« Psychologie cognitive pour l'enseignant/Faire des liens » : différence entre les versions

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[[Fichier : Hierarchical Model Mental Lexicon.png|centre|Organisation des classifications en mémoire.]]
 
Ces classifications permettent d'organiser ce que l'élève doit apprendre, facilitant ainsi le rappel ultérieur. Comme le dit un peu abusivement Alain Lieury, '''comprendre, c'est classer'''. Si l'élève ne dispose pas de ces structures cognitives, l'apprentissage ultérieur sera inefficacemoins efficace. Lieury, Lemoine et Le Guelte l'ont montré dans une expérience où des enfants de différents niveaux scolaires devaient mémoriser une liste de mots : un groupe témoin recevait une liste désorganisée alors que l'autre avait droit à une liste organisée en structure cognitive. Pour les élèves de 4e et 6e, cette organisation était très efficace : les élèves disposaient des structures cognitives qui permettaient un gain de mémorisation de la liste. En revanche, les élèves de CM1 ne disposaient pas vraiment des structures cognitives nécessaires, qui n'avaient pas encore été acquises par instruction : l'organisation en structure cognitive ne donnait pas de gain comparé au groupe témoin.
 
Apprendre demande d'arrimer les nouvelles connaissances dans une structure cognitive, si possible à des catégories ni trop générales ni trop spécifiques. Et à ce petit jeu, l'ordre d'apprentissage des concepts vient mettre son grain de sel. Par exemple, un enfant de 6/7 ans sait qu'un chat est un animal, mais ne connaît pas la notion de mammifère : la hiérarchie n'est donc pas parfaite et l'apprentissage du concept de mammifère ne supprimera pas le lien fait entre chien et animal. Choisir l'endroit où placer un nouveau concept dans cette structure est latrès base de la création d'un plan ou d'une progressionimportant. Cela évite à l'élève de croire que certaines propriétés ne sont valables que pour une classe restreinte de concepts alors que ce n'est pas le cas : de telles sous-généralisations sont assez courantes. Cela évite aussi les sur-généralisations, dans lesquelles l'élève croit que certaines propriétés sont valides pour une classe de phénomènes ou d'objets alors que ce n'est pas le cas.
 
Au passage, on peut se demander dans quel ordre parcourir les classifications et autres structures cognitives : faut-il partir du haut pour redescendre, ou au contraire partir des concepts les plus spécialisés et remonter progressivement ? Cette question peut se reformuler ainsi : faut-il partir des concepts généraux pour ensuite en déduire les concepts plus particuliers, ou au contraire faut-il partir du particulier pour abstraire progressivement des concepts plus généraux. Les deux méthodes sont à adopter selon le sujet abordé et les circonstances. La méthode qui va du particulier vers le général est appelée '''méthode par généralisation'''. Elle part des concepts particuliers et cherche à en extraire les points communs pour former un concept plus général. Elle met l'accent sur les ressemblances entre concepts, elle demande d'abstraire quelque chose de commun à plusieurs exemples. La méthode opposée, appelée '''méthode par dérivation''', dériver les concepts particuliers en ajoutant des propriétés à un concept plus général. Avec cette méthode, des concepts proches sont abordés séquentiellement, à la suite du concept commun, de la catégorie super-ordonnée. Ce faisant, les concepts semblables sont abordés selon les différences qu'ils entretiennent, les propriétés qu'ils ne partagent pas.
 
Il est certain que certaines classification sont plus faciles à comprendre en partant des concepts généraux et en les spécialisant, alors que d'autres sujets sont plus simples à comprendre avec l'autre méthode. Une des raisons à cela est la familiarité des concept à aborder : mieux vaut commencer par aborder les concepts les plus familiers, ceux que l'élève peut comprendre plus facilement, ceux qu'il peut relier à des choses déjà connues. Dans certains cas, les catégories générales peuvent être peu intuitives pour l'élève, contrairement aux catégories particulières. Un exemple serait la classification des animaux : la différence entre un chat et un lion (tous deux des félins) est plus intuitive que la différence entre mammifères marsupiaux et placentaires. Mais ce n'est pas un reproche général : il existe de nombreux cas où les catégories générales sont au contraires plus familières que les catégories particulières.Pensez par exemple à la classification des arbres : la différence entre un feuillu d'un conifère est plus simple à comprendre que la différence entre un hêtre d'un chêne. De manière générale, la familiarité ne dépend pas trop de la place dans la hiérarchie de la structure cognitive. Les chercheurs ont longtemps pensé que les concepts intermédiaires, ni trop généraux, ni trop particuliers, étaient ceux qui étaient les plus facilement appris, mais la roue a un peu tourné depuis. Ce n'est pas un cas général.
 
