions vraies à partir de prémisses vraies ?
 
En se donnant des principes de définition de la vérité (Tarski 1933), on peut prouver que nos principes logiques sont vrais, au sens où ils font toujours passer du vrai au vrai. On peut même prouver qu'un petit nombre de principes suffit pour déterminer toutes les relations de conséquence logique (Gödel 1929).
 
Un sceptique pourrait objecter que ces justifications des principes logiques sont sans valeur parce qu'elles sont circulaires. Quand nous raisonnons sur les principes logiques pour les justifier, nous nous servons des mêmes principes que ceux que nous devons justifier. Si nos principes étaient faux, ils permettraient de prouver des faussetés et donc ils pourraient permettre de prouver leur propre vérité. Que les principes logiques permettent de prouver leur vérité ne prouve donc pas qu'ils sont vrais, puisque des principes faux pourraient faire la même chose.
 
Cette objection n'est pas concluante. Il suffit d'examiner les preuves suspectes de circularité pour se convaincre de leur validité, tout simplement parce qu'elles sont excellentes et irréfutables. Aucun doute n'est permis parce que tout y est clairement défini et prouvé. Un sceptique peut faire remarquer avec raison que de telles preuves ne peuvent convaincre que ceux qui sont déjà convertis. Mais dans ce cas il n'est pas difficile de faire partie des convertis, parce que les principes logiques ne font que formuler ce que nous savons déjà quand nous raisonnons correctement.
 
 
(La suite est en cours de réécriture)
 
== L'évaluation du savoir ==
 
Un énoncé est un savoir dès qu'il est la conclusion d'une justification concluante, mais cela ne veut pas dire qu'il est pour autant un très bon savoir. Un énoncé peut être vrai et justifié et sans intérêt, s'il ne dit rien qui mérite d'être connu. Les principes précédents suffisent pour justifier le savoir mais ils ne suffisent pas pour l'évaluer.