Si l'on se trouve dans un cas où ce détail ne joue pas ou peu, on peut trouver des défauts à la méthode par généralisation, que la méthode par dérivation n'a pas. Déjà, la méthode par dérivation a une charge cognitive plus faible, elle fait un meilleur usage des ressources limitées de la mémoire de travail. Elle part des concepts qui ont le plus petit nombre de propriétés et chaque dérivation d'un nouveau concept ajoute quelques propriétés. A chaque étape, le nombre de propriétés à ajouter tient facilement dans la mémoire de travail. Par contre, la méthode par généralisation demande à l'élève de mémoriser un grand nombre de propriété pour chaque concept. Elle part en effet des concepts les plus particuliers, qui ont un grand nombre de propriétés. De plus, chaque étape demande de comparer eux eux divers concepts particuliers, et d'en dégager les propriétés commune. Toutes les propriétés de tous les concepts doivent être analysées pour en dégager un motif commun. La charge de la mémoire de travail est alors extrême. Autant dire que cette méthode est assez compliquée à utiliser et qu'elle donnera de mauvais résultats chez les élèves faibles, qui ont une mauvaise mémoire de travail.
 
Un dernier défaut de la méthode par généralisation est qu'elle met l'accent sur les ressemblances entre concepts. Or, plus deux concepts sont semblables, plus ils ont de chances d'être reliés aux mêmes indices de récupération. Ils peuvent alors interférer entre eux lors du rappel, ce qui les rend plus faciles à confondre. Ausubel qualifie ce genre de phénomène d''''assimilation oblitératrice'''. Ce phénomène n'a pas lieu si on met l'accent sur les différences entre deux concepts, ce que fait la méthode par dérivation. Deux concepts différents, dérivé du même concept général, seront mis en contraste l'un avec l'autre, ce qui accentuera leurs différences. Cela nous dit qu'il vaut mieux aborder les concepts en partant du général pour aller vers le particulier, pour limiter les interférences.
 
===Les autres formes d’organisation===
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Il est vite apparu que les classifications ne sont pas l'alpha et l'oméga de l'organisation mentale. Cette organisation rigide qu'est la structure cognitive ne suffit pas à rendre compte des résultats expérimentaux, même les plus simples. Les structures cognitives ne sont pas forcément aussi bien organisées, le principe d’économie cognitive est au mieux approximatif, et la forme exacte des classifications dépend de l'ordre d'apprentissage des concepts. Il existe aussi des classifications qui ne s'expriment pas facilement sous la forme de structures cognitives, mais passons. Attardons-nous à la place sur un fait bien plus intéressant : on sait aujourd'hui que d’autres formes de relations existent, qu'il s'agisse de relations de causalité entre évènements, de relations qui permettent de localiser des objets, et bien d'autres encore. Ces relations sont regroupées, par convention, dans un ensemble extrêmement hétérogène appelé '''relations thématiques'''. Ces relations, avec les relations taxonomiques (catégorielles), permettent de former une représentation de situations ou d'évènements.
 
====Le double codage====
De plus, certains chercheurs considèrent que ce réseau conceptuel doit être complété par d'autres réseaux complémentaires qui mémorisent non pas des connaissances mais des informations sensorielles, visuelles, auditives, etc. Par exemple, la '''théorie du double-codage''' stipule que la mémoire contiendrait un réseau verbal, qui mémorise des concepts et des faits et un réseau visuel qui mémoriserait des images mentales ou des représentations visuelles. Cette théorie a été inventée pour expliquer les différences de mémorisation entre concepts concrets et abstraits. Expérimentalement, il est observé que les concepts concrets sont plus faciles à retenir que les concepts abstraits. Cela viendrait du fait que les concepts concrets sont généralement visualisables, contrairement aux concepts abstraits. On peut s'imaginer mentalement à quoi ressemble un chat, alors qu'il est plus difficile de donner une représentation des concepts de liberté ou de justice (sauf par métaphore ou analogie). Ainsi, les concepts concrets seraient représentés dans les deux sous-réseaux, tandis que les concepts abstraits le seraient uniquement dans le réseau verbal. La redondance des concepts concrets/imaginables les rendrait plus mémorables. Nous verrons quelles sont les conséquences pédagogiques dans le chapitre sur les supports pédagogiques.
 
De plus, certainsCertains chercheurs considèrent que cele réseau conceptuelde connaissances conceptuelles doit être complété par d'autres réseaux complémentaires qui mémorisent non pas des connaissances mais des informations sensorielles, visuelles, auditives, etc. Par exemple, la '''théorie du double-codage''' stipule que la mémoire contiendrait un réseau verbal, qui mémorise des concepts et des faits et un réseau visuel qui mémoriserait des images mentales ou des représentations visuelles. Cette théorie a été inventée pour expliquer les différences de mémorisation entre concepts concrets et abstraits. Expérimentalement, il est observé que les concepts concrets sont plus faciles à retenir que les concepts abstraits. Cela viendrait du fait que les concepts concrets sont généralement visualisables, contrairement aux concepts abstraits. On peut s'imaginer mentalement à quoi ressemble un chat, alors qu'il est plus difficile de donner une représentation des concepts de liberté ou de justice (sauf par métaphore ou analogie). Ainsi, les concepts concrets seraient représentés dans les deux sous-réseaux, tandis que les concepts abstraits le seraient uniquement dans le réseau verbal. La redondance des concepts concrets/imaginables les rendrait plus mémorables. Nous verrons quelles sont les conséquences pédagogiques dans le chapitre sur les supports pédagogiques.
 
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Cette abstraction des connaissances acquises influence non seulement la mémorisation mais aussi l'utilisation ultérieure des connaissances, leur transfert. Pour en donner un exemple, on peut citer la fameuse étude de Chi et al. (1981). Dans celle-ci, les expérimentateurs ont observés comment des experts (des professeurs de physique) et des novices (des étudiants en début de cursus) catégorisaient des exercices de physique. Leur étude a montré que les novices ont tendance à fonder leurs analyses sur des détails présents dans l'énoncé (coefficients numériques, vocabulaire utilisé, ...), alors que les experts ont tendance à penser en fonction d'idées générales et de principes abstraits (la loi de conservation de l'énergie, la quantité de mouvement, ...). Au fur et à mesure que les étudiants progressent dans leurs études, il classent de plus en plus ces exercices en fonction des caractéristiques générales.
 
Ce processus d'abstraction demande de diversifier au maximum l'apprentissage. En utilisant un concept dans des contextes très différents, celui-ci sera naturellement relié à un grand nombre d'indices et de notions, ce qui l'intègre solidement dans le réseau mnésique. La '''variation''' est donc une technique d'élaboration comme une autre. De plus, elle demande de mettre l'accent non seulement sur les ressemblances entre concepts mais aussi sur leurs différences. En effet, plus deux concepts sont semblables, plus ils ont de chances d'être reliés aux mêmes indices de récupération. Mais en faisant cela, les deux concepts peuvent facilement interférer entre eux, ce qui les rend plus faciles à confondre lors du rappel. Ausubel qualifie ce genre de phénomène d''''assimilation oblitératrice'''.
 
En conséquence, favoriser la rétention d'un concept demande de mettre l'accent sur les différences entre concepts semblables. Cela nous dit qu'il vaut mieux aborder les concepts en partant de l'abstrait pour aller au concret et non l'inverse. La méthode qui va du concret vers l'abstrait, appelée méthode de la '''réconciliation-intégration''', ne respecte pas ce genre de choses. Elle met l'accent sur les ressemblances entre concepts, elle demande d'abstraire quelque chose de commun à plusieurs exemples. Cela facilite les interférences : les informations apprises ainsi sont donc nettement moins résistantes à l'oubli. La méthode inverse, appelée méthode de la '''différentiation progressive''', délivre un concept concret en ajoutant des propriétés à un concept plus général. Avec cette méthode, des concepts proches sont abordés séquentiellement, à la suite du concept commun, de la catégorie super-ordonnée. Ce faisant, les concepts semblables sont abordés selon les différences qu'ils entretiennent, les propriétés qu'ils ne partagent pas. Cela élimine les phénomènes d'interférence et d'assimilation oblitératrice, favorisant la rétention.
 
==Références==